Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 28 novembre 2018, 17-28.272, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1988, Mme Z... a subi trois séances de sclérose de varices pratiquées par Jean Y..., médecin ; qu'à la suite de la découverte de contaminations par le virus de l'hépatite C chez un nombre important de patients soignés par ce praticien, Mme Z... a, en 2003, effectué, à la demande de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, un dépistage de l'hépatite C, qui a révélé une telle contamination ; qu'après avoir sollicité une expertise en référé, elle a assigné en responsabilité et indemnisation Mme Jacqueline X..., veuve Y..., M. Jean-Marie Y... et M. Jean-Philippe Y...(les consorts Y...) en leur qualité d'héritiers du praticien, décédé entre temps ; que la contamination de Mme Z... a été imputée aux séances de sclérothérapie subies ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe d'une réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination virale ; qu'il inclut notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie ainsi que la crainte des souffrances ; qu'il comprend aussi le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la découverte de la contamination ; qu'il comprend également les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ; qu'il comprend enfin les souffrances, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément provoqués par les soins et traitements subis pour combattre la contamination ou en réduire les effets ;

Attendu qu'en condamnant les consorts Y... à payer à Mme Z... une indemnité au titre des souffrances endurées et une indemnité au titre du préjudice spécifique de contamination incluant les souffrances, la cour d'appel a réparé deux fois les éléments d'un même préjudice et violé le texte et le principe susvisés ;

Et sur la seconde branche de ce moyen :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe d'une réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que, pour fixer l'indemnité allouée à Mme Z... au titre du préjudice spécifique de contamination, l'arrêt relève que, si elle est considérée comme guérie et n'a pas à ce jour présenté de déclaration de la maladie, la crainte de cette maladie et des affections opportunistes, présente depuis quatorze ans, est destinée à se poursuivre ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser l'existence, après la date de la guérison, d'un risque d'altération de l'état de santé lié à la contamination, justifiant la réparation d'un tel préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme Jacqueline X..., veuve Y..., M. Jean-Marie Y... et M. Jean-Philippe Y..., ès qualités, à payer à Mme Z... en réparation de son préjudice les sommes de 4 000 euros en réparation des souffrances endurées et 10 000 euros pour le préjudice de contamination, l'arrêt rendu le 11 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille dix-huit et signé par lui et par Mme Pecquenard, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour Mme Jacqueline X..., veuve Y..., et MM. Jean-Marie et Jean-Philippe Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le Docteur Jean Y... responsable de la contamination de Madame Patricia Z... par le virus de l'hépatite C et d'avoir condamné en conséquence Madame Jacqueline Y..., Monsieur Jean-Marie Y... et Monsieur Jean Philippe Y..., pris en leur qualité d'ayants droit du Docteur Jean Y..., à lui payer la somme de 15.800 euros à titre de dommages-intérêts;

