Saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 décembre 2017 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2017-758 DC

Version initiale

  • LOI DE FINANCES POUR 2018

    Monsieur le Président,
    Mesdames et Messieurs les conseillers,
    Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances pour 2018 définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 21 décembre 2017. A l'appui de cette saisine, ils développent les griefs suivants :

    I. - Sur l'article 5 prévoyant un dégrèvement de la taxe d'habitation sur la résidence principale

    Le dégrèvement de la taxe d'habitation prévu à l'article 5 de la loi de finances pour 2018 consiste à alléger progressivement la taxe d'habitation sur la résidence principale pour les contribuables n'étant pas déjà exonérés ou dégrevés et dont le revenu fiscal de référence n'excède pas 27 000 euros pour la première part de quotient familial, majorée de 8 000 euros pour chacune des deux premières demi-parts et 6 000 euros pour chaque demi-part supplémentaire à compter de la troisième.
    Ainsi, pour les foyers concernés, la taxe d'habitation sera abattue de 30 % en 2018 puis de 35 % en 2019 et enfin de 35 % en 2020. A partir de 2020, seuls 20 % des ménages continueront de payer la taxe d'habitation. Cette baisse concernera donc 80 % de ceux qui la paient aujourd'hui, soit 17,2 millions de foyers fiscaux, qui récupéreront ainsi 10,1 milliards d'euros.
    L'Etat prendra en charge les dégrèvements en compensant les pertes pour les collectivités, mais seulement dans la limite des taux et abattements votés en 2017. En conséquence, les augmentations de taux décidées par les communes à partir de 2018 ne seront pas compensées par l'Etat et concerneront tous les habitants qui payaient la taxe d'habitation en 2017, y compris les nouveaux dégrevés.
    Cette réforme de la taxe d'habitation contrevient à plusieurs principes garantis par la Constitution et dont le respect est assuré au travers d'une jurisprudence constante : le principe d'égalité devant les charges publiques, le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales et le principe d'égalité entre les communes devant les charges publiques.
    S'agissant du principe d'égalité devant les charges publiques, le législateur ne peut imposer à certaines catégories d'opérateurs économiques des sujétions disproportionnées (1). Il ne peut davantage imposer à une catégorie de personnes une charge à qui elle n'incombe pas normalement (2).
    Néanmoins, l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'interdit pas de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges particulières si deux conditions cumulatives sont satisfaites (3) : un motif d'intérêt général et l'absence de rupture d'égalité devant les charges publiques.
    En l'occurrence, aucun motif d'intérêt général n'est précisé par l'article 5 de la loi de finances pour 2018 pour justifier le report de la taxe d'habitation sur 20 % des ménages français.
    Par ailleurs, cette disposition méconnait le principe d'égalité devant les charges publiques.
    En premier lieu, la réforme conduit à une situation où seuls 20 % des contribuables continueront de payer leur contribution, alors qu'inversement, 18 % environ des contribuables n'acquittaient pas de taxe d'habitation jusqu'à présent. A dépenses constantes et en moyenne nationale, la pression fiscale sur les ménages qui payeront la taxe d'habitation doublera. Rapportée à la charge fiscale globale, cette réforme pèsera sur 20 % des Français qui acquittent déjà 80 % de l'impôt sur le revenu, aggravant d'autant l'inégalité devant les charges publiques.
    Eu égard à l'ampleur de cette mesure autant qu'au caractère aléatoire et discriminatoire de la limite fixée au regard du seul revenu imposable et sans prendre en compte les autres critères d'appréciation de la capacité contributive des contribuables concernés, cette disposition pourrait contrevenir à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
    Ainsi, le Conseil constitutionnel a jugé (4) qu'un taux de prélèvement de 50 % pour des revenus excédant 2,5 fois le SMIC, en dépit d'une majoration de ce plafond par personne à charge, constituait une rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques. Ses considérants 16 et 17 sont ainsi rédigés :
    16. Mais considérant que l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. " ;
    17. Considérant que, si le principe ainsi énoncé n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou à plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens. "
    Ainsi, si l'article 13 de la Déclaration n'interdit pas au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges particulières, en vue notamment d'améliorer les conditions de vie de certaines autres, il s'oppose à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens (5). Dès lors, quand il détermine l'assiette d'une imposition, le législateur, pour assurer le respect du principe d'égalité, doit fonder son application sur des critères objectifs et rationnels.
    Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a censuré, comme introduisant une rupture d'égalité caractérisée entre les contribuables, des différences de taux d'imposition de grande ampleur (6).
    Ainsi a été déclarée anticonstitutionnelle la baisse de la CSG sur les bas salaires, parce qu'elle ne tenait pas compte des revenus autres que ceux tirés d'une activité, faisant peser, au même niveau de vie, un taux d'imposition de 7,33 % sur certains contribuables et de 8 % sur d'autres. De même, elle a été déclarée inconstitutionnelle parce que, ne prenant pas en compte les revenus des autres membres du foyer, la baisse de la CSG introduisait un écart de 1 % dans les taux de taxation supportés par des contribuables ayant les mêmes capacités contributives.
    L'exonération de taxe d'habitation de 80 % des foyers créerait une rupture manifeste d'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens sans être fondée sur des critères objectifs et rationnels.
    En effet, si les exonérations qui prévalaient jusqu'à présent, également fondées sur les revenus, visaient les personnes considérées comme manifestement défavorisées et disposant de revenus insuffisants pour leur permettre de faire face par elles-mêmes à leurs besoins élémentaires, la généralisation de cette exonération à 80 % de la population fixerait désormais une limite arbitraire de taxation, sauf à considérer que seuls 20 % de la population dispose d'un revenu suffisamment décent pour vivre, ce qui serait extrêmement inquiétant pour notre pays, et manifestement erroné. Au surplus, si le critère d'exonération restait le seul revenu fiscal, la situation de chaque contribuable serait ainsi évaluée de manière partielle, sans prendre en compte, par exemple, sa situation de patrimoine.
    Plus généralement, il ne serait pas compréhensible qu'une telle exonération soit admise par le Conseil constitutionnel pour un impôt lié à l'habitation et non au revenu alors que dans sa jurisprudence (7), il a considéré que l'impôt de solidarité sur la fortune ne figurant pas au nombre des impositions sur le revenu, et cet impôt ayant vocation à frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits, la prise en compte de cette capacité contributive n'implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune.
    En effet, de la même manière, en matière de taxe d'habitation il faut considérer que celle-ci a vocation à frapper la capacité contributive en fonction du logement occupé et des services locaux mis à la disposition de ses occupants, indépendamment de leurs revenus. Donc, sauf à prendre en compte les situations de réelle pauvreté, une exonération trop large de cette taxe ne saurait être admise.
    En second lieu, d'après les données fournies par la direction de la législation fiscale à la commission des finances du Sénat, dans plus de 70 % des communes, la proportion de contribuables n'acquittant aucune taxe d'habitation sera supérieure à 90 %. Ainsi, sur 36 272 communes, 7 800 compteront moins de dix contribuables, 3 200 moins de cinq et 194 un seul contribuable. Une telle situation semble entrer en contradiction avec le principe d'égalité devant l'impôt.
    Ainsi, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le régime d'exonération prévu en matière de taxe carbone, qui revenait à exclure 93 % des émissions de dioxyde de carbone d'origine industrielle, hors carburant, au motif notamment qu'il constituait " une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques " (8).
    De surcroît, la rupture d'égalité apparaît d'autant plus manifeste dans les 194 communes où un seul contribuable devra s'acquitter d'une contribution visant à financer des services publics utilisés par l'ensemble des habitants de la commune. Ce cas soulève également une autre difficulté : celle du vote d'un taux pour un seul habitant. Une hausse massive de taux pourrait ainsi concerner une seule personne et jeter la suspicion en cas de mésentente entre l'habitant et le maire. Cette situation crée manifestement une rupture d'égalité devant les charges publiques entre un seul habitant et tous les autres habitants de la commune ou de l'intercommunalité.
    En conséquence, pour les raisons susmentionnées, l'article 5 de la loi de finances pour 2018 est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques entre les citoyens.
    Aux termes de l'article 72-2 de la Constitution, le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales est ainsi défini :
    " Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.
    Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.
    Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. "
    C'est en application de cette dernière disposition qu'ont été adoptés les articles LO 1114-1 à 1114-4 du code général des collectivités territoriales.
    Dans le dernier état de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel entend de façon large les ressources propres des collectivités territoriales. A titre d'exemple, les recettes fiscales qui entrent dans la catégorie des ressources propres sont constituées : " du produit des impositions de toutes natures non seulement lorsque la loi autorise ces collectivités à en fixer l'assiette, le taux ou le tarif, mais encore lorsqu'elle en détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette " (9).
    Par ailleurs, le Conseil constitutionnel censure toute disposition qui porte atteinte de manière déterminante à la part des ressources propres des collectivités territoriales (10).
    En l'occurrence, il est préférable que la perte de ressources soit compensée par un dégrèvement, dont le coût sera intégralement supporté par l'Etat.
    En effet, dans le cas d'un dégrèvement, l'Etat se substitue au contribuable et les bases fiscales ne sont pas modifiées ; leur produit est donc traité comme une recette fiscale et comptabilisé parmi les " recettes fiscales et ressources propres " qui doivent représenter pour les communes et EPCI " une part déterminante [60,8 % pour le secteur communal] de l'ensemble de leurs ressources ", en application de l'article 72-2 de la Constitution précité ; à l'inverse, dans le cas d'une exonération, les bases fiscales sont minorées et l'éventuelle compensation déterminée par la loi ne peut être comptabilisée parmi les " recettes fiscales et ressources propres " ; recourir à une exonération aurait conduit à ne plus respecter le ratio d'autonomie financière et la mesure aurait été assurément censurée par votre Conseil.
    Si le choix du dégrèvement est censé préserver les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales concernées, deux éléments peuvent toutefois conduire à les limiter, pouvant de ce fait remettre en cause leur autonomie financière.
    En premier lieu, la pérennité du choix du dégrèvement n'est jamais garantie.
    Comme l'a précisé le secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2018 au Sénat le 27 novembre 2017 " nous le savons tous - ce qui est compensé au titre d'une année par un dégrèvement ou une allocation peut être compensé d'une manière différente au titre de l'année suivante. Tel a été le cas, en 2000, lors de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation. Cette ressource a été remplacée par un dégrèvement, puis, dès 2001, par une allocation de compensation. Tel a été le cas, dans un passé encore plus récent, pour les réductions et exonérations de taxe d'habitation dont ont bénéficié les ménages les plus modestes, notamment les contribuables de plus de 65 ans ne percevant que de faibles revenus. "
    Aucune garantie n'existe, par conséquent, sur le maintien du niveau de " recettes fiscales et ressources propres ". Or, la suppression de 10,1 milliards d'euros de taxe d'habitation pour les contribuables représente près de 50 % du montant de taxe d'habitation en 2016 (21,8 milliards d'euros), qui représente 20,43 % des recettes de fonctionnement du secteur communal.
    Se pose dès lors la question d'une possible remise en cause de l'autonomie financière des communes et des établissements publics de coopération intercommunale.
    En second lieu, la liberté de taux laissée aux collectivités apparaît dans une large mesure fictive pour deux raisons.
    D'une part, parce qu'une hausse des taux en 2018 et/ou 2019 se traduirait par une situation où des contribuables théoriquement dégrevés du fait de la réforme se verraient dans l'obligation d'acquitter une cotisation de taxe d'habitation en 2020, alors qu'ils pensaient ne plus devoir acquitter de taxe d'habitation à partir de cette date. Ceci devrait conduire à limiter fortement les décisions de hausse de taux, remettant par conséquent en cause la liberté de taux des communes et établissements publics de coopération intercommunale et partant, leur autonomie financière. D'autre part, parce qu'un mécanisme de limitation des hausses de taux devrait être prévu ainsi que le précise l'évaluation préalable de l'article 5 : " un mécanisme de limitation des hausses de taux décidées ultérieurement par les collectivités et de prise en charge de leurs conséquences sera discuté dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, de manière à garantir un dégrèvement complet, en 2020, pour les foyers concernés ". Si ce mécanisme vise à garantir le dégrèvement complet en 2020, cela signifie qu'il bloquera toute hausse de taux.
    Si ce mécanisme n'a pas été précisé lors de la Conférence nationale des territoires du 14 décembre 2017, il pourrait l'être ultérieurement par le Gouvernement.
    En conséquence, l'article 5 de la loi de finances pour 2018 est contraire au principe constitutionnel de l'autonomie des collectivités territoriales.
    Enfin, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a consacré le principe d'égalité des charges publiques entre les communes.
    Dans une décision, en date du 14 juin 2013, le Conseil constitutionnel a décidé que : " le respect de l'autonomie financière définie à l'article 72 de la Constitution ainsi que le principe d'égalité des collectivités territoriales devant les charges publiques s'apprécient par catégories de collectivités territoriales " (11).
    En l'occurrence, certaines communes continueront de bénéficier d'un nombre important de foyers fiscaux éligibles à la taxe d'habitation alors que d'autres communes de taille semblable dans un même département verront, au contraire, leur nombre baisser substantiellement. Par exemple, d'après les données de la direction de la législation fiscale transmises à la commission des finances du Sénat, la commune de Neuilly-sur-Seine (62 000 habitants [12]) aura un taux de foyers fiscaux non soumis à la taxe d'habitation en 2020 par rapport au nombre de foyers de la commune de 34 %, tandis que la commune de Clichy, de taille comparable (59 000 habitants [13]) et située dans le même département, aura un taux de 74 %.
    Ainsi et de surcroît, les communes où la part des contribuables n'acquittant aucune taxe d'habitation sera la plus faible sont ceux où le revenu par habitant apparaît le plus élevé. Cette réforme se fera par conséquent au détriment des communes les moins favorisées, pour lesquelles le pouvoir de taux effectif sera considérablement limité, voire inexistant.
    Aussi, la suppression de la taxe d'habitation aura pour effet de créer une inégalité des communes devant les charges publiques contraire à la Constitution.
    Pour toutes ces raisons, le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer l'article 5 de la loi de finances pour 2018.

