Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 10 juillet 2014, 12-21.533, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à M. Jean-Marc C... et à Mme X... du désistement de leur pourvoi au profit de la société Allianz et de la société Liladam enchères ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que André Y... a vendu, le 28 juin 1987, lors d'enchères conduites par M. Jean-Marc C..., commissaire-priseur, à Freddy C..., père de ce dernier, un tableau attribué au peintre René Z..., avant que Freddy C... le revende, le 26 novembre 1989, à la société de droit israélien MDR Space limited (société MDR), lors d'enchères conduites également dirigées par M. Jean-Marc C..., assisté de M. A..., expert ; que s'étant vu opposer le défaut d'authenticité du tableau lorsqu'elle décida, en 2001, de le revendre, la société MDR a assigné en nullité de la vente du 26 novembre 1989 Freddy C..., vendeur du tableau argué de faux, et en responsabilité la société Liladam enchères venant aux droits de M. Jean-Marc C..., commissaire priseur, la société AGF, assureur de ce dernier, et M. A..., expert ; que la cour d'appel, par un premier arrêt du 26 juin 2007, a rejeté l'exception de prescription et ordonné une expertise du tableau, puis, par un second arrêt du 22 novembre 2011, a prononcé l'annulation des ventes successives du tableau ; que Freddy C... étant décédé en cours de procédure, sa veuve, Mme X..., et M. Jean-Marc C..., pris en sa qualité d'héritier, ont été appelés en intervention forcée ; qu'en cause d'appel, les consorts C... ont fait de même envers André Y..., aux droits de qui viennent Mme Vanessa Y... et MM. Benjamin et Baptiste Y... (les consorts Y...), aux fins de le voir condamner à les garantir ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches :
Attendu que M. Jean-Marc C... et Mme X... veuve C... font grief à l'arrêt du 26 juin 2007 de dire que l'action n'était pas prescrite, alors, selon le moyen :
1°/ que les actions en nullité des actes mixtes relèvent de la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige ;
2°/ que les actions en nullité des actes mixtes relèvent de la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes ; qu'en jugeant le contraire au motif inopérant que le demandeur à la nullité n'avait découvert son erreur sur l'authenticité de l'oeuvre que le 25 mars 2002, la cour d'appel a violé les articles 1304 du code civil et L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige ;

Attendu cependant que la cour d'appel ayant exclu la qualification d'acte mixte, le moyen manque en fait ;
Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche, dirigé contre l'arrêt du 22 novembre 2011 :
Vu l'article 547 du code de procédure civile ;

Attendu qu'en matière contentieuse, l'appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance et dans la même qualité ;
Attendu que pour condamner M. Jean-Marc C... à verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts, l'arrêt déclare recevables les demandes de André Y... et de la société MDR formées à l'encontre de M. Jean-Marc C..., pris en sa qualité de commissaire-priseur ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. Jean-Marc C... n'avait été partie en première instance qu'en qualité d'héritier du vendeur du tableau litigieux, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois principal et incident :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 26 juin 2007 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevables les demandes dirigées contre M. Jean-Marc C..., commissaire-priseur, en ce qu'il condamne M. Jean-Marc C... à payer à la société MDR la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts, in solidum avec M. A... et la société Mutuelle du Mans assurances IARD, et celle de 12 000 euros à André Y..., l'arrêt rendu le 22 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les consorts Y... et la société MDR aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. C... et Mme X... veuve C..., demandeurs au pourvoi principal

PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué du 26 juin 2007 d'AVOIR dit que l'action n'était pas prescrite ;

AUX MOTIFS QUE « les dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce sont inapplicables, alors qu'il ne s'agit pas d'une action entre commerçants née de leur commerce ; que la prescription en la matière, qui est celle de cinq ans de l'article 1304 du même code, s'agissant d'une action en nullité de vente, fondée sur les dispositions de l'article 1110 du code civil court à compter du jour de la découverte de l'erreur affectant la convention ; qu'il est constant que la société MDR, qui jusqu'alors n'avait point douté de l'authenticité de l'oeuvre qu'elle avait acquis, n'a découvert l'incertitude l'affectant que lorsque le comité Z... a rendu son avis, savoir le 25 mars 2002 ; que son assignation étant du 28 octobre 2003, aucune prescription ne peut lui être opposée » ;
1°) ALORS QUE les actions en nullité des actes mixtes relèvent de la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige ;
2°) ALORS QUE les actions en nullité des actes mixtes relèvent de la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes ; qu'en jugeant le contraire au motif inopérant que le demandeur à la nullité n'avait découvert son erreur sur l'authenticité de l'oeuvre que le 25 mars 2002, la cour d'appel a violé les articles 1304 du code civil et L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige.

SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué du 22 novembre 2011 d'AVOIR condamné M. Jean-Marc C... à payer à la société MDR Space la somme de 8. 000 euros à titre de dommages-intérêts, in solidum avec M. A... et les Mutuelles du Mans Assurances, et celle de 12. 000 euros à M. Y... ;
AU MOTIF QU'« il ressort des productions et, tout particulièrement, des conclusions signifiées le 25 avril 2005 par la société MDR Space qu'en première instance, elle agissait notamment contre " Maître Jean-Marc C..., commissaire-priseur " de sorte qu'en appel elle est toujours recevable à agir contre le susnommé pris en cette qualité ; qu'il suit de là que, si les premiers juges ont justement mis hors de cause M. Jean-Marc C... pris en sa qualité d'héritier de Freddy C..., doit être rejetée la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut de qualité à défendre en tant que commissaire-priseur » ;
1° ALORS QUE le défendeur doit être attrait en la cause par voie d'assignation et non par voie de simple conclusions ; que lorsqu'une partie a été attraite en la cause et une qualité déterminée, elle ne peut l'être en une autre qualité par voie de simples conclusions ; que M. Jean-Marc C... avait été assigné en première instance en qualité d'héritier de son père Freddy C... ; que la seule circonstance que des conclusions du demandeur du 25 avril 2005 auraient fait état de la qualité de commissaire-priseur de Jean-Marc C... était impuissante à justifier qu'il ait été attrait régulièrement à la cause en cette dernière qualité ; que la Cour d'appel a violé les articles 31, 54, 55 et 56 du Code de procédure civile ;

