Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 décembre 2018, 17-19.400, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 6 avril 2017), que Mme Y..., engagée le 16 février 2004 par l'association Visitation du [...], devenue le Monastère de la Visitation à compter du 1er janvier 2011, en qualité d'infirmière pour la coordination et la responsabilité du service médicalisé, et occupant en dernier lieu les fonctions d'infirmière référente et coordinatrice, a été licenciée pour faute grave par lettre du 10 octobre 2013 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour faute grave justifié, et, en conséquence, de la débouter de ses demandes indemnitaires à ce titre, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est nul ; que, sauf mauvaise foi du salarié dans l'exercice de la liberté d'expression qui ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés, l'illicéité de cette motivation, même partielle, suffit à elle seule, en ce qu'elle est constitutive d'une atteinte à une liberté fondamentale, à entraîner la nullité du licenciement, et ce sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement énonçait : « le 29 août 2013, à nouveau sans avoir prévenu personne dans l'intervalle, vous estimez devoir vous présenter de votre propre chef au milieu d'après-midi au commissariat de [...] pour déposer une main courante dont nous avons eu connaissance, avec pour objet « autres crimes ou délits » et indiquant : « il y a forcément une personne qui a dévissé cet embout. Cela est très grave. J'appelle cela une tentative d'homicide ». Interpellés et pour cause par la gravité des faits que vous dénonciez et la connotation que vous leur donniez, les services de police ont immédiatement réagi et notre Mère Supérieure ainsi que Mme A... H..., infirmière, ont été immédiatement auditionnées, dans les conditions que vous savez, puisque vous-même l'avez été » ; qu'en jugeant dès lors le licenciement pour faute grave justifié, quand il était motivé par la dénonciation de Mme Y... aux services de police de faits commis au sein de l'association pouvant être qualifiés de délictueux, voire de criminels, ce dont il résultait que ce grief, constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1132-3-3, alinéa 1, du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 10, § 1, de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la bonne foi est toujours présumée ; qu'en retenant que « Mme Y... ne justifie pas avoir exercé de bonne foi son droit fondamental qui, au titre de la liberté d'expression, autorise un salarié à dénoncer des faits pouvant être qualifiés de délictueux, commis sur son lieu de travail », quand il appartenait à l'employeur, à l'inverse, de rapporter la preuve que la salariée avait usé de sa liberté d'expression de mauvaise foi, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;

3°/ qu'en cas de litige relatif à la dénonciation de faits survenus dans l'entreprise de nature à caractériser des infractions pénales, le salarié est seulement tenu de présenter des éléments de fait qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, à charge pour l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, violant l'article L. 1132-3-3, alinéa 1, du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 10, § 1, de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que, pour conclure à l'exercice de mauvaise foi par Mme Y... de sa liberté d'expression, la cour d'appel a relevé que la salariée avait méconnu la procédure d'alerte en vigueur dans le monastère en cas d'incident, qu'elle avait attendu plusieurs jours avant de procéder à la dénonciation des faits qui selon elle pourraient recevoir une qualification pénale et que la police avait conclu son enquête en estimant que « le problème résulte probablement d'une erreur » et que « les suppositions émises par Mme Y... ne sont pas fondées » ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la salariée aurait eu connaissance de la fausseté des faits qu'elle avait dénoncés aux services de police, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1132-3-3, alinéa 1, du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 10, § 1, de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel ayant constaté que la lettre de licenciement ne reprochait pas à la salariée d'avoir déposé plainte auprès des services de police pour dénoncer un acte de malveillance grave au préjudice d'une malade mais au contraire de l'avoir fait cinq jours après l'incident, alors qu'elle n'avait pas informé sa supérieure de faits qui semblaient pourtant graves et que la salariée n'avait pas respecté le protocole établi par l'établissement en cas d'urgence ou d'incident grave et auquel elle était soumis, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner une cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du jugement entrepris et que le licenciement pour faute grave est justifié, et d'AVOIR, en conséquence, débouté Mme Y... de ses demandes indemnitaires à ce titre ;

