Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 octobre 2019, 16-14.708, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, qui est recevable :

Vu l'article 2, § 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant sur contredit, que M. K..., domicilié [...] , salarié de la société Compagnie minière de l'Ogooué (COMILOG) (la société Comilog) de droit gabonais a saisi le conseil de prud'hommes de Paris à l'encontre de la société Comilog et de la société Eramet Comilog manganèse (la société Eramet), ayant son siège à Paris, appartenant au même groupe, pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et le paiement de diverses sommes liées à la rupture de la relation contractuelle, en invoquant à l'encontre de la société Eramet sa qualité de co-employeur ; que les défendeurs ont soulevé l'exception d'incompétence de la juridiction prud'homale française ;

Attendu que pour dire le conseil de prud'hommes de Paris incompétent et le renvoyer à mieux se pourvoir, l'arrêt retient que M. K... soutient en vain qu'il était salarié de la société Eramet et qu'il existe une situation de co-emploi à son égard entre la société Comilog et la société Eramet lui permettant ainsi d'attraire cette dernière devant les juridictions françaises ;

Attendu cependant qu'aux termes de l'article 2, § 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle constatait que la société Eramet avait son siège à Paris, ce dont il résultait que les juridictions françaises étaient compétentes, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés Eramet Comilog manganèse et Compagnie minière de l'Ogooué aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. K... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. K....

Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit le conseil de prud'hommes de Paris incompétent et invité les parties à mieux se pourvoir, d'AVOIR dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et d'AVOIR condamné Monsieur K... aux frais de contredit ;

