Décision 2014-692 DC - 27 mars 2014 - Loi visant à reconquérir l'économie réelle - Non conformité partielle

Texte intégral

Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi visant à reconquérir l'économie réelle, le 27 février 2014, par MM. Christian JACOB, Élie ABOUD, Yves ALBARELLO, Benoist APPARU, Jean-Pierre BARBIER, Sylvain BERRIOS, Dominique BUSSEREAU, Yves CENSI, Dino CINIERI, Philippe COCHET, François CORNUT-GENTILLE, Jean-Louis COSTES, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Gérald DARMANIN, Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Mme Sophie DION, MM. Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Mmes Marianne DUBOIS, Virginie DUBY-MULLER, MM. Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FOULON, Marc FRANCINA, Claude de GANAY, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Hervé GAYMARD, Guy GEOFFROY, Bernard GÉRARD, Alain GEST, Franck GILARD, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Philippe GOUJON, Mmes Claude GREFF, Anne GROMMERCH, MM. Christophe GUILLOTEAU, Antoine HERTH, Patrick HETZEL, Sébastien HUYGHE, Denis JACQUAT, Mme Valérie LACROUTE, M. Jean-François LAMOUR, Mme Isabelle LE CALLENNEC, MM. Marc LE FUR, Dominique LE MÈNER, Philippe LE RAY, Pierre LEQUILLER, Céleste LETT, Mme Véronique LOUWAGIE, MM. Gilles LURTON, Alain MARC, Alain MARTY, Philippe MEUNIER, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Mme Dominique NACHURY, MM. Jean Frédéric POISSON, Frédéric REISS, Franck RIESTER, Camille de ROCCA-SERRA, Paul SALEN, François SCELLIER, Mme Claudine SCHMID, MM. André SCHNEIDER, Thierry SOLÈRE, Michel SORDI, Éric STRAUMANN, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Jean-Marie TETART, Dominique TIAN, François VANNSON, Mme Catherine VAUTRIN, M. Éric WOERTH et Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, députés ;

Et, le même jour, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard BAILLY, Philippe BAS, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Jean BIZET, Mme Françoise BOOG, MM. Pierre BORDIER, Joël BOURDIN, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Marcel-Pierre CLÉACH, Christian COINTAT, Gérard CORNU, Raymond COUDERC, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Robert DEL PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Marie-Hélène DES ESGAULX, MM. Éric DOLIGÉ, Michel DOUBLET, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, MM. Alain DUFAUT, André DULAIT, Ambroise DUPONT, Louis DUVERNOIS, Jean-Paul EMORINE, André FERRAND, Bernard FOURNIER, Jean-Paul FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Pierre FROGIER, Yann GAILLARD, René GARREC, Mme Joëlle GARRIAUD MAYLAM, MM. Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, François GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Pierre HÉRISSON, Michel HOUEL, Mme Christiane HUMMEL, MM. Benoît HURÉ, Jean-François HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Mme Christiane KAMMERMANN, MM. Roger KAROUTCHI, Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Antoine LEFÈVRE, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Claude LENOIR, Philippe LEROY, Gérard LONGUET, Roland du LUART, Philippe MARINI, Pierre MARTIN, Mme Hélène MASSON-MARET, M. Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Alain MILON, Albéric de MONTGOLFIER, Philippe NACHBARD, Louis NÈGRE, Philippe PAUL, Jackie PIERRE, Xavier PINTAT, Rémy POINTEREAU, Christian PONCELET, Ladislas PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI, Mme Catherine PROCACCIA, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, André REICHARDT, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Bruno SIDO, Mme Esther SITTLER, M. André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLÉ, MM. François TRUCY et Jean-Pierre VIAL, sénateurs.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,



Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de commerce ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 14 mars 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;



1. Considérant que les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à reconquérir l'économie réelle ; qu'ils contestent la conformité à la Constitution de certaines dispositions de son article 1er ; que les sénateurs requérants contestent également la conformité à la Constitution de son article 9 et de certaines dispositions de son article 8 ;

- SUR CERTAINES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 1er :

