Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 4 juillet 2019, 18-13.853, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale ;

Attendu que ce texte institue en faveur des victimes d'infractions un régime d'indemnisation autonome, répondant à des règles qui lui sont propres, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (la CIVI) devant fixer le montant de l'indemnité allouée en fonction des éléments de la cause, sans être tenue par la décision de la juridiction précédemment saisie ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z... U..., né le [...] dans un hôpital parisien, a été victime d'une anoxie prolongée entraînant des lésions cérébrales irréversibles à la suite de complications durant l'accouchement ; que, saisi par ses parents, M. E... U... et Mme W... U..., agissant en qualité d'administrateurs légaux de celui-ci et à titre personnel, le tribunal administratif de Paris a retenu la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (l'AP-HP) et statué sur leurs demandes d'indemnisation ; que sur appel de l'AP-HP la cour administrative d'appel de Paris s'est ensuite prononcée ; que par requête déposée le 8 juin 2013, M. E... U..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de tuteur de M. Z... U..., Mme W... U..., Mme Q... U... et M. X... U... ont saisi une CIVI afin de voir ordonner une expertise médicale de M. Z... U... et d'obtenir le versement d'indemnités provisionnelles ;

Attendu que pour statuer comme elle l'a fait après avoir constaté que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ne contestait pas que M. Z... U... avait été victime de faits présentant le caractère matériel d'une infraction, la cour d'appel a retenu qu'étaient irrecevables devant la CIVI les demandes, formées tant par M. E... U... en sa qualité de tuteur de M. Z... U... que par M. E... U... et Mme W... U... en leur nom personnel, qui portaient sur des postes de préjudices intégralement réparés par les juridictions administratives ;

Qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'à l'exception du poste de préjudice de la perte de chance professionnelle, le préjudice de M. Z... U... a fait l'objet d'une réparation intégrale par la juridiction administrative, de sorte que ses demandes présentées des mêmes chefs devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions sont irrecevables, décharge le docteur B... de la mission d'expertise qui lui avait été confiée par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions, à supposer que cette mission n'ait pas encore été achevée, et dit que M. E... U... et Mme W... U..., dont le préjudice personnel a été intégralement indemnisé par la juridiction administrative, sont irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 18 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer à M. E... U..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de tuteur de M. Z... U..., Mme W... U..., Mme Q... U... et M. X... U... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. E... U..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de tuteur de M. Z... U..., Mmes W... et Q... U... et M. X... U...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit qu'à l'exception du poste de préjudice de la perte de chance professionnelle, le préjudice de Z... U... avait fait l'objet d'une réparation intégrale par la juridiction administrative, de sorte que ses demandes présentées des mêmes chefs devant la CIVI étaient irrecevables, D'AVOIR déchargé le Docteur B... de la mission d'expertise qui lui avait été confiée par la CIVI, à supposer que cette mission n'ait pas encore été achevée, et D'AVOIR dit les époux U..., dont le préjudice personnel avait été intégralement indemnisé par la juridiction administrative, irrecevables en leurs demandes ;

