Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 1 mars 2017, 15-28.664, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 23 septembre 2015), que M. Y... est propriétaire d'un terrain bâti, lequel est surplombé par un massif forestier montagneux dépendant du domaine privé de l'Etat et géré par l'Office national des forêts (l'ONF) ; qu'un glissement de terrain accompagné de coulées de boues ayant provoqué le déversement de 4 500 m³ de matériaux pierreux sur sa parcelle, il a saisi le juge des référés aux fins d'obtenir la désignation d'un expert et le paiement d'une provision à valoir sur la réparation de son préjudice ; que l'ONF et l'Agent judiciaire de l'Etat ont soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative ;

Attendu que l'ONF, d'une part, et l'Agent judiciaire de l'Etat, d'autre part, font grief à l'arrêt de rejeter cette exception et d'ordonner une mesure d'expertise, alors, selon le moyen :

1°/ que la réparation de dommages de travaux publics relève de la compétence des juridictions administratives ; que la responsabilité de l'Etat, susceptible d'être engagée à raison de l'absence de travaux de stabilisation des terrains de montagne (dans le cadre des dispositions du code forestier relatives à la restauration des terrains en montagne) devant être effectués, non pas à des fins de gestion domaniale mais dans un but d'intérêt général de prévention des risques naturels, relève de la responsabilité pour dommages de travaux publics ; que, dès lors, les demandes aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise judiciaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et de condamnation solidaire de l'ONF et de l'Etat à payer une provision de 50 000 euros à raison d'un glissement de terrain de montagne relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre administratif ; qu'en retenant, cependant, sa compétence, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives ;

2°/ que c'est à l'ensemble du litige et à toutes les parties concernées que s'appliquent les règles de la responsabilité en matière de travaux publics, en sorte que ne peut être admise une responsabilité alternative qui permettrait de rechercher la responsabilité de l'ONF devant le juge judiciaire à raison de la prétendue existence de troubles de voisinage ; qu'en écartant la responsabilité pour dommages de travaux public pour retenir la responsabilité de l'ONF pour troubles de voisinage à raison de ses activités d'établissement public et commercial sans mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives ;

3°/ que le juge tranche le litige conformément aux règles de droits qui lui sont applicables ; qu'il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; qu'en refusant de rechercher si la responsabilité de l'Etat et de l'ONF pouvait être engagée sur le fondement de l'existence de dommages de travaux public au motif que le demandeur avait fondé son action sur le régime de la responsabilité sans faute pour trouble anormal de voisinage, la cour d'appel, qui s'est arrêtée à la dénomination des faits et actes litigieux proposée par le demandeur à l'action, a méconnu son office et violé les dispositions de l'article 12 du code de procédure civile ;

4°/ que l'ONF faisait valoir que l'absence de travaux ou d'ouvrages destinés, dans le cadre des dispositions du code forestier relatives à la restauration des terrains en montagne, à prévenir les glissements de terrain, relevait de la responsabilité pour dommages de travaux publics ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que la réparation des dommages de travaux publics relève de la compétence du juge administratif ; qu'en l'espèce, des travaux de stabilisation des terrains de montagne dont la réalisation permettaient d'éviter les éboulements provenant d'une forêt domaniale ne revêtaient pas la qualification de travaux de gestion patrimoniale de la forêt mais de travaux à visée d'utilité générale en ce qu'ils poursuivaient un objectif de sécurité publique, à savoir la prévention des risques naturels, de sorte qu'ils relevaient de la responsabilité pour dommages de travaux publics et donc du juge administratif ; qu'en retenant, néanmoins, sa compétence, la cour d'appel a violé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et excédé ses pouvoirs ;

6°/ que les règles de la responsabilité du fait des dommages de travaux publics ont vocation à s'appliquer à l'ensemble du litige à l'exclusion de tout autre régime de responsabilité ; qu'en retenant que l'Agent judiciaire de l'Etat et l'ONF étaient susceptibles d'engager leur responsabilité sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage pour retenir la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a une nouvelle fois violé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et a excédé ses pouvoirs ;