2. Considérant que le paragraphe I de l'article 1er insère dans le chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail une section 4 bis, intitulée « Obligation de rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement » comprenant les articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-22 ; que son paragraphe II complète le livre VII du code de commerce par un titre VII, intitulé « De la recherche d'un repreneur » comprenant les articles L. 771-1 à L. 773-3, relatifs à la saisine du tribunal de commerce, à la procédure de vérification par ce tribunal et aux sanctions applicables en cas de non-respect des obligations de recherche d'un repreneur ; que son paragraphe III est relatif à l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions ;

3. Considérant que les dispositions de l'article 1er se substituent à celles de l'article L. 1233-90-1 du code du travail qui est abrogé par le paragraphe I de l'article 2 ; qu'elles instaurent, pour les entreprises d'au moins mille salariés ou appartenant à un groupe d'au moins mille salariés et qui ne sont pas placées en procédure de conciliation, sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire, de nouvelles obligations de recherche d'un repreneur lorsqu'est envisagée la fermeture d'un établissement qui aurait pour conséquence un projet de licenciement collectif et créent des sanctions auxquelles s'expose l'employeur qui ne respecterait pas ces obligations ou refuserait une offre de reprise sérieuse sans motif légitime ;

4. Considérant que les députés et les sénateurs requérants contestent la conformité aux exigences constitutionnelles en matière de liberté d'entreprendre et de droit de propriété des dispositions de l'article 1er qui prévoient un contrôle par le juge et une pénalité en cas de refus d'une offre de reprise sérieuse sans motif légitime ; qu'ils font valoir que ces dispositions ainsi que celles qui fixent les obligations d'information à la charge de l'employeur lors de la recherche d'un repreneur et qui prévoient que le tribunal de commerce peut prononcer des pénalités en cas de violation de ces obligations méconnaissent les principes de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ; que les sénateurs requérants contestent également la conformité aux exigences constitutionnelles des dispositions de l'article 1er relatives à l'affectation du produit de ces pénalités ;

5. Considérant qu'aux termes de la première phrase du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi » ; qu'il incombe au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, de poser des règles propres à assurer, conformément aux dispositions du Préambule de 1946, le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre ;

6. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

7. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

8. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a entendu maintenir l'activité et préserver l'emploi en favorisant la reprise des établissements dont la fermeture est envisagée lorsqu'elle aurait pour conséquence un projet de licenciement collectif ; qu'il a ainsi poursuivi un objectif qui tend à mettre en oeuvre l'exigence résultant de la première phrase du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

. En ce qui concerne les obligations d'information à la charge de l'employeur lors de la recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement :

9. Considérant que l'article L. 1233-57-14 impose à l'employeur ayant informé le comité d'entreprise du projet de fermeture d'un établissement qui aurait pour conséquence un projet de licenciement collectif de rechercher un repreneur ; qu'à ce titre, l'employeur est tenu : « 1° D'informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels de son intention de céder l'établissement ;
« 2° De réaliser sans délai un document de présentation de l'établissement destiné aux repreneurs potentiels ;
« 3° Le cas échéant, d'engager la réalisation du bilan environnemental mentionné à l'article L. 623-1 du code de commerce, ce bilan devant établir un diagnostic précis des pollutions dues à l'activité de l'établissement et présenter les solutions de dépollution envisageables ainsi que leur coût ;
« 4° De donner accès à toutes informations nécessaires aux entreprises candidates à la reprise de l'établissement, exceptées les informations dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l'entreprise ou mettrait en péril la poursuite de l'ensemble de son activité. Les entreprises candidates à la reprise de l'établissement sont tenues à une obligation de confidentialité ;
« 5° D'examiner les offres de reprise qu'il reçoit ;
« 6° D'apporter une réponse motivée à chacune des offres de reprise reçues, dans les délais prévus à l'article L. 1233-30 » ;

10. Considérant que les députés requérants font valoir qu'en imposant la communication d'informations à toute entreprise concurrente se déclarant intéressée par la reprise de l'établissement dont la fermeture est envisagée sans que la méconnaissance de l'obligation de confidentialité relative à ces informations imposée aux candidats repreneurs puisse être sanctionnée, les dispositions contestées portent atteinte à la liberté d'entreprendre de l'entreprise qui envisage de fermer son établissement ;

