Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 1 mars 2016, 14-16.402, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par un acte du 12 janvier 2006, la Société générale (la banque) a consenti à la société Audit comptable finances et services associés, devenue la société Agefor, un prêt pour l'acquisition des parts de la société d'expertise comptable Alirex, devenue la société Cabinet X... audit conseil (la société Cabinet X...) ; que M. X... s'est, par un acte du 9 janvier 2006, auquel s'est substitué un acte du 29 mars 2007, rendu caution solidaire du remboursement de ce prêt ; qu'une procédure de sauvegarde a été ouverte, le 24 mars 2009, à l'égard de la société Cabinet X... puis étendue, le 15 décembre 2009, à la société Agefor ; que le 20 mai 2010, un plan de sauvegarde a été arrêté ; que, le 17 novembre 2010, la banque a assigné M. X... en exécution de son engagement ; que le plan a été résolu par un jugement du 20 février 2012 qui a prononcé la liquidation judiciaire ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles L. 626-11 du code de commerce et L. 341-4 du code de la consommation ;

Attendu que pour apprécier si, au sens du second de ces textes, le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée, le juge doit, en principe, se placer au jour où la caution est assignée ; que cependant si, à ce moment, le débiteur principal bénéficie d'un plan de sauvegarde en cours d'exécution, l'appréciation doit être différée au jour où le plan n'est plus respecté, l'obligation de la caution n'étant exigible qu'en cas de défaillance du débiteur principal ;


Attendu que pour condamner la caution à payer à la banque une certaine somme, l'arrêt retient que le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ne suspend les poursuites contre la caution que jusqu'au jugement arrêtant le plan de sauvegarde et que c'est donc à la date de l'assignation du 17 novembre 2010 délivrée à la caution par le créancier, qu'il convient de se placer pour apprécier la « disproportion », la caution ne pouvant se prévaloir des dispositions du plan pour échapper à ses obligations ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans constater qu'à la date retenue, le plan de sauvegarde du débiteur principal, dont la caution pouvait se prévaloir, n'était pas exécuté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1315 du code civil et L. 341-4 du code de la consommation ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes qu'il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation ;

Attendu que pour condamner la caution à payer à la banque une certaine somme, après avoir constaté la disproportion de son engagement, l'arrêt retient qu'il appartient à la caution de prouver que son patrimoine ne lui permet pas de faire face à son obligation au moment où elle est appelée ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne la Société générale aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Monsieur Claude X... à payer à la SOCIETE GENERALE la somme principale de 395.760,86 €, ainsi que les intérêts de retard au taux légal à compter du 17 novembre 2010, date de l'assignation, et ce, jusqu'à parfait paiement, et d'avoir dit que les intérêts des sommes dues se capitaliseront par année entière, conformément à l'article 1154 du Code civil ;