AUX MOTIFS QUE sur la rupture du contrat de travail : la faute grave qui justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, est définie comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ; qu'en l'espèce la lettre de licenciement retient trois griefs à l'encontre de la salariée : - il est reproché à la salariée d'être à l'origine de nombreuses difficultés qui ont eu lieu depuis son arrivée au monastère, puisque certaines de ses collègues infirmières affirment avoir démissionné à cause d'elle (Mme B..., Mme C... et Mme D...), - au titre du deuxième grief il est reproché à la salariée le fait de ne pas avoir respecté le protocole prévu en cas d'urgence lors de l'incident qui s'est déroulé le 24 août 2013 : l'agent de service l'ayant rappelée vers 18h45 afin de l'informer de ce que l'une des patientes était cyanosée, qu'elle est revenue sur place vers 19 heures mais qu'elle n'a appelé ni le 15, ni la mère supérieure au mépris du protocole dont elle avait connaissance, - l'employeur reproche à la salariée au titre du troisième grief de n'être allée déposer plainte au commissariat que cinq jours après l'incident, soit le 29 août 2013 alors qu'elle n'avait toujours pas informé la Mère Supérieure de faits qui semblaient pourtant graves et que l'employeur a donc été informé par le commissariat, et non par la salariée, que le 30 août 2013 de l'incident intervenu le 24 août 2013 ; que son comportement constitue un non-respect de ses obligations contractuelles en ce que le protocole en vigueur au sein du monastère n'a pas été respecté alors que celui-ci a fait l'objet de plusieurs rappels notamment à l'occasion d'une réunion de service infirmerie du 8 novembre 2012 ainsi qu'à une réunion du service infirmerie du 19 juin 2013 ; que ce comportement interroge l'employeur sur une intention de lui nuire ; que la lettre de licenciement indique enfin que « l'ensemble de ces faits rend définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles et justifie le prononcé d'un licenciement pour faute grave » ; que concernant les difficultés relationnelles, l'employeur communique : - une attestation rédigée par une ancienne collègue, Mme D... qui affirme qu'il existait déjà en 2011 un climat conflictuel au sein de l'infirmerie dont Mme Y... était déjà en charge, et que cette dernière s'entendait bien avec Mme E... mais gérait difficilement son équipe et qu'elle était manipulatrice, - une attestation de Mme C... qui n'a pas du tout apprécié l'ambiance du service ni le travail avec Mme Y..., - deux attestations rédigée par des soeurs hospitalisées fin 2011 qui se plaignent des soins prodigués par Mme Y... qui était peu attentive à leurs demandes et qui déclarent que cette dernière passait son temps devant son ordinateur ou à bavarder ; que pour sa part Mme Y... produit plusieurs attestations de collègues qui ont apprécié de travailler avec elle ; que ces attestations qui sont imprécises et contradictoires ne sauraient suffire à établir un comportement fautif de Mme Y... dans le cadre de l'exercice de ses fonctions d'infirmière ; que sur le deuxième fait, l'employeur communique la copie du protocole qui fixe les modalités d'action à mettre en oeuvre en cas de doute ou en cas d'absence de l'infirmière ; qu'il est clairement indiqué dans celui-ci qu'en cas d'urgence véritable il convient d'alerter sans attendre le 15 et de prévenir ensuite l'infirmière ainsi que la Mère Supérieure (pièce 26) ; que Mme Y... déclare que ce protocole ne lui est pas applicable dans la mesure où elle est infirmière ; que cependant le monastère de la Visitation produit le compte-rendu de la réunion du service infirmerie qui s'est tenue le 8 novembre 2012 en présence de Mme Y..., au cours de laquelle il a été rappelé l'importance de respecter le protocole, et qu'il communique