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 1233-57-14 du code du travail mettent à la charge des entreprises visées à l'article L. 1233-71 du même code, qui envisagent dans certaines conditions de fermer un établissement, l'obligation de rechercher un repreneur ; qu'à ce titre sont prévues des obligations d'information ainsi que des obligations de réaliser un document de présentation de l'établissement, de réaliser le cas échéant un bilan environnemental, d'examiner les offres de reprise et d'apporter une réponse motivée à chacune des offres de reprise reçues ; que le législateur a ainsi entendu permettre aux repreneurs potentiels d'avoir accès aux informations utiles relatives à l'établissement dont la fermeture est envisagée, sans pour autant imposer la communication d'informations lorsque cette communication serait susceptible d'être préjudiciable à l'entreprise cédante ou lorsque ces informations porteraient sur d'autres établissements que celui dont elle envisage la fermeture ; que, compte tenu de cet encadrement, l'obligation d'informations ne porte pas à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; que le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre doit être écarté ;

. En ce qui concerne les sanctions en cas de non-respect des obligations de recherche d'un repreneur :

12. Considérant que le nouvel article L. 772-2 du code de commerce prévoit que le tribunal de commerce, saisi par le comité d'entreprise, examine : « 1° La conformité de la recherche aux obligations prévues aux articles L. 1233-57-14 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 du code du travail ;
« 2° Le caractère sérieux des offres de reprise, au regard notamment de la capacité de leur auteur à garantir la pérennité de l'activité et de l'emploi de l'établissement ;
« 3° L'existence d'un motif légitime de refus de cession, à savoir la mise en péril de la poursuite de l'ensemble de l'activité de l'entreprise. » ;

13. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du nouvel article L. 773-1 du code de commerce : « Lorsque le tribunal de commerce a jugé, en application du chapitre II du présent titre, que l'entreprise n'a pas respecté les obligations mentionnées au 1° de l'article L. 772-2 ou qu'elle a refusé une offre de reprise sérieuse sans motif légitime de refus, il peut imposer le versement d'une pénalité, qui peut atteindre vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé dans le cadre du licenciement collectif consécutif à la fermeture de l'établissement, dans la limite de 2 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise. Le montant de la pénalité tient compte de la situation de l'entreprise et des efforts engagés pour la recherche d'un repreneur » ;

14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 773-2 du même code : « Lorsque le jugement mentionné à l'article L. 773-1 constate que l'entreprise n'a pas respecté les obligations mentionnées au 1° de l'article L. 772-2 ou qu'elle a refusé une offre de reprise jugée sérieuse en application du 2° du même article en l'absence d'un motif légitime de refus de cession au titre du 3° dudit article, les personnes publiques compétentes peuvent émettre un titre exécutoire, dans un délai d'un an à compter de ce jugement, pour obtenir le remboursement de tout ou partie des aides pécuniaires en matière d'installation, de développement économique ou d'emploi attribuées à l'entreprise au cours des deux années précédant le jugement, au titre de l'établissement concerné par le projet de fermeture » ;

15. Considérant que les députés et sénateurs requérants mettent en cause le contrôle par le tribunal de commerce des offres de reprise de l'établissement et la pénalité encourue en cas de refus d'une offre de reprise sérieuse sans motif légitime ; qu'ils soutiennent que l'atteinte ainsi portée au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre revêt un caractère disproportionné ;

16. Considérant qu'ils mettent également en cause la pénalité encourue lorsque l'entreprise n'a pas respecté les obligations mentionnées au 1° de l'article L. 772-2 du code de commerce et lorsqu'elle a refusé une offre de reprise sérieuse sans motif légitime ; qu'ils soutiennent que cette pénalité est manifestement disproportionnée au regard des manquements qu'elle réprime ;

17. Considérant que les sénateurs requérants contestent également l'imprécision de la définition des obligations dont la méconnaissance est réprimée ; qu'il en irait ainsi en particulier de l'obligation pour l'employeur « d'informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels de son intention de céder l'établissement » ainsi que de celle « de donner accès à toutes informations nécessaires aux entreprises candidates à la reprise de l'établissement, exceptées les informations dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l'entreprise ou mettrait en péril la poursuite de l'ensemble de son activité » ; qu'il en résulterait une méconnaissance des exigences résultant du principe de légalité des délits et des peines ;

18. Considérant que les sénateurs font enfin valoir que les exigences de valeur constitutionnelle résultant de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances sont méconnues par les dispositions relatives à l'affectation du produit des pénalités ;

