Cour administrative d'appel de Paris, du 31 janvier 1991, 89PA01032, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

VU la requête présentée par les héritiers de Mme Juliette X..., représentés par M. Jean X... demeurant ... ; elle a été enregistrée au greffe de la cour le 26 janvier 1989 ; la succession de Mme MAZARGUIL demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°68166/2 du 3 novembre 1988 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté, d'une part, sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles Mme Juliette MAZARGUIL a été assujettie au titre des années 1979, 1980 et 1981, d'autre part, sa demande en réduction des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles Mme MAZARGUIL a été assujettie, au titre des années 1980, 1982 et 1983, dans les rôles de la ville de Paris ;

2°) de lui accorder la décharge et la réduction demandées ;

VU les autres pièces du dossier ;

VU le code général des impôts ;

VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

VU la loi n°87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu, au cours de l'audience du 17 janvier 1991 :

- le rapport de M. DUHANT, conseiller,

- et les conclusions de M. LOLOUM, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant qu'aux termes de l'article L.57 du livre des procédures fiscales : "L'administration adresse au contribuable une notification de redressements qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ..." ;

Considérant, en premier lieu, que les héritiers de Mme MAZARGUIL contestent la régularité de la notification de redressements adressée à la société civile immobilière "du ..." dont celle-ci était l'associée, en soutenant qu'elle n'est pas suffisamment motivée car elle ne procède pas à l'analyse des travaux dont le vérificateur n'a pas admis la déductibilité des revenus fonciers bruts ; qu'il ressort, toutefois des termes de la notification dont il s'agit, que ceux-ci indiquaient clairement la nature et les motifs des redressements envisagés ; que le gérant de la société civile immobilière a été ainsi mis en mesure de présenter des observations ; qu'ainsi il ne peut être valablement soutenu que la notification de redressements est insuffisamment motivée ;

Considérant, en second lieu, que si les requérants soutiennent également qu'avant l'envoi de la notification de redressements à la société civile, la possibilité d'un débat oral et contradictoire n'a pas été offerte, ils n'apportent à l'appui de cette allégation aucun fait précis permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition ne peuvent être accueillis ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la déductibilité des travaux relatifs aux locaux commerciaux :

Considérant qu'aux termes de l'article 31 du code général des impôts : "Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : - 1° pour les propriétés urbaines : a) les dépenses de réparation et d'entretien ... b) les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction, ou d'agrandissement ..." ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en ce qui concerne les locaux autres que ceux qui sont à usage d'habitation, seules les dépenses correspondant à des travaux d'entretien et de réparation sont déductibles des revenus fonciers ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les travaux effectués en 1979, 1980 et 1981 au sous-sol, au rez-de-chaussée et au premier étage de l'immeuble de la société civile immobilière du "..." ont eu pour objet de transformer en bureaux des locaux abritant précédemment un établissement de bains-douches ; que des travaux de cette nature ne peuvent être regardés comme des travaux de réparation et d'entretien au sens de l'article 31 précité ; qu'en admettant même que la société civile immobilière n'ait réalisé dans les locaux en cause que des travaux d'importance mineure n'affectant pas le gros oeuvre, ces travaux sont indissociables des transformations et aménagements effectués par la société locataire des bureaux ; qu'il suit de là que les héritiers de Mme MAZARGUIL ne sont pas fondés à demander que les dépenses engagées pour la réalisation desdits travaux soient admises en charges déductibles pour la détermination du revenu foncier imposable de la société civile immobilière du "..." ;

En ce qui concerne la déductibilité des travaux relatifs aux locaux d'habitation :

Considérant qu'il résulte des dispositions du II de l'article 15 du code général des impôts que les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu ; qu'il s'en suit que les charges afférentes à ces logements ne peuvent pas, dans ce cas, venir en déduction, pour la détermination du revenu net global imposable ;

Considérant qu'à l'issue de la vérification de comptabilité dont a été l'objet, en 1983, la société civile immobilière "du ...", le vérificateur a refusé de considérer comme des charges de la propriété les dépenses d'améliorations afférentes à des travaux réalisés dans un appartement en "duplex" situé aux deuxième et troisième étage de l'immeuble susmentionné au motif que la société se réservait l'usage de cet appartement ; que si, par un bail, en date du 10 octobre 1979, l'appartement en cause a été loué par la société civile immobilière à Mme Juliette X... moyennant un loyer annuel de 30.000 F, les héritiers de l'intéressée reconnaissent qu'en réalité, celle-ci n'a jamais acquitté son loyer ; que, dans ses déclarations annuelles, la société civile immobilière a d'ailleurs indiqué que deux de ses associés bénéficiaient de la jouissance gratuite de cet appartement ; qu'enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les déclarations de la société civile immobilière ne permettent pas d'établir qu'il aurait été tenu compte, dans la répartition qui a été faite des revenus procurés par l'immeuble entre l'ensemble des associés, de l'avantage en nature ainsi consenti à deux d'entre eux ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que la société devait être regardée comme s'étant réservé la jouissance de l'appartement et a refusé la déductibilité du montant des travaux s'y rapportant comme charges de la propriété ;

