Conseil d'Etat, 7 / 8 SSR, du 26 juillet 1978, 06420, publié au recueil Lebon
Conseil d'Etat, 7 / 8 SSR, du 26 juillet 1978, 06420, publié au recueil Lebon
Conseil d'Etat - 7 / 8 SSR
statuant
au contentieux
- N° 06420
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
mercredi
26 juillet 1978
- Président
- M. Rain
- Rapporteur
- M. P.F. Racine
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, enregistré au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 4 mars 1977 le recours du Ministre délégué à l'Economie et aux Finances, tendant à ce qu'il plaise au Conseil réformer un jugement en date du 10 novembre 1976 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a décidé que le montant des bénéfices imposables du sieur X... au titre des années 1969, 1970 et 1971 serait déterminé sous déduction du montant des intérêts des emprunts contractés par l'intéressé en 1969 et 1971 et lui a accordé de ce chef une réduction des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles il avait été assujetti au titre des mêmes années dans les rôles de la commune de P.... Vu le Code général des impôts ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant que le sieur X..., qui, en 1969, 1970 et 1971 exploitait un fonds de commerce de confection à P... et qui avait pour ces trois exercices déclaré des résultats déficitaires, a été l'objet d'une vérification à la suite de laquelle l'administration a écarté sa comptabilité et a fixé des bénéfices imposables de l'entreprise par voie d'évaluation d'office, en procédant notamment à une reconstitution des bénéfices bruts et en écartant des charges déductibles certaines dépenses, parmi lesquelles des frais financiers ; que, l'intéressé ayant contesté les impositions correspondantes devant le tribunal administratif de Rennes, ce tribunal, par un jugement en date du 10 novembre 1976, a rejeté l'ensemble de ses prétentions à l'exception de celles qui portaient sur la déduction de certains frais financiers et lui a accordé, de ce dernier chef, une réduction des cotisations à l'impôt sur le revenu qui lui avaient été assignées au titre des années 1970 et 1971. Que le ministre délégué à l'Economie et aux finances fait appel de ce jugement ; que le sieur X... n'a pas formé de recours incident ; qu'en conséquence le litige porte en appel uniquement sur la question de savoir s'il y a lieu d'admettre en déduction des bénéfices imposables, comme constituant des charges de l'entreprise au sens et pour l'application de l'article 39 du code général des impôts, des intérêts afférents à des emprunts contractés par le sieur X..., dans la mesure où ces intérêts se rapportent à une fraction des sommes empruntées, égale à 286597,18 F, que l'intéressé a utilisée pour acquérir 238 parts sur les 250 parts représentant le capital social d'une société à responsabilité limitée exploitant à P... un fonds de commerce de confection ; et pour financer certains travaux ;
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts, " ... le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé par les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises ... 2 - le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, diminuée des suppléments d'apports et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés" et que d'autre part, selon les dispositions de l'article 39-1 du même code, "le bénéfice est établi sous déduction de toutes charges" ; qu'il en est ainsi, notamment, des charges financières de l'exercice, même si elles se rattachent à des opérations réalisées antérieurement, à la condition qu'elles aient été effectivement exposées pour les besoins ou dans l'intérêt de l'entreprise ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le fonds de commerce exploité à P... par la société à responsabilité limitée et le fonds de commerce exploité à P... par le sieur X... avaient des activités similaires et éventuellement complémentaires l'une de l'autre ; qu'ainsi l'acquisition de la quasi-totalité des parts de la société n'était pas par elle-même une opération qui dût être regardée comme étrangère à une gestion commerciale normale de l'entreprise de P... ; que, dans ces conditions, le sieur X... avait la faculté de faire figurer ces parts à l'actif du bilan de son entreprise personnelle comme constituant des titres de participation acquis par cette dernière, mais il lui était loisible également de conserver ces titres dans son patrimoine privé ; que, dans le premier cas, toutes les opérations se rapportant à cette prise de participation, y compris les charges financières qu'elle a pu entraîner, devaient être prises en compte pour la détermination des bénéfices imposables de l'entreprise. Que, dans le cas où au contraire le sieur X... a acquis les parts de la société à responsabilité limitée à titre personnel et dans la mesure où il n'a pu le faire qu'en prélevant les fonds nécessaires dans son entreprise, les frais financiers correspondants devaient être réintégrés dans les bénéfices imposables de ladite entreprise ;