- Quant au grief tiré de l'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre :

19. Considérant, d'une part, qu'en permettant un refus de cession en cas d'offre de reprise sérieuse dans le seul cas où il est motivé par la « mise en péril de la poursuite de l'ensemble de l'activité de l'entreprise » cessionnaire, les dispositions contestées ont pour effet de priver l'entreprise de sa capacité d'anticiper des difficultés économiques et de procéder à des arbitrages économiques à un autre niveau que celui de l'ensemble de l'activité de l'entreprise ;

20. Considérant, d'autre part, que les dispositions contestées imposent à l'entreprise qui envisage de fermer un établissement d'accepter une « offre de reprise sérieuse » ; que si le législateur précise que ce caractère sérieux des offres de reprise s'apprécie « notamment au regard de la capacité de leur auteur à garantir la pérennité de l'activité et de l'emploi de l'établissement », ces dispositions confient au tribunal de commerce saisi dans les conditions prévues à l'article L. 771-1 le pouvoir d'apprécier ce caractère sérieux ; que les dispositions contestées permettent également à un tribunal de commerce de juger qu'une entreprise a refusé sans motif légitime une offre de reprise sérieuse et de prononcer une pénalité pouvant atteindre vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé ; que les dispositions contestées conduisent ainsi le juge à substituer son appréciation à celle du chef d'une entreprise, qui n'est pas en difficulté, pour des choix économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise ;

21. Considérant que l'obligation d'accepter une offre de reprise sérieuse en l'absence de motif légitime et la compétence confiée à la juridiction commerciale pour réprimer la violation de cette obligation font peser sur les choix économiques de l'entreprise, notamment relatifs à l'aliénation de certains biens, et sur sa gestion des contraintes qui portent tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; que, par suite, les dispositions des 2° et 3° de l'article L. 772-2 du code de commerce doivent être déclarées contraires à la Constitution ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, des mots « ou qu'elle a refusé une offre de reprise sérieuse sans motif légitime de refus » figurant au premier alinéa de l'article L. 773-1 du même code et des mots : « ou qu'elle a refusé une offre de reprise jugée sérieuse en application du 2° du même article en l'absence d'un motif légitime de refus de cession au titre du 3° dudit article » figurant à l'article L. 773-2 du même code ;

- Quant au grief tiré de l'atteinte aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines :

22. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;

23. Considérant que l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ;

24. Considérant, en premier lieu, que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 773-1 du code de commerce confient au tribunal de commerce le soin de réprimer la méconnaissance, par l'entreprise, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-14 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 du code du travail en lui imposant le versement d'une pénalité qui peut atteindre vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé dans le cadre du licenciement collectif, dans la limite de 2 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise ; qu'en instituant cette pénalité, le législateur a entendu assurer le respect par l'entreprise de ses obligations de recherche d'un repreneur, d'information et de consultation du comité d'entreprise et punir les manquements à ces obligations ; que, par suite, cette pénalité constitue une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ;

25. Considérant, en second lieu, qu'à la suite de l'inconstitutionnalité relevée au considérant 21 de la présente décision, la pénalité de l'article L. 773-1 du code de commerce ne concerne plus que l'absence de respect des obligations de consultation prévues aux articles L. 1233-57-14 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 du code du travail ; que, s'agissant d'un manquement à ces obligations en matière de recherche d'un repreneur et de consultation du comité d'entreprise, cette pénalité, qui peut atteindre vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé, revêt un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité du manquement réprimé ; qu'il résulte de ce qui précède que le surplus des dispositions du premier alinéa de l'article L. 773-1 du code de commerce doit être déclaré contraire à la Constitution ;

26. Considérant que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, doivent être également déclarées contraires à la Constitution, comme étant inséparables des dispositions du premier alinéa de l'article L. 773-1 du code de commerce, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 773-1 et celles du paragraphe IV de l'article 2 qui font référence à l'affectation du produit de la pénalité mentionnée à l'article L. 773-1 du code de commerce ;

27. Considérant que, pour le surplus, l'article L. 1233-57-14 du code du travail, qui ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle, doit être déclaré conforme à la Constitution ;

- SUR CERTAINES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 8 :