    II. - Sur les alinéas 15 à 28 de l'article 31 portant détermination de l'assiette de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI)

    L'article 965 du code général des impôts (CGI) tel qu'institué par l'article 12 de la loi de finances pour 2018, exclut de l'assiette de l'IFI les biens ou droits immobiliers détenus directement par des sociétés visées par le texte lorsque ces biens ou droits sont affectés à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société qui les détient.
    Ces dispositions contreviennent au principe d'égalité.
    En effet, il résulte de ces dispositions qu'un contribuable ne serait pas redevable de l'IFI à raison des titres qu'il détiendrait dans une société propriétaire d'un immeuble dès lors que l'immeuble en cause serait affecté à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société propriétaire.
    En revanche, le même contribuable qui détiendrait les titres d'une société présentant des caractéristiques identiques (en terme d'activité, de chiffre d'affaires, de salariés, etc.) à celle susvisée mais qui donnerait à bail à un tiers l'immeuble dont elle est propriétaire, se trouverait dans le champ d'application de quand bien même l'entité locataire exercerait également une activité opérationnelle.
    Il en résulte une différence de traitement entre des contribuables actionnaires d'une société propriétaire d'un immeuble selon qu'elle affecte celui-ci à sa propre activité ou qu'elle le donne à bail à une entité, et ce alors même que les locaux seraient régis par la même législation et affectés à la même activité.
    Or, la différence de traitement institué par le texte instaurant l'IFI ne peut s'expliquer par une différence entre les législations applicables en matière de baux ou par une différence entre les marchés immobiliers concernés.
    Au regard de l'objet de l'article 12 cette différence de traitement ne peut être regardée comme justifiée puisque l'objectif poursuivi par le législateur étant de taxer les patrimoines immobiliers, le mode d'exploitation des biens en cause ne saurait conditionner leur soumission à l'IFI.
    Au surplus il n'est pas moins risqué d'investir dans une entité propriétaire d'un bien immobilier qu'elle donne à bail à un tiers que dans une entité qui affecte son bien immobilier à l'exercice de sa propre activité.
    Une société donnant à bail ses biens immobiliers n'est pas non plus, de ce seul fait, moins innovante ou moins créatrice d'emplois qu'une entité conservant la disposition du bien immobilier qu'elle détient pour exercer son activité professionnelle.
    Il en résulte une différence de traitement non justifiée par une différence de situation au regard de l'objectif fixé par l'article 12 de la loi de finances pour 2018 qui est de frapper " les capacités contributives constituées par la détention d'un patrimoine immobilier ".
    Par conséquent, les dispositions en cause, en particulier celles instituant l'article 965 du CGI, sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques prévus par les article 6 et 13 de la DDHC.
    Elles sont aussi contraires au principe d'intelligibilité de la loi dans la mesure où aux termes de l'article 34 de la Constitution, il incombe au législateur de fixer " les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ", à défaut de quoi la loi est entachée d'incompétence négative.
    Le plein exercice de la compétence législative prévue à cet article implique également le respect du principe de clarté de la loi ainsi que de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789.
    Le législateur doit ainsi " adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques " (14) afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi (15).
    Il découle de ce principe qu'une disposition législative qui serait susceptible d'au moins deux interprétations manquerait à l'obligation d'intelligibilité de la loi et serait ainsi en non-conformité avec les articles susvisés (16).
    Au cas particulier, le 3° de l'article 965 ne satisfait au critère d'intelligibilité dès lors qu'il comporte, comme dans la décision susvisée, une notion qui n'est pas définie.
    En effet, on voit mal ce que la notion d'être " en mesure de disposer des informations nécessaires " recouvre en droit.
    Cette disposition peut être interprétée comme mettant à la charge de la société dont le redevable détient les titres et/ou à la charge de la société à laquelle appartiennent les biens immobiliers imposables de fournir chaque année au redevable les informations devant lui permettre d'estimer la fraction de la valeur de ses parts ou actions représentatives des biens ou droits immobiliers qu'il détient indirectement.
    Dans ce cas, si la société en cause ne lui a pas fourni l'information dans les délais, il devrait pouvoir bénéficier de la tolérance prévue à l'article 965, 3° du CGI.
    Au contraire, la disposition en cause pourrait être interprétée comme faisant peser sur le contribuable l'obligation d'engager différentes actions auprès des sociétés en cause en vue d'obtenir les informations pertinentes. Néanmoins, si cette interprétation devait être retenue, le texte ne précise à aucun moment quelles seraient les actions engagées par le contribuable lui permettant de considérer qu'il n'a pas, de bonne foi, été en mesure de disposer des informations nécessaires à la valorisation des biens immobiliers.
    Il est ainsi permis de s'interroger sur le point de savoir si une seule demande écrite pourrait suffire ou si le contribuable devrait être en mesure de produire de nombreuses preuves de relance et/ou de mise en demeure des entités concernées dans le cas où ne lui seraient pas fournies les informations requises.
    Faudrait-il aller jusqu'à considérer que le contribuable serait tenu d'engager une action en justice dans le cas où il n'obtiendrait pas les informations requises pour être considéré comme n'ayant pas été mis en mesure, de bonne foi, d'obtenir les informations en cause ?
    Les dispositions analysées introduisent donc une incertitude sur les obligations auxquelles doit se conformer le contribuable pour démontrer qu'il aurait été en mesure de disposer des informations nécessaires à l'évaluation de son patrimoine immobilier.
    Le 3° de l'article 965 du CGI repose donc sur une formulation imprécise laissant à l'administration une marge de manœuvre telle qu'elle implique un risque d'arbitraire dans son application. Les dispositions de cet article sont donc, pour cette raison, inintelligibles et ne satisfont pas les obligations de l'article 34 de la Constitution.

    III. - Sur les alinéas 77 et 78 de l'article 31 portant plafonnement de la déductibilité des dettes dans l'assiette de l'IFI

    Dans le cadre de la loi de finances 2018, le législateur a entendu instituer un impôt sur la fortune immobilière (IFI) des personnes physiques détenant un patrimoine immobilier d'une valeur nette supérieure à 1,3 million d'euros.
    Au sein de ce dispositif, a été mis en place un plafonnement de la déductibilité des dettes de l'assiette taxable de l'IFI dès lors que le contribuable réunit deux conditions cumulatives :

    - la valeur de son actif immobilier taxable dépasse 5 millions d'euros ;
    - le montant global de ses dettes excède 60 % de ce montant.

    Ce plafonnement de la déductibilité des dettes est contraire :

    - au principe d'égalité devant la loi ;
    - au principe d'égalité devant les charges publiques.

    Sur le fondement de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme, le Conseil constitutionnel juge que le législateur peut contrevenir au principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général.
    Le Conseil constitutionnel a aussi précisé qu'un objectif de rendement budgétaire " ne constitue pas en lui-même, une raison d'intérêt général de nature à justifier la différence de traitement " (17).
    En l'occurrence, le législateur a instauré une différence de traitement entre les redevables de l'IFI en prévoyant un plafonnement des dettes déductibles de l'assiette de l'impôt. Or, seuls les redevables dont la valeur de l'actif immobilier taxable est supérieure à 5 millions d'euros et dont le montant des dettes excède 60 % de ce montant sont concernés.
    Il en résulte une différence de traitement entre deux types de contribuables qui ne semble être justifiée que pour des raisons budgétaires. L'exposé des motifs de l'article 12 de la loi de finances dispose que l'IFI a été institué : " à des fins budgétaires, de manière à créer une contribution spécifique aux charges sur les actifs immobiliers des contribuables dont le patrimoine est le plus élevé ".
    S'agissant du principe d'égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel juge avec constance que le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet de solutions différentes.
    Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il appartient au législateur de déterminer les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. Toutefois, cette appréciation ne doit pas entraîner un caractère confiscatoire ou faire peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Notamment, le Conseil constitutionnel se montre sensible aux effets de seuils et les censure lorsqu'ils sont importants en l'absence d'un mécanisme apte à en atténuer l'effet.
    En l'espèce, les alinéas 77 et 78 de l'article 31 créent un tel effet de seuil. En effet, si l'on compare la situation de deux contribuables ayant, le premier un actif taxable de 4,5 M€ et un endettement déductible de 3,6 M€, le second, un actif taxable de 5,5 M€ et un endettement déductible de 4,4 M€. Chacun est endetté à hauteur de 80 % de la valeur de ses actifs. Le premier devra l'IFI sur 0,9 M€ (20 % de son actif taxable). Le second déduira intégralement ses dettes jusqu'à hauteur de 3,3 M€ (60 % de 5,5 M€) et ne déduira que 50 % du surplus de 1,1 M€, soit 0,55 M€. Une fois opérée la déduction autorisée s'élevant à 3,85 M€, la base d'imposition de ce redevable s'établira à 1,65 M€ (30 % de son actif taxable). L'écart entre la valeur totale de l'actif taxable de ces deux redevables est de 1 M€. Le taux de leur endettement est identique (80 %). Le plus fortuné des deux supportera l'IFI sur une somme supérieure de 83 % à celle qui constitue la base d'imposition du moins fortuné (1,65 M€ - 0,9 M€ = 0,75 M€ ; 0,75/0,9 = 83 %), alors que son actif taxable n'est supérieur que de 22 % (1/4,5).
    L'effet de seuil est ainsi indéniable et entraîne une rupture d'égalité devant les charges publiques. Cette rupture d'égalité est aggravée par le fait que la part non déductible de la dette sera réintégrée dans la tranche marginale du barème applicable au contribuable.

    IV. - Sur les alinéas 63 à 78 de l'article 31 portant détermination des dettes prises en compte pour le calcul de l'actif net

