Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 22/10/2018, 413667, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 août, 26 septembre et 21 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération bancaire française demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la recommandation de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) n° 2017-R-01 du 26 juin 2017 sur le libre choix de l'assurance emprunteur souscrite en couverture d'un crédit immobilier ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des assurances ;
- le code civil ;
- le code de la consommation ;
- la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Fédération Bancaire Française et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.




Considérant ce qui suit :

1. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 313-30 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 21 février 2017, que les personnes qui souscrivent un contrat de crédit immobilier peuvent garantir cet emprunt par un autre contrat d'assurance que le contrat proposé par le prêteur et que ce dernier ne peut pas refuser cet autre contrat d'assurance dès lors qu'il présente un niveau de garantie équivalent au contrat d'assurance de groupe. L'emprunteur peut exercer son droit au choix du contrat d'assurance, soit avant même l'émission de l'offre de prêt - on parle alors de " déliaison " -, soit entre l'émission de l'offre de prêt et sa signature, soit dans un délai de douze mois à compter de la signature de l'offre de prêt, soit, enfin, en faisant usage du droit de résiliation annuel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité - on parle dans ces trois dernières hypothèses de " substitution ". L'article L. 313-31 du code de la consommation précise que : " Si l'offre... a été émise, le prêteur notifie à l'emprunteur sa décision d'acceptation ou de refus et lui adresse, s'il y a lieu, l'offre modifiée ... dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la réception de la demande de substitution. / Si l'emprunteur fait usage du droit de résiliation du contrat d'assurance ..., le prêteur notifie à l'emprunteur sa décision d'acceptation ou de refus dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la réception d'un autre contrat d'assurance. / En cas d'acceptation, le prêteur modifie par voie d'avenant le contrat de crédit ... en y mentionnant, notamment, le nouveau taux annuel effectif global calculé... en se fondant sur les informations transmises par l'assureur délégué ...(...) ".

2. D'autre part, selon le 3° du II de l'article L. 612-1 du code monétaire et financier, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) est chargée " de veiller au respect par les personnes soumises à son contrôle des règles destinées à assurer la protection de leur clientèle, résultant notamment de toute disposition européenne, législative et réglementaire ou des codes de conduite approuvés à la demande d'une association professionnelle, ainsi que des bonnes pratiques de leur profession qu'elle constate ou recommande ( ...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 612-29-1 du même code, l'Autorité " peut constater l'existence de bonnes pratiques professionnelles ou formuler des recommandations définissant des règles de bonne pratique professionnelle en matière de commercialisation et de protection de la clientèle ".

3. En application de ces dispositions, l'ACPR, après avoir réalisé un état des lieux des pratiques suivies par les principaux acteurs bancaires, a élaboré la recommandation n° 2017-R-01 du 26 juin 2017 sur le libre choix de l'assurance emprunteur souscrite en couverture d'un crédit immobilier, afin de diffuser de bonnes pratiques permettant " une application loyale et fluide " de ce droit. La Fédération bancaire française (FBF) demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette recommandation.

Sur le " périmètre " de la recommandation attaquée :

4. Si le point 3 de la recommandation attaquée, qui définit son " périmètre ", ne vise que les établissements de crédit et les sociétés de financement octroyant des prêts immobiliers et non les assureurs externes et les intermédiaires en assurance, cette circonstance, qui ne saurait être regardée comme méconnaissant l'objectif de protection de la clientèle énoncé à l'article L. 612-29-1 précité du code monétaire et financier, est sans incidence sur la compétence de l'ACPR pour édicter la recommandation litigieuse dont l'objectif, énoncé à son point 4, est d'assurer une plus grande transparence dans la gestion des demandes de " déliaison " et de " substitution " et un traitement loyal de ces dernières par les organismes prêteurs. Par suite, les moyens tirés de ce que, faute de s'appliquer aux assureurs externes et aux intermédiaires en assurance, le point 3 de la recommandation serait entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation, doivent, en tout état de cause, être écartés.