28. Considérant que l'article 8 de la loi déférée modifie les dispositions du code du travail relatives, notamment, à l'information et à la consultation du comité d'entreprise lors d'une offre publique d'acquisition ; qu'en particulier, il donne une nouvelle rédaction de l'article L. 2323-23 de ce code ; que le premier alinéa du paragraphe I de cet article prévoit que « préalablement à l'avis motivé rendu par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance sur l'intérêt de l'offre et sur les conséquences de celle-ci pour la société visée, ses actionnaires et ses salariés, le comité de l'entreprise faisant l'objet de l'offre est réuni et consulté sur le projet d'offre » et, qu'au cours de cette réunion, le comité d'entreprise « examine le rapport établi par l'expert-comptable en application de l'article L. 2323-22-1 et peut demander la présence de l'auteur de l'offre » ; que le deuxième alinéa de ce même paragraphe précise que le comité d'entreprise émet son avis dans un délai d'un mois à compter du dépôt du projet d'offre publique d'acquisition et qu'il est réputé avoir été consulté en l'absence d'avis dans ce délai ;

29. Considérant que le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 2323-23 permet aux membres élus du comité d'entreprise, s'ils estiment ne pas disposer d'éléments suffisants, de « saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés en dernier ressort pour qu'il ordonne la communication, par la société faisant l'objet de l'offre et par l'auteur de l'offre, des éléments manquants » et prévoit que le juge statue dans un délai de huit jours ; que le second alinéa de ce même paragraphe précise que « cette saisine n'a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis » mais qu'en cas « de difficultés particulières d'accès aux informations nécessaires à la formulation de l'avis du comité d'entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu au deuxième alinéa du I, sauf lorsque ces difficultés résultent d'une volonté manifeste de retenir ces informations de la part de la société faisant l'objet de l'offre » ;

30. Considérant que les sénateurs requérants soutiennent que les dispositions du second alinéa du paragraphe II de l'article L. 2323-23, en particulier la notion de rétention d'information, par leur imprécision, méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi dans des conditions qui portent atteinte à la liberté d'entreprendre ;

31. Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ;

32. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a entendu que le comité d'entreprise soit informé en cas d'offre publique d'acquisition et a permis, à cette fin, aux membres élus de ce comité, lorsqu'ils estiment ne pas disposer d'éléments suffisants, de saisir le juge pour qu'il ordonne la communication, par la société faisant l'objet de l'offre et par l'auteur de l'offre, des éléments utiles pour l'appréciation à donner sur l'offre publique d'acquisition ; qu'afin que la procédure de l'offre publique d'acquisition ne soit pas inutilement retardée, le législateur a prévu que, dans l'hypothèse où le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés est saisi, ce juge doit statuer dans un délai de huit jours et que cette saisine ne prolonge pas le délai d'un mois, à compter du dépôt du projet d'offre publique d'acquisition, dont dispose le comité d'entreprise pour rendre son avis ; que, toutefois, le juge peut décider la prolongation de ce délai d'un mois en cas de « difficultés particulières d'accès aux informations nécessaires à la formulation de l'avis du comité d'entreprise » ; que le juge ne dispose pas de cette faculté lorsqu'il lui apparaît que ces difficultés proviennent « d'une volonté manifeste de retenir ces informations de la part de la société faisant l'objet de l'offre » ; que ces dispositions ne sont entachées d'aucune inintelligibilité ;

33. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du paragraphe II de l'article L. 2323-23 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 8 de la loi déférée, ne méconnaissent ni la liberté d'entreprendre ni aucune autre exigence constitutionnelle et doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 9 :

34. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 225-197-1 du code de commerce, relatif aux attributions d'actions gratuites, « l'assemblée générale extraordinaire, sur le rapport du conseil d'administration ou du directoire, selon le cas, et sur le rapport spécial des commissaires aux comptes, peut autoriser le conseil d'administration ou le directoire à procéder, au profit des membres du personnel salarié de la société ou de certaines catégories d'entre eux, à une attribution gratuite d'actions existantes ou à émettre » ;

35. Considérant, d'une part, que les deux premières phrases du deuxième alinéa du même paragraphe, précisent que l'assemblée générale extraordinaire fixe le pourcentage maximal du capital social pouvant être attribué dans les conditions précédemment définies et que le nombre total des actions attribuées gratuitement ne peut excéder 10 % du capital social à la date de la décision de leur attribution par le conseil d'administration ou le directoire ;

