Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 24/04/2019, 409270

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans : 1°) d'annuler la décision de la chambre régionale des comptes du Centre Limousin rectifiant le rapport d'observations définitives relatif à la gestion du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Loir-et-Cher délibéré le 15 décembre 2011 ; 2°) d'annuler la partie VII-2 du rapport d'observations définitives ; 3°) d'ordonner à la chambre régionale des comptes le remplacement du rapport d'observations définitives du 15 décembre 2011 par une nouvelle version faisant apparaître en partie VII-2 la mention " annulé par décision du tribunal administratif d'Orléans " ; 4°) d'ordonner à la chambre régionale des comptes le retrait du rapport d'observations définitives de son site internet et de tous autres supports et de le remplacer par le rapport d'observations définitives dans sa nouvelle version ; 5°) de condamner l'Etat à lui payer une indemnité de 5 000 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement ; 6°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 2 500 000 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement et de prononcer la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1400555 du 29 janvier 2015, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15NT01280 du 25 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars et 27 juin 2017 et le 14 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des juridictions financières ;
- la loi n° 2001-1248 du 21 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. A...;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par des courriers du 14 septembre, du 17 septembre et du 22 octobre 2012, M. A...a demandé à la chambre régionale des comptes du Centre Limousin d'apporter plusieurs modifications au rapport d'observations définitives qu'elle avait établi, le 15 décembre 2011, à l'issue de son examen de la gestion du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du département de Loir-et-Cher, qui avait notamment porté sur la formation des sapeurs-pompiers et le choix du SDIS de confier à un partenaire privé, dans le cadre d'une délégation de service public, la création, la conception et la gestion d'une école de formation dénommée " école départementale des sapeurs-pompiers de Loir-et-Cher " (EDSP 41), présidée par M. A...depuis 2005. M. A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans, en premier lieu, d'annuler la décision de la chambre régionale des comptes du Centre Limousin rectifiant le rapport d'observations définitives relatif à la gestion du SDIS de Loir-et-Cher, qui n'avait que partiellement fait droit à sa demande de rectification, en deuxième lieu, d'annuler la partie VII-2 du rapport d'observations définitives, en troisième lieu, d'ordonner à la chambre régionale des comptes de remplacer le rapport d'observations définitives du 15 décembre 2011 par une nouvelle version faisant apparaître en partie VII-2 la mention " annulé par décision du tribunal administratif d'Orléans ", en quatrième lieu, d'ordonner à la chambre régionale des comptes de remplacer sur son site internet et tous autres supports le rapport d'observations définitives du 15 décembre 2011 par sa nouvelle version, en cinquième lieu, d'assortir ces injonctions d'une astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement et, en sixième lieu, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 500 000 euros à titre de dommages intérêts. Par un jugement du 29 janvier 2015, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses demandes. Par un arrêt du 25 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. A... contre le jugement du tribunal. M. A...demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

