Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 mai 2016, 15-11.046, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du code du travail ;

Attendu qu'en vertu du second de ces textes la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur ; que cette obligation légale a pour objet de permettre au salarié de connaître les motifs de son licenciement pour pouvoir éventuellement les discuter et de fixer les limites du litige quant aux motifs énoncés ;

Attendu que, si la lettre de licenciement doit énoncer la cause économique du licenciement telle que prévue par l'article L. 1233-3 du code du travail et l'incidence matérielle de cette cause économique sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié, l'appréciation de l'existence du motif invoqué relève de la discussion devant le juge en cas de litige ;

Attendu qu'il en résulte que la lettre de licenciement qui mentionne que le licenciement a pour motifs économiques la suppression de l'emploi du salarié consécutive à la réorganisation de l'entreprise justifiée par des difficultés économiques et (ou) la nécessité de la sauvegarde de sa compétitivité répond aux exigences légales, sans qu'il soit nécessaire qu'elle précise le niveau d'appréciation de la cause économique quand l'entreprise appartient à un groupe ; que c'est seulement en cas de litige qu'il appartient à l'employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 2 novembre 1998 en qualité de responsable commercial par la société Oudoul, mise en liquidation judiciaire en juillet 2007 et l'objet d'une cession partielle à la société Moulin de Saliens le 20 novembre 2007, devenue la société ACAP 82 ; que le contrat de travail du salarié a été transféré à la société Moulin de Saliens le 1er décembre 2007 ; que dans le cadre d'un licenciement économique collectif, il a été licencié par lettre du 26 juillet 2011 ;

Attendu que pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la lettre de licenciement fait exclusivement état des difficultés économiques de la société employeur sans aucune référence à la situation du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient et évoque deux motifs économiques contradictoires, les difficultés économiques de l'entreprise et sa réorganisation pour sauvegarder sa compétitivité ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement énonçait que le licenciement avait pour motifs économiques la suppression de l'emploi du salarié consécutive à la réorganisation de l'entreprise justifiée tant par des difficultés économiques de la société que par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité en sorte qu'elle répondait aux exigences légales de motivation, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier le caractère réel et sérieux du motif économique tel qu'invoqué dans la lettre de licenciement au regard du périmètre pertinent pour son appréciation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société ACAP 82 à payer à M. X... la somme de 60 000 euros de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 27 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la société ACAP 82

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la SAS ACAP 82 à payer à Monsieur X... la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de l'AVOIR condamnée à rembourser aux organismes concernés (Pôle Emploi) les indemnités de chômage dans la limite de six mois ;

