Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 21 février 1995, 94-85.626, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par :

- X... Illich, dit Y...,

contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 7 novembre 1994, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de complicité de destruction volontaire d'objets mobiliers et biens immobiliers appartenant à autrui par l'effet d'une substance explosive ou incendiaire ayant entraîné la mort d'une personne et des infirmités permanentes, homicide et coups et violences volontaires, a rejeté sa requête aux fins d'annulation d'actes ou de pièces de la procédure.

LA COUR,

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 21 décembre 1994 ordonnant l'examen immédiat du pourvoi ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 171 et 173 du Code de procédure pénale, des articles 114, 140 à 144 du décret du 20 mai 1993 modifié, des articles 18, 63 et suivants, 122 à 124 du Code de procédure pénale, de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et qu'il sera fait retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information ;

" aux motifs que le juge d'instruction a délivré contre X... le 7 juin 1994 un mandat d'arrêt limité au seul territoire national conformément à l'article 131 du Code de procédure pénale, que cette pièce de justice lui a été régulièrement notifiée le jour de son interpellation sur le territoire national à Villacoublay dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale et que la régularité formelle de l'arrestation de X... en France n'est pas discutable ;

" aux motifs encore que les conditions dans lesquelles X... aurait été remis au Soudan dans un avion français sont à ce jour inconnues, qu'il apparaît qu'il aurait été effectivement refoulé vers la France en dehors du cadre juridique de l'extradition et sans qu'un mandat d'arrêt international n'ait été délivré contre lui, qu'il n'existe pas de convention d'extradition entre la France et le Soudan et qu'aucune demande d'arrestation provisoire ou d'extradition n'a été formulée par les autorités françaises, que la décision qui aurait été prise par les autorités soudanaises de refus de séjour, refoulement ou expulsion relève de la plénitude de souveraineté de cet Etat ; qu'en l'absence de tout traité, le recours à la procédure d'extradition ressort de la décision souveraine des Etats et que, les faits poursuivis n'étant pas exclus du domaine extraditionnel par la loi du 10 mars 1927, celle-ci n'a pas été violée du seul fait qu'aucune procédure d'extradition n'a été engagée ; que l'exercice de poursuites pénales en France à l'égard d'une personne réfugiée à l'étranger n'est pas subordonné à son retour volontaire ou à la mise en oeuvre d'une procédure d'extradition et que l'intéressé ne peut réclamer devant les autorités judiciaires françaises contre une mesure prise par un gouvernement étranger dans la plénitude de sa souveraineté ; qu'enfin les conditions dans lesquelles une personne faisant l'objet d'une poursuite régulière et d'un titre légal d'arrestation a été appréhendée et livrée à la justice française ne sont pas de nature à entraîner par elles-mêmes la nullité des poursuites dès lors que la recherche et l'établissement de la vérité ne s'en sont pas trouvés viciés ni la défense mise dans l'impossibilité d'exercer ses droits devant la juridiction d'instruction et de jugement ;

" et aux motifs enfin que X... ne peut se plaindre d'une violation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il a été arrêté et détenu selon les voies légales en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente alors qu'il y avait des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction et des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;

" alors, d'une part que le demandeur n'entendait nullement contester devant la juridiction la régularité ni des actes de gouvernement qui se sont déroulés à l'échelon ministériel entre l'Etat français et l'Etat soudanais avant son arrestation à Khartoum, ni les conditions de son arrestation et de sa détention tant qu'il est resté entre les mains des autorités d'un Etat étranger souverain ; qu'en revanche la Cour ne pouvait pas feindre de croire qu'un commissaire de la DST aurait appris in extremis " par sa hiérarchie " que le demandeur se trouvait à Villacoublay où il pourrait être appréhendé sans répondre aux conclusions du requérant qui faisait valoir sans être démenti et pour cause qu'il n'avait pas été arrêté à Villacoublay, mais à Khartoum, qu'en l'absence de tout mandat d'arrêt international, c'est néanmoins sur le territoire soudanais que sa garde avait été transférée des autorités de police soudanaises aux autorités de police françaises, spécialement déplacées à cette fin par avion militaire français où le demandeur, toujours en état d'arrestation, a été embarqué et ramené, sous bonne garde, à l'aéroport militaire de Villacoublay où le mandat d'arrêt national lui a été notifié ; qu'il apparait ainsi que, en évitant de se prononcer sur la régularité des conditions de son maintien en état d'arrestation par des fonctionnaires français depuis Khartoum jusqu'à Villacoublay, alors que c'est précisément à ce niveau qu'il était soutenu que la détention de X... avait été arbitraire, la Cour a privé sa décision de motifs et violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