    Le II de l'article 974 du code général des impôts (CGI), institué par l'article 31, institue une modalité de détermination spécifique des dettes prises en compte pour le calcul de l'actif net imposable à l'IFI en ce qui concerne les " prêts prévoyant le remboursement du capital au terme du contrat contractés pour l'achat d'un bien ou droit immobilier imposable " ainsi que pour " les prêts ne prévoyant pas de terme pour le remboursement du capital, contractés pour l'achat d'un bien ou droit immobilier imposable ". Dans le premier cas, le premier alinéa du II prévoit que ces prêts ne sont déductibles chaque année qu'à hauteur " du montant total de l'emprunt diminué d'une somme égale à ce même montant multiplié par le nombre d'années écoulées depuis le versement du prêt et divisé par le nombre d'années total de l'emprunt ", et, dans le second cas, le second alinéa du II prévoit que les prêts ne sont déductibles chaque année qu'à hauteur " du montant total de l'emprunt diminué d'une somme égale à un vingtième de ce montant par année écoulée depuis le versement du prêt ".
    Par ailleurs, le IV de l'article 974 du CGI institué par l'article 31 précise que " lorsque la valeur vénale des biens ou droits immobiliers et des parts ou actions taxables excède 5 millions d'euros et que le montant total des dettes admises en déduction en application des I, II et III au titre d'une même année d'imposition excède 60 % de cette valeur, le montant des dettes excédant ce seuil n'est admis en déduction qu'à hauteur de 50 % de cet excédent ".
    Ces dispositions sont critiquables au double motif, s'agissant du II de l'article 974, qu'elles reposent sur une présomption irréfragable de fraude fiscale et, s'agissant du IV de l'article 974, qu'elle entraîne nécessairement un effet de seuil contraire aux exigences constitutionnelles.
    Sur le caractère irréfragable de la présomption instituée par le II de l'article 974, l'évaluation préalable de l'article 31, annexée au projet de loi de finances, précise l'objectif de la règle instituée par le II de l'article 974, de la manière suivante (18) : " afin d'éviter la création de dettes dans le seul but de contourner le paiement de l'impôt, certaines dettes ne seront pas admises en déduction (prêt dont le remboursement du capital se fait au terme du contrat, prêt auprès de sociétés que le redevable contrôle) ".
    Le rapport général fait au nom de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2018 rattache également ces dispositions aux " clauses anti-abus " qui sont ainsi définies (19) : " Afin de rendre inopérants certains schémas d'optimisation potentiels, plusieurs clauses anti-abus viennent limiter la déductibilité du passif ".
    Il est ajouté dans le même paragraphe : " Les prêts in fine, qui prévoient un remboursement du capital au terme du contrat, seraient traités comme s'ils s'amortissaient linéairement sur la durée du prêt (alinéa 52) ".
    Aussi, l'objectif du II de l'article 974 du CGI serait de lutter contre les abus qui pourraient consister à majorer le financement par endettement des acquisitions immobilières afin de considérablement réduire l'assiette de l'impôt sur la fortune.
    Toutefois, l'objectif de lutte contre les schémas d'optimisation fiscale ne saurait en aucun cas justifier l'instauration d'une présomption irréfragable de recours abusif à l'emprunt.
    Or, en limitant la déduction du passif afférent aux biens immobiliers à retenir pour la détermination de l'assiette de l'IFI pour les " prêts prévoyant le remboursement du capital au terme du contrat contractés pour l'achat d'un bien ou droit immobilier imposable " ainsi que pour " les prêts ne prévoyant pas de terme pour le remboursement du capital, contractés pour l'achat d'un bien ou droit immobilier imposable " visés par le II de l'article 974, la loi aboutit à créer et à sanctionner une présomption irréfragable d'abus.
    Or, le Conseil constitutionnel juge de manière constante (20) que, même si la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales constitue un objectif de valeur constitutionnelle, il ne peut aucunement justifier l'instauration d'une présomption irréfragable.
    Le commentaire officiel sur la décision 2014-413 QPC du 19 septembre 2014 précise par ailleurs que :
    " Si le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel à l'égard des dispositions destinées à mettre en œuvre l'objectif constitutionnel de lutte contre I'évasion fiscale le conduit à admettre assez largement les critères retenus par le législateur dès lors qu'ils ne sont pas en contradiction directe avec l'objectif, ce contrôle est plus poussé à l'égard des dispositions fiscales visant à éviter l'optimisation ".
    Ainsi, dans sa décision n° 2012-661 DC du 29 décembre 2012, le Conseil a jugé " qu'il ressort des travaux préparatoires que le législateur a entendu faire obstacle à des montages juridiques destinés à éluder l'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières ; qu'il a, à cette fin, prévu d'assujettir le donataire de valeurs mobilières cédées à titre onéreux dans les dix-huit mois suivant la donation à l'imposition sur les plus-values en retenant comme valeur de référence non plus la valeur des titres lors de la mutation à titre gratuit mais la valeur de ces titres lors de leur acquisition ou souscription par le donateur, augmentée des frais afférents à l'acquisition à titre gratuit, excepté lorsque cette valeur est inférieure à celle retenue lors de la donation ", puis " que les dispositions contestées font peser sur les donataires de valeurs mobilières une imposition supplémentaire qui est sans lien avec leur situation mais est liée à l'enrichissement du donateur antérieur au transfert de propriété des valeurs mobilières ; que le critère de la durée séparant la donation de la cession à titre onéreux des valeurs mobilières est à lui seul insuffisant pour présumer de manière irréfragable que la succession de ces deux opérations est intervenue à la seule fin d'éluder le paiement de l'imposition des plus-values ; que le législateur n'a donc pas retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi ; que, par suite, il a méconnu les exigences de l'article 13 de la Déclaration de 1789 ".
    En l'espèce, de la même manière que dans la décision susvisée, la circonstance que le prêt conclu prévoirait le remboursement du capital à son terme ou ne prévoirait pas de terme pour le remboursement en capital est à elle seule insuffisante pour présumer de manière irréfragable que le recours à l'emprunt pour le financement de biens immobiliers aurait pour seule fin de réduire l'assiette d'imposition à l'IFI et, dès lors, d'éluder le paiement de cette imposition.
    C'est d'ailleurs ce qu'a expressément prévu le législateur pour la clause anti-abus prévue par le premier alinéa du IV de l'article 974 en ajoutant, en seconde lecture devant l'Assemblée nationale, un deuxième alinéa ménageant la possibilité pour le redevable de justifier que les dettes visées au premier alinéa " n'ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal ".
    En ne prenant pas soin d'introduire la même clause de sauvegarde au II de l'article 974, le législateur n'a donc pas retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi. Dès lors qu'il n'a pas ménagé la possibilité pour le contribuable d'apporter la preuve que le recours à l'emprunt est justifié par des raisons autres que fiscales, le législateur a ainsi méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques.
    Sur le caractère inconstitutionnel de l'effet de seuils résultant du IV de l'article 974, il ressort du commentaire officiel sous la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-498 QPC du 20 novembre 2015, que constitue un " effet de seuil " le franchissement d'un seuil (ici de 5 M€ d'actif brut taxable) créant un " ressaut d'imposition " (ici la non déductibilité de 50 % du montant de la dette excédant 60 % du montant de l'actif brut taxable).
    Les effets de seuil sont certes inhérents à certains mécanismes du droit fiscal. Mais si ceux-ci sont en général inévitables et mesurés, les effets de seuil peuvent aussi être excessifs. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a permis de préciser les critères auxquels est subordonnée la conformité à la Constitution d'une disposition créant un " effet de seuil ".
    Par sa décision du 20 novembre 2015 précitée, le Conseil constitutionnel a ainsi eu à se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe II bis de l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de l'article 17 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 en ce qu'il prévoyait qu'une contribution additionnelle, à la charge de l'employeur, soit perçue " sur les rentes excédant huit fois le plafond annuel défini à l'article L. 241-3 " et dont le taux était fixé à 45 %.
    Cette disposition a été jugée contraire à la Constitution, dans les termes suivants, en ce qu'elle créait un effet de seuil excessif : " considérant toutefois que […] la contribution additionnelle s'applique au taux de 45 % à l'intégralité du montant de la rente versée au cours de l'année dès lors que ce montant excède huit fois le plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale ; qu'aucun mécanisme n'atténue l'effet de seuil provoqué par l'application de ce taux ; que, pour apprécier l'ampleur d'un effet de seuil résultant de l'imposition principale et d'une imposition additionnelle, il convient de rapporter cet effet au total de cette imposition additionnelle et de l'imposition principale ; qu'en l'espèce, les effets de seuil qui résultent de l'institution de la contribution additionnelle au taux de 45 % sont excessifs, quelle que soit l'option retenue par l'employeur pour le calcul de la contribution prévue au paragraphe I de l'article L. 137-11 ; qu'ainsi, les dispositions contestées créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que, par suite et pour ce motif, les dispositions du paragraphe II bis de l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale doivent être déclarées contraires à la Constitution ".
    Le commentaire officiel sur cette décision fournit un éclairage déterminant sur les critères qu'une mesure comportant un effet de seuil doit respecter pour être constitutionnelle :
    " Au titre de son contrôle de l'égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel peut être conduit à examiner des dispositions fiscales qui créent des effets de seuil. Les quelques décisions rendues sur de telles dispositions font apparaître que le Conseil s'assure que :

    - les effets de seuil résultant des dispositions examinées sont cohérents avec l'objectif poursuivi par le législateur (ou du moins ne lui sont pas contraires), sans pour autant rechercher si l'objectif aurait pu être atteint par d'autres voies ;
    - les effets de seuils, lorsqu'ils portent sur des dispositifs fiscaux, ne font pas obstacle à la prise en compte des facultés contributives des contribuables ;
    - les effets produits par l'application de ces seuils ne sont pas excessif, l'excès pouvant être constaté soit par la disproportion de la différence de traitement par rapport à la différence de situation soit par l'effet antiprogressif (inversion de l'échelle des revenus bruts et des revenus nets après impôt) ".

    En l'espèce, l'application de la contribution additionnelle créait un ressaut d'imposition de près de 24 points, ce qui représentait en outre une multiplication par trois de cette imposition. Cet effet de seuil a été jugé excessif.
    Rappelons à cet égard que les trois critères susvisés sont cumulatifs. Il suffit donc que l'un de ces critères ne soit pas respecté pour que la disposition contestée comporte un effet de seuil contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.
    En l'espèce, le IV de l'article 974 du CGI institué par l'article 31 de la loi de finances pour 2018 ne respecte aucune des conditions cumulatives posées par le Conseil constitutionnel.
    S'agissant de la première condition relative à la cohérence avec l'objectif poursuivi par le législateur, le législateur a indiqué que l'objectif du IV de l'article 974 était de lutter contre les schémas d'optimisation fiscale.
    C'est ainsi que tout comme pour le II de l'article 974, tant l'évaluation préalable des articles du PLF pour 2018 que le rapport général fait au nom de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2018 rattache cette disposition aux clauses anti-abus dont l'objet est de " rendre inopérants certains schémas d'optimisation potentiels, plusieurs clauses anti-abus viennent limiter la déductibilité du passif ".
    Aussi, l'objectif du IV de l'article 974 du CGI serait de lutter contre les abus qui pourraient consister à nécessairement financer par endettement l'ensemble des acquisitions immobilières afin de considérablement réduire l'assiette de l'impôt sur la fortune.
    Or, il est tout à fait concevable qu'une acquisition immobilière nécessite de recourir à l'endettement en vue de son financement pour des raisons économiques parfaitement légitimes.
    Il ne peut ainsi être déduit du seul fait que le patrimoine taxable à l'IFI d'un contribuable soit supérieur à 5 millions d'euros qu'il recoure nécessairement à l'emprunt de façon abusive lorsqu'il procède à une acquisition immobilière. Rappelons que le patrimoine taxable à l'IFI est constitué de biens ou droits immobiliers, qui sont a priori des biens non liquides. Il n'est donc pas aberrant qu'un contribuable détenteur d'un patrimoine immobilier recoure à l'emprunt pour la réalisation d'une nouvelle acquisition immobilière.
    Par ailleurs, même dans le cas où ce contribuable privilégierait l'emprunt pour acquérir un bien immobilier, il ne peut être considéré comme ayant nécessairement un comportement abusif.
    Au contraire, et même s'il détient des liquidités permettant l'acquisition en cause, il peut avoir réalisé ou avoir pour projet de réaliser au moyen desdites liquidités d'autres investissements, éventuellement non immobiliers, ce qui est précisément l'objectif poursuivi par le législateur en instaurant l'IFI.
    A cet égard, la possibilité, introduite par voie d'amendement en seconde lecture à l'Assemblée nationale au second alinéa du IV de l'article 974, reconnue au redevable de justifier que ces dettes " n'ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal " ne permet pas de résoudre à elle seule l'incohérence de ces dispositions au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.
    S'agissant de la deuxième condition selon laquelle l'effet de seuil ne doit pas faire obstacle à la prise en compte des facultés contributives, le IV de l'article 974 viole cette exigence.
    En prévoyant qu'en cas de patrimoine brut taxable à l'IFI supérieur à 5 M€ et d'endettement supérieur à 60 % du patrimoine en cause le montant des dettes excédant ce seuil de 60 % ne serait admis en déduction qu'à hauteur de 50 % de l'excédent, le législateur a fixé une règle d'assiette de l'imposition qui ne tient pas compte des facultés contributives du contribuable.
    En effet, dans le cas où le détenteur d'un patrimoine immobilier aura financé la totalité de ses actifs par le recours à l'emprunt, il fera état d'un patrimoine immobilier net proche de zéro.
    Pourtant, si son patrimoine immobilier brut est supérieur à 5 M€, il ne pourra déduire la totalité de la dette affectée aux actifs et sera redevable de l'IFI.
    Aussi, il sera redevable d'un impôt sur une fortune qu'il n'a pas.
    Par sa décision 2012-662 du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a jugé au considérant n° 95, à propos d'une disposition visant à prendre en compte certains revenus latents, et notamment les plus-values ayant donné lieu à sursis d'imposition, pour les besoins du calcul du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune, que :
    " en intégrant ainsi, dans les revenus du contribuable pour le calcul du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune et de la totalité des impôts dus au titre des revenus, des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année, le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives ".
    Il ressort de cette décision que seuls donnent la mesure de la capacité contributive des contribuables les revenus qui sont définitivement réalisés par leur bénéficiaire, à l'exclusion des plus-values d'échange.
    Cette décision doit pouvoir être transposée à la disposition analysée : en intégrant dans le patrimoine du contribuable pour le calcul de l'impôt sur la fortune immobilière, la valeur d'un bien qui ne correspond pas à la valeur réelle de la fortune du contribuable - le bien étant grevé d'un passif - le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives.
    En conséquence, le critère du respect des facultés contributives figurant parmi les trois critères cumulatifs à respecter pour qu'un effet de seuil puisse être conforme à la Constitution, n'est pas rempli.
    S'agissant de la troisième condition, celle-ci dispose que les effets produits par l'application de ces seuils ne doivent pas être excessifs.
    L'excès peut à cet égard être constaté soit par la disproportion de la différence de situation soit par le caractère anti-progressif de l'effet de seuil.
    Il résulte du IV de l'article 974, susvisé qu'un contribuable dont le patrimoine imposable s'élève à 4 999 999 € avec un passif déductible du même montant fera état d'un patrimoine net taxable égal à zéro.
    En revanche, le contribuable dont la valeur des biens imposables est de 5 000 001 € avec un passif de 4 999 999 €, fera état d'un patrimoine net taxable d'environ 1 M€ (21).
    Aussi, pour une différence infime dans le montant de l'actif brut (deux euros au cas d'espèce), la situation du contribuable change du tout au tout puisqu'il passe d'un patrimoine imposable de 0 à un patrimoine net taxable de 1 M€, ce qui peut conduire à une imposition des biens en cause à hauteur de 15 000 €, soit un montant 7 500 fois plus élevé que la différence de patrimoine brut (2 €) existant entre les deux contribuables susvisés.
    De l'absence d'imposition des biens immobiliers acquis par voie d'endettement pour le contribuable disposant d'un patrimoine taxable brut inférieur à 5 M€, le même contribuable devient redevable d'une imposition pouvant atteindre 15 000 € lorsque ce même patrimoine devient supérieur, ne serait-ce que pour un euro, à ce montant de 5 M€, ce qui, au regard de la décision n° 2015-498 précitée du Conseil constitutionnel, caractérise un ressaut excessif d'imposition.
    En conséquence, le critère du caractère non excessif de l'effet de seuil figurant parmi les trois critères cumulatifs à respecter pour qu'un effet de seuil puisse être conforme à la Constitution, n'est pas rempli.
    Le IV de l'article 974 du CGI présente donc un effet de seuil excessif, contraire à l'objectif du législateur et faisant peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives, en violation du principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la DDHC.