aussi le procès-verbal de la réunion qui s'est tenue le 19 juin 2013 à l'occasion de laquelle il a été rappelé l'importance de la qualité de la relation avec les patientes et la nécessité de les rassurer ; qu'il est aussi indiqué dans le procès-verbal que "les décisions médicales sont prises par les infirmières en collaboration avec le médecin puis qu'il faut en informer obligatoirement la supérieure. Lorsque que nous appelons le 15 pour les urgences, il est impératif de prévenir de suite la supérieure de jour comme de nuit. La soeur malade est dans l'angoisse et humainement elle a besoin d'être accompagnée quelquefois simplement en lui tenant la main"... ; qu'il résulte des éléments repris ci-dessus que le protocole s'appliquait bien à toute personne du service médical intervenant en l'absence des infirmières, mais aussi à ces dernières, ainsi que cela a été expressément rappelé lors de la réunion du service infirmerie qui s'est tenue le 19 juin 2013 ; qu'ainsi Mme Y... était donc bien informée de cette procédure, et qu'elle en avait donc connaissance ; que l'ensemble de ces éléments démontre que Mme Y... n'a pas respecté le protocole dont elle avait connaissance et qui lui était applicable nonobstant son libellé, que ce deuxième fait est donc également établi ; que le troisième grief fait état de la mauvaise gestion de l'incident par la salariée qui n'a pas informé la Mère Supérieure en violation du protocole, puis qui, à l'issue d'un délai de cinq jours, est allée plainte au commissariat le 29 août 2013, toujours sans en informer la supérieure, alors que cette dernière n'a elle-même été informée de l'incident du 24 août que le 30 août 2013 par la convocation que lui a adressée le commissariat ; qu'il convient de retenir que Mme Y... était la seule cadre de l'infirmerie, qu'elle s'est abstenue d'informer la Mère Supérieure d'un incident grave qui s'est déroulé au sein de l'infirmerie alors même qu'elle subodorait l'existence d'un acte de malveillance puisqu'elle fait état d'une "tentative d'homicide" lorsqu'elle est entendue au commissariat, alors qu'elle avait toute possibilité d'informer sa supérieure puisqu'elle travaillait au sein du monastère les jours suivants l'incident ; qu'elle n'a déposé plainte que cinq jours après les faits, toujours sans informer son employeur de ces derniers ; qu'il apparaît que ce n'est pas le dépôt de plainte au commissariat par la salariée qui est à l'origine du troisième grief de licenciement, mais bien le non-respect par Mme Y... de son obligation de loyauté à l'égard de l'employeur, à mettre en lien avec le non-respect du protocole mis en place par l'employeur en cas d'urgence ou d'incident grave, alors qu'il est établi qu'elle en avait parfaitement connaissance ; que ce fait est également établi ; que les faits reprochés au titre des deux derniers griefs sont établis ; que Mme Y... justifie ces derniers faits par l'exercice d'un droit fondamental ; que l'exercice de ce droit ne lui est aucunement reproché mais que quand bien même il le serait, l'exercice de ce droit ne peut être invoqué que si celui qui s'en prévaut est de bonne foi ; que sur ce point la cour constate que : - il résulte de la main courante effectuée le 29 août 2013 par Mme Y..., qui est infirmière référente au monastère de la Visitation, qu'elle a placé sous perfusion la soeur I... le 24 août 2013 vers 17 heures, puis qu'elle est rentrée chez elle, qu'elle a été rappelée le 24 août 2013 à 18h45 par Mme E..., aide-soignante, qui l'informait de ce que la patiente était cyanosée, qu'elle est donc revenue sur place vers 19 heures, qu'elle a appelé le Docteur F... afin de l'informer de l'état de la patiente, et en particulier de ce que la saturation du sang en oxygène était basse, puis qu'elle a constaté en compagnie de sa collègue, que le tuyau joignant l'humidificateur et l'appareil à oxygène était dévissé mais laissé en contact du branchement, qu'elle l'a revissé, ce qui a permis à la patiente de se re-colorer ; qu'elle précise encore que "l'embout dévissé est doté d'une sécurité et ne peut se dévisser seul, qu'il y a forcément une personne qui a dévissé cet embout" et que "cela est très grave, j'appelle cela une tentative d'homicide." (pièce 1 employeur), - Mme Y... ainsi que cela a été indiqué dans le cadre de griefs invoqués par l'employeur concernant la procédure de licenciement, avait connaissance du protocole notamment