Conseil d'Etat, 8 / 9 SSR, du 4 décembre 1974, 87166, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le sieur ..., demeurant ... rue ... , ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 18 mai 1972 et le 16 juin 1972, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler le jugement en date du 15 mars 1972 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande en décharge des suppléments d'impôt sur le revenu des personnes physiques et de taxe complémentaire auxquels il a été assujetti au titre des années 1964 à 1967 dans les rôles de la ville de ... ;
Vu le code général des impôts ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret 30 septembre 1953 ; Sur la régularité du jugement du Tribunal administratif : Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans un mémoire en réplique enregistré le 11 février 1971 au greffe du Tribunal administratif d'Amiens, le sieur ... a contesté la base de calcul des sommes perçues de ses locataires par son mandataire, le sieur ..., à titre de charges locatives, alors qu'il s'était contenté dans sa demande introductive d'instance, enregistrée le 18 décembre 1969, de contester le principe de la réintégration des sommes litigieuses dans ses revenus imposables ; que l'intéressé n'a pas ainsi émis une prétention fondée sur une cause juridique distincte constituant une demande nouvelle, mais s'est borné à invoquer un moyen nouveau recevable jusqu'à la clôture de l'instruction ; qu'il suit de là que le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté comme irrecevable ce moyen ; que le jugement susvisé du Tribunal administratif doit dès lors être annulé ;
Considérant que l'affaire est en état et qu'il y a lieu d'évoquer pour être statué immédiatement sur la demande présentée devant le Tribunal administratif ;
Au fond : Sur les revenus imposables du sieur ... : Considérant qu'aux termes de l'article 29 du Code général des impôts : "Sous réserve des dispositions de l'article 33 ter, le revenu brut des immeubles ou parties d'immeubles données en location est constitué par le montant des recettes brutes perçues par le propriétaire, augmenté du montant des dépenses incombant normalement à ce dernier et mises par convention, à la charge des locataires, et diminué du montant des dépenses supportées par le propriétaire pour le compte des locataires."
Considérant que, si l'administration a admis, par voie de circulaire, que les propriétaires s'abstiennent de déclarer les sommes reçues comme charges locatives, en contre-partie exacte des dépenses qu'ils supportent pour le compte des locataires, cette circulaire ne saurait, en tout état de cause, être utilement invoquée en l'espèce alors que les sommes versées par les locataires ont été calculées sur une base forfaitaire ;
Considérant qu'il est constant que le montant des loyers encaissés par le sieur ..., mandataire du sieur ..., gérant majoritaire de la société civile ... était majoré des sommes calculées forfaitairement et égales à vingt pour cent du loyer principal représentant les charges locatives et à trente trois pour cent supplémentaires de ce loyer pendant les mois de chauffage ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que c'est par une exacte application des dispositions précitées de l'article 29 du Code général des impôts que l'administration, tout en déduisant les charges effectivement acquittées par le sieur ... pour le compte des locataires, a réintégré dans les recettes brutes du contribuable les sommes qu'il a perçues de ceux-ci au titre de charges locatives forfaitaires ;
Considérant que si le requérant soutient que ... ne lui aurait pas correctement rendu compte de ses actes et ne lui aurait pas entièrement versé les sommes qui lui revenaient, il résulte de l'instruction que ce dernier possédait, en vertu d'un contrat en date du 15 novembre 1962, la qualité de mandataire du sieur ... gérant de la société civile immobilière ; que les sommes perçues par son mandataire pour le compte du sieur ... devaient être regardées comme étant, dès leur perception, à la disposition de ce dernier sauf, recours de celui-ci, le cas échéant, devant la juridiction compétente ; que, dès lors, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner l'expertise sollicitée sur ce point à titre subsidiaire par le sieur ..., ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la déduction des sommes litigieuses de ses revenus ;
Sur les charges déductibles : Considérant qu'aux termes de l'article 31 du Code général des impôts : "Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent ... 1° le montant des dépenses de réparations et d'entretien, des frais de gérance et de rémunération des gardes et concierges effectivement supportés par le propriétaire ... 3° le montant des intérêts des dettes contractées pour la conservation, l'acquisition, la construction, la réparation ou l'amélioration des propriétés ; 4° une déduction forfaitaire fixée à 30 % des revenus bruts représentant les frais de gestion, l'assurance et l'amortissement ..." ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction et notamment des termes du contrat souscrit le 15 novembre 1962 entre le sieur ... en sa qualité de gérant de la société ... et le sieur ... que ce dernier était chargé, moyennant rémunération, "de l'ensemble de la gestion du groupe d'immeubles" construit par la société à ... ; que les sommes que le sieur ... soutient avoir versées audit sieur ... en sus de sa rémunération normale de gérant à titre de commissions en rémunération de contrats de location conclus avec diverses sociétés, auraient eu, en tout état de cause, le caractère de frais de gestion mentionnés au 4° de l'article 31 précité du Code susvisé ; que lesdites commissions étaient, dès lors, comprises dans la déduction forfaitaire de 30 % prévue à cet article et ne pouvaient, dans ces conditions, ouvrir droit à une déduction supplémentaire ;
Considérant, d'autre part, que, pour pouvoir déduire de ses revenus les intérêts des emprunts et dettes à sa charge, le contribuable doit non seulement établir la réalité du paiement de ces intérêts mais également justifier qu'il s'en est effectivement acquitté au cours des années au titre desquelles l'impôt est établi ; qu'il résulte de l'instruction que les intérêts litigieux n'ont pas été effectivement acquittés par le sieur ... au cours des années d'imposition ; que l'administration était, dès lors, en droit de réintégrer les sommes correspondantes dans les revenus imposables du contribuable ;
Sur les déficits d'exploitation subis en Algérie : Considérant que le sieur ... n'apporte aucun commencement de preuve de nature à justifier la réalité et le montant des déficits d'exploitation qu'il aurait subis en Algérie au cours des années 1962 et 1963 ; qu'il s'est notamment abstenu de produire les éléments d'un dossier qu'il aurait déposé à l'"Agence des biens et intérêts des rapatriés" ; que, le requérant n'est dès lors et en tout état de cause, pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration a refusé de tenir compte des déficits allégués pour l'établissement des impositions litigieuses ;
Sur la majoration de 50 % : Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du Code général des impôts : "... lorsque la bonne foi du redevable ne peut être admise, les droits correspondants aux infractions définies à l'article 1728 sont majorés de ... 50 % si le montant des droits est supérieur à la moitié des droits réellement dus ..." ;
Considérant que le sieur ... n'ignorait pas que les intérêts qu'il a déduits de ses revenus pour les années en litige n'avaient pas été effectivement acquittés pendant lesdites années et ne pouvaient ouvrir droit à une déduction ; qu'ainsi, sa bonne foi ne peut être admise sur ce point ; que, compte tenu de ce que des résultats déficitaires avaient été déclarés pour chacune des quatre années d'imposition, la réintégration dans les revenus imposables desdits intérêts a constitué, à elle seule, pour chacune de ces années plus de la moitié des droits dus ; que, dès lors, l'administration était en droit d'appliquer au contribuable la majoration de 50 % prévue à l'article 1729 précite ;
DECIDE : Article 1er - Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris est annulé. Article 2 - Le surplus des conclusions de la requête et la demande soumise au Tribunal administratif par le sieur ... sont rejetés. Article 3 - Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre de l'Economie et des Finances.
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