    V. - Sur les alinéas 17 à 28 de l'article 31 portant détermination de l'assiette de l'IFI mais ne permettant pas de neutraliser les effets de la suppression de l'exonération de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), à concurrence de 75 % de leur valeur, des parts ou actions détenues par un redevable et faisant l'objet d'un engagement de conservation, dit " dispositif Dutreil ISF "

    Les mesures nouvelles qui violent la garantie des droits légalement acquis des contribuables peuvent être déclarées contraires à la Constitution, alors même qu'elles ne sont pas rétroactives sur le plan juridique.
    Le Conseil constitutionnel a ainsi énoncé dans une décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 que le législateur ne saurait, " sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ". Sans pour autant consacrer un principe de sécurité juridique, il reconnaît donc une protection constitutionnelle des " situations légalement acquises ", mais aussi des " effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ".
    Cette décision a porté sur l'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui prévoyait de supprimer la règle des taux " historiques " de prélèvements sociaux applicables à certains produits des contrats d'assurance vie. Le Conseil constitutionnel a formulé une réserve selon laquelle le législateur ne saurait remettre en cause l'application des taux " historiques " de prélèvements sociaux pour les produits acquis ou constatés pendant la durée légale de détention du contrat d'assurance-vie conduisant au bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu sur les gains issus de ce contrat.
    Pour le Conseil constitutionnel, les épargnants ont en effet une espérance légitime à voir maintenir les taux " historiques " des prélèvements sociaux pendant la durée d'immobilisation de l'épargne qui est la contrepartie de ce régime fiscal plus favorable.
    En l'espèce, l'article 31 prévoit l'abrogation de tous les textes applicables à l'ISF à compter du 1er janvier 2018 dont l'article 885 I bis du code général des impôts (CGI), où est codifié le dispositif Dutreil ISF.
    En l'absence de précision, les engagements collectifs de conservation en cours au 1er janvier 2018 devraient, en principe, être respectés par leurs signataires jusqu'au terme du délai de six ans nécessaire à la consolidation des exonérations d'ISF appliquées durant les années écoulées.
    Un certain nombre de signataires de pactes Dutreil en cours vont donc se retrouver pleinement passibles de l'IFI à raison des actifs immobiliers qu'ils détiennent par l'intermédiaire de sociétés dont les parts ou actions font l'objet d'un engagement de conservation toujours en cours.
    En effet, au terme du nouvel article 965 du CGI, introduit aux alinéas 17 à 28 de l'article 31, l'IFI vise notamment les titres de sociétés ou d'organismes à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens immobiliers détenus directement ou indirectement (quel que soit le nombre de niveaux d'interposition) par la société ou l'organisme. Telles que prévues par le projet de loi, les exclusions spécifiques applicables aux " petits " actionnaires et aux actifs immobiliers affectés à l'exploitation d'une activité opérationnelle ne permettent pas de neutraliser les effets de la suppression du dispositif Dutreil ISF dans tous les cas de figure possibles.
    Même si l'ISF et l'IFI sont deux impôts différents, ils sont intimement liés, le second n'étant rien de plus qu'un recentrage du premier sur le patrimoine immobilier des redevables.
    Dans le dispositif Dutreil ISF, incitant les redevables à conserver les parts ou actions des sociétés opérationnelles qu'ils détiennent, l'exonération partielle d'impôt sur le patrimoine est la contrepartie attachée au respect d'une durée minimale de six ans de conservation des parts ou actions détenues.
    Le non-respect de l'obligation de conservation des titres pour une durée minimale de six ans entraîne la remise en cause de toutes les exonérations partielles dont le redevable a pu bénéficier.
    Par ailleurs, l'objectif du dispositif de l'IFI, tel qu'il a été annoncé, est de conduire le contribuable, via un dispositif pénalisant au regard de la propriété immobilière, à investir dans des actifs non immobiliers et donc productifs.
    Or, le maintien de l'engagement de conservation au titre des pactes Dutreil en cours a pour effet, dans la situation susvisée, d'empêcher le redevable de céder son investissement partiellement immobilier. Il y a ici une contradiction avec l'objectif du texte.
    La suppression du dispositif Dutreil ISF pose donc une véritable difficulté constitutionnelle dans le cas des signataires d'engagements de conservation enregistrés depuis moins de six ans.
    La situation de ces derniers est largement comparable à celle des épargnants visés dans la décision du Conseil constitutionnel du 19 décembre 2013. Ils ont une espérance légitime à voir maintenir l'exonération partielle d'impôt sur le patrimoine pendant la durée totale de l'engagement de conservation des titres de six ans nécessaire à la consolidation des exonérations d'ISF appliquées au cours des années écoulées.
    Le recentrage de l'imposition du patrimoine sur l'immobilier ne saurait à lui seul justifier une imposition pleine là où un contribuable tenu par une obligation de conservation peut légitimement attendre l'application d'une exonération partielle d'imposition.
    Plus encore, aucun motif d'intérêt général ne semble susceptible de justifier la suppression du dispositif Dutreil ISF. Seul pourrait être retenu un motif d'intérêt général de rendement financier. Or, dans le cadre de sa jurisprudence sur la garantie des droits, le Conseil constitutionnel n'admet pas qu'un motif purement financier puisse constituer à lui seul un motif d'intérêt général " suffisant ".
    Les alinéas 17 à 28 de l'article 31 doivent donc être censurés.

    VI. - Sur les alinéas 34 à 38 de l'article 31 définissant le ou les redevable(s) de l'IFI en présence d'un démembrement de propriété

    L'alinéa 34 édicte pour règle de principe que :
    " Les actifs mentionnés à l'article 965 grevés d'un usufruit, d'un droit d'habitation ou d'un droit d'usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l'usufruitier ou du titulaire du droit pour leur valeur en pleine propriété ".
    L'alinéa 35 prévoit trois exceptions à ce principe, exceptions pour lesquelles " […] ces actifs grevés de l'usufruit ou du droit d'usage ou d'habitation sont compris respectivement dans des patrimoines de l'usufruitier ou du nu-propriétaire suivant les proportions fixées par l'article 669 ".
    L'alinéa 36 pose pour première exception les situations dans lesquelles… " La constitution de l'usufruit résulte de l'application de l'article 757 du code civil, de l'article 767 du même code dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 9 de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, de l'article 1094 dudit code dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 24 de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités ou de l'article 1098 du même code. Les biens dont la propriété est démembrée en application d'autres dispositions, notamment de l'article 1094-1 du même code, ne peuvent faire l'objet de cette imposition répartie ".
    Ces textes visent les démembrements de propriété au profit du conjoint survivant.
    La référence aux articles 757 et 1094 du code civil est contraire aux principes contenus dans la Déclaration des droits de l'homme du 4 août 1789 ainsi que dans la Constitution du 4 octobre 1958, en particulier du fait du :

    - non-respect du principe de clarté et d'intelligibilité de la loi ;
    - non-respect du principe d'égalité des citoyens devant l'impôt ;
    - non-respect du principe de répartition de l'impôt en fonction des facultés contributives des citoyens et du caractère inviolable et sacré du droit de propriété.

    Le code civil a fait l'objet de profondes modifications en matière successorale en 1930, en 1963, en 1972, en 2001, en 2006 et en 2007.
    Certaines règles ont non seulement été modifiées mais dénumérotées et renumérotées à l'intérieur du code civil. Ainsi en est-il de l'usufruit légal du conjoint survivant qui est passé de l'article 767 pour les décès antérieurs au 1er janvier 2002 à l'article 757 pour les décès à compter du 1er janvier 2002.
    Les conjoints survivants en vie à ce jour et titulaires de droits démembrés sur tout ou partie de la succession de leurs conjoints prédécédés tiennent leurs droits de textes différents selon leur date de veuvage :

    - usufruit légal de l'article 767 ancien du code civil pour les veuvages antérieurs au 1er janvier 2002 (l'usufruit résultant des modifications successives apportées par les lois du 9 mars 1891, du 3 avril 1917, du 26 mars 1957, l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1307 du 23 décembre 1958 et la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972) ;
    - usufruit légal de l'article 757 du code civil pour les veuvages postérieurs au 31 décembre 2001 ;
    - nue-propriété d'origine testamentaire ou contractuelle (contrat de mariage) autorisée par l'ancien article 1094 du code civil pour les veuvages antérieurs au ler janvier 2007, mais postérieurs à l'entrée en application de la loi du 3 décembre 1930 ;
    - usufruit d'origine testamentaire autorisé par l'article 1094-1 du code civil, que le veuvage soit antérieur ou postérieur au 1er janvier 2007, dès lors qu'il est postérieur à l'entrée en vigueur de la loi n° 63-699 du 13 juillet 1963 ;
    - usufruit d'origine testamentaire autorisé par l'article 1094 ancien pour les veuvages postérieurs à l'entrée en vigueur du code civil, modifié par la loi du 3 décembre 1930 puis par la loi n° 63-699 du 13 juillet 1963, mais antérieurs au 1er janvier 1972 ;
    - usufruit d'origine contractuelle (contrat de mariage ; réversibilité d'usufruit contenue dans une donation en nue-propriété, dans une donation graduelle ou résiduelle postérieure au 31 décembre 2006 en application des articles 1048 à 1061 du code civil) ;
    - usufruit d'origine post mortem de l'article 1098 du code civil (substitution par un enfant à une libéralité consentie par le défunt au conjoint survivant de l'abandon de l'usufruit de la totalité de sa part successorale) pour les veuvages postérieurs au 1er août 1963 (loi n° 63-699 du 13 juillet 1963).

    Il est de principe en droit civil que les textes applicables sont les textes en vigueur au jour du décès et donc de l'ouverture de la succession.
    En ne visant que quatre des articles du code civil traitant ou ayant traité des droits démembrés du conjoint survivant, en ne tenant pas compte de toutes les modifications législatives et des changements de numérotation des textes au fil du temps, en ne donnant aucune définition précise des situations qu'il vise, l'article 968 nouveau du CGI rend inintelligible la loi et ne permet pas de comprendre quelle est la volonté du législateur.
    Ainsi, la référence par l'article 968 nouveau du CGI à l'article 757 du code civil, sans précision sur la version concernée, et ce au même titre que la référence à l'article 1094-1 ou à l'article 1098, laisse entendre que toutes les versions de l'article 757, quelles que soient leurs périodes d'application respectives, sont concernées. Or, l'article 757 ancien (d'application antérieure au 1er janvier 2002) traitait des droits des enfants naturels et n'évoquait nulle part les démembrements de propriété.
    Il apparaît clairement qu'à tout le moins la référence à l'article 757 du code civil contenue dans l'article 968 nouveau du CGI contrevient à l'obligation d'intelligibilité de la loi qui découle tant du principe du consentement à l'impôt issu de l'article 14 de la DDHC du 4 août 1789 que du principe de légalité de l'impôt qui trouve sa source dans l'article 34 de la Constitution, dès lors qu'elle n'est pas accompagnée d'aucune définition de la situation visée.
    En visant l'article 1094 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 24 de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions sans préciser à laquelle des nombreuses rédactions antérieures dudit article il entendait, le législateur a rendu cette référence totalement inintelligible. Le législateur a-t-il entendu viser les démembrements ayant leur origine dans des successions gouvernées par l'article 1094 du code civil de 1804 dans sa rédaction originale ou dans sa rédaction modifiée par la loi du 3 décembre 1930 ou par la loi n° 63-699 du 13 juillet 1963 ou dans des successions ouvertes entre le ler juillet 1972 et le 1er janvier 2007 sur la base des versions alors en vigueur de l'article 1094 (conjoint survivant nu-propriétaire, ascendant usufruitier) ?
    En tout état de cause, le législateur, s'il a entendu viser l'ensemble des rédactions antérieures à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, a ajouté à la confusion en étendant la répartition proportionnelle à tous les démembrements trouvant leur source dans ce texte, alors que parallèlement il a exclu de la répartition proportionnelle les démembrements trouvant leur source dans l'article 1094-1.
    En effet, la disposition qui figurait entre 1963 et 1972 à l'alinéa 2 de l'article 1094 du code civil a été transférée (avec quelques ajustements pour tenir compte de la prise en compte des enfants naturels) par la loi du 3 janvier 1972 à l'article 1094-1.
    L'article 968 nouveau du CGI applique la répartition proportionnelle de l'IFI entre nu-propriétaire et usufruitier si l'usufruit trouve sa source dans l'article 1094 mais ne l'applique pas si l'usufruit trouve sa source dans l'article 1094-1. Ainsi, le simple fait d'avoir coupé en deux articles distincts l'ancien article 1094 pour le rendre plus lisible aux usagers du code civil aurait pour effet de modifier radicalement la situation fiscale au regard de l'IFI et donc le montant net de la dévolution successorale consolidée dans le temps des différents ayants droit, sans aucune justification.
    Par ailleurs, l'intelligibilité de la loi doit se comprendre à deux niveaux :

    - le niveau de compréhension matérielle permettant de respecter la loi sans risque d'erreur dès lors qu'on sait lire et écrire ;
    - le niveau de compréhension de la volonté du législateur indispensable au respect du principe du consentement à l'impôt issu de l'article 14 de la DDHC du 4 août 1789.

