Décision du 23 juin 2016 portant autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en application des dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique

NOR : AFSB1627700S
ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decision/2016/6/23/AFSB1627700S/jo/texte
JORF n°0233 du 6 octobre 2016
Texte n° 11

Version initiale


La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,
Vu le code de la santé publique, et notamment les articles L. 2151-5 et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;
Vu la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ;
Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;
Vu la demande présentée le 31 mars 2016 par le CNRS Université Paris-Diderot (laboratoire matière et systèmes complexes UMR 7057) aux fins d'obtenir une autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;
Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;
Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 21 mai 2016 ;
Vu les rapports d'expertise en date du 18 mai 2016 ;
Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 9 juin 2016 ;
Considérant que la finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute ; que l'équipe présente un projet extrêmement original et intéressant ; qu'elle se propose de comprendre, à partir des cellules souches embryonnaires humaines, comment se façonnent, en trois dimensions, les premières étapes de la spécification tissulaire embryonnaire, et donc comment les premières cellules embryonnaires, toutes identiques, s'auto-organisent pour générer une diversité de programmes cellulaires très spécifiques, sous la forme de trois feuillets germinaux (ectoderme, endoderme et mésoderme) initiaux, chacun ensuite se diversifiant pour générer les différents tissus de l'organisme ;
Considérant qu'une des caractéristiques du développement embryonnaire est que la différenciation se passe de façon spatialement ordonnée ; que pour être modélisé en 3D, ce processus de gastrulation doit reproduire l'organisation et l'environnement embryonnaires, et notamment certaines des contraintes physiques qui existent in vivo chez l'embryon, et qui sont complètement absentes des conditions très artificielles de la culture de CSEh dans une boîte de Petri, conditions en deux dimensions qui ne permettent pas d'explorer la dynamique spatiale et temporelle de ce processus d'auto-organisation ;
Considérant que l'équipe de Benoît Sorre propose donc de le reproduire in vitro, à partir de CSEh (qui possèdent l'information intrinsèque permettant cette organisation), en recréant l'environnement qui prévaut chez l'embryon ; que cette démarche se situe à l'interface de la physique et de la biologie, et rappelle que les contraintes physiques sont essentielles à la formation des structures du vivant, en particulier lors du développement embryonnaire ;
Considérant que la formation de l'embryon repose sur trois éléments essentiels : l'organisation de gradients de morphogènes (responsables de l'induction d'un programme cellulaire donné dans certaines cellules), un substrat dont la rigidité peut être contrôlée et enfin la formation de tensions et de mouvements de cellules, sous l'action des morphogènes, engageant l'organisation tissulaire ; que Benoit Sorre dispose d'outils expérimentaux novateurs, permettant de reproduire ces trois éléments, et il se propose de les appliquer pour induire et suivre ce processus d'auto-organisation en 3D de CSEh dans les trois feuillets germinaux ;
Considérant que ce programme s'appuie sur des résultats déjà publiés par ce chercheur lors de son post-doctorat, et par d'autres équipes, ce qui en valide la pertinence et la réalisation pratique ; que ces articles ont en effet démontré, à partir de CSEh ou de cellules souches embryonnaires murines, une structuration caractéristique en territoires spécifiques ;
Considérant que le processus de morphogenèse inhérent à une organisation tissulaire harmonieuse est l'un des plus complexes qui soit ; que la compréhension des règles physiques d'organisation des tissus dans leur environnement est nécessaire pour qu'un jour la médecine régénérative tienne ses promesses et qu'il est en effet indispensable de connaître le comportement des cellules dans leur environnement ; que cela implique de modéliser le développement tissulaire non pas dans une boîte de Petri, mais dans une structure en 3D reproduisant la complexité des intéractions survenant dans l'environnement tissulaire ;
Considérant que les contraintes physiques jouent un rôle essentiel dans l'acquisition et le maintien de l'identité cellulaire, mais étaient jusqu'à maintenant rarement considérées, en l'absence de technologies adaptées à leur exploration ; que les progrès techniques permettent aujourd'hui de les étudier, et, de fait, de très nombreuses publications ont récemment mis l'accent sur l'intérêt de la création de mini-organes, ou organoïdes à partir de CSEh, mimant plus exactement le fonctionnement tissulaire que des cellules cultivées en 2D dans une boîte de culture ; que le programme proposé par Benoît Sorre constitue la meilleure démarche pour cerner le développement embryonnaire humain précoce, et donc optimiser les protocoles de spécification tissulaire à visée thérapeutique (y compris la formation de mini-organes), ainsi que de pouvoir appréhender et mimer ses dysfonctionnements ; qu'en outre, cette équipe a tous les outils et le savoir-faire pour développer cette approche ;