Sur les recommandations relatives à la recevabilité des dossiers de demande d'assurance externe :

5. En premier lieu, si, au point 4.3.1.2 de l'acte attaqué, l'ACPR recommande aux prêteurs, lorsque l'emprunteur exerce sa faculté de " déliaison ", de " procéder à l'analyse de l'équivalence des garanties sur la base d'un simple devis ", il est néanmoins précisé que " l'offre de prêt ne pourra être émise qu'à réception des documents (i) actant de la souscription ferme du contrat proposé et (ii) présentant des garanties identiques à celles sur lesquelles le prêteur s'est basé pour effectuer l'analyse d'équivalence au regard des critères valorisés communiqués au demandeur ". Dans ces conditions, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que cette recommandation conduit à diminuer les garanties dont doit bénéficier l'emprunteur et rend plus compliquée la tâche de comparaison que doit réaliser le prêteur. Le moyen tiré de ce qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doit, par suite, être écarté. En outre, la circonstance, à la supposer établie, que cette recommandation conduise les prêteurs à réaliser un double examen du niveau de garantie, d'abord sur la base du devis puis sur celle du contrat d'assurance externe, ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme constitutive d'une violation de la liberté d'entreprendre de ces organismes.

6. En deuxième lieu, l'ACPR recommande aux entités concernées, au point 4.3.1.3 de l'acte attaqué, " de considérer, pour les demandes de substitution formulées dans le délai de 12 mois suivant la signature de l'offre de prêt, que ce délai n'est plus opposable à l'emprunteur dès lors que ce dernier a formalisé sa demande, même si le dossier est incomplet ". Le point 4.3.1.5 invite par ailleurs les prêteurs, en cas de réception d'une demande jugée incomplète, à " indiquer par écrit au demandeur, dans un délai de l'ordre de 2 à 3 jours ouvrés, les documents ou informations manquants afin de pouvoir considérer la demande comme recevable ". Il résulte des dispositions combinées des articles L. 313-30 du code de la consommation et L.113-12-2 du code des assurances que l'emprunteur peut résilier le contrat d'assurance dans un délai de 12 mois à compter de la signature de l'offre de prêt. L'article L. 113-12-2 du code des assurances indique que la demande de résiliation doit être adressée par lettre recommandée au plus tard quinze jours avant le terme de la période de douze mois. Le 7° de l'article L. 313-25 du code de la consommation prévoit, par ailleurs, que l'offre de prêt doit mentionner que l'emprunteur peut souscrire une assurance auprès de l'assureur de son choix et préciser les documents que doit contenir la demande de substitution. Par suite, d'une part, en se bornant, au point 4.3.1.3, à rappeler aux organismes prêteurs que le délai de douze mois prévu par la loi pour former une demande de substitution peut être regardé comme interrompu par la manifestation de volonté de l'emprunteur formalisée dans les conditions édictées par le code des assurances, quand bien même cette demande serait incomplète faute d'être accompagnée de l'ensemble des documents sollicités par le prêteur aux fins de son instruction, l'ACPR n'a ni excédé sa compétence ni commis d'erreur de droit. D'autre part, si les dispositions des articles L. 313-28, L. 313-30, L. 313-31 et L. 313-32 du code de la consommation ne prévoient aucun délai concernant la recevabilité des demandes de substitution, cette circonstance ne saurait faire obstacle à ce que l'ACPR recommande, à titre de bonne pratique, comme elle l'a fait au point 4.3.1.5 de la recommandation, d'indiquer par écrit au demandeur, dans un délai fixé, à titre indicatif, à deux à trois jours ouvrés, les documents ou informations manquants dans l'envoi de sa demande. Il s'ensuit qu'en édictant cette recommandation, l'ACPR n'a ni excédé ses compétences, ni commis d'erreur de droit.

7. En troisième lieu, la recommandation, figurant au point 4.3.1.4, de ne pas subordonner le dépôt et le traitement de la demande d'assurance externe à un déplacement en agence ne constitue aucunement, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, une ingérence dans la liberté d'organisation des organismes prêteurs mais seulement une préconisation de bonne pratique professionnelle visant à faciliter l'exercice, par les emprunteurs, de leur droit au libre choix de l'assurance emprunteur en allégeant les formalités qui leur sont imposées. Par suite, le moyen tiré de ce que cette recommandation porterait atteinte à la liberté d'entreprendre des organismes prêteurs doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur les recommandations relatives à l'analyse des demandes et à la communication du résultat de cette analyse :