" alors, d'autre part, que l'arrestation d'un individu par les autorités légales de l'Etat où il séjourne sur intervention, qu'elle qu'en soit la forme, des autorités légales d'un autre Etat où il a déjà été jugé par contumace pour crime et où il fait l'objet de poursuite afin d'y être jugé pour répondre à d'autres faits qualifiés crimes, arrestation opérée dans le but d'être remis à la garde d'agents de l'Etat requérant pour être conduit sur le territoire de cet Etat, comporte tous les éléments caractéristiques de l'extradition et ne peut, dès lors, être qualifiée ni de refus de séjour, ni de refoulement, ni d'expulsion ; qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 10 mars 1927 " en l'absence de traité, les conditions, la procédure et les effets de l'extradition sont déterminés par les dispositions de la présente loi " ; que si la Cour a constaté que les conditions de fond de l'extradition étaient remplies, en l'espèce, elle a violé ce texte en reconnaissant implicitement que les conditions de procédure ne l'étaient pas (défaut de demande transmise par la voie diplomatique régulière, absence de mandat d'arrêt international, d'où incompétence territoriale des agents français, quels qu'ils soient, qui ont pris livraison du requérant à Khartoum et l'ont convoyé sur avion militaire jusqu'à la base de Villacoublay), de sorte qu'en refusant d'en tirer les conséquences en écartant la qualification d'extradition pourvu que les faits poursuivis ne soient pas exclus du domaine extraditionnel, l'arrêt a violé l'article 1er de la loi du 10 mars 1927 applicable en l'absence de traité ;

" alors, de troisième part, qu'à supposer, comme l'énonce l'arrêt, " que les conditions dans lesquelles une personne faisant l'objet d'une poursuite régulière et d'un titre légal d'arrestation a été appréhendée et livrée à la justice française ne sont pas de nature à entraîner par elles-mêmes la nullité des poursuites ", c'est à la condition qu'il existe précisément un titre légal d'arrestation existant et valable à la date et au lieu où l'arrestation a été effectuée ; qu'en l'espèce il est acquis aux débats que le demandeur a été arrêté à Khartoum dans le courant de la première quinzaine d'août 1994 et qu'il est demeuré sans interruption détenu depuis lors et l'est encore, passant le 15 août 1994, sur l'aéroport de Khartoum, de la garde des agents soudanais à celle des agents français auxquels il a été remis pour être convoyé sous escorte par avion militaire jusqu'à la base de Villacoublay ; qu'ainsi, au lieu et à la date où il est passé sous la garde des autorités françaises, il n'existait aucun titre légal d'arrestation et de détention à défaut de mandat d'arrêt international ;

" et alors, enfin, qu'aux termes de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la chambre d'accusation devait assurer la prééminence sur le droit interne, la privation de liberté prohibée par le § 1 est, aux termes du § 4, caractérisée tout autant par une arrestation que par une détention et ouvre à l'intéressé le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ; qu'il résulte du § 1 que les dérogations au droit à la liberté ne peuvent être admises que dans divers cas d'arrestation ou de détention opérés régulièrement " selon les voies légales " ; que ces textes violés par l'arrêt attaqué faisaient, dès lors, obligation à la chambre d'accusation de sanctionner les irrégularités de la détention du demandeur par des autorités dépendant de la hiérarchie française entre son embarquement à Khartoum sur avion militaire et son débarquement à Villacoublay où lui fût notifié le mandat d'arrêt national dont il faisait l'objet " ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que X... a été interpellé le 15 août 1994 à Villacoublay par les services de police alors qu'il débarquait d'un avion militaire en provenance de Khartoum ; que le mandat d'arrêt à diffusion restreinte décerné à son encontre le 7 juin 1994 par le juge d'instruction saisi de l'information ouverte le 22 avril 1982 à la suite de l'attentat dit de la rue Marbeuf, lui a alors été notifié ;

Attendu que l'intéressé a saisi le 5 septembre 1994 la chambre d'accusation de Paris sur le fondement de l'article 173 du Code de procédure pénale aux fins de voir déclarer nuls son arrestation à Khartoum et son transfèrement en France ;

Que, pour rejeter sa requête, les juges relèvent que les conditions dans lesquelles X... aurait été remis dans un avion français sont à ce jour inconnues, qu'il n'existe aucune convention d'extradition entre la France et le Soudan et qu'aucune demande d'arrestation provisoire ou d'extradition n'a été formulée par les autorités françaises ;

Que la chambre d'accusation énonce encore que la mesure de refoulement, qui aurait été prise par le gouvernement soudanais, constitue un acte de souveraineté de cet Etat, échappant à l'examen de l'autorité judiciaire française, et que l'article 5. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été violé dès lors que, conformément aux dispositions de cet article, X... a été arrêté et détenu pour répondre devant l'autorité judiciaire de présomptions qui pèsent sur lui d'avoir commis un attentat par explosif ;

Que, selon l'arrêt, les conditions dans lesquelles une personne, faisant l'objet d'une poursuite régulière et d'un titre légal d'arrestation, a été appréhendée et livrée à la justice française ne sont pas de nature à entraîner par elles-mêmes la nullité des poursuites dès lors que la recherche et l'établissement de la vérité ne s'en sont pas trouvés viciés ni la défense mise dans l'impossibilité d'exercer ses droits devant la juridiction d'instruction et de jugement ;

Attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont donné une base légale à leur décision sans encourir les griefs du moyen ;

Qu'en effet, l'exercice de l'action publique et l'application de la loi pénale à l'égard d'une personne réfugiée à l'étranger ne sont nullement subordonnés à son retour volontaire en France où à la mise en oeuvre d'une procédure d'extradition ; qu'il suffit que les faits poursuivis ne soient pas exclus du domaine extraditionnel par la loi du 10 mars 1927 en l'absence de traité ;

Attendu que, par ailleurs, les juridictions nationales sont incompétentes pour connaître des conditions dans lesquelles seraient intervenues, à l'étranger, l'arrestation d'une personne par les seules autorités locales agissant dans la plénitude de leur souveraineté et sa remise à des policiers français ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

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