    Il est clair qu'au cas particulier ces principes sont bafoués.
    Si l'article 757 du code civil vise un usufruit légal du conjoint survivant, l'ancien article 1094 du code civil, dans ses rédactions antérieures, vise une dévolution volontaire décidée par le défunt qui pouvait octroyer une nue-propriété au conjoint survivant.
    L'article 1094-1 actuel du code civil fixe la quotité disponible entre époux et prévoit notamment la possibilité pour le futur défunt d'octroyer à son conjoint survivant un usufruit dépassant l'usufruit légal et pouvant porter sur la totalité de la succession.
    Les anciennes versions de l'article 1094-1 du code civil avaient déjà pour objectif de fixer la quotité disponible entre époux, donc la faculté de donations ou de legs entre époux.
    Ainsi, si l'on compare la situation de l'IFI avec l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou avec l'impôt sur les grandes fortunes (IGF), on s'aperçoit que le critère qui avait présidé tant en 1981 qu'en 1988, à savoir traiter différemment les démembrements d'origine légale et les démembrements d'origine volontaire, n'est pas respecté par le nouveau texte et qu'il en résulte un flou totalement incompréhensible tant au niveau de l'application de la loi qu'au niveau téléologique de la finalité de la loi.
    Dès lors, le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer dans l'alinéa 36 de l'article 31 la référence aux articles 757, 767 et 1094 du code civil, en ce qu'elle viole manifestement le principe du consentement à l'impôt issu de l'article 14 de la DDHC du 4 août 1789 ainsi que le principe de légalité de l'impôt qui trouve sa source dans l'article 34 de la Constitution.
    Par ailleurs, les dispositions contestées sont source de plusieurs inégalités devant les charges publiques.
    Pour illustrer la première source d'inégalité, prenons monsieur et madame Padechance, ils ont 80 ans et ont un fils unique. Ils se rendent chez leur notaire pour signer une donation au dernier vivant dans laquelle ils s'attribuent réciproquement l'usufruit de la totalité de la succession du prémourant, dont un immeuble, bien propre de Monsieur Padechance et seul actif immobilier du couple, évalué 4 000 000 €, ainsi que la pleine propriété des meubles meublants et de l'automobile du couple.
    Première hypothèse : en traversant la rue pour aller chez le notaire, monsieur Padechance est renversé par un bus et il meurt sur le coup ;
    Seconde hypothèse : en sortant de chez le notaire, monsieur Padechance veut traverser la rue ; il est renversé par un bus et meurt sur le coup.
    Dans la première hypothèse, le père étant décédé ab intestat, le fils unique devient redevable de l'IFI à hauteur de la valeur de la nue-propriété de l'immeuble, soit une assiette de 2 800 000 €, ce qui lui vaudra pendant toute la fin de vie de sa mère de payer chaque année au Trésor public un IFI de 25 690 € par an, du seul fait que l'usufruit de sa mère trouve son fondement dans l'article 757 du code civil, alors même que l'immeuble ne lui procure aucun revenu lui permettant de faire face à cette imposition.
    Dans la seconde hypothèse, le père ayant pris des dispositions de dernières volontés, le fils ne devient pas redevable de l'IFI sur les biens immobiliers provenant de la succession de son père du seul fait que l'usufruit de sa mère trouve son fondement dans l'article 1094-1 du code civil.
    Dans la première hypothèse, le fils est victime d'une différence de situation du fait de l'article 968 nouveau du CGI, introduit par les alinéas 34 à 38 de l'article 31, qui crée une discrimination entre les héritiers selon que leurs auteurs ont ou non été prévoyants.
    Cette discrimination ne se justifie par aucun motif d'intérêt général supérieur permettant de déroger au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques découlant de l'article 13 de la DDHC du 4 août 1789.
    Certes, un exemple ne suffit pas à démontrer qu'une propriété est générale, mais il suffit d'un contre-exemple pour démontrer qu'une propriété n'est pas générale. De même, si un exemple ne suffit pas à démontrer qu'un texte de loi est conforme aux principes constitutionnels, il suffit d'un contre-exemple pour démontrer qu'il ne l'est pas.
    S'agissant de la seconde source d'inégalité, le nu-propriétaire est traité de façon plus défavorable, si l'usufruit légal du conjoint survivant naît de l'ouverture d'une succession ouverte antérieurement au 1er janvier 2002 (application de l'ancien article 767 du code civil) ou postérieurement au 31 décembre 2017, que s'il naît d'une succession ouverte entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2018 (application de l'alinéa 250 de l'article 31 de la loi de finances pour 2018 relatif à l'entrée en vigueur du nouveau texte).
    Cette discrimination ne se justifie par aucun motif d'intérêt général supérieur permettant de déroger au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques découlant de l'article 13 de la DDHC du 4 août 1789.
    S'agissant de la troisième source d'inégalité, l'enfant du défunt qui n'a eu des descendants que d'un seul lit (enfant même père-même mère) est défavorisé par rapport à l'enfant du défunt qui a eu des descendants de plusieurs lits. En effet, l'usufruit légal de l'article 757 du code civil n'existe pas en présence d'enfants nés d'une autre personne que le conjoint survivant, mais l'article 1094-1 dudit code laisse la faculté au futur défunt qui a eu des enfants de plusieurs lits de léguer un usufruit à son conjoint survivant.
    En traitant l'usufruit du conjoint survivant de façon différente selon qu'il trouve son origine dans la loi ou dans une décision volontaire du défunt, l'article 968 nouveau du CGI crée une discrimination entre les enfants, selon qu'ils sont ou non issus d'une famille même père-même mère.
    Cette discrimination viole l'article 1er de la DDHC du 4 août 1789, dans sa première phrase, alors même que l'article 733 du code civil, dans sa rédaction actuelle, a notamment eu pour objet de gommer toute distinction entre les filiations, qui serait contraire à ce principe d'égalité.
    En outre, cette discrimination ne se justifie par aucun motif d'intérêt général supérieur permettant de déroger au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques découlant de l'article 13 de la DDHC du 4 août 1789.
    Pour illustrer la quatrième source d'inégalité, prenons l'exemple de deux frères A et B qui ont eu un accident de voiture le 31 décembre 1971. A est décédé sur le coup. B est décédé à l'hôpital le 2 août 1972.
    Ils ont laissé chacun une veuve et des enfants. Chacun avait légué à son épouse l'usufruit de la totalité de sa succession. Les deux veuves sont encore en vie.
    Les héritiers de A ne sont pas assujettis à l'IFI sur les biens immobiliers provenant de la succession de leur père, parce que leur mère tient son usufruit de l'article 1094 du CGI, dans sa rédaction en vigueur en 1971.
    Les héritiers de B sont assujettis à l'IFI sur les biens immobiliers provenant de la succession de leur père, parce que leur mère tient son usufruit de l'article 1094-1 du CGI, dans sa rédaction en vigueur à compter du 1er août 1972 (article 11 de la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972).
    Cette discrimination ne se justifie par aucun motif d'intérêt général supérieur permettant de déroger au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques découlant de l'article 13 de la DDHC du 4 août 1789.
    Enfin, dans sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 15 de la loi de finances pour 1999 dans les termes suivants :
    " - Sur l'article 15 :
    Considérant que cet article tend, pour l'établissement de l'impôt de solidarité sur la fortune, à comprendre, pour leur valeur en pleine propriété, les biens ou droits dont la propriété est démembrée, à compter du 1er janvier 1999, dans le patrimoine de la personne qui est l'auteur de ce démembrement, qu'elle se soit réservé soit l'usufruit ou le droit d'usage ou d'habitation, soit la nue-propriété ; qu'il énumère toutefois les cas dans lesquels les biens ou droits sont compris, respectivement, dans les patrimoines du propriétaire, auteur du démembrement de propriété, et du bénéficiaire de celui-ci, dans les proportions déjà fixées à l'article 762 du code général des impôts ;
    Considérant que les sénateurs requérants soutiennent qu'en imposant un bien dans le patrimoine du nu-propriétaire, cet article méconnaît les exigences de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui imposeraient que ne puisse être assujetti à l'impôt sur la fortune que celui qui perçoit les revenus des biens ou droits taxables ;
    Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen la contribution commune “doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés” ;
    Considérant que l'impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèces ou en nature procurés par ces biens ; qu'en effet, en raison de son taux et de son caractère annuel, l'impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables ;
    Considérant que le législateur a méconnu la règle ainsi rappelée en prévoyant que l'impôt de solidarité sur la fortune pourrait, dans le cas mentionné au premier alinéa du nouvel article 885 G bis, être assis sur un bien dont le contribuable nu-propriétaire ne tirerait aucun revenu, alors que serait prise en compte dans le calcul de l'impôt la valeur en pleine propriété dudit bien ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer l'article 15 contraire à la Constitution ".
    Or, l'objectif du législateur de 1998 avait été de mettre fin à certains montages abusifs ayant pour effet, à l'aide de démembrements de propriété, de faire échapper de la matière imposable.
    Tel n'est pas le cas de l'article 968 nouveau du CGI, en ce qu'il se réfère aux articles 757 et 1094 du code civil, ce qui a pour effet, essentiellement, sous réserve du flou d'interprétation dénoncé plus haut au point a, de faire supporter à des nus-propriétaires involontaires, qui subissent l'usufruit légal octroyé par la loi à un tiers (le conjoint survivant), une quote-part de l'IFI alors qu'ils ne bénéficient ni du revenu en espèces ni du revenu en nature procuré par ce bien.
    Ce faisant, le législateur porte atteinte :

    - au principe de répartition de l'impôt en fonction des facultés contributives des citoyens, issu de l'article 13 de la DDHC du 4 août 1789 ;
    - au droit de propriété desdits nus-propriétaires tenus de s'appauvrir chaque année pour s'acquitter de l'IFI, ce qui constitue une violation du droit de propriété garanti par l'article 17 de la DDHC du 4 août 1789.

    Dès lors le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer l'alinéa 36 de l'article 31 de la loi de finances pour 2018.

    VII. - Sur les alinéas 43 et 44 de l'article 31 portant sur le crédit-bail et l'IFI

    Selon les alinéas 43 et 44 de l'article 31 de la loi de finances pour 2018, les actifs immobiliers faisant l'objet d'un crédit-bail ou d'un contrat de location-accession à la propriété immobilière seront compris dans le patrimoine imposable du preneur ou de l'accédant, sous réserve de la réduction des loyers ou redevances restant à courir jusqu'à l'expiration du bail ou jusqu'au terme prévu pour la levée d'option ainsi que du montant de l'option d'achat.
    Cet article est contraire au principe selon lequel un contribuable ne peut être imposé qu'au regard de ses facultés contributives.
    Le Conseil constitutionnel retient de façon constante que l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prescrit qu'un impôt n'est conforme à la Constitution que si son dispositif appréhende une capacité contributive réelle : " lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource " (22).
    En l'occurrence, le crédit-preneur ou locataire (dans le cadre d'une location-accession) d'un bien immobilier n'est titulaire que d'un droit de jouissance (droit personnel) ; il n'assume pas les risques relatifs à la propriété du bien.
    Par ailleurs, la probabilité que le contribuable devienne dans le futur le propriétaire juridique des biens intégrés dans l'assiette de l'IFI repose en tout état de cause sur des circonstances ne dépendant pas de sa seule volonté : le crédit-preneur ou locataire (dans le cadre d'une location-accession) d'un bien immobilier n'est bénéficiaire que d'une option d'achat. Leur titulaire n'a l'espérance de devenir propriétaire de l'immeuble que s'il a la capacité d'honorer l'ensemble des versements requis pour aller jusqu'au terme de l'exécution du contrat. La loi ne peut donc pas caractériser une capacité contributive à partir d'une projection aussi incertaine du devenir du patrimoine effectif du redevable.
    En conséquence, les capacités contributives du crédit-preneur ou du locataire (dans le cadre de la location-accession) ne sont pas prises en compte. En résulte une atteinte aux principes contenus dans la Constitution.