7°/ que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans être lié par la dénomination ou la qualification des demandes données par les parties ; qu'en s'estimant lié par la demande de M. Y... fondée sur la théorie des troubles anormaux du voisinage, sans rechercher si la responsabilité de l'Etat et de l'ONF pouvait être engagée sur le fondement de l'existence de dommages de travaux public, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 12 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, lorsqu'un établissement public tient de la loi la qualité d'établissement public industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l'exception des litiges relatifs à celles de ses activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent, par leur nature, de prérogatives de puissance publique ; que, par des motifs non critiqués, l'arrêt retient que les missions confiées par l'Etat à l'ONF, en vue de la restauration des terrains de montagne, n'impliquent pas la mise en oeuvre, par ce dernier, de prérogatives de puissance publique ; que, l'attribution à cet établissement public industriel et commercial de telles prérogatives étant seule de nature à justifier la compétence de la juridiction administrative, c'est sans excéder ses pouvoirs ni méconnaître son office que la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à un moyen inopérant, en a déduit que la juridiction judiciaire était compétente pour connaître du litige ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne l'Office national des forêts et l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de l'Office national des forêts et de l'Agent judiciaire de l'Etat et condamne l'Office national des forêts à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour l'Office national des forêts, demandeur au pourvoi principal

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence au profit des juridictions administratives soulevée notamment par l'Agent judiciaire de l'Etat, retenu la compétence des juridictions judiciaires et ordonné une mesure d'expertise judiciaire ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE contrairement à ce que soutiennent les appelants, c'est à juste titre et par des motifs exempts de critiques utiles, que la cour adopte, que le premier juge a constaté que les tribunaux de l'ordre judiciaire étaient compétents pour connaître des demandes présentées par Monsieur Pierre Y... dès lors que ses demandes ne sont fondées ni sur la situation d'un ouvrage public ou sur la mauvaise exécution du contrat conclu entre l'ONF et l'Etat mais qu'elles le sont sur l'existence d'un trouble anormal du voisinage résultant de la présence d'une forêt, propriété privée de l'Etat, et sous la gestion de l'ONF, établissement public industriel et commercial auquel a été confié une mission tendant à prévenir le déclenchement des phénomènes naturels ou en limiter l'impact pour les personnes et les biens, et ce par l'aménagement des terrains domaniaux grâce à des travaux combinés de génie écologique et de génie civil, à assurer sous l'autorité des ministères et des préfets, dans la limite des moyens financiers alloués, la responsabilité de la maintenance de ces terrains domaniaux et des ouvrages constitués, de leur suivi, de leur conservation et de leur renouvellement, ainsi qu'à apporter un appui méthodologique et technique à l'Etat, aux niveaux local et central, dans des modalités encadrées par le code forestier ; que force est de relever, à l'instar du premier juge, que ces missions n'entraînent pas la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique exclusivement réservées au service public administratif, telles que des activités de règlementation, de police ou de contrôle, et que l'ONF ne démontre pas plus que les missions qui lui sont confiées dans le cadre de la convention conclue avec l'Etat l'amèneraient à faire usage de prérogatives de puissance publique de sorte que le présent litige relève de la compétence non de la juridiction administrative mais de celle des tribunaux de l'ordre judiciaire ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il est constant que la forêt de Luchon depuis laquelle s'est produit l'éboulement litigieux appartient au domaine privé de l'Etat ; qu'il est également constant que l'ONF est un établissement public industriel et commercial ; qu'il convient d'observer que le demandeur ne fonde pas son action sur la responsabilité d'une personne publique dans la survenance d'un dommage lié au fonctionnement ou au dysfonctionnement d'un ouvrage public, mais sur le régime de la responsabilité sans faute pour trouble anormal de voisinage ; que peu importe également à ce stade, que la convention par laquelle l'ONF se trouve lié à l'Etat revête ou non la qualification de contrat administratif, le demandeur, Monsieur Y... est tiers à ce contrat et ne fonde pas son action sur une quelconque faute contractuelle de l'ONF ; que la question de la qualification du contrat, ainsi que de sa bonne ou mauvaise exécution par l'ONF, n'a d'incidence que dans les rapports de ce dernier avec l'Etat ; que ces éléments sont toutefois insuffisants, de facto, pour emporter la compétence du juge judiciaire sur l'action en responsabilité de l'Etat et de l'ONF engagée par le demandeur ; qu'en effet, le principe selon lequel les litiges nés des activités d'un établissements public industriel et commercial relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire trouve exception lorsque lesdites activités relèvent, par leur nature même, de prérogatives de puissance publique et ne peuvent donc être exercées que par un service public administratif ; qu'en l'espèce, la gestion de la forêt domaniale de Luchon est assurée par l'ONF dans le cadre de la loi du 4 avril 1882 relative à la restauration des terrains de montagne (loi dite « RTM ») aujourd'hui codifiée aux articles L 142-7 et suivants du code forestier ; qu'actuellement, l'ONF est gestionnaire de cette partie du domaine privé de l'Etat, selon convention pluriannuelle signée avec ce dernier en date du 26 avril 2012 pour la période 2012-2016 ; que les mesures applicables à la forêt domaniale de Luchon sont définies par l'arrêté ministériel d'aménagement en date du 20 novembre 2013 pour la période 2013-2032 et par l'arrêté ministériel d'aménagement en date du 5 janvier 1994 pour la période de 1992-2012 ; que dans ce cadre, l'Etat confie à l'ONF la mission d'intérêt général que constitue la restauration des terrains de montagne, selon un programme (quinquennal ou annuel selon les cas) de travaux définis par l'Etat lorsque les terrains concernés appartiennent à son domaine privé ; que la question est donc de déterminer si cette mission confiée à l'ONF relève, ou non, de l'exercice de prérogatives de puissance publique, il s'agit classiquement des activités de réglementation, de police, ou de contrôle, ne pouvant être exercées dans le cadre d'un service public industriel et commercial (cf. notamment à l'égard de l'ONF : Conseil d'Etat, 31 mai 2013, jurisdata 2013 – 010 778) ; qu'en l'espèce, l'ONF soutient que les missions qui lui ont été dévolues par l'Etat dans le cadre de la loi dite « RTM » ne relèvent pas de la gestion courante des forêts mais d'une mission d'intérêt général spécifique de conservation et de restauration des forêts ; que pour autant l'ONF ne démontre pas dans quelle mesure l'exercice de cette mission la conduirait à faire usage de prérogatives de puissance publique ; que l'analyse des missions dévolues à l'ONF par l'Etat, dans le cadre de la convention pluriannuelle (cf. pages 3 et 4 de la convention) pour la restauration des terrains de montagne démontre au contraire qu'il s'agit de missions consistant à prévenir le déclenchement des phénomènes naturels ou en limiter l'impact pour les personnes et les biens, par l'aménagement des terrains domaniaux grâce à des travaux combinés de génie écologique et de génie civil, assurer sous l'autorité du ministère et des préfets, et dans la limite des moyens financiers alloués, la responsabilité de la maintenance de ces terrains domaniaux et des ouvrages constitués, de leur suivi, de leur conservation et de leur renouvellement, apporter un appui méthodologique et technique de l'Etat, aux niveaux central et local, dans des modalités encadrées par le code forestier ; qu'il ne ressort pas de ses activités la mise en oeuvre de prérogatives exclusivement réservées aux services publics administratifs tels, notamment, des activités de réglementation, de police ou de contrôle, que dès lors, le présent litige relève bien des juridictions de l'ordre judiciaire ;

