Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 21 février 2012, 10-27.630, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 octobre 2010) et les productions, que par contrat de sous-licence du 20 janvier 2005, la société Focus Europe a autorisé la société Dolce Vita à ouvrir un magasin "Guess by Marciano" ; que le 1er février 2005, les sociétés Guess Italia et Dolce Vita ont conclu un autre contrat en vue de la fourniture de marchandises destinées à ce magasin, conformément à l'accord de sous-licence préalablement conclu ; que la société Dolce Vita a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 21 février 2005 ; que se plaignant d'un refus de vente des produits de marque "Guess Jean's", et invoquant l'ouverture dans la même agglomération d'une nouvelle boutique "Guess Jean's" au mépris de son droit contractuel de priorité, la société Dolce Vita a assigné la société One, titulaire d'un bail commercial sur cette boutique, ainsi que les sociétés Guess France, Guess Italia, Focus Europe, Guess Europe et Guess Sud (les sociétés du groupe Guess), en exécution et interdiction sous astreinte ; que devant la cour d'appel, la société Dolce Vita a sollicité le prononcé de la résiliation de ces conventions et la condamnation de la société One et des sociétés du groupe Guess au paiement de dommages-intérêts ; que ces dernières ont soulevé reconventionnellement la nullité des deux conventions;

Attendu que la société Dolce Vita fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré nulles les conventions des 20 janvier et 1er février 2005 et de l'avoir déboutée de ses demandes de résiliation et de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que la ou les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle n'ait acquis la jouissance de la personnalité juridique ou morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, auquel cas ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société ; qu'il s'ensuit que le défaut de reprise régulière, par la société, des actes accomplis pour son compte avant son immatriculation n'entraîne pas la nullité desdits actes, qui demeurent valables entre leurs signataires ; qu'en déduisant du défaut de reprise régulière des contrats conclus pour le compte de la société Dolce Vita avant son immatriculation, leur nullité, la cour viole, par fausse application, l'article 1108 du code civil, ensemble, par fausse application, l'article 1843 du code civil et les articles L. 210-6 et R. 210-5 du code de commerce ;

2°/ que la nullité d'un contrat pour défaut de capacité ou de pouvoir a le caractère d'une nullité relative et ne peut donc être utilement invoquée que par la personne protégée ; qu'il s'ensuit que seule la société Dolce Vita elle-même eût pu éventuellement se prévaloir, le cas échéant, de la nullité des actes accomplie en son nom et pour son compte par une personne dépourvue de pouvoir pour ce faire ; qu'en statuant comme elle fait, motif pris notamment qu'il n'était pas établi que le signataire des contrats litigieux avait la capacité de contracter au nom et pour le compte de la société en formation, la cour violé l'article 1108 du code civil, ensemble l'article 31 du code de procédure civile ;

3°/ que la preuve des actes juridiques est libre en matière commerciale ; que dès lors, en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si abstraction faite des vices susceptibles d'affecter les contrats initiaux, les actes d'exécution intervenus après l'immatriculation de la société Dolce Vita ne suffisaient pas en eux-mêmes à établir que les sociétés du groupe Guess et la société Dolce Vita s'étaient mutuellement reconnues comme cocontractantes, le cas échéant à la faveur d'une substitution de la société Dolce Vita au signataire initial, et si n'était pas de la sorte rapportée tant la preuve des obligations contractuelles dont l'inexécution était invoquée par la société Dolce Vita que celle de leur validité, la cour prive son arrêt de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 110-3 du code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que les deux conventions n'avaient pas été souscrites au nom d'une société en formation, mais par la société Dolce Vita elle-même, l'arrêt relève qu'elles ont été conclues à une date à laquelle cette dernière n'était pas encore immatriculée au registre du commerce et des sociétés et n'avait donc pas la personnalité juridique lui permettant de contracter ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que les deux conventions étaient nulles pour avoir été conclues par une société dépourvue de la personnalité morale ;

Attendu, en second lieu, que la nullité affectant les actes conclus par une société dépourvue d'existence juridique a le caractère de nullité absolue ; qu'il en résulte que les sociétés du groupe Guess pouvaient se prévaloir de la nullité des conventions litigieuses et que celles-ci n'étant pas susceptibles de confirmation ou de ratification, leur irrégularité ne pouvait être couverte par des actes d'exécution intervenus postérieurement à l'immatriculation de la société Dolce Vita ; que par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses deux dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Dolce Vita aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande, la condamne à payer à la société One et aux sociétés du groupe Guess la somme globale de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un février deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils pour la société Dolce Vita