de ce qu'il faut impérativement informer la Mère Supérieure de toute difficulté ainsi que cela a été rappelé à la réunion du 8 novembre 2012 et à celle du 19 juin 2013 à l'occasion de laquelle il a été rappelé l'importance de la qualité de la relation avec les patientes et la nécessité de les rassurer ; qu'il est aussi indiqué dans le procès-verbal de la réunion que "les décisions médicales sont prises par les infirmières en collaboration avec le médecin puis qu'il faut en informer obligatoirement la supérieure. Lorsque que nous appelons le 15 pour les urgences, il est impératif de prévenir de suite la supérieure de jour comme de nuit...", - Mme Y... ne prévient pas la Mère Supérieure le jour de l'incident, ni personne pendant les jours qui suivent alors qu'elle pouvait le faire puisqu'elle travaille au monastère ; qu'elle va attendre cinq jours avant de déposer plainte au commissariat pour des faits d'une gravité extrême puisqu'elle dénonce une tentative d'homicide volontaire lors de son dépôt de plainte, - la police conclut ainsi son procès-verbal de clôture : "le problème résulte probablement d'une erreur, Mme Martine E... ayant des relations conflictuelles avec la mère supérieure. Elle s'en serait servie contre Mme A..., la seconde infirmière, prenant trop d'importance à son goût. Il ressort des auditions un réel problème de personnes au niveau du monastère. Les suppositions émises par Mme Y..., ne sont pas fondées", qu'étant rappelé que les mauvaises relations entre Mme Y... et la mère supérieure, mais aussi avec ses collègues infirmières, sont démontrées par ailleurs dans les attestations versées aux débats par le monastère de la Visitation, et alléguées par celui-ci au titre d'un des trois griefs invoqués dans le cadre du licenciement prononcé ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, et de l'attitude de la salariée qui s'est d'une part abstenue d'informer sa supérieure hiérarchique de faits qu'elle estime graves qui concernent la santé d'une patiente du monastère, et d'autre part qui attend plusieurs jours avant de déposer plainte et qui n'informe toujours pas la Mère Supérieure après celui-ci, alors qu'en tout état de cause rien ne l'empêchait de le faire malgré l'existence d'un conflit de personnes au sein du Monastère ainsi que cela résulte de l'enquête mais aussi de nombreux témoignages de salariées ayant eu à travailler à l'infirmerie ; que Mme Y... ne justifie pas avoir exercé de bonne foi son droit fondamental qui, au titre de la liberté d'expression, autorise un salarié à dénoncer des faits pouvant être qualifiés de délictueux, commis sur son lieu de travail ; que dès lors, eu égard à la nature des deux faits ainsi établis, commis par une salariée exerçant la profession d'infirmière ayant une longue expérience professionnelle et prenant en charge des personnes très fragilisées, ces griefs sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles et justifient le prononcé d'un licenciement pour faute grave de la salariée ; que par voie de conséquences, les prétentions de Mme Y... afférentes à la nullité du licenciement et indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail, seront écartées ; que de ce chef le jugement prud'homal sera infirmé ;

1°) ALORS QU'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est nul ; que, sauf mauvaise foi du salarié dans l'exercice de la liberté d'expression qui ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés, l'illicéité de cette motivation, même partielle, suffit à elle-seule, en ce qu'elle est constitutive d'une atteinte à une liberté fondamentale, à entraîner la nullité du licenciement, et ce, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement énonçait : « le 29 août 2013, à nouveau sans avoir prévenu personne dans l'intervalle, vous estimez devoir vous présenter de votre propre chef au milieu d'après-midi au commissariat de [...] pour déposer une main courante dont nous avons eu connaissance, avec pour objet « autres crimes ou délits » et indiquant : « il y a forcément une personne qui a dévissé cet embout. Cela est très grave. J'appelle cela une tentative d'homicide ». Interpellés et pour cause par la gravité des faits que vous dénonciez et la connotation que vous leur donniez, les services de police ont immédiatement réagi et notre Mère Supérieure ainsi que Mme A... H..., infirmière, ont été immédiatement auditionnées, dans les conditions