1°) ALORS QUE la réparation de dommages de travaux publics relève de la compétence des juridictions administratives ; que la responsabilité de l'État, susceptible d'être engagée à raison de l'absence de travaux de stabilisation des terrains de montagne (dans le cadre des dispositions du code forestier relatives à la restauration des terrains en montagne) devant être effectués non pas à des fins de gestion domaniale mais dans un but d'intérêt général de prévention des risques naturels relève de la responsabilité pour dommages de travaux publics ; que dès lors les demandes aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise judiciaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et de condamnation solidaire de l'Office National des Forêts et de l'État à payer une provision de 50 000 euros à raison d'un glissement de terrain de montagne relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre administratif ; qu'en retenant cependant sa compétence, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives ;

2°) ALORS QUE c'est à l'ensemble du litige et à toutes les parties concernées que s'appliquent les règles de la responsabilité en matière de travaux publics, en sorte que ne peut être admise une reponsabilité alternative qui permettrait de rechercher la responsabilité de l'ONF devant le juge judiciaire à raison de la prétendue existence de troubles de voisinage ; qu'en écartant la responsabilité pour dommages de travaux public pour retenir la responsabilité de l'ONF pour troubles de voisinage à raison de ses activités d'établissement public et commercial sans mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives ;

3°) ALORS QUE le juge tranche le litige conformément aux règles de droits qui lui sont applicables ; qu'il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; qu'en refusant de rechercher si la responsabilité de l'Etat et de l'ONF pouvait être engagée sur le fondement de l'existence de dommages de travaux public au motif que le demandeur avait fondé son action sur le régime de la responsabilité sans faute pour trouble anormal de voisinage, la cour d'appel qui s'est arrêtée à la dénomination des faits et actes litigieux proposée par le demandeur à l'action a méconnu son office et violé les dispositions de l'article 12 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE l'ONF faisait valoir que l'absence de travaux ou d'ouvrages destinés, dans le cadre des dispositions du code forestier relatives à la restauration des terrains en montagne, à prévenir les glissements de terrain, relevait de la responsabilité pour dommages de travaux publics (conclusions P 12-13) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
Moyen produit par SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat, demandeur au pourvoi incident


IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence au profit des juridictions administratives soulevée notamment par l'Agent judiciaire de l'Etat, retenu la compétence des juridictions judiciaires et ordonné une mesure d'expertise judiciaire ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE contrairement à ce que soutiennent les appelants, c'est à juste titre et par des motifs exempts de critiques utiles, que la cour adopte, que le premier juge a constaté que les tribunaux de l'ordre judiciaire étaient compétents pour connaître des demandes présentées par Monsieur Pierre Y... dès lors que ses demandes ne sont fondées ni sur la situation d'un ouvrage public ou sur la mauvaise exécution du contrat conclu entre l'ONF et l'Etat mais qu'elles le sont sur l'existence d'un trouble anormal du voisinage résultant de la présence d'une forêt, propriété privée de l'Etat, et sous la gestion de l'ONF, établissement public industriel et commercial auquel a été confié une mission tendant à prévenir le déclenchement des phénomènes naturels ou en limiter l'impact pour les personnes et les biens, et ce par l'aménagement des terrains domaniaux grâce à des travaux combinés de génie écologique et de génie civil, à assurer sous l'autorité des ministères et des préfets, dans la limite des moyens financiers alloués, la responsabilité de la maintenance de ces terrains domaniaux et des ouvrages constitués, de leur suivi, de leur conservation et de leur renouvellement, ainsi qu'à apporter un appui méthodologique et technique à l'Etat, aux niveaux local et central, dans des modalités encadrées par le code forestier ; que force est de relever, à l'instar du premier juge, que ces missions n'entraînent pas la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique exclusivement réservées au service public administratif, telles que des activités de règlementation, de police ou de contrôle, et que l'ONF ne démontre pas plus que les missions qui lui sont confiées dans le cadre de