    VIII. - Sur l'alinéa 45 de l'article 31 portant sur les contrats d'assurance exprimés en unités de compte et l'IFI

    La réforme envisagée par la loi de finances pour 2018 prévoit que la valeur de rachat des contrats d'assurance-vie rachetables exprimés en unités de compte est incluse dans le patrimoine du souscripteur à hauteur de la fraction de leur valeur représentative d'actifs immobiliers.
    L'article 972 du CGI ainsi envisagé apparaît à plusieurs titres contraire à la Constitution.
    Il méconnaît en effet tant le principe d'égalité de tous devant les charges publiques consacré à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que le droit de propriété du souscripteur, garanti en ses articles 2 et 17.
    Comme pour toute autre imposition, le respect du principe d'égalité suppose que le législateur fasse reposer son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose.
    En l'occurrence, l'IFI de manière générale repose sur une distinction entre les biens et droits immobiliers appartenant au redevable, auxquels s'ajoutent des parts et actions de sociétés et organismes dans les conditions prévues au 2° de l'article 965 du CGI introduit par l'article 31, et les autres biens et droits qui ne sont pas soumis à cet impôt.
    La suppression de l'ISF conduit donc à créer une distinction entre les biens et droits qui n'existait pas dans notre système d'imposition sur le patrimoine au-delà d'un certain seuil. Là où c'est la fortune qui était imposable, c'est désormais la propriété de certains biens qui la compose qui le devient. La rationalité de l'impôt n'est plus dans la fortune possédée, mais dans les biens immobiliers détenus par le redevable. Dès lors, la logique de l'impôt a changé.
    Le ministre de l'économie a clairement expliqué les raisons de cet impôt : " Pourquoi maintenir un impôt sur la fortune immobilière ? Parce qu'un euro investi dans l'immobilier, notamment ancien, ne crée pas le même effet d'entraînement qu'un euro investi dans une entreprise. La majorité a souhaité porter une taxation plus importante des biens non productifs. Le gouvernement y est favorable " (23).
    C'est donc la productivité qui justifie désormais le critère de distinction et qui est donc de nature à expliquer ce que le Conseil constitutionnel dénomme : " les caractéristiques " de l'impôt.
    Le choix d'un tel critère ne saurait être critiqué. Le législateur doit pouvoir ériger un impôt dont les caractéristiques tiennent à sa volonté de favoriser un " effet d'entraînement " pour l'économie, et ainsi consacrer un régime défavorable aux biens non productifs. C'est, d'ailleurs, exactement ce que consacre le Conseil constitutionnel dans une décision du 31 juillet 2013 où il reconnaît la pertinence du critère reposant sur les investissements " productifs " réalisés (24).
    Pour autant, encore faut-il que la distinction opérée s'explique bien, objectivement et rationnellement, par un tel critère.
    Or, dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie adossé à des unités de compte portant sur des biens immobiliers, le souscripteur n'a objectivement aucun droit sur l'immobilier qui pourrait figurer en sous-jacent. Il n'en a assurément pas la jouissance ou la disposition et n'est titulaire d'aucun droit sur les actifs concernés. Son contrat va fonctionner comme s'il était adossé à un indice, et la valeur évoluera en fonction de celle de l'unité retenue. Un contrat d'assurance-vie dont les sommes garanties sont exprimées en unités de compte ne confère aucun droit réel au souscripteur (droit de jouissance ou droit sur la nue-propriété) sur les actifs ou valeurs mobilières. Ils sont la propriété de l'entreprise d'assurance et aucunement du souscripteur.
    Ces dispositions montrent déjà clairement qu'entre le souscripteur et l'immeuble, il n'y a pas de lien de nature juridique.
    Le mécanisme même de l'assurance-vie en unités de compte marque d'ailleurs l'absence de tout lien juridique avec l'immeuble. Les sommes qui sont versées par le souscripteur sont converties en valeurs de référence composées des actifs concernés. Le bénéficiaire du contrat d'assurance-vie aura droit à la contre-valeur en euros des actifs qui figurent au compte ou parfois aux titres eux-mêmes. Il en résulte que les supports d'unités de compte servent à l'évaluation de la prestation due par l'assureur sans jamais en être l'objet. L'assureur ne doit pas les supports et le souscripteur n'a aucun droit sur eux ; le lien porte sur une créance dont les supports ne constituent que la contre-valeur, et donc permettent de déterminer le montant dû. Le souscripteur n'a pas de droit sur l'immeuble, pas de droit sur les actifs sous-jacents, mais un droit à une valeur. L'assureur ne gère pas les actifs sous-jacents pour le compte du souscripteur.
    Dans ce schéma, pour quelle raison faudrait-il qu'un impôt justifié par la propriété d'un bien immobilier, constitué de ce qui fait " la fortune immobilière " et dont l'assiette porte au premier chef sur les " biens et droits immobiliers appartenant aux personnes mentionnées " pèse ici sur le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie en unités de compte ? Il n'a pas de droit sur un bien immobilier ni sur un droit immobilier, aucun immeuble concerné ne lui appartient, aucun droit ou bien immobilier n'est ainsi entré dans son patrimoine, il n'a pas de pouvoir sur les immeubles concernés et a fortiori n'en a aucune disposition ou jouissance.
    Il n'y a aucune cohérence à intégrer dans l'assiette d'un impôt sur la propriété immobilière la valeur d'actifs ou de valeurs mobilières constituant des unités de compte au titre d'un contrat d'assurance-vie ainsi libellé.
    En outre, les alinéas 250 à 254 qui prévoient les modalités d'entrée en vigueur de la réforme portent atteinte au droit de propriété du souscripteur d'un contrat d'assurance en unités de compte.
    Tout d'abord, le nouvel IFI sera applicable à compter du 1er janvier 2018, ce qui signifie en pratique que le patrimoine immobilier taxable à l'IFI devra être évalué à cette même date en vue d'une déclaration dans la déclaration de revenus de l'année 2018 (afférents aux revenus de l'année 2017). Ensuite, les dispositions de l'ISF abrogées continueront de s'appliquer dans leur rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2017, à l'ISF dû au titre de l'année 2017 et des années antérieures. Enfin les réductions ISF-dons et ISF-PME seront imputables sur l'IFI de l'année 2018, à raison des dons ou des souscriptions réalisés entre la dernière déclaration d'ISF en 2017 et le 31 décembre 2017.
    Il en résulte que l'IFI entrera en vigueur au moment où se figera l'évaluation du patrimoine " immobilier " taxable. Une telle concomitance, si elle ne constitue pas une rétroactivité de la loi fiscale, a une conséquence évidente : les assujettis ne pourront pas procéder aux arbitrages patrimoniaux destinés à faire le choix de ne pas être soumis à l'IFI. En clair, les souscripteurs de contrats d'assurance-vie en unités de compte qui pourraient être soumis à l'IFI n'auront pas la possibilité de " basculer " en fonds euros pour échapper à l'impôt ou de faire porter leur épargne sur des biens non imposés, parce que supposés, selon le législateur, être productifs.
    Or, cette absence de toute faculté d'arbitrage est contraire au principe de libre disposition de ses biens et précisément au droit de disposer librement de son patrimoine qui est constitutionnellement protégé (25).

    IX. - Sur les articles 33, 34 et 36 portant sur la taxation des biens somptuaires

    Les dispositions de l'article 34 quater de la loi de finances instituent à l'article 963 A du code général des impôts une taxation supplémentaire des véhicules d'une puissance égale à 36 chevaux fiscaux, à l'exception de ceux bénéficiant d'une carte grise " collection ". Visant les voitures de sport, ces dispositions ont pour objet de maintenir une taxation de certains " signes extérieurs de richesse " afin de compenser la suppression de l'ISF et le fait que ces biens meubles ne sont pas pris en compte dans l'assiette de l'IFI.
    Ces dispositions contredisent le principe d'égalité devant les charges publiques. En effet, le principe d'égalité devant les charges publiques pose l'exigence de critères d'imposition rationnels en rapport avec les objectifs poursuivis par le législateur.
    En l'occurrence, ces dispositions introduisent une taxation de " signes extérieurs de richesse " fondée sur la seule puissance fiscale des véhicules sans prise en compte de leur valeur vénale. Il n'y a toutefois qu'un lien ténu entre la puissance fiscale d'un véhicule et son prix à l'état neuf.
    A titre d'illustration, une Tesla Model S P100D dont la puissance est de 10 chevaux fiscaux échappera à cette surtaxation malgré un prix catalogue supérieur à 140 000 € - voisin de celui d'une Porsche 911 GTS 4 qui n'entrera pas davantage dans le champ de la taxe - alors qu'une Chevrolet Camaro V8 coûtant moins de 50 000 € sera soumise à la taxe à raison de ses 36 chevaux fiscaux. Le critère de la puissance fiscale est d'autant plus incohérent que cette surtaxation pèse également sans aucun abattement sur les véhicules d'occasion, dont la valeur vénale est sans commune mesure avec celle qu'ils pouvaient avoir à l'état neuf en raison de l'importante décote qu'ils subissent.
    Par ailleurs, les dispositions de l'article 36 instituent une taxation complémentaire des véhicules d'une puissance supérieure ou égale à 10 chevaux fiscaux. Selon l'exposé des motifs, cette nouvelle imposition vise à frapper les véhicules hybrides rechargeables dont l'immatriculation échappe, à l'heure actuelle, au malus CO2.
    Au regard de cet objectif nettement circonscrit, le critère de la puissance fiscale est dépourvu de pertinence et de rationalité. Cette nouvelle taxe dont le rendement n'a pu être mesuré va peser sur l'ensemble des véhicules quelles que soient leurs caractéristiques techniques, bien au-delà des seuls véhicules hybrides rechargeables. Dans la mesure où la source d'énergie est une donnée technique mentionnée distinctement sur les certificats d'immatriculation (champ P3), il aurait été particulièrement aisé de réserver cette taxation aux seuls véhicules hybrides rechargeables (mentions EE, ER, EM… sur le certificat d'immatriculation).
    Pour les mêmes motifs que ceux dirigés contre l'article 34, les dispositions de l'article 33 instituant à l'article 223 bis du code des douanes une taxation supplémentaire des " signes extérieurs de richesse " que constituent les navires de plaisance et de sport à raison de leurs seules caractéristiques techniques (longueur et puissance), indépendamment de leur valeur vénale, doivent également être déclarées contraires à la Constitution.

    X. - Sur le b du 1° du II de l'article 41 portant suppression du fonds de soutien au développement économique

    La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a supprimé (hormis dans certains cas spécifiques) la capacité d'intervention des départements en matière de développement économique et parallèlement renforcé les compétences des régions sur ce champ. Les régions sont désormais les seules collectivités habilitées à attribuer certaines aides aux TPE, PME et aux ETI.
    Juridiquement, si la situation créée par le législateur dans le cadre de la loi NOTRe ne saurait être analysée comme un transfert de compétences vers les régions, elle caractérise, en revanche, une extension de compétences de ces dernières en matière économique puisqu'elles exerçaient déjà de larges prérogatives dans ce domaine avant l'adoption de la loi NOTRe.
    Or, aux termes de la deuxième phrase de l'alinéa 4 de l'article 72-2 de la Constitution : " Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi " (26).
    Il en résulte que cette nouvelle situation faisait obligation au législateur de prévoir des ressources au profit des régions pour leur permettre d'assumer leurs responsabilités.
    S'agissant de la détermination du droit à compensation, au terme de discussions entre l'Etat et les régions, à l'automne 2016, un compromis est intervenu aboutissant à l'inscription au sein de l'article 149 de la loi de finances pour 2017 à :

    - la création, dès 2017, d'un fonds de soutien en matière de développement économique à hauteur de 450 M€ ;
    - l'attribution aux régions d'une part de TVA, à compter de l'exercice 2018 sur la base du total suivant :
    - montant de la DGF perçu par les régions en 2017 ;
    - montant de la dynamique d'évolution de la TVA 2018 vs 2017 ;
    - montant du fonds de soutien en matière de développement économique.

    La dynamique de la ressource TVA visait à compenser le différentiel entre les 450 M€ du fonds de soutien et le besoin estimé à 600 M€.
    Le Parlement a adopté le principe et le montant de cette compensation prévus à l'article 149 de la loi de finances pour 2017.
    Le Gouvernement est revenu sur cet engagement de l'Etat en retirant, dans le cadre du II de l'article 41 de la loi de finances, le fonds de soutien précité du calcul de la TVA allouée aux régions.
    Cette disposition, en ce qu'elle prive les régions de leur droit à compensation au titre de l'extension de leurs compétences économiques, contrevient à l'alinéa 4 de l'article 72 précité.
    Au surplus, il convient de relever que la reconnaissance d'une extension de compétences et d'un droit à compensation au profit des régions est d'autant plus caractérisée que, si tel n'avait pas été le cas, il n'aurait pas été prévu le mécanisme décrit ci-avant, a fortiori dans le contexte budgétaire de l'époque déjà particulièrement contraint.
    Enfin, il est important de souligner que le montant des 450 M€ prévus au fonds de soutien était bien envisagé à titre pérenne comme indiqué clairement dans l'exposé des motifs de l'amendement gouvernemental qui a institué le dispositif dans le cadre du PLF 2017.
    Aussi, pour tous ces motifs, il convient de déclarer non conforme à la Constitution le b du 1° du II de l'article 41.

    XI. - Sur le IX de l'article 41 portant baisse de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle des régions (DCRTP)

    La réforme de la taxe professionnelle (TP) et des impositions locales intervenue en 2010 (loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010) a impacté en profondeur l'architecture de la fiscalité et des finances locales.
    Afin d'assurer la neutralité financière de la réforme pour l'ensemble des régions, celles-ci ont bénéficié de l'attribution d'une dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP). La DCRTP, ayant vocation à être figée, visait à compléter la compensation financière des régions dès lors que les nouvelles ressources allouées ne couvraient pas la totalité de la perte du produit de la taxe professionnelle et des impositions locales cédées aux départements et au bloc communal. Enfin, afin d'assurer la neutralité financière pour chacune des régions, un fonds national de garantie individuelle (FNGIR) a été calculé et figé pour l'avenir.
    Par construction, le montant de l'attribution de DCRTP est inversement proportionnel à la part de produit de fiscalité évolutive (CVAE et IFER) allouée (27). Ce sont donc les régions fiscalement les plus pauvres qui ont bénéficié de l'attribution de DCRTP la plus élevée. A contrario, la région Ile-de-France, compte tenu de l'ampleur du produit de CVAE dévolu, est la seule à n'avoir reçu aucune attribution de DCRTP et donc à être épargnée par la mesure de réduction de la DCRTP.
    En 2017, la DCRTP a été introduite au sein des variables dites d'ajustement qui sont un ensemble de dotations utilisées pour financer des mesures de péréquation verticale ou d'exonérations fiscales en direction du bloc communal. La réduction de la DCRTP des régions a été de - 8,4 % pour une perte de recettes de - 56,4 M€ et un montant total de 617,6 M€.
    Pour 2018, le IX de l'article 41 de la loi de finances pour 2018 propose d'appliquer une nouvelle baisse de - 6,3 %, ce qui amputerait les recettes des régions de - 38,8 M€.
    Cette mesure contrevient donc au principe de péréquation inscrit au cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.
    En outre, la baisse de la DCRTP constitue une rupture d'égalité caractérisée en épargnant la région la plus favorisée qu'est la région Ile-de-France dont le PIB par habitant est supérieur de plus d'une fois et demie le PIB moyen par habitant de la France entière.
    Pour l'ensemble de ces motifs, il convient de déclarer le IX de l'article 41 de la loi de finances pour 2018 contraire à la Constitution.