2° ALORS, D'UNE PART, QU'est irrecevable la demande formée contre une personne en une autre qualité que celle en vertu de laquelle elle a été assignée ; qu'en déclarant recevables les demandes de dommages-intérêts de la société MDR Space et de M. Y... à l'encontre de M. Jean-Marc C... en qualité de commissaire-priseur lors des ventes des 28 juin 1987 et 26 novembre 1989 en retenant de manière inopérante que la société MDR Space formait des demandes contre lui en cette qualité dans des conclusions de première instance, sans constater qu'il aurait été régulièrement assigné dans la cause en première instance en cette qualité, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;
3° ALORS QUE, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité ne sera écartée que si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; que la cour d'appel ne pouvait alors dire recevables les demandes de la société MDR Space et de M. Y... contre M. Jean-Marc C... en sa qualité de commissaire-priseur en se bornant à relever que la société MDR Space les avait formulées dans ses conclusions de première instance du 25 avril 2005, sans constater que la cause de leur irrecevabilité avait été régularisée à un moment ou à un autre des procédures de première ou deuxième instance ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 31, 122 et 126 du code de procédure civile ;
4° ALORS QU'en matière contentieuse, l'appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance ; qu'en jugeant recevables les demandes de M. Y... et de la société MDR Space formées à l'encontre de M. Jean-Marc C... en sa qualité de commissaire-priseur ayant présidé aux deux ventes successives du tableau, quand il n'avait été partie en première instance qu'en qualité d'héritier du vendeur, M. Freddy C..., la cour d'appel a violé l'article 547 du code de procédure civile.

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. A... et la société Mutuelle du Mans assurances (MMA) IARD, demandeurs au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR condamné in solidum Monsieur Jean-Marc C..., commissaire priseur, Monsieur Frédéric A..., expert, et les MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, son assureur, à payer à la société MDR SPACE la somme de 8. 000 euros à titre de dommages et intérêts et d'AVOIR débouté Monsieur Frédéric A... et les MUTUELLES DU MANS ASSURANCES de leur recours en garantie formé contre Monsieur Y... et Madame C..., venant aux droits de Freddy C..., vendeurs, et Monsieur Jean-Marc C..., commissaire priseur ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande d'annulation de la vente intervenue entre Freddy C... et la société MDR SPACE par application des dispositions de l'article 1382 du Code civil, le commissaire priseur ou l'expert qui affirme l'authenticité d'une oeuvre d'art sans assortir son propos de réserves engage sa responsabilité sur cette assertion ; que, pour justifier d'un préjudice, la société MDR SPACE soutient qu'elle a subi de nombreux tracas liés à la possession d'une oeuvre fausse et à la nécessité d'agir en justice et qu'il en est résulté un préjudice commercial ; qu'en conséquence, il convient de condamner Monsieur Jean-Marc C..., commissaire priseur, Monsieur A..., expert, et les MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, son assureur, à payer à la société MDR SPACE la somme de 8. 000 euros à titre de dommages et intérêts ; que sur l'action en garantie formée par Monsieur A..., et les MUTUELLES DU MANS ASSURANCES contre « tous les protagonistes de cette affaire et particulièrement les vendeurs successifs et le commissaire-priseur » ; que Monsieur A... et son assureur soutiennent essentiellement qu'il convient de se placer au jour de la vente et qu'à cette date le Comité Z... n'existait pas et que l'ouvrage écrit par Pierre B... et intitulé « Inédits de René Z... » dans lequel l'auteur avance que Mme Z... aurait établi des certificats de complaisance n'a été publié qu'en 2002 ; que, toutefois, les adversaires de Monsieur A..., sont en droit de se servir d'éléments postérieurs à la vente pour prouver l'existence, non seulement de l'erreur commise par les vendeurs, mais également pour rechercher sa responsabilité professionnelle ; que les deux vendeurs successifs étaient des personnes profanes et qu'en l'état, rien ne démontre qu'elles auraient agi de mauvaise foi en proposant la gouache litigieuse à la vente ; qu'en revanche, à l'occasion de la vente du 26 novembre 1989, Monsieur Jean-Marc C... s'est adjoint les services de Monsieur A..., expert ; que, professionnel en matière d'art, il lui appartenait d'examiner l'oeuvre, d'en déceler les défauts et, à tout le moins, d'émettre des réserves sur son authenticité ; qu'il convient, en conséquence, de débouter Monsieur A..., et les Mutuelles du Mans Assurances de leur recours en garantie dirigé contre Monsieur Y..., Mme C..., venant aux droits de feu son mari, vendeurs successifs et Monsieur Jean-Marc C..., commissaire priseur ;
ALORS QU'il incombe aux juges du fond, saisis d'un recours en garantie dirigé par un coresponsable contre un autre, de fixer la charge finale de la réparation entre co-obligés en considération de la gravité de leurs fautes respectives ; qu'en s'abstenant de fixer la contribution à la dette de Monsieur A..., de la société MMA IARD et de Monsieur Jean-Marc C... condamnés in solidum, la Cour d'appel a violé l'article 1213 du Code civil, ensemble les principes régissant l'obligation in solidum.

ECLI:FR:CCASS:2014:C100904
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