En ce qui concerne la déduction des travaux d'isothermie :

Considérant que si les héritiers de Mme MAZARGUIL demandent la déduction de travaux d'isothermie réalisés en 1980 dans la résidence principale de Mme Juliette MAZARGUIL, ils ne présentent aucune justification à l'appui de leur demande ;

En ce qui concerne la déductibilité de l'indemnité d'éviction :

Considérant que l'indemnité d'éviction versée à un locataire n'entre pas dans les charges de la propriété énumérées à l'article 31 du code général des impôts ; que pour déterminer si une indemnité de cette nature trouve sa contrepartie dans un accroissement du capital immobilier du bailleur ou doit être regardée comme une dépense effectuée "en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu" au sens des dispositions de l'article 13 du même code ou encore si ladite indemnité entre, le cas échéant, dans l'une et l'autre de ces catégories, selon des proportions à fixer, il y a lieu de tenir compte des circonstances de l'espèce ;

Considérant que la société civile immobilière "du ..." a versé à la société "Les Bains Taranne" une indemnité d'éviction de 100.000 F en 1979 et 30.000 F en 1980 ; que les requérants soutiennent que le versement a eu lieu en vue de la libération des locaux à vocation commerciale pour leur remise en état avant une nouvelle location ; que l'administration ne conteste pas sérieusement ces affirmations en se bornant à prétendre que l'indemnité d'éviction servie trouverait sa contrepartie dans l'accroissement du capital immobilier de la société civile immobilière ; que compte tenu de ces circonstances l'indemnité d'éviction de 130.000 F payée à la société "Les Bains Taranne" doit être regardée en l'espèce, comme ayant eu le caractère d'une dépense effectuée "en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu" au sens du 1 de l'article 13 du code général des impôts ; qu'elle doit, dès lors, être admise en déduction, à hauteur de 100.000 F au titre de l'année 1979 et de 30.000 F au titre de l'année 1980, pour la détermination des recettes imposables de la société civile immobilière du "..." ;

Sur la compensation effectuée par l'administration :

Considérant qu'aux termes de l'article L.203 du livre des procédures fiscales : "Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation, dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande" ;

Considérant, d'une part, que la société locataire des bureaux a versé en 1979 un dépôt de garantie de 85.000 F qui a été compris à tort dans les recettes imposables de la société civile immobilière du "..." ; que, d'autre part, le vérificateur a admis à tort comme charges déductibles, à hauteur de 153.328 F, certaines des dépenses engagées pour réaliser les travaux ci-dessus mentionnés ; que c'est, dès lors, à bon droit que le tribunal administratif, estimant qu'en vertu du droit de compensation prévu à l'article L.203 précité du livre des procédures fiscales, les deux erreurs commises par l'administration devaient se compenser, a maintenu la somme de 85.000 F dans les recettes imposables de la société civile immobilière ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu d'ordonner l'expertise sollicitée, les héritiers de Mme Juliette MAZARGUIL sont seulement fondés à soutenir que les cotisations d'impôt sur le revenu assignées à cette dernière, au titre des années 1979 à 1983, doivent être établies en tenant compte au prorata de ses parts dans la société civile immobilière "du ...", de la déduction de l'indemnité d'éviction versée à la société "Les Bains Taranne" ;
Article 1er : Les cotisations d'impôt sur le revenu assignées à Mme Juliette MAZARGUIL, au titre des années 1979 et 1980, seront établies, en tenant compte, au prorata de ses parts dans la société civile immobilière "du ...", de la déduction de l'indemnité d'éviction versée à la société "Les Bains Taranne" pour des montants de 100.000 F en 1979 et 30.000 F en 1980.
Article 2 : Mme Juliette MAZARGUIL est déchargée, au titre des années 1979 et 1980, de la différence entre l'impôt auquel elle a été assujettie et celui résultant de l'article premier ci-dessus.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 3 novembre 1988 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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