AUX MOTIFS QUE, sur la responsabilité du Docteur Y..., en droit, la contamination d'un patient par le virus de l'hépatite C consécutive à des soins prodigués dans un cabinet médical constitue, si elle est avérée, une infection nosocomiale définie comme celle apparaissant au cours ou à la suite de soins alors qu'il en était exempt antérieurement ; que le droit en vigueur à la date des faits mettait à la charge de médecin, quel que soit le lieu où les soins étaient prodigués, cabinet de ville ou établissement de soins, une obligation de sécurité de résultat, reposant en l'espèce sur le fait que le devoir d'asepsie constitue une obligation fondamentale du médecin, dont il ne peut se libérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère ; qu'il appartient au patient d'apporter la preuve non de la faute du médecin mais du lien de causalité entre l'infection et l'activité médicale et d'établir que l'infection a été contractée au sein du cabinet médical au décours des soins, la seule preuve du dommage étant insuffisante et le lien de causalité entre les soins et l'infection n'étant pas présumé ; que cependant, la preuve du lien de causalité peut être rapportée par tous moyens et spécialement par des présomptions graves, précises et concordantes ; que sur la base de ces règles, il appartient à Madame Z... de démontrer que sa contamination par le virus de l'hépatite C a pour origine les soins pratiqués par le Docteur Jean Y..., dont ni la réalité, ni la nature, ni la date ne sont contestés ; qu'il est observé que l'assureur du Docteur Y... n'a pas été attrait à la procédure ; qu'il apparaît à la cour, qui ne suivra pas l'analyse motivée du tribunal, que constituent des présomptions graves et concordantes suffisantes les éléments suivants : l'absence d'autres facteurs de risque, le génotype commun aux personnes contaminées, les conditions d'asepsie au sein du cabinet du Docteur Y... ; qu'à titre liminaire, il convient de noter que le nombre et la date des séances pratiquées par le Docteur Y... sur Madame Z... ne sont pas contestées, qu'il est constant que la sclérothérapie est une cause possible de contamination par le VHC comme tout acte invasif, que le faible nombre n'est pas exclusif d'un risque de contamination, une seule séance étant suffisante, et qu'il ne peut être considéré que le long délai écoulé entre les séances en 1988 et la révélation de la contamination à l'occasion d'un dépistage en 2003, soit quinze ans après, est un élément de nature à écarter la présomption, cette pathologie ne se déclarant habituellement que de nombreuses années après, et n'étant parfois pas détectée ; que s'agissant de l'absence de facteurs de risque suffisamment nombreux et sérieux pour permettre d'imputer la contamination aux séances pratiquées chez le Docteur Y..., il ressort de l'expertise médicale judiciaire pratiquée par le Docteur B... à laquelle a été soumise Madame Z..., qui n'était âgée que de 22 ans lors des soins du Docteur Y..., qu'elle ne présentait aucun facteur de risque, l'appendicectomie alléguée par les intimés sur des bases inconnues n'ayant pas été mentionnée par l'expert, l'unique accouchement, sans césarienne, étant de 2006, donc postérieur au dépistage, Madame Z... n'ayant pour le surplus subi que des soins dentaires classiques en 2001 et une thyroïdectomie en 1985 ; que considérer que seules pourraient avoir été contaminées des personnes n'ayant jamais subi, quel que soit leur âge, aucun soin de nature potentiellement contaminant reviendrait à réduire à néant la notion de présomption pour la transformer en certitude ; que s'agissant de l'expertise diligentée dans le cadre de la procédure pénale, si elle a pu présenter des limites en ce qu'elle était réalisée sur un mode déclaratoire compte tenu du nombre de personnes concernées (112), il demeure que les professeurs C... et F... ont classé les patients en trois groupes : lien de causalité quasi certain, groupe A (69 patients), lien de causalité très vraisemblable, groupe B (35 patients), pas de lien de causalité évident, groupe C (3 patients) ; que Madame Z...a été classée dans le groupe A ; que si l'instruction s'est terminée par un non-lieu en 2011, étant rappelé que le Docteur Y... était décédé en [...] ce rapport, même s'il ne serait pas à lui seul suffisant, ne peut être écarté ; qu'il ressort en outre du dit rapport que Madame Z... est contaminée par un virus de génotype 2 ; que, selon les experts, « la fréquence d'une hépatite C avec un génotype est de 5 % à 10 % en France (sur l'ensemble des hépatites C), alors que ce type est d'environ 65 % parmi les patients du docteur Y... ayant porté plainte ; cet élément significatif est confirmé par une étude du laboratoire de virologie de l'hôpital de Bordeaux selon laquelle il apparaît une différence statistiquement significative entre les complications des patients du docteur Y... et ceux de ses collègues phlébologues » ; que cette particularité du génotype analysé chez l'appelante doit être prise en considération ; que ce rapport est en outre édifiant sur les pratiques dépourvues d'hygiène et d'asepsie du Docteur Y..., qui étaient de nature à créer le risque de contamination, et si Madame Z... n'a elle-même compte tenu du faible nombre de séances pratiquées sur une très courte période, donné à l'expert que peu d'informations sur ce point, ces éléments ressortent du rapport de la procédure pénale, le caractère intensif de la pratique du cabinet s'appliquant de manière indifférenciée à tous les patients ; qu'il est précisé que Madame Z... a été soignée en 1988, à une date à laquelle le Docteur Y... n'utilisait pas d'aiguilles et de seringues jetables, alors que l'usage en avait été recommandé dès 1985 ; que, de plus, s'agissant des conditions d'asepsie, ce défaut d'asepsie est par ailleurs le motif de la sanction disciplinaire de radiation prononcée à l'encontre du docteur Y..., confirmée par le Conseil d'Etat, la décision du Conseil national de l'ordre relevant des déclarations reçues par les rapporteurs : « pas de port de gants, présence de sang sur les tables d'examen dans la cabine, table pas toujours recouverte de feuille, ouverture d'ampoules dans un bocal avant l'acte dans la cabine de sclérose, ampoules réutilisées pour plusieurs patients » ; qu'il ressort des déclarations des patients reprises par l'expert et il n'était pas contesté par le Docteur Y... qu'il pouvait, pratiquant les sclérose de varices "à la chaîne", prélever le liquide de sclérose de dilution dans une ampoule entamée avec la seringue utilisée pour l'injection, pour l'injecter ensuite à la patiente, alors que la pratique consiste, avant de scléroser une veine, à aspirer un peu pour s'assurer que l'aiguille est bien dans la veine, ce qui permet à du sang de remonter dans la seringue, sang qui se mélange au produit et peut demeurer dans la seringue utilisée pour plusieurs patientes, ou contaminer le liquide de sclérose prélevé dans l'ampoule utilisée pour plusieurs patientes ; qu'il est en effet rappelé que les aiguilles et seringues jetables n'étaient pas à cette époque obligatoires quoique recommandées, et n'étaient pas utilisées par le Docteur Y... ; qu'il y a donc lieu de retenir la pratique à risque du Docteur Y... , alors que la sclérothérapie est en soi une thérapie à risque, quelles qu'aient pu être sa renommée et sa spécialisation en la matière, au regard du nombre très important de patientes dans plusieurs cabines dédiées (30 scléroses par jour selon ses représentants lors des expertises), de l'absence d'utilisation de seringues et d'aiguilles jetables, malgré la stérilisation quotidienne des matériels, alors que son activité professionnelle ne se limitait pas à cela, mais comportait aussi le doppler et la proctologie, et avec un nombre important de séances pour chaque patiente, et ce avec un personnel limité, qui était chargé de tâches multiples, accueil, téléphone, papiers administratifs, encaissement, en plus de l'assistance au Docteur Y... et de la stérilisation du matériel ; que cet élément constitue une présomption déterminante ; que ne sont de nature à réduire la portée de ces présomptions ni le fait que fort heureusement tous les patients sclérosés par le Docteur Y... (environ 20 000) n'ont pas été contaminés, étant précisé que compte tenu de l'âge possiblement avancé de certains d'entre eux et du temps très long de déclenchement de la maladie, certains d'entre eux aient pu décéder sans avoir connaissance de la contamination, ou aient pu ne pas attribuer leur affaiblissement à cette pathologie, ni le fait que le Docteur Y... ui-même n'ait pas été contaminé, la première personne contaminante n'étant pas identifiée, ni le fait que n'ait pas été révélée de contamination à d'autres virus d'hépatite ou au VIH ; que, de plus, tous les dossiers du Docteur Y... n'ont pas été retrouvés, notamment en raison d'un dégât des eaux, et tous ceux retrouvés n'étaient pas utilisables ; que la circonstance que l'information pénale ait été clôturée par un non-lieu résulte en droit du décès du Docteur Y..., qui entraînait nécessairement l'extinction de l'action publique, nonobstant les considérations surabondantes ou visant l'autre mis en examen de l'ordonnance de non-lieu, qui n'a pas l'autorité de chose jugée ; qu'il n'y a en tout état de cause pas identité entre une éventuelle infraction pénale et un manquement à l'obligation de sécurité de résultat, régime dont relève en l'espèce la recherche de la responsabilité civile ; que les consorts Y... ne peuvent en outre minimiser la radiation prononcée par l'instance ordinale à l'encontre du Docteur Y..., en l'attribuant à la vindicte de confrères bordelais, notamment hospitaliers, faisant de lui un bouc émissaire, alors que cette décision a été confirmée en appel et que le pourvoi a été rejeté par le Conseil d'Etat ; qu'enfin, sachant que la contamination est attribuée à un manquement aux règles d'asepsie, le fait que des contrôles effectués en octobre 1990 par le conseil de l'ordre des médecins et mars 1992, ce dernier annoncé par la DASS, n'aient pas permis à ces dates de constater des manquements en matière d'asepsie n'est pas probant au regard de la période de contamination de l'appelante en 1988, avant ce contrôle, à une période où pour la quasi-totalité n'étaient obligatoires ni les seringues à usage unique, ni les aiguilles jetables ; que de ces éléments, il résulte des présomptions suffisantes que la contamination de Madame Z... par le VHC est imputable aux séances de sclérothérapie pratiquées sur Madame Z... en 1988 par le Docteur Y..., qui était tenu d'une obligation de sécurité de résultat ; que le jugement sera infirmé ;