    XII. - Sur l'article 85

    Les dispositions de l'article 85 constituent un cavalier budgétaire et contreviennent au principe d'égalité.
    Aux termes de l'article 40 de la Constitution : " Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ".
    Au cas présent, en premier lieu, l'article 85 s'insère dans la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2018.
    Le II de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe précisément les dispositions que doit contenir la deuxième partie d'une loi de finances :
    La loi de finances de l'année comprend deux parties distinctes. […]
    II. - Dans la seconde partie, la loi de finances de l'année :
    1° Fixe, pour le budget général, par mission, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ;
    2° Fixe, par ministère et par budget annexe, le plafond des autorisations d'emplois ;
    3° Fixe, par budget annexe et par compte spécial, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ouverts ou des découverts autorisés ;
    4° Fixe, pour le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux, par programme, le montant du plafond des reports prévu au 2° du II de l'article 15 ;
    5° Autorise l'octroi des garanties de l'Etat et fixe leur régime ;
    6° Autorise l'Etat à prendre en charge les dettes de tiers, à constituer tout autre engagement correspondant à une reconnaissance unilatérale de dette, et fixe le régime de cette prise en charge ou de cet engagement ;
    7° Peut :
    a) Comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ;
    b) Comporter des dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année ;
    c) Définir les modalités de répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales ;
    d) Approuver des conventions financières ;
    e) Comporter toutes dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ;
    f) Comporter toutes dispositions relatives à la comptabilité de l'Etat et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics. "
    Or, les dispositions de cet article n'entrent pas dans la liste des dispositions insérables en deuxième partie d'une loi de finances.
    En particulier, le c du II de l'article 34 de la LOLF autorise seulement l'insertion de dispositions définissant " les modalités de répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales ". Or, le dispositif envisagé est totalement neutre sur le partage des ressources entre l'Etat et une ou plusieurs collectivités territoriales. Il se borne à édicter une nouvelle règle de partage d'une ressource entre la métropole de Lyon et la région Auvergne-Rhône-Alpes.
    Il s'agit donc d'un cavalier législatif.
    En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi… doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ".
    Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, " le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit " (v., par exemple, décision n° 2015-725 DC du 29 décembre 2015, Loi de finances pour 2016).
    En l'espèce, le moyen de rupture d'égalité a été abordé par les sénateurs lors de la séance du 8 décembre dernier, au soutien de trois amendements visant à supprimer ce dispositif.
    Le sénateur Eric Bocquet faisait en effet valoir que :
    " L'article 41 bis résulte de l'adoption d'un amendement déposé en catimini à l'Assemblée nationale par le député de la majorité du Rhône. Au prétexte que la métropole de Lyon est une collectivité à statut particulier exerçant des compétences élargies, cet article l'exclut du champ de l'article 89 de la loi de finances pour 2016. En d'autres termes, il permet à la métropole lyonnaise de bénéficier de ressources dynamiques supplémentaires, en modifiant la quote-part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE. La métropole est tout bonnement exemptée de verser à la Région Auvergne-Rhône-Alpes 25 % de la CVAE que cette dernière doit percevoir en 2018 au titre de la compensation du transfert de compétences prévue par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe. La disposition lui permet ainsi d'augmenter ses ressources fiscales, au détriment, bien sûr, de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et crée un principe d'exception. Le présent amendement vise à rétablir l'égalité républicaine des territoires et des collectivités. Mais notre préoccupation est également d'éviter la création de métropoles à deux vitesses. "
    La même position était retenue par le sénateur Daniel Grémillet, en explication de l'amendement n° II-313 rectifié :
    " L'article 41 bis revient sur les conditions de financement, prévues dans la loi NOTRe, du transfert aux régions de la compétence départementale des transports non urbains. Il instaure un traitement spécial, unique en France, pour la seule métropole de Lyon. Le financement de ce transfert de compétence départementale vers les régions repose sur un transfert de CVAE de tous les départements vers toutes les régions. Dans un contexte de baisse drastique des dotations aux Régions, on mettrait donc en place un régime dérogatoire pour la métropole de Lyon, alors que durant toutes les discussions portant sur la mission “Relations avec les collectivités territoriales”, le ministre de l'intérieur a répété qu'il convenait d'écarter tout principe d'exception afin de garder une vision d'ensemble. C'est ce qui motive cette proposition de suppression de l'article 41 bis. "
    Cet avis était partagé par Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances :
    " La spécificité régionale proposée à l'article 41 bis n'est manifestement pas liée à un transfert de compétences. Nous avons donc du mal à trouver la justification de cette mesure, qui, en tout cas, entre en contradiction avec la volonté de renforcer l'échelon régional, en lui attribuant des ressources dynamiques - la CVAE en est une. Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que la commission des finances souhaite, elle aussi, la suppression de l'article 41 bis. Je le répète, il crée une bizarrerie, est en contradiction avec l'objectif de donner des ressources dynamiques aux régions et n'est justifié par le transfert d'aucune compétence. "
    La rupture d'égalité à laquelle procède cet article doit en réalité être appréhendée sous trois angles.
    Tout d'abord, la discrimination existe en termes d'année de référence.
    Le calcul de la compensation de la Région Auvergne-Rhône-Alpes se ferait en effet, selon le dispositif en cause, sur une base qui n'est pas la même que pour les autres régions, car la loi NOTRe, adoptée en août 2015, ne pouvait pas prévoir une indemnisation des régions sur la CVAE de l'exercice 2017. Cette référence était trop distante par rapport à la date de promulgation de la loi. C'est pourquoi la loi NOTRe avait décidé que la référence de CVAE qui serait utilisée pour indemniser les régions serait celle de 2016.
    Alors que le nouveau partage de CVAE avait été fixé par la loi NOTRe sur l'exercice 2015, avec cette disposition, le partage de CVAE entre la métropole de Lyon et la Région Auvergne-Rhône-Alpes se ferait sur l'exercice 2017.
    Les 12 départements de la Région Auvergne-Rhône-Alpes partagent leur CVAE avec la Région sur la base de la CVAE calculée sur la base de l'exercice 2016, au titre du transfert de la compétence transports non urbains. En revanche, pour la seule métropole de Lyon, la période de référence retenue est l'année 2017. Aucune considération d'intérêt général en relation avec l'objet de la loi ne justifie une telle approche discriminatoire.
    Ensuite, il est procédé à une rupture d'égalité entre la Région Auvergne-Rhône-Alpes et toutes les autres régions : rien ne justifie objectivement un tel traitement.
    La " spécificité " de la métropole de Lyon apparaît de ce point de vue artificiellement bâtie par les auteurs de l'amendement.
    En effet, si la métropole de Lyon agit, en fait et en droit, dans le cadre de ses compétences départementales (celles qui lui ont été transférées du département du Rhône) et que la quasi-totalité de la compétence " Transports non urbains " a été récupérée par un syndicat de transports de la métropole de Lyon, le SYTRA, la Région supporte une charge nouvelle transférée par la loi NOTRe, celle du transport des élèves résidant dans le périmètre de la métropole de Lyon, mais se rendant par bus public dans un collège ou lycée situé en dehors du département du Rhône (par exemple dans la Loire ou dans l'Ain). Cette charge est évaluée à environ 2 millions d'euros par la CLERCT (commission locale d'évaluation des ressources et charges transférées). La différence de situation provoquée par le dispositif en cause est en réalité en totale contradiction avec l'objectif de la loi NOTRe qui était de donner des ressources dynamiques aux régions. Or, une indemnisation vide de contenu est par définition contraire à un tel dynamisme ; elle introduit une différence de traitement injustifiée entre les régions bénéficiant d'une indemnisation réelle et celles qui font l'objet d'une indemnisation sinon fictive, du moins amputée d'une partie de son contenu.
    Enfin, le texte introduit une rupture d'égalité entre les départements ou entités exerçant des compétences départementales sur leur territoire (i.e. la métropole de Lyon). En effet, seule la métropole de Lyon bénéficie d'un traitement de faveur par rapport aux autres départements qui percevront toujours le niveau de CVAE, abaissé par la loi NOTRe de 48,5 % à 23,5 %, tandis que la métropole de Lyon sera la seule " entité exerçant des compétences départementales sur son territoire " autorisée, grâce à un dispositif litigieux, à percevoir comme avant la loi NOTRe une fraction de 48,5 % de CVAE.
    Pour ces raisons, l'article 85 doit être déclaré non conforme à la Constitution.

    XIII. - Sur l'article 126 prévoyant la réduction du loyer de solidarité (RLS)

    L'article 126 de la loi de finances pour 2018 prévoit une réduction du loyer de solidarité (RLS) dans les logements du parc public consistant en une baisse concomitante des aides personnalisées au logement (APL) et de leur loyer.
    Les requérants estiment que l'article 126 méconnait :

    - le principe d'égalité devant la loi ;
    - l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté de la loi ;
    - la jurisprudence constitutionnelle garantissant le respect des situations légitimement acquises ;
    - la liberté contractuelle et le droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues.

    Sur la violation du principe d'égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel retient que " le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit " (28). " Toute différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi se trouve en conséquence prohibée " (29).
    L'article de la loi déférée contrevient au principe d'égalité car il établit des différences de traitement :
    1. Entre les organismes chargés de construire et de gérer des logements sociaux.
    2. Entre les locataires d'un logement social dans le parc public.
    L'article 126 ne vise que les organismes HLM et les sociétés d'économie mixte (SEM) gestionnaires de logements ouvrant droit à 1'APL. Sont expressément exclus du champ d'application de la réforme les logements foyers conventionnés et les logements non conventionnés à l'APL. Ainsi, les organismes HLM et les SEM sont soumis à une obligation de réduction des loyers que d'autres organismes placés dans une situation comparable n'ont pas à mettre en œuvre.
    De même, les promoteurs privés, personnes morales ou physiques, n'auront pas à opérer des réductions de loyers ; pourtant, ils bénéficient des mêmes financements publics que les bailleurs sociaux destinés aux logements locatifs sociaux, notamment les PLS (prêts locatifs sociaux). Les opérateurs privés obéissent pour les PLS au même régime des plafonds de loyers et de ressources et bénéficient des mêmes avantages fiscaux que les bailleurs sociaux. Cette différence de traitement ne saurait se justifier dans ces conditions.
    Enfin, les organismes agréés par l'Etat au titre de la maîtrise d'ouvrage d'insertion, dans les conditions prévues à l'article L. 365-4 du code de la construction et de l'habitation, ne sont pas non plus visés par le dispositif de réduction des loyers alors qu'ils poursuivent le même objectif de logement des personnes en difficulté que les organismes de logement social. La différence de traitement induite par l'article 126 ne repose pas sur une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi.
    Par ailleurs, cet article ne vise pas les bénéficiaires des APL mais " les logements ouvrant droit " aux APL. Des locataires non éligibles aux APL en raison de leurs revenus pourront donc bénéficier de la RLS uniquement parce qu'ils habitent un logement social ouvrant droit à une réduction de loyer. En effet, les APL sont attribuées aux ménages dont le revenu est inférieur à un montant fixé par arrêté, dans la limite prévue par la loi. En conséquence, l'impact de la réforme sera faible pour les locataires bénéficiaires des APL, car la baisse de loyer sera quasiment entièrement compensée par la baisse concomitante des APL (entre 90 % et 98 % de la baisse de loyer). En revanche, les locataires non bénéficiaires des APL bénéficieront, eux, entièrement de la RLS.
    La différence de traitement entre ces deux catégories de locataires découle de l'application de seuils financiers : la violation des principes constitutionnels d'égalité devant la loi est dès lors fondée.
    Sur l'atteinte à l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté de la loi, la rédaction de l'article porte atteinte au principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution en raison de l'importante marge d'appréciation laissée au pouvoir réglementaire.
    Le Gouvernement entend modifier l'article L. 351-3 du code de la construction et de l'habitation en prévoyant que : " Le montant de l'aide personnalisée au logement est réduit, pour les bénéficiaires concernés par l'article L. 442-2-1, à hauteur d'une fraction fixée par décret, comprise entre 90 % et 98 %, de la réduction de loyer de solidarité prévue au même article L. 442-2-1. " En indiquant seulement un plancher et un plafond pour la fraction de la réduction des APL, le texte laisse toute latitude au pouvoir réglementaire pour décider de l'équilibre du mécanisme qui aura des impacts certains sur la situation financière des bailleurs sociaux et sur leurs capacités d'investissement pour la construction et la rénovation de leur parc.
    De même, les modalités du dispositif dérogatoire de calcul de cotisations versées par les bailleurs sociaux à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), pour l'année 2018, sont renvoyées au pouvoir réglementaire. L'article prévoit que : " Par dérogation, en 2018, la réduction de la cotisation prévue au b du II de l'article L. 452-4 du code de la construction et de l'habitation correspond à un montant unitaire multiplié par le nombre de bénéficiaires des aides prévues à l'article L. 351-1 du même code logés dans des logements mentionnés à l'article L. 442-2-1 dudit code ". Le texte précise ensuite que " le nombre de bénéficiaires s'apprécie au 31 décembre 2017 et le montant unitaire prévu à la phrase précédente est fixé par arrêté des ministres chargés du logement, de l'économie et des finances ". Le fait de confier à un arrêté ministériel le soin de fixer un montant unitaire sur la base duquel sera calculée la réduction de la cotisation due à la CGLLS semble contraire à l'article 34 de la Constitution.
    Par ailleurs, le Conseil constitutionnel estime sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789 " qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ".
    Or, l'instauration de la RLS va remettre en cause immédiatement l'équilibre financier de nombreux organismes : sur 826 organismes qui interviennent dans le champ du logement social, 310 d'entre eux, représentant 50,6 % du parc de logements, devraient être en situation de fragilité financière après la réforme. Leurs recettes, issues des loyers, vont diminuer globalement de 1,7 milliard d'euros. Or, ce n'est pas un objectif d'intérêt général qui est poursuivi. Le Gouvernement spécifie bien dans l'exposé des motifs que l'unique objet de l'article 126 est d'ordre financier et qu'il vise à contribuer à l'équilibre des finances publiques.
    Enfin, cet article porte atteinte à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues.
    Le Conseil constitutionnel estime qu'" il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 " (30).
    L'article précise que " La réduction de loyer de solidarité prévue au 4° du I créant l'article L. 442-2-1 du code de la construction et de l'habitation est applicable aux contrats en cours ". Les règles applicables aux contrats en cours seront bien concernées. Cela sera de nature à affecter la relation contractuelle entre les locataires et les organismes de logement social. Or, la présence d'un motif d'intérêt général suffisant n'est absolument pas avérée, dès lors, que comme vu précédemment, l'objectif poursuivi par le législateur est d'ordre financier. L'exposé des motifs de l'article 52 évoque la décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 pour rejeter le grief de violation de la liberté contractuelle : dans cette décision, le Conseil constitutionnel jugeait acceptables les atteintes aux contrats en cours dès lors que le législateur prévoyait toute une série de garanties protectrices des locataires les plus faibles ou âgés, en plus de prévoir des mesures d'accompagnement. Or, ce n'est pas le cas dans l'article 52 : non seulement il ne permet pas réellement de favoriser l'accès au logement des plus modestes, mais, au contraire, les locataires sociaux les moins défavorisés profiteront le plus de la RLS.
    Pour l'ensemble de ces motifs, les requérants considèrent que l'article 126 de la loi de finances 2018 doit être déclaré inconstitutionnel.