que vous savez, puisque vous-même l'avez été » ; qu'en jugeant dès lors le licenciement pour faute grave justifié, quand il était motivé par la dénonciation de Mme Y... aux services de police de faits commis au sein de l'association pouvant être qualifiés de délictueux, voire de criminels, ce dont il résultait que ce grief, constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1132-3-3 alinéa 1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°) ALORS, subsidiairement, QUE la bonne foi est toujours présumée ; qu'en retenant que « Mme Y... ne justifie pas avoir exercé de bonne foi son droit fondamental qui, au titre de la liberté d'expression, autorise un salarié à dénoncer des faits pouvant être qualifiés de délictueux, commis sur son lieu de travail », quand il appartenait à l'employeur, à l'inverse, de rapporter la preuve que la salariée avait usé de sa liberté d'expression de mauvaise foi, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;

3°) ALORS, plus-subsidiairement, QU'en cas de litige relatif à la dénonciation de faits survenus dans l'entreprise de nature à caractériser des infractions pénales, le salarié est seulement tenu de présenter des éléments de fait qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, à charge pour l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, violant l'article L. 1132-3-3 alinéa 1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°) ET ALORS, très-subsidiairement, QUE, pour conclure à l'exercice de mauvaise foi par Mme Y... de sa liberté d'expression, la cour d'appel a relevé que la salariée avait méconnu la procédure d'alerte en vigueur dans le monastère en cas d'incident, qu'elle avait attendu plusieurs jours avant de procéder à la dénonciation des faits qui selon elle pourraient recevoir une qualification pénale et que la police avait conclu son enquête en estimant que « le problème résulte probablement d'une erreur » et que « les suppositions émises par Mme Y... ne sont pas fondées » ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la salariée aurait eu connaissance de la fausseté des faits qu'elle avait dénoncés aux services de police, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1132-3-3 alinéa 1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme Y... de sa demande d'indemnisation des astreintes ;

AUX MOTIFS QUE sur la demande de paiement d'astreintes : l'annexe II du statut du personnel laïc de l'église de France fixe en son article 7 le régime des astreintes et stipule que : "Le contrat de travail peut prévoir une obligation d'astreinte. Cette disposition fait l'objet d'une rémunération spécifique dite "prime d'astreinte". Si l'astreinte génère des interventions, le temps passé est un temps de travail effectif devant être rémunéré comme tel, l'appréciation de ce temps en heures supplémentaires ou non se faisant en fin de période de référence." ; que l'article L. 3121-5 du code du travail définit la période d'astreinte comme "une période pendant laquelle le salarié, sans être à disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise, la durée de l'intervention étant considérée comme un temps de travail effectif" ; que le statut du personnel laïc de l'église de France ne fait mention que de la possibilité pour l'employeur de prévoir dans le contrat de travail une prime d'astreinte ; que le contrat de travail de Mme Y... mentionne les horaires mensuels de la salariée ainsi que les modalités de sa rémunération y compris la majoration pour travail le dimanche et jours fériés, mais ne précise pas que Mme Y... sera tenue à des astreintes, ni n'envisage l'indemnisation de telles astreintes ; que les avenants signés entre la salariée et l'employeur ne mentionnent pas non plus d'astreinte ; que les salaires versés à l'intéressée montrent que celle-ci est rémunérée lorsqu'elle est amenée à se déplacer sur son lieu de travail en dehors de ses horaires de travail, c'est à dire lorsqu'elle est amenée à effectuer des interventions ainsi que cela est prévu dans son contrat, ce qui n'est pas contesté par la salariée, ni par l'employeur ; que l'examen des plannings versés aux débats par la salariée ne permet pas, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, de déterminer les prétendues périodes d'astreintes dont fait état Mme Y..., ni d'ailleurs les interventions ; qu'il résulte de l'attestation de M. G... (pièce 40 de l'employeur) que "la nuit