Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 18 mars 2020, 19-11.573, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mars 2020




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 215 FS-P+B

Pourvoi n° X 19-11.573

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme S... H... .
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 juin 2019.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 MARS 2020

M. N... I..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° X 19-11.573 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2018 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme S... H..., épouse I..., domiciliée [...],

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Toulouse, domicilié en son parquet général, 31068 Toulouse cedex 7,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de M. I..., de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme H..., et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 11 février 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mmes Poinseaux, Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 décembre 2018), M. I..., de nationalité française, et Mme H..., de nationalité marocaine, se sont mariés le [...] à Fès (Maroc). Leur mariage a été transcrit sur les registres de l'état civil consulaire par le consul de France à Fès le 23 mars 2004. De leur union sont nés trois enfants. Mme H... a obtenu la nationalité française en juillet 2014. Après avoir déposé une requête en divorce le 27 janvier 2015, elle a assigné son époux en divorce pour faute le 4 février 2016. Le 30 juin suivant, celui-ci a saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation du mariage.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. I... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du mariage célébré le [...] à Fès (Maroc) alors « que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables en recherchant, au besoin d'office, la teneur du droit étranger applicable dans la limite de sa conformité à l'ordre public international français ; que le consentement des époux constitue une règle de fond du mariage ; que la loi étrangère qui prévoit que le mariage peut être célébré en l'absence de l'épouse, sur le fondement d'une simple procuration donnée par celle-ci, est manifestement incompatible avec l'ordre public international français ; qu'en jugeant le contraire, au motif qu'aucune disposition de la loi marocaine ne prévoit la présence obligatoire de la future épouse au mariage, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 12 du code de procédure civile, outre les articles 146 et 180 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Aux termes de l'article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage tels que l'âge matrimonial et le consentement de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité.

4. Selon l'article 4 de cette Convention, la loi de l'un des deux Etats désignés par elle ne peut être écartée par les juridictions de l'autre Etat que si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public.

5. Aux termes de l'article 202-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2014, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.

6. Aux termes de l'article 146 du code civil, il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.

7. Aux termes de l'article 146-1 du même code, le mariage d'un Français, même contracté à l'étranger, requiert sa présence.

8. Cette disposition, qui pose une condition de fond du mariage régie par la loi personnelle des époux (1re Civ., 15 juillet 1999, pourvoi n° 99-10.269, Bull. 1999, I, n° 244), requiert la présence des seuls français lors de leur mariage contracté à l'étranger.

9. Il résulte de la combinaison de ces textes que la présence de l'épouse marocaine à son mariage, en tant qu'elle constitue une condition de fond du mariage, est régie par la loi marocaine. En l'absence de contestation touchant à l'intégrité du consentement, la disposition du droit marocain qui autorise le recueil du consentement d'une épouse par une procuration n'est pas manifestement incompatible avec l'ordre public, au sens de l'article 4 précité, dès lors que le droit français n'impose la présence de l'époux à son mariage qu'à l'égard de ses seuls ressortissants.

10. L'arrêt relève que Mme H... était de nationalité marocaine au jour du mariage, de sorte que les conditions de fond du mariage étaient régies, pour elle, par la loi marocaine. Il ajoute que cette loi, dans sa rédaction applicable à la date du mariage, prévoit que la future épouse mandate son wali pour la conclusion de l'acte de mariage, sans imposer sa présence. Il constate que l'acte de mariage litigieux mentionne que Mme H..., qui n'était pas présente, a donné son autorisation, son consentement et la procuration à cette fin à son père. Il relève encore qu'elle a vécu plus de treize années avec son époux avant de déposer une demande en divorce et a créé une famille en ayant eu trois enfants.

11. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a constaté la réalité du consentement à mariage, a exactement déduit, sans violer l'ordre public international, que le mariage était régulier.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. I... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. I... et le condamne à payer la somme de 3 000 euros à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. I...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. N... I... de sa demande d'annulation du mariage contracté avec Mme S... H... célébré le [...] à Fès au Maroc ;