2. Aux termes de l'article L. 211-8 du code des juridictions financières, dans sa rédaction applicable au litige : " La chambre régionale des comptes examine la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Elle examine, en outre, la gestion des établissements, sociétés, groupements des établissements et organismes mentionnés aux articles L. 211-4 à L. 211-6, ainsi qu'aux articles L. 133-3 et L. 133-4 (...). / L'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion, sur l'économie des moyens mis en oeuvre et sur l'évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par l'assemblée délibérante ou par l'organe délibérant (...). / La chambre régionale des comptes peut également dans le cadre du contrôle des comptes de l'autorité délégante, vérifier auprès des délégataires de service public les comptes qu'ils ont produits aux autorités délégantes ". Aux termes de l'article L. 241-8 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les jugements, avis, propositions, rapports d'instruction et observations de la chambre régionale des comptes sont délibérés et adoptés collégialement selon une procédure contradictoire ". Aux termes de l'article L. 243-6 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les observations définitives sur la gestion prévue par l'article L. 243-5 sont arrêtées par la chambre régionale des comptes après l'audition, à leur demande, des dirigeants des personnes morales contrôlées, et de toute autre personne nominativement ou explicitement mise en cause ". Aux termes de l'article L. 245-4 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La chambre régionale des comptes statue dans les formes prévues aux articles L. 241-8 et L. 243-6 sur toute demande en rectification d'observations définitives sur la gestion qui peut lui être présentée par les dirigeants des personnes morales contrôlées ou toute autre personne nominativement ou explicitement mis en cause ". Aux termes de l'article R. 241-13 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les destinataires du rapport d'observations provisoires ou d'extraits du rapport d'observations provisoires peuvent demander à consulter au greffe de la chambre régionale des comptes, en personne ou par l'intermédiaire d'un représentant dûment mandaté, les pièces et documents du dossier sur lesquelles sont fondées les observations les concernant. Ils peuvent en prendre copie à leurs frais ". Aux termes de l'article R. 241-31 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La demande en rectification du rapport d'observations définitives prévue à l'article L. 245-4 peut être adressée au greffe de la chambre dès que la communication de ce rapport à l'assemblée ou à l'organe délibérant permet à toute personne nominativement ou explicitement mise en cause d'avoir connaissance des observations définitives de la chambre et des réponses qui y ont été éventuellement apportées conformément à l'article L. 243-5. / Dans le délai d'un an suivant la communication du rapport d'observations définitives à l'assemblée délibérante de la collectivité ou de l'établissement qui a fait l'objet d'un examen de la gestion, une demande en rectification d'erreur ou d'omission dudit rapport peut être adressée au greffe de la chambre par les personnes mentionnées à l'article L. 245-4 du présent code. / (...) Le président de la chambre régionale des comptes transmet la demande en rectification à toute personne nominativement ou explicitement concernée par ladite demande (...). Il leur précise le délai, qui ne peut être inférieur à un mois, dans lequel ils peuvent présenter des observations écrites ou demander à être entendus par la chambre. Il informe également l'auteur de la demande de la date à laquelle il peut solliciter son audition par la chambre. / La chambre régionale des comptes se prononce sur la demande en rectification par une décision qui est notifiée par lettre du président au demandeur ainsi qu'à l'ordonnateur ou au dirigeant de l'organisme concerné. A compter de cette réception, cette demande est annexée au rapport d'observations définitives ".

3. Les observations formulées, même à titre définitif, par une chambre régionale des comptes sur la gestion d'une collectivité territoriale ou d'un ou plusieurs des établissements, sociétés, groupements et organismes mentionnés aux articles L. 211-4 à 211-6 et L. 211-8 du code des juridictions financières, ne présentent pas le caractère de décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Toutefois, les dirigeants des personnes morales contrôlées et les autres personnes nominativement ou explicitement mises en cause peuvent demander à la chambre régionale des comptes la rectification de ses observations définitives, ce droit de rectification figurant, depuis la loi du 21 décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes, aux dispositions précitées de l'article L. 243-4 du code des juridictions financières, dans sa rédaction applicable au litige. Le législateur n'ayant pas limité l'objet de la demande de rectification, celle-ci - qu'elle ait été introduite antérieurement ou postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2001- peut porter sur une simple erreur matérielle, sur une inexactitude ou sur l'appréciation à laquelle la chambre régionale des comptes s'est livrée et dont il serait soutenu qu'elle serait erronée. Il appartient à la chambre régionale des comptes d'examiner l'ensemble des allégations contenues dans la demande de rectification et de lui donner la suite qu'elle estime appropriée. La décision par laquelle la chambre régionale des comptes, soit refuse d'apporter la rectification demandée, soit ne donne que partiellement satisfaction à la demande, est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge administratif. Il incombe au juge administratif, saisi d'un tel recours, de contrôler la régularité de la procédure suivie et de vérifier que la décision contestée ne repose pas sur des faits inexacts et n'est pas entachée d'une méconnaissance par la chambre régionale de l'étendue de son pouvoir de rectification. Il ne lui appartient pas, en revanche, eu égard à l'objet particulier de la procédure de rectification des observations définitives, de se prononcer sur le bien-fondé de la position prise par la chambre en ce qui concerne l'appréciation qu'elle a portée, dans le cadre des attributions qui lui sont conférées par la loi, sur la gestion de la collectivité ou de l'organisme en cause.

4. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées des articles L. 245-4 et L. 241-8 du code des juridictions financières, dans leur rédaction applicable au litige, que la chambre régionale des comptes statue sur les demandes de rectification d'observations définitives à l'issue d'une procédure contradictoire.