1°) ALORS QUE l'extrait du rapport d'expertise des Professeurs C... et les professeurs C... et F... versé aux débats par Madame Z... comporte uniquement l'analyse statistique des réponses apportées aux questionnaires par des patients du Docteur Y..., sans aucune référence au mode de prélèvement et d'injection pratiqué par le Docteur Y... ; qu'en affirmant néanmoins qu'il résultait de ce rapport que les pratiques du Docteur Y... étaient dépourvues d'hygiène et d'asepsie, de nature à créer un risque de contamination au virus de l'hépatite C, et qu'il ressortait « ( ) des déclarations des patients reprises par l'expert ( ) [que le Docteur Y...] pouvait, pratiquant les scléroses de varices « à la chaîne », prélever le liquide de sclérose de dilution dans une ampoule entamée avec la seringue utilisée pour l'injection, pour l'injecter ensuite à la patiente, alors que la pratique consiste, avant de scléroser une veine, à aspirer un peu pour s'assurer que l'aiguille est bien dans la veine, ce qui permet à du sang de remonter dans la seringue, sang qui se mélange au produit et peut demeurer dans la seringue utilisée pour plusieurs patients, ou contaminer le liquide de sclérose prélevé dans l'ampoule utilisée pour plusieurs patients », bien que l'extrait du rapport d'expertise versé aux débats par Madame Z... n'ait nullement fait état de ces informations, la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette pièce, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause ;

