Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 22 juin 2017, 16-19.864, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., propriétaire d'un immeuble d'habitation, assuré auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), y demeure avec sa fille Marie-Christine, son gendre, M. Marc Y..., et sa petite-fille, Mme Vanessa Y... (les consorts Y...), le rez-de-chaussée étant utilisé par tous, le premier étage réservé à l'usage des consorts Y... et le second à l'usage de Mme X... ; que, le 28 octobre 2003, un incendie a pris naissance dans la chambre de sa petite-fille et détruit en grande partie l'immeuble ; qu'après avoir indemnisé son assurée, la société Axa a assigné Mme Marie-Christine Y..., la Mutuelle assurance des instituteurs de France, assureur de celle-ci, et Mme Vanessa Y..., en remboursement des sommes versées, et cette dernière en responsabilité ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de la société Axa, l'arrêt retient que l'article L. 121-12 du code des assurances ne fait pas obstacle à l'exercice, par l'assureur qui a indemnisé la victime, de son recours subrogatoire contre l'assureur des personnes vivant habituellement au foyer de l'assuré ; qu'il ajoute qu'un accord familial verbal a organisé les conditions de l'occupation de l'immeuble, sans qu'il faille en déduire que les parties ont conclu un prêt à usage, dont les caractéristiques ne sont pas réunies ; qu'il en déduit que doivent être écartées la qualification juridique de commodat et l'application des règles particulières, comme l'obligation faite à l'emprunteur de rapporter la preuve qu'il n'a pas commis de faute ou que la chose a disparu par suite d'un cas fortuit ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Axa, qui soutenait que le fait de souscrire une assurance garantissant la partie de l'immeuble dont ils avaient la jouissance exclusive contre le risque de ne pouvoir la restituer, démontrait la volonté des parties d'instaurer à la charge des consorts Y... une obligation de restitution des lieux prêtés, constitutive du prêt à usage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la Mutuelle assurance des instituteurs de France, l'arrêt rendu le 26 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne in solidum Mmes Marie-Christine Y..., Vanessa Y... et la Mutuelle assurance des instituteurs de France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la Compagnie AXA de l'intégralité de ses demandes notamment celles tendant à voir déclarer Mademoiselle Vanessa Y... responsable de l'incendie et à la voir condamner in solidum avec Madame Marie-Christine Y... et la Maif à lui verser la somme de 263 591 euros ;

AUX MOTIFS QUE « La société Axa France fonde son action sur les articles 1302 et 1880 du code civil, affirmant que l'immeuble dont son assurée est propriétaire est divisé en plusieurs parties dont une partie privative à l'usage exclusif de la famille Y..., partie dans laquelle le feu a pris naissance ; qu'à la suite du tribunal, la cour observe que la qualification juridique de prêt à usage avancée par l'appelante suppose que le premier étage, lieu du siège de l'incendie, soit considéré indépendamment du reste de l'immeuble et doive faire l'objet d'une restitution spécifique ; que la description que donne l'expert de l'immeuble démontre qu'il n'est pas découpé en logements mais occupé indivisément et surtout que le rez de chaussée fait l'objet d'une occupation commune par tous ceux qui résident sous ce même toit ; que dans le cadre d'une occupation familiale, qui voit trois générations cohabiter, il n'est pas anormal que des règles de vie, tacites ou explicites, aient organisé les conditions d'occupation des différentes parties de l'immeuble élevé sur trois niveaux sans que pour autant il faille en déduire que les parties ont conclu un prêt à usage dont les caractéristiques ne correspondent pas à ce mode d'occupation de l'immeuble ; qu'il en résulte une impossibilité matérielle de considérer de façon distincte et isolée le corps certain qui fait l'objet du prêt à usage ; que c'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal a rejeté la qualification juridique de commodat et par voie de conséquence l'application des règles particulières qui le gouvernent, spécialement l'obligation faite à l'emprunteur de rapporter la preuve qu'il n'a pas commis de faute ou que la chose a disparu par suite d'un cas fortuit ; que l'expert a conclu que l'importance des dégâts dans la chambre de Vanessa Y... et le fait que Mme X... ait découvert l'incendie dans cette pièce -alors que Mme X... se trouvait seule dans la maison- ne laissent aucun doute sur le lieu où le feu a pris ; que selon l'expert, l'incendie résulte d'une défaillance du téléviseur qui aurait implosé, hypothèse qui n'a pu toutefois être vérifiée, le mobilier garnissant la chambre ayant été jeté avec les gravats par les sapeurs pompiers ; que l'expert a relevé que lorsque Mme X... a constaté l'incendie dans la chambre de sa petite fille, elle a quitté la pièce pour appeler les secours et a omis de fermer la porte de cette pièce, ce qui a favorisé la propagation de l'incendie ; que l'incendie a donc une cause purement accidentelle ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il débouté la société Axa France de son recours subrogatoire et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « pour justifier le bien-fondé de son action, la Compagnie AXA soutient que la famille Y... occupait l'étage de la maison où le feu a pris naissance dans le cadre d'un contrat de prêt à usage, de sorte que l'assuré est responsable de la détérioration, pendant son usage, de la chose prêtée, sauf à démontrer que ceci est imputable à la force majeure ; que la demanderesse appuie cette analyse juridique sur les éléments recueillis par l'expert, à savoir « un accord familial verbal » dont lui auraient fait part les parties quant à l'utilisation des différentes parties de l'immeuble, étant constant que l'occupation des consorts Y... avait lieu à titre gratuit, ce qui s'explique par les relations familiales avec Madame X..., dont il est précisé qu'elle était âgée de 81 ans au moment des faits ; sans remettre en cause les modalités d'occupation de l'immeuble retenues par l'expert, la qualification juridique de prêt à usage retenue par la Compagnie AXA, qui suppose que le premier étage soit considéré indépendamment du reste de l‘immeuble et doive faire l'objet d'une restitution spécifique, alors qu'il est constant que le rez-de-chaussée est occupé de façon commune par tous les occupants, n'apparaît pas conforme à la réalité de la situation ; qu'il ressort en réalité des constatations mêmes de l'expert que l'immeuble, qui n'est pas découpé en appartements, est occupé indivisément par la propriétaire et sa famille, cette dernière à titre gracieux, avec un accord familial sur les conditions d'occupation, qui affecte les différentes parties de l'immeuble aux uns et/ou aux autres pour assurer une coexistence paisible et harmonieuse de tous ; qu'ainsi l'expert note-t-il, en procédant à la description des lieux sinistrés, que « le pavillon de Madame X... est un pavillon de standing élevé sur trois niveaux, ce pavillon est sa résidence principale. Sa fille Marie-Christine, épouse de Monsieur Marc Y... et leur fille Vanessa Quéré vivent avec leur mère, belle-mère et grand-mère. Ainsi ce pavillon est la résidence principale de la famille X... ( ?). Son occupation repose sur un accord familial verbal » ; que l'analyse plus précise des conditions d'occupation n'a eu d'intérêt pour l'expert que pour déterminer le lieu et les circonstances dans lesquelles l'incendie a pu prendre naissance ; que l'impossibilité matérielle de considérer isolément « le corps certain et déterminé objet du prêt à usage », si ce n'est par une fiction juridique, est étayé par les constatations de l'expert selon lesquelles la propagation de l'incendie au 2ème étage puis à la toiture est la conséquence de l'oubli involontaire de Madame X... qui se trouvait au rez-de-chaussée de l'immeuble, de refermer la porte du 1er étage où elle a découvert l'incendie, ce que l'expert retient d'ailleurs comme seul comportement fautif, facteur d'aggravation des dommages ; que dès lors la qualification juridique de prêt à usage invoquée par AXA ne peut pas être retenue, les règles spécifiques en cas de détérioration de la chose prêtée, qui imposent à l'emprunteur, pour s'exonérer de sa responsabilité, de rapporter la preuve de l'absence de faute de sa part, ou d'un cas fortuit, ne peuvent recevoir application » ;