la convention conclue avec l'Etat l'amèneraient à faire usage de prérogatives de puissance publique de sorte que le présent litige relève de la compétence non de la juridiction administrative mais de celle des tribunaux de l'ordre judiciaire ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il est constant que la forêt de Luchon depuis laquelle s'est produit l'éboulement litigieux appartient au domaine privé de l'Etat ; qu'il est également constant que l'ONF est un établissement public industriel et commercial ; qu'il convient d'observer que le demandeur ne fonde pas son action sur la responsabilité d'une personne publique dans la survenance d'un dommage lié au fonctionnement ou au dysfonctionnement d'un ouvrage public, mais sur le régime de la responsabilité sans faute pour trouble anormal de voisinage ; que peu importe également à ce stade, que la convention par laquelle l'ONF se trouve lié à l'Etat revête ou non la qualification de contrat administratif, le demandeur, Monsieur Y... est tiers à ce contrat et ne fonde pas son action sur une quelconque faute contractuelle de l'ONF ; que la question de la qualification du contrat, ainsi que de sa bonne ou mauvaise exécution par l'ONF, n'a d'incidence que dans les rapports de ce dernier avec l'Etat ; que ces éléments sont toutefois insuffisants, de facto, pour emporter la compétence du juge judiciaire sur l'action en responsabilité de l'Etat et de l'ONF engagée par le demandeur ; qu'en effet, le principe selon lequel les litiges nés des activités d'un établissements public industriel et commercial relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire trouve exception lorsque lesdites activités relèvent, par leur nature même, de prérogatives de puissance publique et ne peuvent donc être exercées que par un service public administratif ; qu'en l'espèce, la gestion de la forêt domaniale de Luchon est assurée par l'ONF dans le cadre de la loi du 4 avril 1882 relative à la restauration des terrains de montagne (loi dite « RTM ») aujourd'hui codifiée aux articles L 142-7 et suivants du code forestier ; qu'actuellement, l'ONF est gestionnaire de cette partie du domaine privé de l'Etat, selon convention pluriannuelle signée avec ce dernier en date du 26 avril 2012 pour la période 2012-2016 ; que les mesures applicables à la forêt domaniale de Luchon sont définies par l'arrêté ministériel d'aménagement en date du 20 novembre 2013 pour la période 2013-2032 et par l'arrêté ministériel d'aménagement en date du 5 janvier 1994 pour la période de 1992-2012 ; que dans ce cadre, l'Etat confie à l'ONF la mission d'intérêt général que constitue la restauration des terrains de montagne, selon un programme (quinquennal ou annuel selon les cas) de travaux définis par l'Etat lorsque les terrains concernés appartiennent à son domaine privé ; que la question est donc de déterminer si cette mission confiée à l'ONF relève, ou non, de l'exercice de prérogatives de puissance publique, il s'agit classiquement des activités de réglementation, de police, ou de contrôle, ne pouvant être exercées dans le cadre d'un service public industriel et commercial (cf. notamment à l'égard de l'ONF : Conseil d'Etat, 31 mai 2013, jurisdata 2013 – 010 778) ; qu'en l'espèce, l'ONF soutient que les missions qui lui ont été dévolues par l'Etat dans le cadre de la loi dite « RTM » ne relèvent pas de la gestion courante des forêts mais d'une mission d'intérêt général spécifique de conservation et de restauration des forêts ; que pour autant l'ONF ne démontre pas dans quelle mesure l'exercice de cette mission la conduirait à faire usage de prérogatives de puissance publique ; que l'analyse des missions dévolues à l'ONF par l'Etat, dans le cadre de la convention pluriannuelle (cf. pages 3 et 4 de la convention) pour la restauration des terrains de montagne démontre au contraire qu'il s'agit de missions consistant à prévenir le déclenchement des phénomènes naturels ou en limiter l'impact pour les personnes et les biens, par l'aménagement des terrains domaniaux grâce à des travaux combinés de génie écologique et de génie civil, assurer sous l'autorité du ministère et des préfets, et dans la limite des moyens financiers alloués, la responsabilité de la maintenance de ces terrains domaniaux et des ouvrages constitués, de leur suivi, de leur conservation et de leur renouvellement, apporter un appui méthodologique et technique de l'Etat, aux niveaux central et local, dans des modalités encadrées par le code forestier ; qu'il ne ressort pas de ses activités la mise en oeuvre de prérogatives exclusivement réservées aux services publics administratifs tels, notamment, des activités de réglementation, de police ou de contrôle, que dès lors, le présent litige relève bien des juridictions de l'ordre judiciaire ;