AUX MOTIFS QUE sur la loi applicable, en vertu des dispositions de l'article 202-1 du code civil, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle ; que quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180 ; que l'article 5 de la convention franco-marocaine du 10 août 1891 prévoit que les conditions de fond du mariage, telles que l'âge ou le consentement sont régies pour chacun des époux par la loi de celui des deux états dont il a la nationalité ; que l'article 202-2 du code civil dispose que le mariage est valablement célébré s'il l'a été conformément aux formalités prévues par la loi de l'Etat sur le territoire duquel la célébration a eu lieu ; que l'article 6 de la convention franco-marocaine du 10 août 1891 précise que les conditions de forme du mariage sont régies par la loi de l'Etat dont l'autorité célèbre le mariage ; que l'article 6, alinéa 4, de ladite convention dispose que le mariage sur le territoire marocain d'un époux de nationalité marocaine et d'un époux de nationalité française ne peut être célébré par les adouls que sur présentation par l'époux français du certificat de capacité matrimoniale délivré par les fonctionnaires consulaires français ; que les adouls célèbrent le mariage selon les formes prescrites par le statut personnel du futur époux de nationalité marocaine ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que M. I... est de nationalité française et Mme H... de nationalité marocaine ; qu'ils se sont mariés le [...] à Fès au Maroc ; qu'en conséquence, les conditions de fond nécessaires à la validité du mariage quant au consentement de Mme H... sont régies par la loi marocaine ; qu'il en est de même pour les conditions de formes du mariage célébrées au Maroc ; que sur la validité du mariage, il appartient à M. I... , demandeur à l'action, de rapporter la preuve de l'absence de validité du mariage que le code de la famille marocaine n'étant entré en vigueur que le 5 février 2004, le litige doit être examiné en vertu des Dahirs des 22 novembre et 18 décembre 1957 et des 25 janvier, 20 février et 4 avril 1958 ; qu'en vertu de l'article 12 des Dahirs invoqués, le tuteur matrimonial ne peut conclure le mariage sans avoir reçu mandat de la femme à cette fin ; que la femme mandate son Wali pour la conclusion de l'acte de mariage ; que tel a été le cas en l'espèce, l'acte de mariage mentionnant que Mlle H... a donné son autorisation, son consentement et la procuration à cette fin et les deux Adouls témoins ayant reçu la déclaration de l'épouse à cette fin ; qu'aucune disposition ne prévoit en telle circonstance la présence obligatoire de la future épouse au mariage (et donc sa signature laquelle est donnée lors de la procuration) ; que conformément aux dispositions des articles 41 et 42 des Dahirs, l'acte de mariage a bien été signé par les deux Adouls instrumentaires de l'acte avec la mention du nom, prénom et signature du juge chargé du notariat, l'acte de mariage mentionne l'existence des certificats médicaux pour chacun des futurs époux (certificats du docteur B... F... P...), les attestations administratives pour chacune des parties est mentionnée, les dates de naissance des époux sont mentionnées ainsi que leur filiation ; que si une erreur affecte la date de naissance de M. I... , il lui appartient de faire procéder à cette rectification mais cette éventuelle erreur ne saurait affecter la validité du mariage ; qu'enfin, la publication des bans n'est pas prévue selon le certificat de coutume produit par M. I... ni dans les dahirs susvisés ; que M. I... ne rapporte par aucune pièce utile l'existence d'irrégularités permettant d'invalider son mariage célébré au Maroc, conformément aux dispositions applicables ; que le courrier d'un officier d'état civil du 21 décembre 2017 en réponse à celui de M. I... (non produit) indiquant qu'il n'avait pas fait publier les bans comme le prévoit l'article 63 du code Français et indiquant que le mariage avait été célébré sans délivrance du certificat de capacité à mariage ne vient aucunement contredire de manière probante les constatations faites ciavant ; qu'il ne peut être déduit aucune conséquence du mail du 28 juillet 2017 du service central d'état civil de Nantes répondant à une demande de M. I... (non produite), indiquant qu'il ne détient pas les pièces d'état civil sollicitées et lui rappelant que le certificat de capacité à mariage et la publication des bans n'ont d'autres utilité que la transcription ; qu'au surplus, il convient de relever qu'en vertu des dispositions de l'article 171-8 du code civil, le mariage transcrit sur les actes d'état-civil laisse présumer du respect des formalités prévues par l'article 171-2 du code civil ; que la transcription du mariage a bien été effectuée le 23 mars 2004 par l'officier d'état civil par délégation du Consul général de France à Fès sur la production d'une expédition de l'acte original, dûment traduite et des actes de naissance des époux, remis par l'époux. Mme H... verse au débat copie de son acte de naissance délivré par le service d'Etat civil de Nantes portant mention de ladite transcription par les copies produites par M. I... des actes de naissance par l'état civil des communes des lieux de naissance respectifs des époux ne sont aucunement significatives en l'absence de traduction officielle et comportant de grossières erreurs (M est âgé de zéro an) ; qu'en conséquence, il convient de retenir que M. I... ne rapporte pas la preuve que le mariage ne serait pas valide en raison du non-respect de formalités ; que quant au défaut de consentement de Mme H... laquelle n'aurait été animée d'aucune intention conjugale selon M. I... mais n'aurait eu comme seul but d'acquérir la nationalité française, il n'est rapporté aucune preuve probante ; que si en effet l'épouse a fait des démarches pour acquérir la nationalité française et l'a obtenue en 2014, il convient de relever que le couple a vécu plus de treize années ensemble et a eu trois enfants ; que la différence d'âge des époux, le fait pour l'épouse d'effectuer des voyages au Maroc pendant la vie commune, les différences de conception d'éducation des enfants et les griefs invoqués par le mari lors de la procédure de divorce en cours diligentée par son épouse ne peuvent en rien démontrer l'absence d'intention matrimoniale de Mme H... ;

ALORS QUE le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables en recherchant, au besoin d'office, la teneur du droit étranger applicable dans la limite de sa conformité à l'ordre public international français ; que le consentement des époux constitue une règle de fond du mariage ; que la loi étrangère qui prévoit que le mariage peut être célébré en l'absence de l'épouse, sur le fondement d'une simple procuration donnée par celleci, est manifestement incompatible avec l'ordre public international français ; qu'en jugeant le contraire, au motif qu'aucune disposition de la loi marocaine ne prévoit la présence obligatoire de la future épouse au mariage (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 11), la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 12 du code de procédure civile, outre les articles 146 et 180 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2020:C100215
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