AUX MOTIFS QUE "l'article 706-3 du code de procédure pénale dispose que toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne lorsque sont réunies les conditions précisées aux 1°, 2° et 3° du même article ; le FGTI ne conteste pas que les négligences, relevées par les experts commis par le tribunal administratif, imputables au personnel médical de l'hôpital BICHAT, c'est à dire l'absence de prescription d'une radiopelvimétrie, l'absence de reconnaissance de la souffrance foetale et d'examen du tracé de monitorage, l'abstention d'une décision de césarienne tempestive et la tentative d'application de forceps non conforme aux données "actuelles" de la science, sont constitutives d'une infraction de blessures involontaires et que Z... U... a été victime de faits involontaires qui présentent le caractère matériel d'une infraction ; à l'appui de son appel, il soutient cependant que Z... U... et ses parents, M. E... U... et Mme W... U..., ont obtenu de la juridiction administrative dont la compétence est exclusive pour statuer tant sur la responsabilité d'une personne morale de droit public que sur le montant de sa dette, la réparation intégrale de tous les postes de préjudice qui étaient revendiqués par la requête indemnitaire analysée successivement par le tribunal administratif, la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat, à l'exception cependant de la perte de chance professionnelle subie par Z... U... ; il considère que le principe d'autonomie de la CIVI n'est posé par l'article 706-7 du code de procédure pénale que par rapport aux décisions rendues en matière pénale ; au visa de l'article 31 du code de procédure civile, il prétend que la requête est irrecevable ; il ajoute qu'en ce qui concerne les victimes par ricochet, d'une part l'action est forclose puisque les faits datent du [...] et qu'aucune procédure pénale n'a jamais été engagée, d'autre part que Q... et X... U... sont nés après l'accident médical dont a été victime leur frère aîné et qu'ils ne peuvent en conséquence se prévaloir d'aucun préjudice subi par ricochet ; les consorts U... ne peuvent être suivis dans leur raisonnement en réponse consistant à faire valoir que quel que soit le régime d'indemnisation antérieur - pénal, civil, administratif - chaque victime a droit à la même évaluation souveraine par la CIVI laquelle est une juridiction autonome qui a l'obligation de réévaluer le préjudice fixé par une autre juridiction puis d'en déduire les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs au titre du même préjudice ; il appartient en effet à chaque ordre de juridiction de réparer le préjudice dans son intégralité ; il y a lieu en conséquence de rechercher si les consorts U... ont été intégralement indemnisés de leurs préjudices par la juridiction administrative ; en l'occurrence, il ressort des conclusions déposées devant le tribunal administratif le 24 juin 1997 par les consorts U... qu'était sollicitée la réparation des préjudices de l'incapacité temporaire totale, de l'incapacité permanente partielle, du préjudice économique de Z... U... alors âgé de 7 ans, de la tierce personne à temps complet, des frais futurs (petit matériel, matériel orthopédique et appareillage spécifique, véhicule adapté), du logement, du pretium doloris, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément et du préjudice d'établissement social, sexuel ; le tribunal administratif a en conséquence alloué en ce qui concerne Z... U... : - en réparation des troubles dans les conditions d'existence ainsi que des souffrances physiques et du préjudice esthétique la somme de 2.000.000 F, - sur justification des dépenses, le montant des frais non remboursés relatifs à l'acquisition d'un logement adapté dans la limite de la somme de 300.000 F, - une indemnité de 30.000 F au titre de certains frais d'appareillage non pris en charge par la sécurité sociale, les frais de renouvellement devant être remboursés ultérieurement tous les 5 ans dans la limite de cette somme au fur et à mesure de leur engagement, - une rente trimestrielle de 90 000 F correspondant aux frais d'assistance constante d'une tierce personne à compter de la naissance de l'enfant ; le tribunal a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice économique correspondant à la perte de chance professionnelle, le préjudice allégué ne pouvant être regardé comme certain ; devant la cour administrative d'appel, les consorts U... ont réitéré leur demande de réparation des mêmes postes de préjudice ; la cour, dans sa décision du 7 mai 2003, a évalué le préjudice corporel total de Z... U... directement imputable à la faute de l'AP-HP au cumul des sommes suivantes : - 500 000 € aux fins de réparation des troubles dans les conditions d'existence de l'enfant dont les 3/4 réparent les troubles de caractère physiologique, - 20.000 € au titre du préjudice esthétique, - 20.000 € au titre des souffrances physiques, - 4 131,32 € en remboursement des frais de matériels orthopédiques et appareillages spécifiques, - 45 000 € pour l'ensemble des besoins liés aux appareillages futurs, à l'achat d'une voiture adaptée et aux éventuelles adaptations du logement, soit après prise en compte et déduction de la créance de la CPAM, une somme unique et globale revenant à Z... U... de 589 131,32 € ; le recours formé par les consorts U... devant le Conseil d'Etat a été rejeté ; il s'ensuit ainsi que le fait valoir le FGTI que la demande de M. U... en sa qualité de tuteur de Z... U..., est irrecevable en ce qui concerne ces préjudices qui ont fait l'objet d'une réparation intégrale par un autre ordre de juridiction et ne peuvent dès lors plus être soumis à la CIVI ; cependant, le FGTI ne conteste pas que le préjudice de la perte de chance professionnelle n'a pas été indemnisé par la juridiction administrative ; dès lors, ses obligations n'étant pas subsidiaires, le FGTI n'est pas fondé à soutenir qu'il appartient à Z... U... représenté par son tuteur, de saisir la juridiction administrative au contradictoire de l'AP-HP ; une expertise médicale n'étant pas nécessaire à l'appréciation du préjudice professionnel d'une victime atteinte d'une incapacité permanente partielle de 97 %, seul préjudice restant en débat, il y a lieu de décharger le docteur B..., expert commis, de sa mission à supposer que celle-ci n'ait pas été achevée ; il appartiendra à Z... U... représenté par son tuteur de présenter sa demande d'indemnisation du préjudice de la perte de chance professionnelle à la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal de grande instance de PARIS ; M. U... et Mme U... ont été indemnisés de leur préjudice personnel par le tribunal administratif qui leur a alloué à chacun la somme de 120.000 F et cette disposition n'a pas été réformée par la cour administrative d'appel ; ayant obtenu la réparation intégrale de leur préjudice, ils sont irrecevables en leurs demandes devant la CIVI ; la juridiction administrative n'a pas réparé de préjudice en ce qui concerne Q... U... née le [...], et X... U... né le [...] ; pour les raisons exposées ci-dessus, il n'y a pas lieu de les renvoyer à saisir la juridiction administrative comme le demande le FGTI ; à ce stade de l'affaire, ils ne peuvent être dit mal fondés à solliciter la réparation d'un préjudice par ricochet puisqu'ils n'ont formulé aucune demande en ce sens et présenté aucun moyen" (arrêt pp. 4 à 6) ;

ALORS QUE 1°), l'article 706-3 du code de procédure pénale instituant en faveur des victimes d'infractions un mode de réparation autonome répondant à des règles qui lui sont propres, la CIVI fixe en fonction des éléments de la cause, le montant de l'indemnité allouée, sans être tenue par la décision de la juridiction précédemment saisie ; qu'en jugeant néanmoins que la demande de Monsieur U... en sa qualité de tuteur de Z... U... était irrecevable en ce qui concernait les préjudices qui avaient fait l'objet d'une réparation intégrale par un autre ordre de juridiction et ne pouvaient dès lors plus être soumis à la CIVI, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé l'article 706-3 du code de procédure pénale,

ALORS QUE 2°), l'article 706-3 du code de procédure pénale instituant en faveur des victimes d'infractions un mode de réparation autonome répondant à des règles qui lui sont propres, la CIVI fixe en fonction des éléments de la cause, le montant de l'indemnité allouée, sans être tenue par la décision de la juridiction précédemment saisie ; qu'en jugeant néanmoins que les époux U... avaient été indemnisés de leur préjudice personnel par le tribunal administratif et qu'ayant obtenu la réparation intégrale de leur préjudice, ils étaient irrecevables en leurs demandes devant la CIVI, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé l'article 706-3 du code de procédure pénale. ECLI:FR:CCASS:2019:C200962
Retourner en haut de la page