Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 novembre 2019, 16-15.867, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que V... P... est décédé le [...], laissant pour lui succéder son épouse, I... R... ; que les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient adopté en 1988 le régime de la communauté universelle ; que, soutenant que son époux avait diverti des fonds au profit de Mme W... L..., avec laquelle il entretenait une relation adultère, I... R... a assigné cette dernière pour en obtenir la restitution ; que I... R... étant décédée en cours d'instance, son frère, M. O... R... est intervenu volontairement en sa qualité de légataire universel ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme W... L... fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des donations de 200 000 et 120 000 euros consenties par V... P... à son profit et de la condamner à payer ces sommes à M. R... alors, selon le moyen :

1°/ que chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s'être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ; qu'en l'espèce, Mme W... L... faisait valoir que les pensions de retraite de M. P... ne constituaient qu'une partie de ses revenus et sollicitait la production des déclarations de revenus et d'ISF manquants ; qu'en se fondant pour apprécier la validité des donations litigieuses, sur le montant des pensions de retraite perçues par M. P... soit la somme de 96 704 euros, sans s'expliquer comme elle y était invitée sur les autres revenus de M. P... et en considérant au contraire que les demandes de Mme W... relatives aux éléments manquants sur les déclarations de revenus et déclarations d'ISF faites en France depuis 2001 ne seraient pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et qu'il n'y aurait donc pas lieu de statuer de ce chef, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1422 et 223 du code civil ;

2°/ qu'alors, en tout état de cause, que chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s'être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ; qu'en annulant l'intégralité des donations consenties en 2004 à Mme W... L... après avoir constaté qu'il résulte de la déclaration de revenus pour l'année 2004 que V... P... avait perçu au titre de ses pensions de retraite la somme de 96 704 euros, ce dont il résulte que les donations étaient valables au moins à hauteur de ces gains et salaires, la cour d'appel a violé les articles 223, 1422 et 1427 du code civil ;

Mais attendu que ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées ;

Et attendu que, par motifs adoptés, l'arrêt relève que V... P... a remis à Mme W... L... deux chèques de 120 000 et 200 000 euros tirés sur deux de ses comptes personnels, lesquels avaient été alimentés par des virements provenant, pour le premier, du rachat d'un contrat d'assurance sur la vie, pour le second, de la liquidation d'un compte-titre ouvert au nom des deux époux en 1988 ; qu'il en déduit que même si certains de ces fonds provenaient des gains et salaires de V... P..., ils étaient devenus des économies et ne constituaient donc plus des gains et salaires, de sorte qu'en application de l'article 1422 du code civil, les donations ainsi consenties, sans l'accord de son épouse, devaient être annulées ; que, par ces seuls motifs, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef ;

Mais sur le second moyen, pris en ses trois branches :

Vu l'article L. 132-9 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, et l'article L. 132-21 du même code, ensemble l'article 894 du code civil,

Attendu, selon ces textes, qu'en l'absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ;

Attendu que, pour requalifier en donations indirectes les contrats d'assurance sur la vie que V... P... a souscrit en désignant Mme W... L... comme bénéficiaire, l'arrêt énonce, d'abord, qu'un tel contrat peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable et que tel est le cas lorsque celui-ci a consenti à l'acceptation de sa désignation par le bénéficiaire dans la mesure où, en une telle hypothèse, il est alors privé de toute possibilité de rachat ; qu'il relève, ensuite, que, le 28 septembre 2004, Mme W... L... et V... P... ont signé une lettre par laquelle ils demandaient à l'assureur d'enregistrer l'accord de Mme W... L..., bénéficiaire acceptante des contrats d'assurance ; qu'il en déduit, enfin, que celui-ci ayant ainsi consenti à cette acceptation, il s'est dépouillé irrévocablement de sorte que les contrats doivent être requalifiés en donation indirecte ;