5. Cette procédure contradictoire a été, en application de la loi du 21 décembre 2001, déterminée avec précision par le pouvoir réglementaire, dans l'intérêt des personnes mises en cause, selon les modalités détaillées par les dispositions précitées de l'article R. 241-31 du code des juridictions financières, dans sa rédaction applicable au litige. Ces modalités, qui permettent aux personnes concernées, ayant pris connaissance des passages du rapport d'observations définitives les concernant, de présenter leurs observations et leurs demandes de rectification par écrit, puis oralement lors d'une audition par la chambre régionale des comptes, satisfont entièrement, s'agissant d'une décision non juridictionnelle, aux exigences du caractère contradictoire de la procédure prévu par les articles L. 245-4 et L. 241-8 mentionnés ci-dessus, quand bien même, hormis le droit d'accès prévu par l'article R. 241-13 au stade des observations provisoires, le demandeur n'a pas accès à l'intégralité du dossier au vu duquel la chambre régionale des comptes se prononce sur sa demande, en particulier à la réponse des personnes auxquelles elle a été communiquée par la chambre régionale des comptes. Le caractère contradictoire de la procédure en cause ne saurait, par ailleurs, impliquer la communication au demandeur du rapport du magistrat instruisant sa demande ou des conclusions du procureur financier.

6. La cour administrative d'appel a relevé que le président de la chambre régionale des comptes a transmis la demande de rectification présentée par M. A...en septembre et octobre 2012 à l'ensemble des personnes concernées, qu'il a informé M.A..., par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 octobre 2012, qu'il pouvait solliciter son audition par la chambre et que cette audition a eu lieu le 15 avril 2013, avant que la chambre régionale des comptes n'adopte, le 7 décembre 2013, la décision de rectification contestée, qui a été notifiée le 12 décembre 2013 à M.A..., la demande de ce dernier étant par ailleurs annexée au rapport d'observations définitives. Elle a pu en déduire, sans erreur de droit, que le caractère contradictoire de la procédure n'avait pas été méconnu. Si elle a ajouté qu'aucune disposition du code des juridictions financières ni aucun principe général du droit n'exigent que la décision de la chambre régionale des comptes soit précédée d'une procédure contradictoire un tel motif, qui doit en tout état de cause être regardé comme surabondant, ne saurait être utilement critiqué.

7. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter le moyen tiré de ce que la chambre régionale des comptes avait entaché d'irrégularité la procédure d'examen de sa demande de rectification en refusant de prendre en compte les courriers que lui avait adressés M. A...les 29 juillet et 11 octobre 2013, la cour s'est fondée sur la circonstance que ces courriers ne comportaient pas d'éléments nouveaux par rapport aux précédentes écritures de M.A.... D'une part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en statuant ainsi, elle n'a pas dénaturé la teneur des courriers en cause. D'autre part, dès lors que c'est par un motif surabondant qu'elle a relevé que ces courriers n'avaient pas été présentés dans le délai d'un an prévu par l'article R. 241-31 du code des juridictions financières, le moyen tiré de ce qu'elle aurait, sur ce point, commis une erreur de droit ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

8. En troisième lieu, la cour ne s'est pas méprise sur les écritures d'appel en estimant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que M. A... n'apportait aucun élément de nature à établir l'existence d'un détournement de procédure.

9. En quatrième lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a écarté le moyen tiré de ce que la chambre régionale des comptes aurait entaché d'erreur matérielle la décision de rectification contestée, tout d'abord, en supprimant deux paragraphes inexistants du rapport d'observations définitives, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces paragraphes, contrairement à ce que soutient M.A..., figuraient dans la version transmise aux autorités concernées et rendue publique le 13 avril 2011, ensuite, en faisant état de la position de deux sociétés avec lesquelles le SDIS 41 avait conclu un contrat de crédit-bail selon lesquelles des sommes correspondant au paiement de biens de retour n'avaient jamais été reversées par l'ESDP 41 au crédit-bailleur, dès lors que l'arrêt attaqué se borne sur ce point à rappeler la position des sociétés en cause et que le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 20 janvier 2016 dont se prévaut M.A..., au demeurant postérieur à la décision contestée, ne concerne pas l'ESDP 41 et le SDIS 41, enfin, en refusant de mentionner le défaut de règlement à l'ESDP 41, par le SDIS 41, d'une facture du 1er juillet 2010, un tel refus relevant d'une appréciation de la chambre régionale des comptes.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'action et des comptes publics, que le pourvoi de M. A... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A...et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2019:409270.20190424
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