Décision no 2001-457 DC du 27 décembre 2001

NOR : CSCL0105283S
JORF n°302 du 29 décembre 2001
Texte n° 7

Version initiale

  • LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2001

    Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 21 décembre 2001, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi de finances rectificative pour 2001, par MM. Josselin de Rohan, Alain Lambert, Philippe Marini, Pierre André, Philippe Arnaud, Denis Badré, Michel Bécot, Laurent Béteille, Joël Billard, Jacques Blanc, Maurice Blin, Gérard Braun, Michel Caldaguès, Robert Calméjane, Jean-Claude Carle, Auguste Cazalet, Jean Chérioux, Jean Clouet, Christian Cointat, Jean-Patrick Courtois, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Eric Doligé, Paul Dubrule, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Paul Emin, Jean Faure, André Ferrand, Hilaire Flandre, Serge Franchis, Philippe François, Yves Fréville, Mme Gisèle Gautier, MM. Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Francis Giraud, Mme Jacqueline Gourault, MM. Alain Gournac, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Michel Guerry, Hubert Haenel, Mme Françoise Henneron, MM. Daniel Hoeffel, Alain Joyandet, Jean-Marc Juilhard, Patrick Lassourd, Jean-René Lecerf, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Valérie Létard, MM. Gérard Longuet, Roland du Luart, Max Marest, Serge Mathieu, Jean-Luc Miraux, Louis Moinard, Bernard Murat, Philippe Nogrix, Joseph Ostermann, Michel Pelchat, Jean Pépin, Bernard Plasait, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Charles Revet, Philippe Richert, Mme Janine Rozier, MM. Bernard Saugey, Jean-Pierre Schosteck, René Trégouët, François Trucy, Jean-Pierre Vial, Xavier de Villepin, Serge Vinçon et François Zocchetto, sénateurs ;

    Le Conseil constitutionnel,

    Vu la Constitution ;

    Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

    Vu l'ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;

    Vu la loi no 96-646 du 22 juillet 1996 portant loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale ;

    Vu le code général des impôts ;

    Vu le code des postes et télécommunications ;

    Vu le code rural, et notamment ses articles L. 752-1 et L. 752-22 ;

    Vu le code général des collectivités territoriales ;

    Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 22 décembre 2001 ;

    Le rapporteur ayant été entendu ;

    1. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 2001 et critiquent, en particulier, en tout ou partie, ses articles 27, 62, 68 et 91 ;

    Sur l'article 27 :

    2. Considérant que l'article 27, qui modifie l'article 244 quater C du code général des impôts, a pour objet d'accorder un crédit d'impôt pour les dépenses de formation professionnelle exposées au cours des années 2002 à 2004 par les entreprises répondant aux conditions qu'il fixe ; que sont exclues du bénéfice de cette mesure les entreprises réalisant un chiffre d'affaires égal ou supérieur à 50 millions de francs ; que, selon les requérants, cet article serait « contraire aux principes de la politique de concurrence » ;

    3. Considérant que les requérants ne fondent leur critique sur aucun principe ou règle de nature à établir le caractère inconstitutionnel de l'article 27 ; que la définition du champ d'application de l'article critiqué est fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec la politique d'aide aux petites entreprises en matière de formation ; qu'elle ne crée pas, entre entreprises, une différence de traitement injustifiée ; que, dès lors, l'article 27 ne porte pas atteinte au principe d'égalité ;

    Sur l'article 62 :

    4. Considérant que le II de l'article 62 est relatif au droit de communication dont dispose l'administration fiscale, pour l'exercice de sa mission de contrôle, sur les données conservées et traitées dans le cadre de l'article L. 32-3-1 du code des postes et télécommunications ; que les I et III du même article, qui constituent avec le II les éléments inséparables d'un dispositif d'ensemble, sont relatifs aux droits analogues conférés à l'administration des douanes, d'une part, et aux enquêteurs de la Commission des opérations de bourse, d'autre part ;

    5. Considérant que, selon les sénateurs requérants, ces droits de communication seraient « insuffisamment précisés et encadrés » ; que l'article 62 encourrait « de sérieuses réserves liées à la protection des libertés publiques » ; qu'en effet, il serait donné « aux agents concernés la possibilité de profiter d'une dérogation nouvelle aux règles d'effacement et de protection de l'anonymat des communications » ;