Aux motifs que « il appartient à la caution de prouver, d'une part, qu'au moment de la conclusion du contrat, l'engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus et d'autre part, de prouver que son patrimoine ne lui permet pas de faire face à son obligation au moment où elle est appelée ; mais, si la disproportion est avérée au moment de la conclusion du contrat, encore faut-il établir que la disproportion existe toujours au moment où la caution est appelée au regard de son patrimoine. M Claude X... soutient que LA SOCIETE GENERALE n'était pas recevable à le poursuivre en 2010 au regard des dispositions du plan de sauvegarde dont il pouvait se prévaloir et que sa situation financière doit être appréciée à partir de mars 2012 lors du prononcé de la liquidation judiciaire de ses sociétés. Il fait valoir ainsi qu'il n'était pas imposable au titre de ses revenus 2012, qu'il a effectué quelques missions dans le cadre d'une activité individuelle, mais qu'il ne peut plus accepter de mandats eu égard aux charges supplémentaires imposées par l'activité de commissariat aux comptes et à la menace de voie d'exécution à son encontre. Il ajoute que ses charges et son patrimoine immobilier ne lui permettent pas davantage de rembourser la somme de 395 000 €, étant précisé que l'esprit de l'article L.341-4 du code de la consommation n'est pas de régler la dette sur 20 ou 30 ans. LA SOCIETE GENERALE réplique qu'il convient d'apprécier les capacités financières de M Claude X... au moment de la mise en demeure et de l'assignation, soit au cours de l'année 2010, qu'à cet égard, les revenus de M Claude X... étaient conséquents, qu'il n'hésitait pas à se rémunérer de façon importante malgré les difficultés de ses sociétés en plan de sauvegarde, qu'il a continué à avoir des revenus conséquents après leur mise en liquidation judiciaire , puis a curieusement cessé toute activité professionnelle, tout en conservant un certain train de vie, organisant ainsi manifestement son insolvabilité. Il sera en premier lieu observé que les parties ne contestent pas que l'appréciation de la disproportion doive se faire au regard de l'ensemble du patrimoine de M Claude X..., revenus et biens compris et ont conclu toutes deux en ce sens. LA SOCIETE GENERALE fait valoir à juste titre que l'article L341-4 du code de la consommation n'exige pas que la disproportion lors de l'appel de la caution soit appréciée en fonction de la capacité de celle-ci à rembourser immédiatement et en une seule fois sa dette, et donc n'exclut pas un remboursement progressif en fonction de la capacité d'épargne. Enfin, il est constant que la créance de LA SOCIETE GENERALE s'élève à la somme de 387 974 € au moment où la caution est appelée et que la disproportion doit s'apprécier au regard de ce montant. En application de l'article L. 622-28 alinéa 2 du code commerce, le jugement d'ouverture d'une procédure collective suspend les poursuites contre les cautions jusqu'au jugement arrêtant le plan de sauvegarde, soit en l'espèce jusqu'au 20 mai 2010. M Claude X... ne saurait se prévaloir des dispositions particulières du jugement d'homologation dont s'agit pour échapper à ses obligations de caution dont il avait parfaitement connaissance et ce, même si la transmission universelle de patrimoine prévue dans ledit jugement continuait à "geler" les poursuites. En conséquence, c'est donc bien à la date théorique de reprise des poursuites individuelles, soit de l'assignation en paiement du 17 novembre 2010 qu'il convient d'apprécier la disproportion. Il ressort ainsi des avis d'imposition 2010 et 2011 que M Claude X... a déclaré des revenus respectifs de 88 448 € et 80 885 € pour ces deux années, ce qui lui laissait un disponible non négligeable à consacrer au remboursement du cautionnement. Quant à son patrimoine, il est toujours constitué de l'immeuble dont il est propriétaire à Beauvoirsur-mer qui était évalué entre 180 000 et 200 000 € en 2005 et dont la valeur aurait baissé et se situerait entre 110 000 et 120 000 € avec un solde de prêt à rembourser de 59 726.91 €, soit un actif net de l'ordre de 60 000 €. Quant à ses charges familiales, elles sont à partager avec son épouse. De même, les prêts contractés récemment pour réaliser des travaux dans sa maison ne peuvent être pris en ligne de compte, M Claude X... ne pouvant se prévaloir d'un endettement postérieur au moment où il a été appelé. Il sera enfin observé que si les revenus de M Claude X... ont notablement diminué après la liquidation judiciaire de ses sociétés, il a repris une activité individuelle d'expert-comptable dont les bénéfices sont en progression (12 409 € en 2012 et 32 586 € en 2013). En conséquence, M Claude X... était en mesure de faire face à son engagement de caution au moment où il a été appelé et il n'y a pas disproportion manifeste » ;

Alors que, d'une part, il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation ; qu'en estimant, néanmoins, en l'espèce, qu'il appartenait à la caution d'établir que son patrimoine ne lui permet pas de faire face à son obligation au moment où elle est appelée, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil et L. 341-4 du Code de la consommation ;

Alors que, d'autre part, le jugement qui arrête le plan de sauvegarde en rend les dispositions opposables à tous ; que les personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle peuvent s'en prévaloir ; qu'en estimant, toutefois en l'espèce, que c'est à la date théorique de reprise des poursuites individuelles, soit de l'assignation en paiement du 17 novembre 2010 qu'il convient d'apprécier la disproportion de l'engagent de caution au moment où elle est appelée, quand la caution pouvait se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde adopté le 20 mai 2010 lequel continuait à geler les poursuites du fait de la transmission universelle de patrimoine prévue et finalement résolu le 20 février 2012, la cour d'appel a violé les articles L. 341-4 du Code de la consommation et L. 626-11 du Code de commerce ;

Alors que par ailleurs, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné, à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à ses obligations ; que la disproportion lors de l'appel de la caution doit être appréciée en fonction de la capacité de celle-ci à rembourser immédiatement ; qu'en décidant, cependant, en l'espèce, que l'article L. 341-4 du Code de la consommation n'exige pas que la disproportion lors de l'appel de la caution soit appréciée en fonction de la capacité de celle-ci à rembourser immédiatement, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du Code de la consommation ;

Alors que, enfin, la proportionnalité de l'engagement de la caution ne peut pas être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie ; qu'en relevant, pourtant, en l'espèce, qu'il ressort des avis d'imposition 2010 et 2011 que M. Claude X... a déclaré des revenus respectifs de 88.448 ¿ et 80.885 ¿ pour ces deux années, ce qui lui laissait un disponible non négligeable à consacrer au remboursement du cautionnement, quand, en prenant en compte les salaires versés par la société AGEFOR en 2010 et 2011, société qui a absorbé la société LIREX qu'elle détenait à 100%, laquelle a été acquise au moyen du prêt garanti par l'engagement de caution de M. X..., la cour d'appel a pris en considération les revenus escomptés de l'opération garantie et a ainsi violé l'article L. 341-4 du Code de la consommation.

ECLI:FR:CCASS:2016:CO00221
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