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré nulles les conventions des 20 janvier et 1er février 2005 et débouté, en conséquence, la société DOLCE VITA de ses demandes tendant à la résiliation de ces conventions, ensemble au paiement de dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS QUE les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ; que l'article R. 210-5 du code de commerce dispose : « Lors de la constitution d'une société à responsabilité limitée, l'état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, avec l'indication, pour chacun d'eaux, de l'engagement qui en résulterait pour la société, est présenté aux associés avant la signature des statuts. Cet état est annexé aux statuts, dont la signature emporte reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci est immatriculée au registre du commerce et des sociétés. En outre, les associés peuvent, dans les statuts ou par acte séparé, donner mandat à l'un ou plusieurs d'entre eux ou au gérant non associé qui a été désigné, de prendre des engagements pour le compte de la société. Sous réserve qu'ils soient déterminés et que les modalités en soient précitées, l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emporte reprise de ces engagements par la société » ; qu'en l'espèce, le contrat du 20 janvier 2005 a été conclu par « la SARL Dolce Vita (…) détenue par M. Sylvain A... et B... Catherine » et comporte une signature illisible précédée de la mention « SARL Carpe Diem » ; que le contrat du 1er février 2005 a été conclu par « la SARL Dolce Vita dont le siège est 12, rue Jacques Coeur 34000 Montpellier France » et comporte une signature illisible identique à celle apposée sur le contrat du 20 janvier 2005 ; qu'aucun de ces contrats ne fait état de ce que la société Dolce Vita était alors en cours de formation ; que la société Dolce Vita n'a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés que le 21 février 2005, soit postérieurement aux deux conventions précitées ; qu'elle n'avait donc pas la personnalité morale lors de leur conclusion ; qu'outre le fait que rien ne permet de déterminer l'identité de l'auteur de la signature apposée sur ces actes, il reste qu'en tout état de cause, les statuts de la société Dolce Vita du 9 février 2005 – et donc établis postérieurement auxdits actes – ne mentionnent pas la reprise pour le compte de cette société des engagements souscrits par ce signataire, qu'il s'agisse d'une personne physique ou de la société Carpe Diem, étant observé qu'il n'est pas établi que cette dernière avait la capacité de contracter au nom et pour le compte de la société en formation Dolce Vita ; qu'aucune des formalités prévues à l'article R. 210-5 précité n'a été respectée ; qu'il s'ensuit que ces contrats sont nuls pour avoir été conclus par une société dépourvue de la personnalité morale ; que la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance du vice affectant l'obligation et l'intention de le réparer ; qu'en l'espèce, le vice affectant les deux contrats, soit le défaut de capacité de la société Dolce Vita, n'est apparu qu'à l'occasion du présent litige, et les sociétés intimées n'ont pas entendu le réparer par quelque confirmation ou ratification ; qu'en outre, l'obligation n'a pas été exécutée volontairement après l'époque à laquelle elle pouvait être valablement confirmée ou ratifiée ; qu'il s'ensuit que la société Dolce Vita sera débouté de l'ensemble de ses demandes ;

ALORS QUE, D'UNE PART, la ou les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle n'ait acquis la jouissance de la personnalité juridique ou morale sont tenus solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, auquel cas ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société ; qu'il s'ensuit que le défaut de reprise régulière, par la société, des actes accomplis pour son compte avant son immatriculation n'entraîne pas la nullité desdits actes, qui demeurent valable entre leurs signataires ; qu'en déduisant du défaut de reprise régulière des contrats conclus pour le compte de la société DOLCE VITA avant son immatriculation, leur nullité, la cour viole, par fausse application, l'article 1108 du code civil, ensemble, par fausse interprétation, l'article 1843 du même code et les articles L. 210-6 et R. 210-5 du code de commerce ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, la nullité d'un contrat pour défaut de capacité ou de pouvoir a le caractère d'une nullité relative et ne peut donc être utilement invoquée que par la personne protégée ; qu'il s'ensuit que seule la société DOLCE VITA elle-même eût pu éventuellement se prévaloir, le cas échéant, de la nullité des actes accomplis en son nom et pour son compte par une personne dépourvue de pouvoir pour se faire ; qu'en statuant comme elle le fait, motif pris notamment qu'il n'était pas établi que le signataire des contrats litigieux avait la capacité de contracter au nom et pour le compte de la société en formation, la cour viole l'article 1108 du code civil, ensemble l'article 31 du Code de procédure civile ;

ET ALORS QUE, ENFIN et en tout état de cause, la preuve des actes juridiques est libre en matière commerciale ; que dès lors, en ne recherchant pas, comme elle y était invitée (cf. les dernières écritures de la société DOLCE VITA, p.9 in fine et p.10), si abstraction faites des vices susceptibles d'affecter les contrats initiaux, les actes d'exécution intervenus après l'immatriculation de la société DOLCE VITA ne suffisaient pas en eux-mêmes à établir que les sociétés du groupe GUESS et la société DOLCE VITA s'étaient mutuellement reconnues comme cocontractantes, le cas échéant à la faveur d'une substitution de la société DOLCE VITA au signataire initial, et si n'était pas de la sorte rapportée tant la preuve des obligations contractuelles dont l'inexécution était invoquée par la société DOLCE VITA que celle de leur validité, la cour prive son arrêt de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 110-3 du code de commerce, violés.

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