2°) ALORS QUE, subsidiairement, le juge, qui doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur des pièces qui n'ont pas été versées aux débats et soumises à la libre discussion des parties ; qu'en se fondant néanmoins, pour décider que le Docteur Y... était responsable de la contamination de Madame Z... par le virus de l'hépatite C, sur une partie du rapport d'expertise des professeurs C... et F... qui n'avait pas été versée aux débats, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE les factures de matériel médical versées aux débats par les consorts Y... pour les années 1986 à 1992 mentionnaient l'achat d'aiguilles et de seringues stériles à usage unique ; qu'en affirmant néanmoins qu'en 1988, date à laquelle le Docteur Y... avait prodigué des soins à Madame Z..., celui-ci n'utilisait pas d'aiguilles et de seringues jetables, la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces factures, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause ;

4°) ALORS QUE, subsidiairement, le juge ne peut se borner à viser les pièces versées aux débats, sans les analyser, même sommairement ; que les consorts Y... soutenaient que les factures de matériel médical concernant les années 1986 à 1992 mentionnaient l'achat d'aiguilles et de seringues stériles à usage unique ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer qu'en 1988, date à laquelle Madame Z... avait été soignée par le Docteur Y..., ce dernier n'utilisait pas d'aiguilles et de seringues jetables, pour en déduire que les conditions d'hygiène du cabinet Docteur Y... étaient de nature à créer un risque de contamination au virus de l'hépatite C, sans analyser, même sommairement, les pièces versées aux débats par les consorts Y..., constituées par les factures relatives à l'achat de seringues et d'aiguilles jetables, la Cour d'appel a privé sa décisions de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Madame Jacqueline Y..., Monsieur Jean-Marie Y... et Monsieur Jean-Philippe Y..., pris en leur qualité d'ayants droit du Docteur Jean Y..., à payer à Madame Patricia Z...les sommes de 1.800 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 4.000 euros au titre des souffrances endurées et 10.000 euros au titre du préjudice spécifique de contamination ;