Considérant qu'il est constant que, lors de l'acquisition des parts de la société à responsabilité limitée, le sieur X... a, dans la comptabilité de son entreprise, d'abord débité du prix payé un compte "acquisition de parts sociales", puis soldé immédiatement ce compte en portant le montant à un compte "débiteurs divers" ; qu'ainsi les titres litigieux n'ont pas figuré au nombre des immobilisations de l'entreprise inscrites comme telles dans ses bilans ; qu'au contraire, en passant les écritures ci-dessus relatées, le sieur X..., loin de manifester sa volonté d'inscrire les titres à l'actif du bilan de son entreprise, s'est efforcé de dissimuler, par l'inscription à un poste "débiteurs divers" sans signification particulière, le prélèvement qu'il opérait en fait pour se rendre personnellement acquéreur des titres ;
Considérant qu'il est également constant que le sieur X... n'a pas non plus manifesté sa volonté, par des écritures comptables appropriées, de rendre son entreprise créancière du prix des travaux qu'il avait fait effectuer à P... dans les locaux où devait être exploité le fonds de commerce de la société dont il a acquis les parts ;
Considérant toutefois que de telles circonstances ne sont pas en elles-mêmes de nature à justifier la réintégration de frais financiers opérée par l'administration. Considérant en effet que, dans une entreprise individuelle, le capital engagé dans l'entreprise est à tout moment égal au solde débiteur du compte personnel de l'exploitant ; que le compte de celui-ci doit, à la clôture de chaque exercice, être crédité ou débité des résultats bénéficiaires ou déficitaires et doit, en cours d'exercice, être crédité ou débité des suppléments d'apports ou des prélèvements effectués ; qu'aucune disposition législative n'oblige l'exploitant à faire des suppléments d'apports ou à s'abstenir de faire des prélèvements à l'effet de maintenir engagé dans l'entreprise un capital minimum, les droits des créanciers étant garantis par la responsabilité personnelle et illimitée de l'exploitant à leur égard. Que, par suite, ne peuvent être regardés comme anormaux les prélèvements effectués par un exploitant sur son compte personnel tant que ce compte, crédité au débité ainsi qu'il a été dit plus haut, présente un solde créditeur ; que, si au contraire le solde ainsi calculé devient débiteur, ce qui signifie que l'exploitant alimente sa trésorerie privée au détriment de la trésorerie de l'entreprise et si, par suite, l'entreprise doit, en raison de la situation de sa trésorerie, recourir à des emprunts, les frais et charges correspondant à ces emprunts ne peuvent être regardés comme supportés dans l'intérêt de l'entreprise, mais seulement dans l'intérêt de l'exploitant, et ne sont dès lors pas déductibles des bénéfices imposables ;
Considérant que de ce qui précède il résulte que les circonstances ci-dessus évoquées ne sont de nature à justifier la réintégration de frais financiers opérée par l'administration que si et dans la mesure où les emprunts d'où résultent les frais en litige sont la conséquence de prélèvements de l'exploitant ayant rendu en 1970 et 1971 son compte courant débiteur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'aux bilans de clôture des 31 décembre 1970 et 1971 le compte courant du sieur X... présentait des soldes créditeurs s'élevant respectivement à 166115 F et à 115788 F ; que, même si le prélèvement de 286597 F opéré sur son compte courant pour acquérir les parts de la société à responsabilité limitée et effectuer certains travaux, avait été inscrit, comme il aurait dû l'être, ainsi que le reconnaît d'ailleurs le sieur X..., au débit du compte, celui-ci eût présenté durant les années 1970 et 1971 un solde débiteur inférieur à 286597 F. Que toutefois l'état du dossier ne permettant de connaître ni la moyenne annuelle du solde débiteur qui serait apparu au compte courant du sieur X... s'il avait été tenu correctement ni par conséquent le montant d'emprunts et les intérêts y afférents qui se sont dès lors avérés nécessaires, il y a lieu à ce double titre avant dire droit, d'ordonner, à la diligence du Ministre du Budget, un supplément d'instruction contradictoire ;
DECIDE : Article 1er : Avant dire droit sur les conclusions du recours susvisé du Ministre délégué à l'Economie et aux Finances, il sera procédé par les soins du Ministre du Budget à un supplément d'instruction contradictoire afin de déterminer :
1. Quel aurait été en moyenne le solde débiteur durant les années 1970 et 1971 du compte personnel du sieur X... s'il avait été tenu comme il est indiqué dans la présente décision ;
2. Quel est le montant d'emprunts et par conséquent d'intérêts qui se serait révélé nécessaire pour couvrir les débits apparaissant au compte personnel du sieur X... durant les années 1970 et 1971.
