Conseil d'Etat, 7 / 8 SSR, du 4 mai 1988, 64349, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE DES FINANCES ET DU BUDGET enregistré le 6 décembre 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, et tendant à ce que le Conseil d'Etat annule le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 5 juillet 1984, en tant que, par ce jugement, le tribunal :

°1) a accordé à Electricité de France, à concurrence de 30 052 632,39 F de droits, la décharge de la taxe sur la valeur ajoutée réclamée à cet établissement national, ainsi que les pénalités correspondantes ;

°2) à concurrence de 40 530 000 F, a déchargé ledit établissement des droits rappelés au titre des opérations de changement de tension ;

°3) à concurrence de 5 740 786 F, a accordé la décharge de l'imposition du chef de la déduction de la taxe facturée par le port autonome du Havre ;

°4) à concurrence de 1 404 160 F, a accordé à cet établissement la décharge des droits afférents à des sommes facturées à la société "SAPAR", ainsi que les pénalités correspondantes ;

°5) à concurrence de 16 905 068,40 F, a accordé la décharge des droits réclamés au titre des opérations réalisées avec Gaz de France ainsi que la pénalité correspondante ;

1 culée du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1979, sous réserve d'un décompte complémentaire tenant compte de la date du paiement effectif des droits, doit être calculée sur la somme de 4 140 991 F correspondant aux minorations de déclarations constatées au cours de la période vérifiée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs ;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

Vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

- le rapport de M. Querenet X... de Breville, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement ;

Sur la taxe sur la valeur ajoutée établie du chef des frais facturés à Gaz de France :

Considérant que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET, sans contester que c'est à bon droit que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé que c'est à tort que la taxe sur la valeur ajoutée avait été réclamée à Electricité de France du chef de frais facturés à Gaz de France, soutient, en revanche, d'une part, que la décharge prononcée correspond, à concurrence de 16 905 068,40 F, à des droits pour lesquels le tribunal administratif n'était pas saisi, d'autre part, et en tout état de cause, que le montant de la décharge prononcée excède, à concurrence de 30 052 632,39 F, le montant des droits en définitive établis de ce chef ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans sa réclamation en date du 31 octobre 1980 adressée au directeur des services fiscaux de Paris-Ouest, Electricité de France contestait les suppléments de taxe sur la valeur ajoutée auxquels cet établissement national a été assjetti au titre de la période du 1er janvier 1974 au 31 décembre 1977 par un avis de mise en recouvrement en date du 23 septembre 1980 ; qu'à la suite du rejet partiel de cette réclamation par décision dudit directeur en date du 6 juin 1982, l'établissement national a, dans sa demande introductive d'instance devant le tribunal administratif de Paris, en date du 10 août 1982, déclaré "persister à exprimer son désaccord sur les chefs de redressement maintenus" et a conclu à "la décharge d'impositions supplémentaires à la taxe sur la valeur ajoutée établies à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 1974 au 31 décembre 1977" ; que si, dans les développements de cette demande, l'Etablissement national n'a chiffré que les montants des droits afférents à l'année 1977, la volonté clairement manifestée par Electricité de France était de saisir le tribunal administratif de l'ensemble des droits et pénalités qui restait en litige ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si, comme le soutient le ministre de l'économie, des finances et du budget, la seconde réclamation préalable de l'établissement national, en date du 30 septembre 1983, que le directeur a transmise d'office au tribunal administratif, était tardive en ce qui concerne l'année 1974, ledit ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a fait droit, en ce qui concerne la taxe établie du chef des frais facturés à Gaz de France, à la demande y compris pour la partie relative aux droits réclamés au titre de la période correspondant à l'année 1974 ;

Considérant, en revanche, qu'il est constant que le montant total des droits établis, au titre de la période du 1er janvier 1974 au 31 décembre 1977, du chef des frais facturés à Gaz de France s'est élevé non à 110 542 789,20 F mais seulement à 80 490 156,81 F ; que, dès lors, les conclusions du ministre tendant à ce qu'un montant de droits de 30 052 632,39 F soit remis à la charge de l'établissement national doivent être accueillies, ainsi que ne le conteste d'ailleurs pas Electricité de France ;

Sur la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé le coût des travaux de transformation des appareils des abonnés réalisés à l'occasion du changement de tension :

Considérant, d'une part, qu'aux termes du 1 de l'article 271 du code général des impôts : "La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération" ; qu'aux termes du 1 de l'article 230 de l'annexe II a ce code, pris sur le fondement des dispositions du 3 de l'article 271 : "La taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens et les services que les assujettis à cette taxe acquièrent ou qu'ils se livrent à eux-mêmes n'est déductible que si ces biens et services sont nécessaires à l'exploitation et sont affectés de façon exclusive à celle-ci" ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 18 du cahier des charges-type pour la concession de distribution publique d'énergie électrique approuvé par le décret °n 60-1288 du 22 novembre 1960 : "Le concessionnaire a le droit de procéder aux travaux de changement de tension ou de nature de courant distribué en vue d'augmenter la capacité des réseaux existants ... - A- Basse tension. Les travaux ne seront pas à la charge des abonnés ... Les appareils d'utilisation appartenant aux abonnés sont modifiés ou échangés gratuitement ..." ; qu'il résulte de ces dispositions que les travaux de transformation des appareils des abonnés que l'établissement national était tenu de réaliser à l'occasion du changement de tension n'ont, contrairement à ce que soutient l'administration, ni le caractère d'une libéralité, ni la nature d'indemnités destinées à réparer, sur le terrain de la responsabilité contractuelle, le préjudice subi par les abonnés du fait de la décision prise unilatéralement par Electricité de France de modifier les conditions de distribution de l'énergie électrique ; que les travaux dont s'agit doivent être regardés, nonobstant la circonstance qu'ils bénéficient également aux abonnés, comme concourant à la distribution de l'énergie électrique et, dès lors, comme nécessaires à l'exploitation et affectés de façon exclusive à celle-ci au sens des dispositions précitées de l'article 230 de l'annexe II au code général des impôts ; qu'il suit de là que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a prononcé la décharge de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé le coût des opérations de transformation des appareils des abonnés ;