1°) ALORS QUE la réparation des dommages de travaux publics relève de la compétence du juge administratif ; qu'en l'espèce, des travaux de stabilisation des terrains de montagne dont la réalisation permettaient d'éviter les éboulements provenant d'une forêt domaniale ne revêtaient pas la qualification de travaux de gestion patrimoniale de la forêt mais de travaux à visée d'utilité générale en ce qu'ils poursuivaient un objectif de sécurité publique, à savoir la prévention des risques naturels, de sorte qu'ils relevaient de la responsabilité pour dommages de travaux publics et donc du juge administratif ; qu'en retenant néanmoins sa compétence, la cour d'appel a violé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et excédé ses pouvoirs ;

2°) ALORS QUE les règles de la responsabilité du fait des dommages de travaux publics ont vocation à s'appliquer à l'ensemble du litige à l'exclusion de tout autre régime de responsabilité ; qu'en retenant que l'Agent judiciaire de l'Etat et l'ONF étaient susceptibles d'engager leur responsabilité sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage pour retenir la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a une nouvelle fois violé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et a excédé ses pouvoirs ;

3°) ALORS QUE le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans être lié par la dénomination ou la qualification des demandes données par les parties ; qu'en s'estimant lié par la demande de M. Y... fondée sur la théorie des troubles anormaux du voisinage, sans rechercher si la responsabilité de l'Etat et de l'ONF pouvait être engagée sur le fondement de l'existence de dommages de travaux public, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 12 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2017:C100272
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