Article 2 : Il est accordé au Ministre du Budget un délai de quatre mois à dater de la notification de la présente décision pour faire parvenir au secrétariat de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat les renseignements définis à l'article 1er ci-dessus.
Considérant que le sieur X..., qui, en 1969, 1970 et 1971 exploitait un fonds de commerce de confection à P... et qui avait pour ces trois exercices déclaré des résultats déficitaires, a été l'objet d'une vérification à la suite de laquelle l'administration a écarté sa comptabilité et a fixé des bénéfices imposables de l'entreprise par voie d'évaluation d'office, en procédant notamment à une reconstitution des bénéfices bruts et en écartant des charges déductibles certaines dépenses, parmi lesquelles des frais financiers ; que, l'intéressé ayant contesté les impositions correspondantes devant le tribunal administratif de Rennes, ce tribunal, par un jugement en date du 10 novembre 1976, a rejeté l'ensemble de ses prétentions à l'exception de celles qui portaient sur la déduction de certains frais financiers et lui a accordé, de ce dernier chef, une réduction des cotisations à l'impôt sur le revenu qui lui avaient été assignées au titre des années 1970 et 1971. Que le ministre délégué à l'Economie et aux finances fait appel de ce jugement ; que le sieur X... n'a pas formé de recours incident ; qu'en conséquence le litige porte en appel uniquement sur la question de savoir s'il y a lieu d'admettre en déduction des bénéfices imposables, comme constituant des charges de l'entreprise au sens et pour l'application de l'article 39 du code général des impôts, des intérêts afférents à des emprunts contractés par le sieur X..., dans la mesure où ces intérêts se rapportent à une fraction des sommes empruntées, égale à 286597,18 F, que l'intéressé a utilisée pour acquérir 238 parts sur les 250 parts représentant le capital social d'une société à responsabilité limitée exploitant à P... un fonds de commerce de confection ; et pour financer certains travaux ;
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts, " ... le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé par les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises ... 2 - le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, diminuée des suppléments d'apports et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés" et que d'autre part, selon les dispositions de l'article 39-1 du même code, "le bénéfice est établi sous déduction de toutes charges" ; qu'il en est ainsi, notamment, des charges financières de l'exercice, même si elles se rattachent à des opérations réalisées antérieurement, à la condition qu'elles aient été effectivement exposées pour les besoins ou dans l'intérêt de l'entreprise ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le fonds de commerce exploité à P... par la société à responsabilité limitée et le fonds de commerce exploité à P... par le sieur X... avaient des activités similaires et éventuellement complémentaires l'une de l'autre ; qu'ainsi l'acquisition de la quasi-totalité des parts de la société n'était pas par elle-même une opération qui dût être regardée comme étrangère à une gestion commerciale normale de l'entreprise de P... ; que, dans ces conditions, le sieur X... avait la faculté de faire figurer ces parts à l'actif du bilan de son entreprise personnelle comme constituant des titres de participation acquis par cette dernière, mais il lui était loisible également de conserver ces titres dans son patrimoine privé ; que, dans le premier cas, toutes les opérations se rapportant à cette prise de participation, y compris les charges financières qu'elle a pu entraîner, devaient être prises en compte pour la détermination des bénéfices imposables de l'entreprise. Que, dans le cas où au contraire le sieur X... a acquis les parts de la société à responsabilité limitée à titre personnel et dans la mesure où il n'a pu le faire qu'en prélevant les fonds nécessaires dans son entreprise, les frais financiers correspondants devaient être réintégrés dans les bénéfices imposables de ladite entreprise ;
Considérant qu'il est constant que, lors de l'acquisition des parts de la société à responsabilité limitée, le sieur X... a, dans la comptabilité de son entreprise, d'abord débité du prix payé un compte "acquisition de parts sociales", puis soldé immédiatement ce compte en portant le montant à un compte "débiteurs divers" ; qu'ainsi les titres litigieux n'ont pas figuré au nombre des immobilisations de l'entreprise inscrites comme telles dans ses bilans ; qu'au contraire, en passant les écritures ci-dessus relatées, le sieur X..., loin de manifester sa volonté d'inscrire les titres à l'actif du bilan de son entreprise, s'est efforcé de dissimuler, par l'inscription à un poste "débiteurs divers" sans signification particulière, le prélèvement qu'il opérait en fait pour se rendre personnellement acquéreur des titres ;