nous ne dérangeons jamais l'infirmière d'astreinte, nous avons un protocole signé par le Docteur F..., nous prévenons la Mère Supérieure et le 15 qui nous donne la marche à suivre." ; que cependant cet agent de nuit atteste (pièce 22 de la salariée) de la grande disponibilité de Mme Y... qu'il pouvait contacter téléphoniquement à tout moment ; qu'il résulte de ces attestations qu'il arrivait à M. G... d'appeler Mme Y... qui se montrait très disponible, mais qu'il ne précise pas que celle-ci était d'astreinte effective, et qu'il indique par ailleurs que la nuit, il n'appelait jamais l'infirmière mais appliquait le protocole en appelant le 15 ; qu'il ne résulte donc d'aucune pièce que Mme Y... aurait été contrainte, en dehors de ses heures de travail effectif, de demeurer à son domicile ou à proximité, ou encore même dans tous lieux de son choix lui permettant de se déplacer au monastère, en vue de répondre à un appel de son employeur pour effectuer un travail au service de l'établissement ; qu'il convient de rappeler que le protocole qui figure dans le classeur de l'infirmerie et dont il est fait état ci-dessus prévoit qu'en cas de doute ou en l'absence des infirmières, il convient d'alerter le 15, ainsi que l'infirmière puis la Mère Supérieure ; que s'il résulte des pièces produites que Mme Y... a bien été indemnisée pour s'être rendue au monastère en dehors de ses heures de travail (ce qui a représenté 11 heures 30 rémunérées à ce titre sur la période de fin novembre 2012 à fin septembre 2013), rien n'indique qu'elle soit venue à la demande et sur instruction de son employeur, et aucun élément ne permet de retenir qu'elle était tenue de se déplacer au monastère et donc pour ce faire, de se tenir à proximité de son domicile et de l'établissement ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne peut qu'être constaté que la salariée ne rapporte pas la preuve de l'existence d'astreintes qui lui auraient été demandées par l'employeur, celui-ci justifiant cependant avoir appliqué les dispositions de l'article L. 3121-5 du code du travail en cas de déplacement de la salariée sur le lieu de travail ; qu'il y a donc lieu de débouter Mme Y... de l'intégralité des demandes qu'elle a formées à ce titre ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'article L. 3121-5 du code du travail définit la période d'astreinte comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise, la durée de l'intervention étant considérée comme un temps de travail effectif ; que le contrat de travail de Mme Y... est muet sur les astreintes ; que l'annexe II du statut du personnel laïc de l'église de France, en son point 7, fixe le régime des astreintes et prévoit que le contrat de travail peut prévoir une obligation d'astreinte, cette disposition faisant l'objet d'une rémunération spécifique dite « prime d'astreinte » ; que si l'astreinte génère des interventions, le temps passé est un temps de travail effectif devant être rémunéré comme tel, l'appréciation de ce temps en heures supplémentaires ou non se faisant en fin de période de référence ; que l'examen des plannings versés aux débats par la demanderesse ne permet pas d'identifier les prétendues périodes d'astreinte dont elle fait état, et encore moins les interventions supplémentaires qu'elle aurait dû effectuer sur place à ce titre ; que le contrat de travail est également muet sur l'existence de telles astreintes ; que dans ces conditions, faute pour Mme Y... de démontrer avoir été soumise à des astreintes et être intervenue à ce titre, sa demande en paiement d'astreintes sera rejetée ;

ALORS QUE Mme Y... faisait valoir que la lettre de licenciement émanant de l'employeur lui-même indiquait que « vous exercez au sein du Monastère les fonctions de cadre infirmière depuis plusieurs années. Non seulement vous avez gravement manqué à vos obligations dans le cadre de vos fonctions d'infirmière, mais bien plus, vous avez eu une attitude visant à nuire au Monastère. Les faits que nous vous reprochons se sont déroulés le samedi 24 août 2013 entre 17h50 et 19h05 (selon la pointeuse). Ce samedi 24 août, vous avez terminé votre astreinte aux environs de 17h50 » ; qu'en jugeant que la salariée n'établissait pas avoir été soumise à des astreintes, sans examiner précisément ce document, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2018:SO01839
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