AUX MOTIFS QUE, sur le préjudice de Madame Z... les conclusions du rapport d'expertise du Docteur B..., qui ne sont pas critiquées, constituent une base de fixation pertinente du préjudice de Madame Z...; que cet expert conclut ainsi : date de consolidation : 16 décembre 2008 ; déficit fonctionnel permanent 50%, 6 mois en 2003 (période du traitement par interféron) ; souffrances endurées : 2.5/7 ; que, sur le déficit fonctionnel temporaire, Madame Z... demande une somme de 1.800 euros sur la base d'une somme de 600 euros x 50% x 6 mois ; que cette période correspond à la durée du traitement par interféron, qui a permis la guérison mais a généré des effets secondaires ; que cette somme est acceptée à titre subsidiaire par les intimés, elle est conforme aux pratiques en cette matière, et il sera fait droit à la demande ; que sur les souffrances endurées, Madame Z... réclame une somme de 10.000 euros, faisant état de périodes de fatigue importantes et de son angoisse de contaminer autrui ; que les intimés proposent à titre subsidiaire une somme de 4.000 euros, qui apparaît à la Cour suffisante au regard de la nature des souffrances endurées, qui se sont limitées à cette fatigue, en l'absence de pathologie déclarée ; que, sur le préjudice de contamination, ce préjudice spécifique correspond à l'ensemble des préjudices de caractère personnel résultant du seul fait de la contamination virale, qui génère des craintes éprouvées, toujours latentes, de réduction de l'espérance de vie, de souffrances, de voir se déclencher des affections opportunistes, de nature à engager le pronostic vital, de traitements pour combattre la pathologie, et des examens et contrôles qu'implique la surveillance de la pathologie, et ce quand bien même Madame Z... a été considérée comme guérie et n'a à ce jour pas présenté de déclaration de la maladie, cette crainte étant présente depuis désormais 14 ans et destinée à se poursuivre ; qu'au regard de l'ancienneté de la découverte du virus sans depuis de déclaration de la maladie vingt-neuf ans après les soins incriminés, et Madame Z... pouvant être considérée comme désormais guérie mais pouvant néanmoins être victime d'une rechute, la cour évaluera ce préjudice à 10.000 euros ; que, sur le récapitulatif, les demandes de Madame Z... sont retenues à hauteur de : 1.800 euros pour le déficit fonctionnel temporaire, 4.000 euros pour les souffrances endurées, et 10.000 euros pour le préjudice de contamination, soit au total 15.800 euros ; que les consorts Y... ès qualités d'ayants droit du Docteur Y... seront condamnés à verser à Madame Z... la somme de 15.800 euros ; qu'il n'y a pas lieu à condamnation solidaire ;

1°) ALORS QUE le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination virale ; qu'il inclut notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie ainsi que la crainte des souffrances ; qu'il comprend également les souffrances endurées par la victime ; qu'en condamnant les consorts Y... à indemniser le préjudice de Madame Z... résultant des souffrances endurées, constituées par une fatigue importante et son angoisse de contaminer autrui, après les avoir pourtant condamnés à l'indemniser de son préjudice spécifique de contamination, la Cour d'appel, qui a réparé deux fois le même dommage, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice;

2°) ALORS QUE le préjudice spécifique de contamination peut être caractérisé même dans le cas d'une guérison après traitement ; qu'il s'apprécie alors pendant la durée de la période au cours de laquelle la victime a subi les angoisses et perturbations liées à la maladie ; que si le juge peut indemniser le préjudice résultant du risque de réapparition de la maladie, il doit alors caractériser l'existence d'un risque de rechute, même faible, de cette maladie ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour indemniser Madame Z... de son préjudice de contamination, que si elle pouvait être considérée comme guérie, la crainte de réapparition de la maladie et des affections opportunistes était destinée à se poursuivre, sans indiquer en quoi l'état de santé de Madame Z... aurait pu permettre de relever l'existence d'un risque de rechute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. ECLI:FR:CCASS:2018:C101118
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