Qu'en statuant ainsi, sans constater une renonciation expresse de V... P... à l'exercice de son droit de rachat garanti par le contrat, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie les contrats d'assurance sur la vie Livret Gaipare n° [...] et Premium Line n° [...] en donations indirectes, prononce leur nullité et condamne Mme W... L... à verser à M. R... la somme de 604 041,44 euros au titre du compte n° [...] Livret Gaipare et celle de 156 583,62 euros au titre du contrat d'assurance-vie Premium Line n° [...], l'arrêt rendu le 27 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne M. R... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme W... L....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité de la donation de 200.000 euros consentie par M. P... au profit de Mme F... W... et d'avoir en conséquence, condamné Mme W... à régler à M. R... es qualités de légataire universel de Mme P... la somme de 200.000 euros, dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal dus à compter du 1er juin 2005, et au besoin, condamné Mme W... au versement des intérêts, d'avoir prononcé la nullité de la donation de 120.000 euros consentie par M. V... P... au profit de Mme W... et d'avoir en conséquence, condamné Mme W... à régler à M. R... es qualités de légataire universel de Mme P..., la somme de 120.000 euros, dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal dus à compter du 11 octobre 2007, et au besoin, condamné Mme W... au versement des intérêts ;

Aux motifs que selon l'article 223 du code civil chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s'être acquitté des charges du mariage ; que cependant aux termes de l'article 1422 du même code, « les époux ne peuvent l'un sans l'autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté » et que selon l'article 1427 du code civil, « si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation » ; qu'il résulte de la déclaration de revenus pour l'année 2004 que V... P... avait perçu au titre de ses pensions de retraite la somme de 96.704 euros de sorte que la donation de la somme globale de 320.000 euros pendant le mois d'aout 2004 correspond au montant de ses pensions de retraite pendant plus de trois ans ; que la remise par M. V... P... à Mme W... des sommes de 120.000 et 200.000 euros dépasse la libre disposition de ses gains et salaires que l'article 223 du code civil permet à tout époux quel que soit son régime matrimonial ; qu'en conséquence, son épouse n'ayant pas ratifié ces actes, était fondée à en demander l'annulation de sorte que son ayant droit M. R... est également fondé dans sa demande d'annulation de ces donations ; que les demandes de Mme W... relatives aux éléments manquants sur les déclarations de revenus et déclarations d'ISF faites en France depuis 2001 ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et il n'y a donc pas lieu de statuer de ce chef ;

1°- Alors que chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s'être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ; qu'en l'espèce, Mme W... faisait valoir que les pensions de retraite de M. P... ne constituaient qu'une partie de ses revenus et sollicitait la production des déclarations de revenus et d'ISF manquants ; qu'en se fondant pour apprécier la validité des donations litigieuses, sur le montant des pensions de retraite perçues par M. P... soit la somme de 96.704 euros, sans s'expliquer comme elle y était invitée sur les autres revenus de M. P... et en considérant au contraire que les demandes de Mme W... relatives aux éléments manquants sur les déclarations de revenus et déclarations d'ISF faites en France depuis 2001 ne seraient pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et qu'il n'y aurait donc pas lieu de statuer de ce chef, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1422 et 223 du code civil ;

2°- Alors en tout état de cause, que chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s'être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ; qu'en annulant l'intégralité des donations consenties en 2004 à Mme W... après avoir constaté qu'il résulte de la déclaration de revenus pour l'année 2004 que V... P... avait perçu au titre de ses pensions de retraite la somme de 96.704 euros, ce dont il résulte que les donations étaient valables au moins à hauteur de ces gains et salaires, la Cour d'appel a violé les articles 223, 1422 et 1427 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir requalifié les contrats d'assurance vie Livret Gaipare n° [...] et Premium Line n° [...] en donations indirectes, prononcé la nullité de ces donations indirectes, d'avoir condamné Mme W... à verser à M. R... es qualités de légataire universel de Mme P..., la somme de 604.041,44 euros au titre du compte n° [...] Livret Gaipare, dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal dus à compter du 24 mai 2007 et au besoin, condamné Mme W... au versement des intérêts, et d'avoir condamné Mme W... à verser à M. R... es qualités de légataire universel de Mme P... la somme de 156.583,62 euros au titre du contrat d'assurance-vie Premium Line n° [...], avec intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2007 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