    6. Considérant qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la lutte contre la fraude fiscale qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle ;

    7. Considérant que les dispositions critiquées ont pour seul objet de préciser les conditions dans lesquelles s'exerce, sur les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications et par les prestataires désignés aux articles 43-7 et 43-8 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le droit de communication général conféré par la législation en vigueur aux agents des douanes, à ceux de la direction générale des impôts et aux enquêteurs de la Commission des opérations de bourse ;

    8. Considérant qu'aux termes mêmes de la disposition contestée, le droit d'accès qu'elle ouvre à de telles données, dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à la vie privée, ne peut s'exercer que « dans le cadre de l'article L. 32-3-1 du code des postes et télécommunications » ; que cet article énonce avec précision la nature et les conditions de conservation et de communication de ces informations ; qu'il en résulte, notamment, que les données susceptibles d'être conservées et traitées « portent exclusivement sur l'identification des personnes utilisatrices de services fournis par les opérateurs et sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers » ; « qu'elles ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications » ; « qu'il peut être différé pour une durée maximale d'un an aux opérations tendant à effacer ou à rendre anonymes certaines catégories de données techniques » ; que, par ailleurs, le droit de communication créé par l'article 62 au profit des services d'enquêtes douanières, fiscales et boursières s'exerce dans le respect des autres prescriptions légales relatives à l'accomplissement de leurs missions ;

    9. Considérant, par suite, que le législateur a mis en oeuvre, en les conciliant, les exigences constitutionnelles ci-dessus rappelées ; que cette conciliation n'est entachée d'aucune erreur manifeste ; que le grief dirigé contre l'article 62 doit être rejeté ;

    Sur l'article 68 :

    10. Considérant que l'article 68 définit les nouvelles modalités de financement du fonds commun des accidents du travail agricole ; qu'il institue à cet effet une contribution forfaitaire versée par les organismes assureurs ; que les sénateurs requérants font grief à cette contribution d'être arbitraire et, faute pour la loi d'en avoir fixé le taux, contraire à l'article 34 de la Constitution ;

    11. Considérant que la disposition critiquée a pour objet d'assurer le financement du fonds commun des accidents du travail agricole jusqu'à son extinction, compte tenu de l'entrée en vigueur de la loi no 2001-1128 du 30 novembre 2001 portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles ; que ce fonds sera alimenté, pour moitié, par une contribution forfaitaire des organismes gestionnaires du régime venant à expiration le 31 mars 2002, au prorata du nombre des personnes assurées auprès de chacun d'eux à cette date et, pour l'autre moitié, par une contribution forfaitaire des organismes participant à la gestion du nouveau régime créé par la loi du 30 novembre 2001 précitée, au prorata du nombre de personnes assurées auprès de chacun d'eux au 1 er avril de chaque année ;

    12. Considérant que la contribution instituée par l'article 68 est un impôt de répartition ; que, dès lors, le législateur a épuisé sa compétence en disposant, d'une part, que le montant total des contributions sera égal, dans la limite d'un plafond annuel de 24 millions d'euros, « à la prévision de dépenses du fonds au titre de l'année, corrigée des insuffisances ou excédents constatés au titre de l'année précédente », d'autre part, que chacune des moitiés mentionnées ci-dessus sera répartie entre organismes assureurs au prorata du nombre des personnes assurées ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution doit être écarté ;

    13. Considérant, par ailleurs, qu'eu égard notamment au montant des sommes concernées et à son caractère décroissant, la désignation des organismes assujettis, comme les critères de leur assujettissement, sont objectifs et rationnels ;

    14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs dirigés contre l'article 68 doivent être rejetés ;

    Sur l'article 91 :

    15. Considérant que l'article 91 de la loi déférée abroge l'article 11 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 ; qu'ainsi, pour la quatrième année consécutive, le législateur rétablit, après les avoir supprimés, les frais d'assiette et de recouvrement retenus par les services fiscaux pour la perception des impositions affectées aux organismes de sécurité sociale ;

    16. Considérant que, selon les sénateurs requérants, l'article 91 fausserait les prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 et empiéterait, ce faisant, sur le domaine obligatoire des lois de financement de la sécurité sociale ;