    XIV. - Sur l'article 142 modifiant les engagements financiers de l'Etat

    L'article 142 de la loi de finances pour 2018 a pour objet de mettre un terme à la participation de l'Etat au titre du dispositif de majoration légale de certaines rentes viagères (31). Ce désengagement de l'Etat est justifié, selon l'exposé des motifs, par le fait que " l'avantage concédé par l'Etat aux organismes débirentiers après la Seconde Guerre mondiale dans un contexte de forte inflation n'est, désormais, plus justifié ".
    A cette fin, il modifie les articles 41 de la loi n° 83-1179 du 29 décembre 1983 et 6 de la loi n° 49-1098 du 2 août 1949 qui prévoient, d'une part, que les dépenses résultant de la majoration légale des rentes en cause incombent aux organismes débiteurs des rentes, spécialement les compagnies d'assurance, et, d'autre part, qu'" une part de ces dépenses leur est remboursée par un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations et alimenté par le budget de l'Etat ".
    A titre liminaire, il importe de souligner que le contrôle du Conseil constitutionnel pourra s'exercer, au-delà des dispositions abrogées, sur l'article 41, VIII, premier alinéa, de la loi de finances pour 1984, ainsi que sur l'article 6, première partie, de la loi du 2 août 1949, qui continuent de disposer que les dépenses " incombent " aux organismes débirentiers. La jurisprudence néo-calédonienne du Conseil constitutionnel est ici pleinement applicable.
    La constitutionnalité de l'article 142 n'est pas assurée notamment au regard des principes d'égalité devant les charges publiques, de garantie des droits, du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle.
    En ce qui concerne l'égalité devant les charges publiques, le désengagement de l'Etat conduit à soumettre les compagnies d'assurance à une sujétion nouvelle dont le bien-fondé doit d'abord être apprécié au regard du principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la Déclaration de 1789.
    A cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante que si ce dernier article " n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques " (32).
    Selon cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution la taxation au taux de 50 % des salariés et de l'employeur en cas de cumul d'une pension de retraite d'un régime obligatoire et de revenus d'activité (33).
    De même, dans un autre domaine, il a considéré que le législateur avait rompu de façon caractérisée l'égalité des citoyens devant les charges publiques en " mettant à la charge de l'hébergeant [au-delà de la prise en charge éventuelle par l'hébergeant des frais de séjour de la personne qu'il reçoit dans le cadre d'une visite familiale et privée] les frais de rapatriement éventuel de l'étranger accueilli, sans prévoir un plafonnement de ces frais, sans tenir compte ni de la bonne foi de l'hébergeant ni du comportement de l'hébergé et sans fixer un délai de prescription adapté " (34).
    Il en aurait été de même si, pour l'exercice d'une mission de police et de sécurité qui relève de la compétence exclusive de l'Etat, le législateur avait entendu en faire supporter le coût à une seule catégorie de contribuables alors que l'exercice de cette mission intéresse l'ensemble de ces derniers (35).
    Au cas présent, la mesure discutée est de nature à rompre l'égalité devant les charges publiques de façon caractérisée, en faisant supporter exclusivement aux compagnies d'assurance le poids financier d'une obligation légale instituée dans un objectif de solidarité nationale.
    D'une part, il est manifeste que la majoration légale des rentes est justifiée par une exigence de solidarité nationale. L'exposé des motifs de l'article souligne que la majoration légale de certaines rentes viagères était destinée à " protéger les bénéficiaires […] des effets de la forte inflation observée après la Seconde Guerre mondiale ".
    D'autre part, l'instauration du dispositif de majoration des rentes légales est motivée par la volonté du Parlement de l'époque de contrer les effets de l'érosion monétaire, qui sont exclusivement imputables à l'Etat. Or, la mesure en cause conduit à faire assumer à des particuliers une charge financière dont la cause est une obligation que l'Etat s'impose à lui-même. Qui plus est, trois raisons démontrent qu'elle méconnaît l'égalité devant les charges publiques :

    - d'abord, le principe même de la majoration légale des rentes n'est, aujourd'hui, plus justifié. Les documents parlementaires soulignent que l'instauration de ce dispositif est liée à des raisons circonstancielles qui ont disparu. Il n'existe donc plus de motif d'intérêt général susceptible d'en justifier le maintien. Or, une charge publique ne peut être imposée que dans les limites de l'intérêt général ;
    - ensuite, les sociétés d'assurance n'ont jamais bénéficié d'un quelconque avantage à raison de la majoration légale des rentes, à la différence des crédirentiers. La mesure ne saurait donc être valablement justifiée par la suppression d'un avantage en leur faveur, quel qu'il soit. Le motif d'intérêt général fait défaut ;
    - enfin, la charge imposée aux assureurs est excessive et, de ce fait, cause d'une rupture caractérisée du principe d'égalité. C'est, en effet, la totalité de la charge financière afférente à ce dispositif qui est supportée par les débirentiers.

    En ce qui concerne la garantie des droits, la rupture d'égalité devant les charges publiques se double d'une atteinte à la garantie des droits qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789. En vertu de ce principe, le législateur ne saurait porter aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant. De surcroît, le Conseil constitutionnel a étendu cette protection aux effets qui peuvent être légitimement attendus de telles situations (36).
    En l'occurrence, la mesure discutée est la cause d'une atteinte grave à la garantie des droits qui ne saurait être suffisamment justifiée par l'objectif que poursuit le législateur.
    D'une part, une attente légitime existe certainement dans le chef des compagnies d'assurance au maintien de la participation financière de l'Etat, puisque le législateur, jusqu'à présent, n'a jamais remis en cause le mécanisme de financement solidaire du dispositif de majoration légale des rentes.
    Tout au contraire, il a sans cesse renouvelé son engagement de revalorisation annuelle de certaines rentes viagères, sans en modifier les principes de financement. Ainsi, même lorsque l'Etat a limité sa part à 10 % du montant des majorations légales afférentes aux rentes résultant de contrats souscrits à compter du 1er janvier 1977, cette limitation est intervenue à cadre législatif constant.
    Dans ces conditions, la mesure ici discutée, qui bouleverse un système en place depuis la loi du 2 août 1949, certes aménagé mais jamais modifié de façon substantielle, remet en cause brutalement une espérance légale au maintien de la participation financière de l'Etat.
    D'autre part, compte tenu de la gravité de ce changement, le motif d'intérêt général mis en avant par l'exposé des motifs, à savoir mettre fin à un " avantage [qui] n'est plus justifié ", ne saurait être considéré comme suffisant au regard de la jurisprudence constitutionnelle.
    La préservation des finances publiques de l'Etat ne peut, en effet, constituer un tel motif de nature à justifier l'atteinte portée à l'espérance légale des compagnies d'assurance.
    D'abord, l'intérêt des finances publiques aurait logiquement dû conduire le législateur à mettre fin au dispositif de majoration des rentes, ce qu'il n'a pas fait. La mesure apparaît ainsi aussi intrinsèquement incohérente.
    Ensuite, si la participation de l'Etat a progressivement diminué, la charge que représente la majoration légale des rentes pour le budget de l'Etat tend également à décroître, tandis qu'il s'agit d'une charge immédiate et lourde pour les assureurs. L'impératif de sécurité juridique interdit que le désengagement de l'Etat soit aussi brutal et conduise à reporter sur des opérateurs privés l'intégralité de la charge d'un financement de moins en moins contraignant pour les finances publiques.
    Enfin, l'atteinte est d'autant moins justifiée que le législateur a exclu de la mesure en cause la majoration des rentes au profit des anciens combattants et victimes de guerre ainsi que celles allouées en réparation d'un préjudice et prises en charge par le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages.
    En outre, le désengagement financier de l'Etat porte une atteinte grave et non justifiée au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre des assureurs garantis notamment par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
    En effet, ce désengagement oblige les organismes débirentiers à affecter certains provisionnements à la majoration des rentes servies aux crédirentiers, alors que l'obligation de majoration ne pèse pas sur eux mais sur l'Etat. Dans ces conditions, l'atteinte à la propriété et à la liberté d'entreprendre ne peut être regardée comme justifiée par un motif d'intérêt général.
    En dernier lieu, les dispositions en cause portent une atteinte tout aussi grave et non justifiée à la liberté contractuelle des assureurs qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789.
    Ces dispositions conduisent en effet à modifier les engagements contractuels des assureurs vis-à-vis des crédirentiers, sans qu'ils y aient consenti, sans motif d'intérêt général.
    L'article 142 de la loi de finances doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
    Les sénateurs soussignés compléteront, le cas échéant, cette demande dans des délais raisonnables.

    (1) Conseil constitutionnel, 4 décembre 2013, n° 2013-679 DC, cons. 51.
    (2) Conseil constitutionnel, 5 août 2015, n° 2015-715 DC, cons. 78 ; 28 décembre 2000, n° 2000-41 DC, cons. 41.
    (3) Conseil constitutionnel, 29 juillet 1998, n° 98-403 DC, cons. 85 ; 10 janv. 2001, n° 2000-440 DC, cons. 6 ; 12 janvier 2002, n° 2001-455 DC, cons. 31, 34 et 95 ; 20 nov. 2003, n° 2003-484 DC, cons. 10 ; 27 février 2007, n° 2007-550 DC, cons. 4 ; 29 déc. 2009, n° 2009-599 DC, cons. 72 ; 20 janvier 2011, n° 2010-624 DC, cons. 17 ; 20 mars 2014, n° 2014-691 DC, cons. 8, 11, 12 et 16 ; 23 mars 2016, n° 2015-529 QPC, cons. 1 et 11 à 13.
    (4) Conseil constitutionnel, 16 janvier 1986, n° 85-200 DC, cons. 16 et 17.
    (5) D'après Les Cahiers du Conseil Constitutionnel n° 6, commentaire de la décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998.
    (6) Conseil constitutionnel, 19 décembre 2000, n° 2000-437 DC.
    (7) Conseil constitutionnel, 29 septembre 2010, n° 2010-44 QPC.
    (8) Conseil constitutionnel, 29 décembre 2009, n° 2009-599 DC.
    (9) Conseil constitutionnel, 14 juin 2013, n° 2013-323 QPC.
    (10) Conseil constitutionnel, 29 déc. 2005, n° 2005-530 DC, cons. 90 et 93 à 98.
    (11) Conseil constitutionnel, 14 juin 2013, n° 2013-323 QPC.
    (12) Recensement de 2010.
    (13) Ibid.
    (14) Décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, Journal officiel du 4 mai 2005 n° 103, cons. 14.
    (15) Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, Journal officiel du 24 avril 2005, p. 7173, texte n° 2, cons. 9, Rec. p. 72 ; décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Journal officiel du 3 août 2006, p. 11541, texte n° 2, cons. 9, Rec. p. 88 ; décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Journal officiel du 26 juin 2008, p. 10228, texte n° 3, cons. 25, Rec. p. 313 ; décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008, Journal officiel du 29 juillet 2008, p. 12151, texte n° 2, cons. 39, Rec. p. 341.
    (16) Décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985, Journal officiel du 12 juillet 1985, p. 7888, cons. 3 à 5, Rec., p. 46.
    (17) DC n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017.
    (18) Evaluation préalable des articles du PLF pour 2018, p. 119.
    (19) Rapport fait au nom de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2018, Sénat, n° 108, page 285.
    (20) Cf. notamment Cons. const., 25 novembre 2016, n° 2016-598 et Cons. const., 1er mars 2017, n° 2016-614 QPC.
    (21) 5.000.001 - (3.000.000,6 + ((4.999.999 - 3.000.000,6) × 50 %) = 1.000.0001.
    (22) Pour des illustrations récentes : décision n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017, décision n° 2016-620 QPC du 30 mars 2017, décision n° 2017-679 QPC du 15 décembre 2017.
    (23) Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur le projet de loi de finances 2018, ANIe, 17 octobre 2017, http://discours.vie-publique.frinotices/173001946.1-ml.
    (24) 2003-477 DC, 31 juillet 2003, cons. 17 à 23.
    (25) Déc. 98-403 DC du 29 juillet 1998 ; aj. 96-373 DC, 9 avril 1996, cons. 20 et 22.
    (26) Etant précisé que l'article L. 1614-1-1 du CGCT prévoit lui aussi ce même principe.
    (27) A l'exception des réglons d'outre-mer et de la Corse, en raison des spécificités liées à l'architecture de leurs ressources et notamment du poids bien plus faible des impositions locales. En effet, ces collectivités disposent d'une fiscalité spécifique qui compense la faiblesse de la fiscalité directe locale.
    (28) Conseil constitutionnel, décision n° 91-304 DC du 15 janvier 1992, Loi modifiant les articles 27, 28, 31 et 70 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, paragraphes 14-15 ; v. aussi Conseil constitutionnel, décision n° 97-395 DC, 30 déc. 1997, paragraphe 23 ; décision n° 2009-578 DC, paragraphe 19 ; décision n° 2009-584 DC, 16 juill. 2009, paragraphe 18 ; décision n° 2009-588 DC, 18 mars 2009, paragraphe 19 ; décision n° 2012-660 DC, 17 janv. 2012, paragraphe 14.
    (29) Conseil constitutionnel, décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010, Cotisations sociales des sociétés d'exercice libéral, paragraphe 6.
    (30) CC, n° 2016-736 DC, 4 août 2016.
    (31) Cette mesure entrerait en vigueur le 1er janvier 2018, elle n'affecte pas les versements de l'Etat correspondant aux rentes versées en 2017 par les organismes débirentiers.
    (32) Cons. const., décision n° 2007-550 DC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 4.
    (33) Cons. const., décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986, Loi relative à la limitation des possibilités de cumul entre pensions de retraite et revenus d'activité, cons. 17 à 19.
    (34) Cons. const., décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 12.
    (35) Cons. const., décision n° 2007-1 LOM du 3 mai 2007, Compétences fiscales en Polynésie française, cons. 5.
    (36) Cons. const., décision n° 2013-682 DC, 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 16 et 17.

Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 444 Ko
Retourner en haut de la page