ALORS QUE constitue un prêt à usage la convention par laquelle le propriétaire d'un immeuble consent à un tiers l'usage exclusif d'une partie de cet immeuble; que ce tiers est alors légalement tenu de l'obligation de restitution de l'article 1875 du Code civil ; qu'il importe peu que soit également prévue au bénéfice du prêteur et de l'emprunteur la jouissance commune d'une autre partie de l'immeuble; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué « qu'un accord familial affectait les différentes parties de l'immeuble aux uns et/ou aux autres" (motifs adoptés du jugement, p. 5 alinéa 1er); que dans le cadre de cet accord familial, le premier étage, objet du litige, était exclusivement affecté à la famille Y..., qui dès lors, était tenue, vis-à-vis d'Axa, subrogée dans les droits de la propriétaire, des obligations pesant sur le preneur au titre d'un prêt à usage qui se trouvait ainsi caractérisé ; qu'en décidant le contraire aux motifs inopérants que le rez-de-chaussée faisait l'objet d'une occupation commune, la Cour d'appel, à qui il appartenait de prendre en considération la seule affectation du premier étage, au regard de ses conditions d'occupation, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1302, 1875 et 1880 du Code civil ;

ALORS, EN OUTRE, QUE l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial ; qu'il fait pleine foi contre celui qui l'a fait ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la Compagnie AXA avait fait valoir que, par assignation du 18 novembre 2003, la MAIF avait énoncé que « l'immeuble était constitué d'un rez-de-chaussée et de deux étages, le rez-de-chaussée étant réservé à l'usage commun de Madame X... et de sa fille Madame Y... ainsi que la famille de celle-ci, le premier étage étant réservé à l'usage exclusif de Madame Y..., le second étage étant réservé à l'usage de Madame X... » (conclusions p. 5 et 10) ; qu'elle en déduisait l'aveu judiciaire, par la MAIF et les époux Y..., de l'occupation exclusive du premier étage de l'immeuble; qu'en la déboutant de son recours subrogatoire aux motifs inopérants que « la description que donne l'expert de l'immeuble démontre qu'il n'est pas découpé en logements mais occupé indivisément et surtout que le rez de chaussée fait l'objet d'une occupation commune par tous ceux qui résident sous ce même toit » (arrêt p. 4 alinéa 7), sans répondre à ces conclusions pertinentes et motivées, la Cour d'appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS ENFIN QU'EN déboutant l'assureur subrogé dans les droits de la propriétaire de l'immeuble de son recours subrogatoire aux motifs inopérants que la convention organisait une "occupation familiale" sans répondre à ses conclusions faisant valoir que les preneurs du premier étage avaient souscrit en leur qualité de preneurs une assurance multirisque habitation Raqvam destinée à garantir les locaux dont la jouissance leur était consentie, ce dont résultait la confirmation de leurs obligations de preneurs à usage des locaux ainsi assurés, la Cour d'appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l'article 455 du Code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2017:C100810
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