    17. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa du II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale : « Seules les lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1o à 5o du I » ; que cette disposition a pour objet de faire obstacle à ce que les conditions générales de l'équilibre financier, telles qu'elles résultent de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année, modifiée le cas échéant par des lois de financement rectificatives, ne soient affectées par l'application de textes législatifs ou réglementaires dont les incidences sur les conditions de cet équilibre, dans le cadre de l'année, n'auraient pu au préalable être appréciées et prises en compte par l'une des lois de financement susmentionnées ;

    18. Considérant que l'estimation du montant global des frais d'assiette et de recouvrement facturés par l'Etat aux organismes de sécurité sociale est d'environ 52 millions d'euros ; que la mesure prévue par l'article critiqué, qui trouve sa place dans une loi de finances, n'a pas sur les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour l'année 2002 une incidence telle qu'elle doive être prise en compte par une loi de financement de la sécurité sociale ;

    19. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que cette nouvelle abrogation, si critiquable soit-elle, n'est pas contraire à la Constitution ;

    Sur l'article 55 :

    20. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement peut, sous réserve des limitations posées aux deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que le deuxième alinéa de celui-ci précise en particulier que la commission mixte paritaire est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » ;

    21. Considérant qu'il ressort de l'économie de l'article 45 que des adjonctions ne sauraient, en principe, être apportées au texte soumis à la délibération des assemblées après la réunion de la commission mixte paritaire ; qu'en effet, s'il en était ainsi, des mesures nouvelles, résultant de telles adjonctions, pourraient être adoptées sans avoir fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures à la réunion de la commission mixte paritaire et, en cas de désaccord entre les assemblées, sans être soumises à la procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à cette commission ; qu'il ressort en outre du deuxième alinéa de cet article que des dispositions adoptées en termes identiques avant la réunion de la commission mixte paritaire ne sauraient, en principe, être modifiées après cette réunion ;

    22. Considérant, en conséquence, que les seuls amendements susceptibles d'être adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire doivent être soit en relation directe avec une disposition restant en discussion, soit dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle ; que, par suite, à ce stade de la discussion parlementaire, doivent être regardés comme adoptés selon une procédure irrégulière les amendements qui ne remplissent pas l'une ou l'autre de ces conditions ;

    23. Considérant que l'article 55 de la loi déférée, qui précise, pour les sociétés coopératives d'intérêt collectif, que la part des excédents mis en réserves impartageables est déductible de l'assiette de calcul de l'impôt sur les sociétés, est issu d'un amendement adopté après l'échec de la commission mixte paritaire ; que cet article a été inséré dans le texte en discussion sous la forme d'un amendement sans relation directe avec aucune des dispositions de ce texte ; que, par ailleurs, son adoption n'était dictée ni par la nécessité de respecter la Constitution, ni par celle d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle ;

    24. Considérant qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer l'article 55 contraire à la Constitution comme ayant été adopté au terme d'une procédure irrégulière ;

    Sur les dispositions étrangères au domaine des lois de finances :

    25. Considérant que l'article 39 permet de différer la date d'effet de l'arrêté préfectoral étendant le périmètre d'une communauté urbaine ; que l'article 40 prévoit une disposition similaire pour les communautés d'agglomération ; que l'article 41 modifie les modalités de calcul de l'attribution de compensation versée à leurs communes membres par les établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre ; que l'article 47 permet aux conseils municipaux des villes de Paris, Marseille et Lyon de donner délégation aux conseils d'arrondissement pour la passation et l'exécution de certains marchés ;

    26. Considérant que ces dispositions ne concernent pas la détermination des ressources et des charges de l'Etat ; qu'elles n'ont pas pour but d'organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou d'imposer aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires ; qu'elles n'entraînent ni création ni transformation d'emplois au sens du cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée ; qu'enfin, elles n'ont pas le caractère de dispositions d'ordre fiscal ; qu'ainsi, les articles 39, 40, 41 et 47 de la loi déférée sont étrangers au domaine des lois de finances ; qu'il suit de là que ces articles ont été adoptés selon une procédure contraire à la Constitution,

    27. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution,

    Décide :

  • Art. 1er. - Sont déclarés contraires à la Constitution les articles 39, 40, 41, 47 et 55 de la loi de finances rectificative pour 2001.

  • Art. 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

    Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 décembre 2001, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Pierre Joxe, Pierre Mazeaud, Mmes Monique Pelletier, Dominique Schnapper et Simone Veil.

Le président,

Yves Guéna

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