AUX MOTIFS QUE sur la compétence, Monsieur Z... K... soutient que les sociétés COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG et ERAMET COMILOG MANGANESE étaient ses co-employeurs, au motif que : - elles ont des liens très étroits entre elles, - le capital de SA COMPAGNIE MINIÈRE DE L'QGOOUÉ-COMILOG est détenu à 63,7% par la SAS ERAMET COMILOG MANGANESE, - il a signé un premier contrat de travail avec la groupe français ERAMET, puis un second avec la SA COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG, - il a bénéficié du programme de santé pour les expatriés du groupe français et du régime de prévoyance des expatriés mis en place au niveau du groupe, - il a reçu, le 12 juin 2012, des reproches écrits de la part de Madame A..., directrice des ressources humaines du groupe ERAMET, - son licenciement a été géré par la SAS ERAMET COMILOG MANGANÈSE ; qu'il produit à l'appui de son argumentation, notamment : - un courrier de la SAS ERAMET COMILOG MANGANÈSE, en date du 17 juin 2008, contresigné par lui-même, qui mentionne « A la suite de nos différents entretiens, nous vous confirmons ci-après les conditions de votre engagement au sein de COMILOG SA et de votre expatriation au Gabon, à Moanda » : - « Le présent contrat prendra effet le 1er septembre 2008 », - « Votre fonction sera celle de Médecin », - « Votre emploi au Gabon sera régi par un contrat de travail de droit Gabonais qui vous liera à Comilog SA », - « Vous bénéficierez de la classification « IIème Catégorie, Echelon B » de la convention collective des Mines du Gabon », - « Vous serez contribuable gabonais et vous devrez vous soumettre à la réglementation fiscale en vigueur au Gabon », - « Le contrat de travail COMILOG SA comporte une période d'essai de six mois conformément à la convention collective applicable », - divers documents établis au niveau du groupe ERAMET : - la notice d'information relative au Régime Expatrié Prévoyance du groupe ALLIANZ, - un rapport partiel d'audit de l'hôpital Marcel ABEKE (où il devait travailler) en date des 11,12 et 13 septembre 2007, - un rapport d'audit de l'hôpital Marcel ABEKE en date de juin/septembre 2009, - une charte d'éthique du groupe ERAMET, - son contrat de travail conclu avec la SA COMPAGNIE MINIÈRE DE L'OGOOUÉ-COMILOG, également signé le 17 juin 2008, - des bulletins de paye de la SA COMPAGNIE MINIÈRE DE L'OGOOUÉ-COMILOG, - des courriers de la SA COMPAGNIE MINIÈRE DE L'OGOOUÉ-COMILOG, rédigés à Moanda, l'informant de l'augmentation de ses appointements et du paiement d'une prime d'intéressement, - une demande de congé et de titre de transport, datée du 2 avril 2012 pour une prise d'effet à compter du 5 avril 2012, envoyée à la direction des ressources humaines de la SA COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE, - le certificat d'interruption d'activité, établi par un médecin belge le 14 août 2012, qu'il a envoyé à la SAS ERAMET COMILOG MANGANESE et le courrier de cette dernière qui lui a répondu qu'elle transmettait ce document à son employeur la société COMILOG, - une mise à pied disciplinaire prononcée le 26 juillet 2011 par la SA COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG, - un échange de courriels avec Madame A... le 12 juin 2012 ; qu'aux termes de l'article L.1411-1 du code du travail « le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient » et qu'« il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti », qu'il y a contrat de travail, ce qui détermine donc la compétence de la juridiction du travail, lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre moyennant rémunération et que, spécialement, le lien de subordination ainsi exigé est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le fait que le travail soit effectué au sein d'un service organisé pouvant constituer un indice de l'existence d'un lien de subordination lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution ; que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention, mais des conditions de faits dans lesquelles est exercée l'activité litigieuse ; qu'il appartient, en conséquence, au juge d'examiner ces conditions de fait et de qualifier la convention conclue entre les parties, sans s'arrêter à la dénomination qu'elles a aient retenue entre elles ; que, par ailleurs, il appartient à la partie qui entend se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de subordination ; que sur la SAS ERAMET COMILOG MANGANÈSE et le co-emploi, contrairement à ce qu'affirme Monsieur Z... K..., le courrier de la SAS ERAMET COMILOG MANGANESE en date du 17 juin 2008, qu'il a contresigné, n'a pour objet que de confirmer son engagement par la SA COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG et son expatriation au Gabon dans le cadre d'un contrat de travail de droit gabonais le liant à cette société, et de préciser certains points relatifs, notamment, à sa rémunération, sa retraite, sa couverture santé, son assurance chômage, ses jours de congés, et ses avantages en nature (logement et voiture de fonction) ; qu'en aucun cas, ce courrier ne peut constituer un contrat de travail le liant à la société française ERAMET COMILOG MANGANESE ; que les autres pièces que Monsieur Z... K... produit ne révèlent pas que cette société française aurait, à un moment quelconque exercé, directement à son égard les prérogatives de l'employeur, et, notamment, le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction constituant le lien de subordination caractéristique du contrat de travail ; qu'à cet égard, l'échange de courriels avec Madame A..., en date du 12 juin 2012, ne peut constituer une sanction ; qu'ainsi, Monsieur Z... K... manque à rapporter la preuve du lien de subordination qu'il allègue et donc de l'existence du contrat de travail avec la société française ERAMET COMILOG MANGANESE dont il se prévaut ; que cependant, la situation de co-emploi peut être caractérisée même en l'absence de lien de subordination, à la condition qu'il existe entre les sociétés concernées une confusion d'activité, d'intérêts et de direction et que la ou les sociétés, qui n'exercent pas directement les pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction à l'égard du salarié, s'immiscent à leur profit dans la gestion économique et sociale de la société qui les assume effectivement, en privant celle-ci de toute autonomie industrielle, commerciale et administrative, ce qui suppose que cette société soit leur filiale et que cette immixtion aille audelà de la nécessaire coordination des actions économiques entre des sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer ; que le procès-verbal de l'assemblée générale de la société française ERAMET COMILOG MANGANESE, du 29 juin 2010, révèle que cette société est une filiale détenue pour moitié par la société gabonaise COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG et pour l'autre moitié par la société ERAMET HOLDING MANGANESE ; qu'en conséquence, le fait que la SAS ERAMET COMILOG MANGANÈSE soit une filiale de la SA COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG, et non l'inverse comme l'affirme Monsieur Z... K... en page 7 de ses conclusions, ne permet pas de caractériser la situation de co-emploi qu'il invoque, étant observé qu'aucune des pièces produites aux débats ne démontre en tout état de cause la réalité d'une immixtion de la première dans la gestion de la seconde ; qu'il résulte de ce qui précède que c'est en vain que Monsieur Z... K... soutient qu'il était salarié de la SAS ERAMET COMILOG MANGANESE et qu'il existe une situation de co-emploi à son égard, entre son employeur effectif la SA COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG et la SAS ERAMET COMILOG MANGANÈSE, et qu'il peut ainsi attraire cette dernière devant les juridictions françaises ; que sur la SA COMPAGNIE MINIÈRE DE L'OGOOUECOMILOG, le contrat à durée indéterminée de droit gabonais, daté du 17 juin 2008, prévoyait, en son article 14 : « Tout conflit, pouvant survenir à l'occasion de ce contrat, est soumis par la partie la plus diligente à l'Inspecteur du travail et des Lois Sociales du lieu d'exécution du contrat ou son suppléant légal en vue de son règlement amiable. En cas d'échec de règlement amiable, le litige sera soumis au Tribunal du travail du lieu d'emploi ... » ; que Monsieur Z... K... ne conteste pas qu'il n'a travaillé qu'au Gabon ; qu'il résulte de ce qui précède que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître du litige qui oppose le salarié à la société COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE-COMILOG ; qu'il y a lieu de rejeter le contredit de compétence, de confirmer le jugement et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;

ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE c'est à tort que M. Z... K... qualifie la lettre de la société ERAMET de contrat de travail ;
que c'est une lettre de promesse d'embauche dans la société COMILOG puisqu'elle stipule dans son article 3 contrat de travail les conditions suivantes : « Votre emploi au Gabon sera régi par un contrat de travail de droit Gabonais qui vous liera à COMILOG SA ... » ; que cette lettre n'étant pas un contrat de travail, le seul contrat valide est celui signé par M. Z... K... avec la société gabonaise, établie au Gabon, et qui fixe son lieu de travail au Gabon ; que ce contrat fixe en son article 14 que tout litige « sera soumis au Tribunal du lieu d'emploi » et il n'est pas contesté que le lieu d'emploi était effectivement au Gabon ; qu'en outre, l'article R 1412-1 du Code du travail dispose : « L'employeur et le salarié portent les différends et litiges devant le conseil de prud'hommes territorialement compétent. Ce conseil est : 1° Soit celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est accompli le travail ... Le salarié peut également saisir les conseils de prud'hommes du lieu où l'engagement a été contracté ou celui du lieu où l'employeur est établi » ; qu'en l'espèce, l'établissement où est accompli le travail se situe au Gabon comme cela a déjà été dit ; que le lieu où l'engagement a été contracté est Liège, en Belgique et le lieu où l'employeur est établi est le Gabon ; que par ailleurs, M. Z... K... peine à démontrer que les deux sociétés seraient co-employeurs ; que les éléments qu'il produit ne prouvent pas que la gestion du personnel ait été effectuée pour lui par la société ERAMET ; qu'en effet, par exemple, ses demandes de congé étaient adressées au DRH de COMILOG ou encore quand un arrêt de maladie a été transmis à la DRH d'ERAMET, cette dernière lui a répondu : « Ce certificat doit être transmis à votre employeur, la société COMILOG. Afin de gagner du temps, je me charge de le transmettre à votre DRH, M Y... » ; qu'il n'apporte pas non plus d'éléments permettant d'établir la confusion d'intérêts, d'activité et de direction entre les deux sociétés ; qu'or, en respect de l'article 9 du Code de Procédure Civile, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » ; qu'en conséquence, c'est à tort que M. Z... K... considère avoir les deux sociétés comme employeurs ; que son seul employeur est bien la société COMILOG ; qu'il ressort de ce qui précède que le Conseil de Céans n'est pas compétent pour juger du litige exposé par M. Z... K... ;

ALORS QU'une confusion des intérêts, des activités et des organes de direction entre plusieurs entités distinctes suffisent à leur conférer la qualité de co-employeurs ; que le salarié invoquant une situation de co-emploi doit établir l'existence de cette triple confusion, une telle démonstration résultant de l'établissement de divers indices, qui doivent être appréciés par les juges dans leur ensemble ; que le salarié faisait valoir qu'il existait une situation de coemploi à son égard entre son employeur effectif, la société gabonaise Comilog, et la société Eramet Comilog Manganese, société de droit français domiciliée [...] ; qu'en ce sens, le salarié invoquait l'existence d'un programme de santé et du régime de prévoyance qui avaient été mis en place pour les expatriés au niveau du groupe Eramet, dont il avait bénéficié, soulignait que plusieurs rapports d'audit concernant l'hôpital où il travaillait avaient été diligentés par la société Eramet, et précisait que la procédure de son licenciement avait été gérée par la société Eramet en France ; que cependant, pour écarter la qualité de co-employeur de la société Eramet et ainsi la compétence du conseil de prud'hommes de Paris, la cour d'appel s'est bornée à examiner les liens capitalistiques entre les deux sociétés, sans répondre à ces moyens précis des écritures du salarié d'où résultait la confusion des intérêts et des activités, la confusion des organes de direction n'étant pas discutée; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail

ALORS en tout état de cause et subsidiairement QU'aux termes de l'article 2 § 1 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre ; que partant, Monsieur K... pouvait attraire la société Eramet Comilog Manganese, domiciliée [...] , devant le conseil de prud'hommes de Paris ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 § 1 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;ECLI:FR:CCASS:2019:SO01383
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