Considérant qu'il est également constant que le sieur X... n'a pas non plus manifesté sa volonté, par des écritures comptables appropriées, de rendre son entreprise créancière du prix des travaux qu'il avait fait effectuer à P... dans les locaux où devait être exploité le fonds de commerce de la société dont il a acquis les parts ;
Considérant toutefois que de telles circonstances ne sont pas en elles-mêmes de nature à justifier la réintégration de frais financiers opérée par l'administration. Considérant en effet que, dans une entreprise individuelle, le capital engagé dans l'entreprise est à tout moment égal au solde débiteur du compte personnel de l'exploitant ; que le compte de celui-ci doit, à la clôture de chaque exercice, être crédité ou débité des résultats bénéficiaires ou déficitaires et doit, en cours d'exercice, être crédité ou débité des suppléments d'apports ou des prélèvements effectués ; qu'aucune disposition législative n'oblige l'exploitant à faire des suppléments d'apports ou à s'abstenir de faire des prélèvements à l'effet de maintenir engagé dans l'entreprise un capital minimum, les droits des créanciers étant garantis par la responsabilité personnelle et illimitée de l'exploitant à leur égard. Que, par suite, ne peuvent être regardés comme anormaux les prélèvements effectués par un exploitant sur son compte personnel tant que ce compte, crédité au débité ainsi qu'il a été dit plus haut, présente un solde créditeur ; que, si au contraire le solde ainsi calculé devient débiteur, ce qui signifie que l'exploitant alimente sa trésorerie privée au détriment de la trésorerie de l'entreprise et si, par suite, l'entreprise doit, en raison de la situation de sa trésorerie, recourir à des emprunts, les frais et charges correspondant à ces emprunts ne peuvent être regardés comme supportés dans l'intérêt de l'entreprise, mais seulement dans l'intérêt de l'exploitant, et ne sont dès lors pas déductibles des bénéfices imposables ;
Considérant que de ce qui précède il résulte que les circonstances ci-dessus évoquées ne sont de nature à justifier la réintégration de frais financiers opérée par l'administration que si et dans la mesure où les emprunts d'où résultent les frais en litige sont la conséquence de prélèvements de l'exploitant ayant rendu en 1970 et 1971 son compte courant débiteur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'aux bilans de clôture des 31 décembre 1970 et 1971 le compte courant du sieur X... présentait des soldes créditeurs s'élevant respectivement à 166115 F et à 115788 F ; que, même si le prélèvement de 286597 F opéré sur son compte courant pour acquérir les parts de la société à responsabilité limitée et effectuer certains travaux, avait été inscrit, comme il aurait dû l'être, ainsi que le reconnaît d'ailleurs le sieur X..., au débit du compte, celui-ci eût présenté durant les années 1970 et 1971 un solde débiteur inférieur à 286597 F. Que toutefois l'état du dossier ne permettant de connaître ni la moyenne annuelle du solde débiteur qui serait apparu au compte courant du sieur X... s'il avait été tenu correctement ni par conséquent le montant d'emprunts et les intérêts y afférents qui se sont dès lors avérés nécessaires, il y a lieu à ce double titre avant dire droit, d'ordonner, à la diligence du Ministre du Budget, un supplément d'instruction contradictoire ;
DECIDE : Article 1er : Avant dire droit sur les conclusions du recours susvisé du Ministre délégué à l'Economie et aux Finances, il sera procédé par les soins du Ministre du Budget à un supplément d'instruction contradictoire afin de déterminer :
1. Quel aurait été en moyenne le solde débiteur durant les années 1970 et 1971 du compte personnel du sieur X... s'il avait été tenu comme il est indiqué dans la présente décision ;
2. Quel est le montant d'emprunts et par conséquent d'intérêts qui se serait révélé nécessaire pour couvrir les débits apparaissant au compte personnel du sieur X... durant les années 1970 et 1971.
Article 2 : Il est accordé au Ministre du Budget un délai de quatre mois à dater de la notification de la présente décision pour faire parvenir au secrétariat de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat les renseignements définis à l'article 1er ci-dessus.