Avis n° 435498 du 12 février 2020

Version initiale


  • ECLI:FR:CHR:2020:435498.20200212


    Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 5e et 6e chambres réunies),
    Sur le rapport de la 5e chambre de la section du contentieux,
    Vu la procédure suivante :
    Mme I… H…, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante de son fils M. B… H…, M. G… H…, Mme C… H…, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante de sa fille V… N…-H… et M. F… H…, ont demandé au tribunal administratif de Lyon, en leur nom personnel et en qualité d'ayants droits de M. E… H…, de mettre à la charge de l'ONIAM et du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne les sommes qu'ils estiment leur être dues à raison du préjudice subi du fait du décès de leur parent, M. E… H… ;
    Par un jugement n° 1806153 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif a décidé, avant de statuer sur cette demande, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
    1° Les actions engagées contre l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, sont-elles, en dépit de la lettre de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 puis de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, toujours soumises à une prescription décennale ? Dans la négative, quel est le délai de prescription applicable et quelles sont les modalités d'application dans le temps du changement de délai de prescription ?
    2° Dans quelle mesure le dernier alinéa de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique, qui dispose que « La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre » doit-il être combiné avec l'alinéa 2 de l'article 2238 du code civil, qui prévoit que lorsque la médiation ou la conciliation est terminée le délai de prescription recommence à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois ?
    3° Une demande indemnitaire, postérieure à l'avis rendu par une commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, peut-elle suspendre ou interrompre le délai de prescription ?
    L'ONIAM a présenté des observations, enregistrées le 2 décembre 2019 ;
    Le centre hospitalier de Saint-Etienne a présenté des observations, enregistrées le 18 décembre 2019 ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu :


    - la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
    - la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;
    - la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 ;
    - le code civil ;
    - le code de la santé publique ;
    - le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;


    Après avoir entendu en séance publique :


    - le rapport de Mme Louise Cadin, auditrice ;
    - les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;


    La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Saint-Etienne,
    Rend l'avis suivant :
    Sur la première question :
    1. En vertu de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, les personnes s'estimant victimes d'un dommage d'une particulière gravité imputable à une infection nosocomiale peuvent demander à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de réparer leur préjudice au titre de la solidarité nationale.
    2. L'article L. 1142-28 du code de la santé publique dispose, dans sa rédaction applicable à l'affaire ayant donné lieu à la question posée par le tribunal administratif de Lyon, qui est issue de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 : « Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins et les demandes d'indemnisation formées devant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l'article L. 1142-1 et des articles L. 1142-24-9, L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage. / Le titre XX du livre III du code civil est applicable, à l'exclusion de son chapitre II ».
    3. Il résulte des travaux parlementaires préparatoires à la loi du 26 janvier 2016 que le législateur a entendu inclure dans le champ d'application de la prescription décennale que prévoient ces dispositions, non seulement les actions susceptibles d'être engagées contre l'ONIAM sur le fondement des articles L. 1142-24-9, L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 du code de la santé publique, mais aussi, bien qu'elles ne soient pas expressément mentionnées par l'article L.1142-28, celles susceptibles de l'être sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du même code.
    Sur la deuxième question :
    4. D'une part, l'article 2238 du code civil, rendu applicable aux demandes d'indemnisation formées devant l'ONIAM par le second alinéa de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique cité au point 2, prévoit que lorsque la prescription a été suspendue par le recours des parties à la médiation ou à la conciliation, « le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l'une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée (…) ».
    5. D'autre part, l'article L. 1142-5 du code de la santé publique dispose que la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux « siège en formation de règlement amiable des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et en formation de conciliation ». Au sein de la partie règlementaire du code, la section 2 du chapitre II du titre IV du livre 1er de la première partie de ce code comporte, à ce titre, une sous-section 2, intitulée « Procédure de règlement amiable », composée des articles R. 1142-13 à R. 1142-18 et une sous-section 3, intitulée « Procédure de conciliation », composée des articles R. 1142-19 à R. 1142-23. Enfin, le quatrième alinéa de l'article L. 1142-7 du même code dispose que : « La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre ».
    6. Lorsque, en application de ces dernières dispositions, la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, soit par une demande au titre de la procédure de règlement amiable, soit par une demande au titre de la procédure de conciliation, a suspendu le délai de prescription applicable à l'action indemnitaire, il résulte des dispositions de l'article 2238 du code civil, qui est applicable ainsi qu'il est dit au point 4, que ce délai recommence à courir pour la durée restant à courir ou, si celle-ci est inférieure à six mois, pour une durée de six mois.
    7. Si la demande a été présentée à la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux au titre de la procédure amiable, le délai de prescription recommence à courir, dans le cas où la commission conclut à l'absence de droit à réparation, à compter de la date à laquelle cet avis de la commission est notifié à l'intéressé. Dans le cas où la commission estime que le dommage est indemnisable par un établissement de santé ou au titre de la solidarité nationale, si l'intéressé reçoit une offre d'indemnisation de l'assureur de la personne considérée comme responsable ou de l'ONIAM, le délai recommence à courir à compter de la date de réception de cette offre.
    8. Si la demande a été présentée au titre de la procédure de conciliation, le délai de prescription recommence à courir à la date à laquelle l'intéressé reçoit le courrier de la commission l'avisant de l'échec de la conciliation, ou à la date à laquelle le document de conciliation partielle mentionné à l'article R. 1142-22 du code de la santé publique est signé par les deux parties.
    Sur la troisième question :
    9. En prévoyant, au second alinéa de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique issu de la loi du 26 janvier 2016, que les règles de la prescription extinctive prévues au titre XX du livre III du code civil s'appliquent au régime spécifique de prescription décennale, le législateur a entendu fixer l'ensemble des causes interruptives inhérentes à ce régime et exclure, par suite, à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2016, pour les litiges de responsabilité médicale mettant en cause des personnes publiques, l'application des causes interruptives prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.
    10. Or, à la différence de ce que prévoient les dispositions de la loi du 31 décembre 1968, aucune disposition du titre XX du livre III du code civil ne prévoit qu'une demande de paiement ou une réclamation adressée à une administration ait pour effet de suspendre ou d'interrompre le délai de prescription.
    11. Par suite, qu'elle soit formulée antérieurement ou postérieurement à l'avis rendu par une commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, une demande indemnitaire présentée à l'administration n'est pas de nature à suspendre ou interrompre le délai de prescription prévu par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.
    Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Lyon, à Mme I… H…, première requérante dénommée devant le tribunal administratif, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, à la Mutuelle générale de l'éducation nationale, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, au ministre de l'éducation nationale et à la ministre des solidarités et de la santé.
    Il sera publié au Journal officiel de la République française.

Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 222,7 Ko
Retourner en haut de la page