AUX MOTIFS QUE « (…) Monsieur Stéphane X..., par conclusions écrites, déposées le 22 septembre 2014, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer demande à la cour de : réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Tarbes le 13 juillet 2012, dire que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, en conséquence, condamner la société ACAP 82 à lui payer : 128.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, 10.000 euros de dommages et intérêts en raison du licenciement intervenue dans des conditions vexatoires, 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; Monsieur Stéphane X... soutient deux moyens pour contester son licenciement. Premier moyen : s'il reconnaît la situation économique difficile de la société qui l'emploie c'est-à-dire la société MOULIN DE SALIENS, en revanche les autres sociétés du groupe international auquel l'entreprise appartient ne connaissent aucune difficulté et ont des résultats bénéficiaires, alors que la réalité de difficultés économiques doit s'apprécier au niveau du groupe auquel appartient l'entreprise concernée en prenant en compte les sociétés du secteur d'activité se. trouvant l'étranger. Il ajoute que pour apprécier les difficultés, il convient de se placer sur le pôle commercialisation, et non sur le pôle production ; il vendait des pièces en caoutchouc comme des pièces en plastique ; l'entreprise au moment de son licenciement, avait une activité composée de 4l % pour le plastique et 59 % pour le caoutchouc ; l'appréciation du motif économique doit se faire à la lecture des bilans des autres filiales du groupe commercialisant soit du caoutchouc, soit du plastique, soit les deux, compétences exerçait dans les deux secteurs d'activité ; l'employeur doit démontrer que chacune 'des' entreprises était dans une difficulté telle qu'il était impossible de maintenir son contrat et dès lors, qu'une seule de ces sociétés était in bonis son licenciement était injustifié. Deuxième moyen : son contrat de travail dépendait de la convention collective du caoutchouc dont la section 3. paragraphe 7, concerne la procédure de licenciement et prévoit que l'employeur, avant tout congédiement pour cause de suppressions d'emplois, doit s'efforcer de proposer à l'intéressé dans l'entreprisse un poste équivalent et qu'à défaut de respect de cette procédure conventionnelle de reclassement le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; or, l'employeur n'a pas respecté cette procédure puisqu'il lui a proposé des postes qui n'avaient rien à voir avec sa qualification, la décision de le licencier ayant été prise dans le but d'augmenter le chiffre d'affaires (…) ; il résulte des dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail, que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives soit à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, soit à une réorganisation lorsqu'elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise et, dès lors que l'entreprise appartient à un groupe, à la condition qu'il s'agisse de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe dont relève l'entreprise et que l'existence d'une menace sur la compétitivité soit caractérisée. Ces motifs et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié doivent être énoncés dans la lettre de licenciement. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, les difficultés économiques invoquées par l'employeur pour procéder à un licenciement économique doivent être appréciées au regard du secteur d'activité du groupe. La spécialisation d'une entreprise dans le groupe, ou son implantation dans un pays différent de ceux où sont situées les autres sociétés du groupe, ne suffit pas à exclure son rattachement à un même secteur d'activité, au sein duquel doivent être appréciées les difficultés économiques. La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables et, dès lors que l'employeur invoque des difficultés économiques et que l'entreprise appartient à un groupe, la lettre de licenciement doit énoncer les difficultés économiques du secteur d'activité du groupe qui constituent le véritable motif du licenciement, de sorte que le défaut de cette énonciation équivaut à une absence de motivation qui rend le licenciement sans cause réelle ni sérieuse ; en l'espèce, la lettre de licenciement fait exclusivement état des difficultés économiques de la société sans aucune référence ou mention aux difficultés économiques du secteur d'activité du groupe composé de plusieurs sociétés, manquant en cela à son obligation de motivation ; en outre l'employeur conclut la lettre de licenciement par ces termes ; « la restructuration est donc la seule voie envisageable, la réorganisation que nous mettons en place vise à sauvegarder la compétitivité de l'entreprise et à tenter d'assurer sa pérennité. Après mûre réflexion, nous avons décidé de supprimer le poste de commercial. Ainsi, après avoir longuement développé les difficultés économiques rencontrées par la société MOULIN DE SALIENS SAS, sans aucune référence ou mention aux difficultés économiques du secteur d'activité du groupe, l'employeur motive la suppression du poste du salarié, et donc son licenciement, non pas comme une conséquence des difficultés économiques invoquées, mais comme résultant de la réorganisation de l'entreprise pour sauvegarder sa compétitivité ; l'employeur invoque donc deux motifs économiques contradictoires d'une part des difficultés économiques de l'entreprise, et d'autre part la réorganisation de l'entreprise pour sauvegarder sa compétitivité qui constitue précisément un motif distinct des difficultés économiques qui sont censées ne pas s'être encore produites ; de plus, l'employeur ne produit aucun élément de nature à caractériser l'existence d'une menace, précise et actuelle, pesant sur la compétitivité de l'entreprise ni, a fortiori, pesant sur le secteur d'activité du groupe dont relève l'entreprise ; par conséquent, au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Compte-tenu de l'ancienneté du salarié au moment de son licenciement (13 ans) de son âge (48 ans) et de son salaire mensuel, il convient de fixer à la somme de 60.000 euros le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, étant souligné que Monsieur Stéphane X... ne produit pas d'élément de nature justifier l'octroi de la somme sollicitée à ce titre. La SAS ACAP 82 sera également condamnée à rembourser aux organismes concernés (Pôle Emploi), les indemnités de chômage versées du jour du licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail » ;

1. ALORS QU'est suffisamment motivée la lettre de licenciement qui invoque une suppression de poste résultant des difficultés économiques et/ou d'une réorganisation de l'entreprise pour sauvegarder sa compétitivité ; qu'en l'espèce, pour dire le licenciement sans cause réelle ni sérieuse et condamner l'exposante à ce titre, la cour d'appel a retenu que la lettre de licenciement se référait aux difficultés économiques de la seule entreprise sans faire état de celles du secteur d'activité du groupe, et que la suppression du poste était envisagée comme une conséquence de la réorganisation pour sauvegarder la compétitivité, ce qui était contradictoire avec les difficultés économiques invoquées ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que la lettre de licenciement faisait état de difficultés économiques ainsi que d'une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité entrainant la suppression de l'emploi du salarié, de telle sorte qu'elle était suffisamment motivée, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-6, L. 1233-3, L. 1233-16 et L. 1235-1 du code du travail ;

2. ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, il ne résulte ni des constatations de l'arrêt, ni des écritures des parties que Monsieur X... ait invoqué l'insuffisante motivation de la lettre de licenciement ; qu'en relevant néanmoins ce moyen d'office, sans inviter les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;

3. ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer les pièces du dossier ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement rattachait la suppression d'emploi tant aux difficultés économiques invoquées, qu'à la nécessité de préserver la compétitivité ; qu'en considérant que la suppression d'emploi n'était envisagée que comme une conséquence de la menace pesant sur la compétitivité, la cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement en méconnaissance du principe susévoqué ;

4. ALORS QU'il revenait à la cour d'appel de s'assurer que le licenciement était justifié par les difficultés économiques invoquées ; qu'en s'abstenant de le faire, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-3, L. 1233-16 et L. 1235-1 du code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2016:SO00733
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