Sur l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des sommes versées à Electricité de France par la "SAPAR" :

Considérant qu'aux termes du 3 de l'article 267 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au cours de la période d'imposition : " ... les sommes remboursées aux personnes qui rendent compte exactement à leurs commettants des débours effectués en leur lieu et place n'entrent pas dans le prix des services à raison desquels elles sont imposées" ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pendant la période d'imposition, la société anonyme de gestion et de contrôle de participation, ci-après "SAPAR", filiale à 99 % d'Electricité de France, a remboursé à l'établissement national les dépenses afférentes aux personnels et aux matériels que ce dernier avait mis à sa disposition, sous déduction d'une somme fixée, d'un commun accord entre les parties, à 15 % desdites dépenses et représentant forfaitairement la valeur des prestations fournies par la "SAPAR" à Electricité de France et qui consistent, pour le compte d'Electricité de France et de plusieurs autres filiales de l'établissement public, à gérer des portefeuilles-titres et des parcitipations ; qu'il est constant qu'Electricité de France n'avait pas, à l'égard de la "SAPAR", la qualité de commettant ; qu'ainsi les sommes qui lui ont été versées par la "SAPAR" n'entraient pas dans les champ d'application des dispositions précitées du 3 de l'article 267 du code général des impôts dont l'établissement national se prévaut pour prétendre qu'elles n'étaient pas imposables à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a regardé les sommes versées par la "SAPAR" comme des recettes commerciales d'Electricité de France et les a soumises, pour ce motif, à la taxe sur la valeur ajoutée ;

Considérant, il est vrai, qu'Electricité de France se prévaut en défense, sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quinquies E du code général des impôts repris à l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, de l'interprétation de la loi fiscale qui aurait été donnée par l'administration fiscale dans une instruction en date du 15 juin 1969, maintenue par une note du 29 juin 1975, selon laquelle, lorsque plusieurs entreprises distinctes ayant entre elles des liens plus ou moins étroits "confient à l'une d'entre elles l'exécution de tâches communes, les sommes encaissées par cette entreprise et qui constituent le remboursement exact des fournitures ou des prestations de service à une autre entreprise ne constituent pas une affaire imposable à la taxe sur la valeur ajoutée" ; qu'il résulte, toutefois, de la nature des relations qu'elle avait établies avec la "SAPAR" qu'Electricité de France n'était pas chargée de l'exécution de "tâches communes" ; que, par suite, l'établissement national n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'instruction et de la note dont s'agit ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif, estimant que les sommes remboursées à Electricité de France par la "SAPAR" ne devaient pas être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée a accordé la décharge correspondante, et à demander, par voie de conséquence, que soient remis à la charge d'Electricité de France les droits correspondants, d'un montant de 1 404 160 F ;

Sur les indemnités de retard dues à raison de redressements non contestés :

Considérant qu'aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : "Tout retard dans le paiement des ... taxes ... qui doivent être versées aux comptables de la direction générale des impôts donne lieu à l'application d'une indemnité égale, pour le premier mois, à 3 % du montant des sommes dont le versement a été différé et, pour chacun des mois suivants à 1 % dudit montant. Pour le calcul de cette indemnité ... toute période d'un mois commencée est comptée entièrement" ; qu'il résulte de ces dispositions que les indemnités de retard doivent être calculées à raison du montant des sommes dont le versement a été différé et en retenant, pour l'application à chacune d'elles des prescriptions de l'article 1727 précité, le nombre de mois ou de fraction de mois compris entre la date à laquelle les droits auraient dû au plus tard être acquittés et celle à laquelle ils ont été effectivement versés ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au lieu de déterminer comme il vient d'être dit le montant des indemnités de retard dus par Electricité de France à raison du versement différé de droits non contestés pour la période du 1er janvier 1974 au 31 décembre 1975, l'administration a admis, par mesure de tolérance, de procéder à la compensation, sur l'ensemble de la période vérifiée, entre les insuffisances de versements relevées en 1974 et 1975 et les excédents de versements constatés en 1976 et 1977 et de calculer les intérêts de retard dus à la date de la notification de redressements du 14 décembre 1979 sur la base d'un solde net d'insuffisance de versements en décembre 1977 de 4 190 991 F ; qu'il résulte de l'instruction qu'Electricité de France n'avait pas régularisé sa situation avant le 14 décembre 1979 et que le montant des intérêts de retard ainsi calculés, qui s'élève à 1 076 657,60 F, n'excède pas celui qui résulterait de l'application mois par mois des dispositions précitées ; que le ministre est, par suite, fondé à demander que lesdites indemnités de retard soient remises à la charge d'Electricité de France ;
Article 1er : Au titre de la période du 1er janvier 1974 au 31 décembre 1977, sont remis à la charge d'Electricité de France des droits de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 31 456 792,39 F, ainsi que les pénalités correspondantes, et une indemnité de retard pour versement différé de droits non contestés de 1 076 657,60 F.
Article 2 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris en date du 5 juillet 1984 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du ministre de l'économie, des finances et du budget est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Electricité de France et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget.


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