Aux motifs que comme l'ont jugé les premiers juges, un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ; que tel est le cas lorsque le souscripteur a consenti à l'acceptation de sa désignation par le bénéficiaire ;

qu'en effet dans cette hypothèse le souscripteur est privé de toute possibilité de rachat de sorte que l'acceptation de sa désignation par le bénéficiaire avec l'accord du souscripteur constitue l'acte visé par l'article 984 du code civil aux termes duquel « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte » ; qu'en l'espèce, par lettre du 28 septembre 2004 adressée à Gaipare-AGF et signée de Mme W... et V... P..., ces derniers demandent « d'enregistrer l'accord de Mme F... W..., bénéficiaire acceptante des contrats d'assurance Gaipare et Premium Line dont les références sont les suivantes :
Livret Gaipare n° [...]
Premium Line n° [...] », Mme W... donnant son accord pour la modification des clauses bénéficiaires en ce sens qu'en cas de décès du souscripteur avant le terme du contrat, elle en sera bénéficiaire, et à défaut son fils, U... H... W... ; qu'il résulte de cette lettre que la bénéficiaire, Mme W... a accepté sa désignation et que V... P... a consenti à cette acceptation, pour laquelle, avant la loi du 18 décembre 2007, aucun formalisme ou délai n'étaient imposés de sorte que Mme W... ne peut soutenir que son acceptation était hors délai ; qu'aucun autre contrat d'assurance-vie souscrit par V... P... n'a fait l'objet d'une acceptation par sa bénéficiaire et d'un accord du souscripteur quant à cette acceptation le privant de sa faculté de rachat ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont dit que les contrats Livret Gaipare [...] et Premium Line n° [...] doivent être requalifiés en donations indirectes, V... P... s'étant ainsi dépouillé irrévocablement et que cette requalification devait être limitée à ces deux contrats, M. R... étant débouté de sa demande au titre des contrats d'assurance-vie n°[...] et [...] souscrits auprès du GIE Afer ; que ces donations doivent être annulées en application de l'article 1427 du code civil ; que M. R... soutient qu'au titre du contrat Gaipare, Mme W... a perçu deux fois la somme de 604.041,44 euros dès lors qu'il y avait deux contrats, l'un n° 2009 et l'autre n° 255 ; que toutefois dans la lettre précitée du 28 septembre 2004 il n'est fait état que d'un contrat de sorte que l'acceptation du bénéficiaire accompagnée du consentement du souscripteur ne porte que sur ce contrat et qu'en outre si M. R... produit deux documents (des captures d'écran informatiques) mentionnant cette somme de 604.041,44 euros, force est de constater que le n° de règlement est le même, soit le 1465624 de sorte que la preuve d'un règlement de la même somme à deux reprises n'est pas établi ; qu'en ce qui concerne la demande au titre de Premium Line la somme de 161.632,46 euros figure sur un document qui ne porte aucune mention permettant de la rattacher à ce contrat ; qu'en revanche la somme de 156.583,62 euros figure sur un document qui retrace les opérations relatives au contrat Premium Line n° [...] résilié pour décès le 25 mai 2005 à effet au 26 avril 2005, de sorte qu'il convient de faire droit à la demande de M. R... au titre de ce contrat à concurrence de cette somme et de condamner Mme W... au paiement de 156.583,62 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2007, infirmant le jugement de ce chef ;

1°- Alors que lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d'assurance sur la vie, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation n'est pas fondé à s'opposer à la demande de rachat du contrat en l'absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit ; qu'en énonçant qu'il suffirait que le souscripteur ait consenti à l'acceptation de sa désignation par le bénéficiaire pour être privé de toute possibilité de rachat, la Cour d'appel a violé les articles L 132-9 du code des assurances dans sa rédaction applicable à la cause et L 132-21 du même code ;

2°- Alors qu'en se bornant, pour dire que V... P... s'était dépouillé irrévocablement et requalifier les contrats d'assurance vie de donation indirecte, à constater que par lettre du 28 septembre 2004 adressée à l'assureur, M. P... avait consenti à l'acceptation de la clause bénéficiaire par Mme W..., sans caractériser la renonciation expresse de M. P... à son droit de rachat, la Cour d'appel a violé les articles L. 132-9 du code des assurances dans sa rédaction applicable à la cause, L. 132-21 du même code et 1134 du code civil ;

3°- Alors que la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte ; que ne peut être qualifié de donation indirecte, le contrat d'assurance-vie dont le souscripteur a conservé la faculté de rachat ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé l'article 894 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2019:C100963
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