36. Considérant que l'article 9 de la loi déférée ajoute après ces dispositions deux phrases selon lesquelles : « Ce pourcentage est porté à 30 % lorsque l'attribution d'actions gratuites bénéficie à l'ensemble des membres du personnel salarié de la société. L'écart entre le nombre d'actions distribuées à chaque salarié ne peut être supérieur à un rapport de un à cinq » ;

37. Considérant, d'autre part, qu'en vertu du même alinéa du paragraphe I de l'article L. 225-197-1 dans les entreprises dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, les statuts peuvent prévoir un pourcentage maximal plus élevé du capital social pouvant être attribué ; que ce pourcentage ne peut toutefois excéder 15 % à la date de la décision d'attribution des actions par le conseil d'administration ou le directoire ;

38. Considérant que l'article 9 modifie également ces dispositions pour préciser que ce pourcentage maximal de 15 % ne s'applique que « dans le cas d'attributions gratuites d'actions à certaines catégories des membres du personnel salarié de la société uniquement » ; qu'il ajoute deux phrases selon lesquelles : « Ce pourcentage est porté à 30 % lorsque l'attribution d'actions gratuites bénéficie à l'ensemble des membres du personnel salarié de la société. L'écart entre le nombre d'actions distribuées à chaque salarié ne peut être supérieur à un rapport de un à cinq » ;

39. Considérant que, selon les sénateurs requérants, les dispositions de l'article 9 méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, en particulier en ce qu'elles ne permettent pas de déterminer si les actions gratuites attribuées jusqu'au plafond de 10 % doivent respecter la règle selon laquelle « l'écart entre le nombre d'actions distribuées à chaque salarié ne peut être supérieur à un rapport de un à cinq » ; qu'elles ne permettraient pas non plus de déterminer si cet écart doit s'appliquer à la distribution elle-même ou au « stock détenu par chaque salarié à l'issue d'opérations de distribution successives » ; que ces dispositions porteraient atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre ;

40. Considérant qu'il ressort des débats parlementaires que le législateur a entendu éviter « un écart trop important entre les salariés concernés » lorsque l'attribution d'actions gratuites bénéficie à l'ensemble des membres du personnel salarié de la société ; qu'il ressort également des débats parlementaires que cette nouvelle règle encadrant la distribution d'actions gratuites doit s'appliquer lors de la mise en oeuvre de la résolution de l'assemblée générale extraordinaire autorisant le conseil d'administration ou le directoire à procéder à une telle attribution ;

41. Considérant que les dispositions contestées permettent à l'assemblée générale extraordinaire d'autoriser le conseil d'administration ou le directoire à procéder à une attribution gratuite d'actions à l'ensemble des membres du personnel salarié de la société, dès lors, d'une part, que le pourcentage du capital social ainsi attribué ne dépasse pas 30 % et, d'autre part, que l'écart entre le nombre d'actions distribuées à chaque salarié n'est pas supérieur à un rapport de un à cinq ; que cet écart ne s'applique pas lorsque la distribution d'actions gratuites ne bénéficie pas à l'ensemble des membres du personnel salarié de la société mais seulement « à certaines catégories des membres du personnel salarié » ; que ces dispositions ne sont pas entachées d'inintelligibilité et ne portent aucune atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété ;

42. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 9 de la loi, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

43. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de constitutionnalité,



D É C I D E :

Article 1er.- Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi visant à reconquérir l'économie réelle :
- au paragraphe II de l'article 1er, les 2° et 3° de l'article L. 772-2 du code de commerce, les deux premiers alinéas de l'article L. 773-1 et, au premier alinéa de l'article L. 773-2, les mots : « ou qu'elle a refusé une offre de reprise jugée sérieuse en application du 2° du même article en l'absence d'un motif légitime de refus de cession au titre du 3° dudit article » ;
- le paragraphe IV de l'article 2.

Article 2.- Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la même loi :
- au paragraphe I de l'article 1er, les dispositions de l'article L. 1233-57-14 du code du travail ;
- à l'article 8, le paragraphe II de l'article L. 2323-23 du code du travail ;
- l'article 9.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.




Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 mars 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.


ECLI:FR:CC:2014:2014.692.DC
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