Considérant qu'en l'état des connaissances scientifiques, elle ne peut être menée sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines ; que le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à d'autres cellules souches ; que le processus d'auto-organisation des tissus embryonnaires est difficilement observable sur des embryons vivants, en particulier ceux qui se développent in utero ; que même lorsque cette observation est possible (cas du poisson zèbre), il est impossible de contrôler de façon quantitative les paramètres qui influent sur l'établissement de la structure des tissus embryonnaires, telles que la taille et la forme du tissu et l'évolution de son environnement physique et chimique ;
Considérant que les divergences profondes entre les développements embryonnaires murin et humain expliquent que des cellules souches embryonnaires murines ne peuvent pas constituer une alternative ; que s'agissant des cellules souches pluripotentes induites (cellules iPS), il n'apparaît pas envisageable de les utiliser de première intention pour mimer le développement embryonnaire, car, même si elles partagent certains attributs des CSEh, leur origine très artificielle les disqualifie comme système de référence pour comprendre des mécanismes physiologiques d'embryologie aussi complexes et méconnus ;
Considérant que les conséquences des anomalies génétiques et des modifications épigénétiques (multiples et différentes pour chaque lignée) créées par le processus de reprogrammation lui-même et le processus de différenciation des cellules iPS sont encore mal appréciées ; qu'une des plus grandes difficultés actuelles est l'extrême hétérogénéité des lignées d'iPS, aggravée par la diversité des techniques de reprogrammation, des conditions de culture et des cellules somatiques d'origine (induisant une « mémoire épigénétique » persistante) ; que les CSEh sont, par comparaison, beaucoup plus homogènes, toutes issues de la masse interne du blastocyste, et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques, pour leur conférer cette pluripotence.
Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et que ces cellules ont été obtenues dans le respect des dispositions législatives et réglementaires ; que le projet de recherche utilise trois lignées de cellules souches embryonnaires humaines provenant du laboratoire Brivanlou de l'Université Rockfeller, New York, USA (lignées RUES 2, RUES2-brachyuryGFP [RUES avec le rapporteur fluorescent d'expression du gène brachyury] et RUES2-sox17GFP [RUES2 avec le rapporteur fluorescent d'expression du gène Sox17) ; qu'elles font l'objet d'une demande d'autorisation d'importation annexée à la présente demande d'autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ; que le conseil d'orientation a rendu un avis favorable sur cette demande ; qu'à l'appui de la demande d'autorisation d'importation, le respect des exigences posées par les articles 16 à 16-8 du code civil et de celles relatives à l'information et au recueil du consentement des couples a été vérifié et la demande d'autorisation présente l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ; que la lignée RUES 2 est par ailleurs inscrite au registre du NIH, garantissant le respect des principes éthiques fondamentaux de consentement des donneurs, de gratuité du don et d'anonymat prévus par le droit français ;
Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière ; que Benoît Sorre a été formé chez Ali Brivanlou aux Etats-Unis, qui dirige un laboratoire pionnier dans l'étude des cellules souches embryonnaires humaines ; qu'il a publié dans des revues prestigieuses et le programme qu'il propose poursuit son travail post-doctoral, gage indiscutable de faisabilité ; que l'équipe est adaptée au programme envisagé, avec deux post-doctorants à temps plein, et les financements sont acquis pour les cinq ans à venir ; que la structure du laboratoire est pérenne et que l'équipe de recherche collabore par ailleurs avec celle de J. Collignon, sur le site lui-même, qui est experte dans le domaine de l'embryologie chez la souris ;
Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons et des cellules embryonnaires ; que les procédures de contrôle qualité des CSEh et les mesures prises pour leur traçabilité sont conformes aux exigences techniques et réglementaires en vigueur ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine ; que le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,
Décide :


  • Le CNRS université Paris-Diderot (laboratoire matière et systèmes complexes UMR 7057) est autorisé à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude d'un système de modélisation in vitro pour l'étude la gastrulation chez l'humain. Ces recherches sont placées sous la responsabilité de M. Benoît SORRE.


  • La présente autorisation est accordée pour une durée de cinq ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée, selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.


  • Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance du directeur général de l'Agence de la biomédecine.


  • Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.


Fait le 23 juin 2016.


A. Courrèges

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