8. En premier lieu, si l'article L. 313-30 du code de la consommation prévoit que toute décision de refus, par le prêteur, d'une assurance externe doit être motivée, le point 4.3.3.1 de l'acte attaqué, qui recommande aux prêteurs de " communiquer systématiquement par écrit à la personne ayant formulé une demande d'assurance externe (...) le résultat de l'analyse de l'équivalence du niveau de garanties, en indiquant clairement si le contrat externe proposé est jugé recevable ou non au regard des critères CCSF retenus par l'établissement ", est dépourvu de caractère contraignant et se borne à inviter les professionnels concernés à adopter des règles de bonne pratique professionnelle destinées à informer de manière précise et complète les emprunteurs relativement au sort de leurs demandes, y compris dans l'hypothèse où ces demandes ont été jugées recevables. Par ailleurs, cette recommandation ne fait nullement obstacle à l'exercice de la faculté dont disposent ces organismes de proposer à leurs clients de modifier, par avenant, leurs engagements contractuels. Il en résulte que la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que cette recommandation méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 313-30 du code de la consommation ainsi que le principe de liberté contractuelle.

9. En deuxième lieu, le point 4.3.2.2 de l'acte attaqué recommande aux prêteurs " d'examiner l'équivalence du niveau de garantie du contrat externe sur la base de la durée d'amortissement du prêt, sans tenir compte des possibles allongements de durée résultant d'options de modulation ouvertes par les contrats de prêt, dès lors qu'ils n'ont pas été sollicités par l'emprunteur au moment de cette analyse ". Le point 4.3.3.4 recommande aux prêteurs, " lorsque le contrat de prêt ouvre des possibilités d'allongement de la durée d'amortissement, d'informer le client que l'exercice de cette option nécessitera l'accord préalable de l'assureur sur l'allongement de la durée de couverture, sauf à ce que le contrat d'assurance couvre explicitement l'allongement en résultant ". D'une part, en recommandant aux professionnels d'apprécier l'équivalence du niveau de garanties des contrats externes sur la base de la durée d'amortissement convenue à la date de la demande, indépendamment de la prise en considération de l'éventuelle mise en oeuvre d'options de modulation prévues par les contrats, l'ACPR n'a pas commis d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste d'appréciation. Par ailleurs, cette recommandation ne fait nullement obstacle à ce que le prêteur procède à l'examen des demandes présentées par les emprunteurs d'une manière adaptée à leur situation personnelle. Enfin, le moyen tiré de ce que le point 4.3.2.2 méconnaîtrait les dispositions des articles 1217 et 1231-1 du code civil doit, en tout état de cause, être écarté. D'autre part et contrairement à ce que soutient la fédération requérante, la recommandation édictée au point 4.3.3.4, qui ne fait que tirer, dans les hypothèses de mise en oeuvre d'une option de modulation contractuelle, les conséquences de l'existence de deux opérateurs indépendants - le prêteur et l'assureur -, ne méconnaît pas les dispositions l'article L. 313-30 du code de la consommation qui visent à garantir à l'emprunteur un niveau de garantie équivalent. En outre, elle n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de faire échec au devoir d'information et de conseil auquel sont tenus ces organismes. Le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait le devoir de mise en garde leur incombant doit, par suite, également être écarté.

10. En troisième lieu, la recommandation, formulée au point 4.3.3.3, invitant les prêteurs, " en cas de demande d'assurance externe et à tout moment dans le traitement de cette demande, [à] s'abstenir de présenter le choix de l'assurance externe comme étant de nature à mettre en difficulté l'emprunteur en cas de survenance d'un sinistre et d'employer des formules générales de nature à le dissuader d'y recourir " n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de faire échec au devoir d'information et de conseil auquel sont tenus ces organismes. Le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait le devoir de mise en garde leur incombant doit, par suite, être écarté.

Sur les recommandations relatives aux suites données à l'acceptation du contrat externe :

11. La recommandation, énoncée au point 4.3.4.1 de l'acte attaqué, aux termes de laquelle les prêteurs sont invités, en ce qui concerne les demandes de substitution acceptées qui ont été formulées dans le délai de douze mois suivant la signature de l'offre de prêt, à " éditer un avenant concomitamment au courrier d'information sur l'acceptation du contrat externe présenté et prendre toute mesure destinée à limiter le risque de paiement d'une double cotisation d'assurance pour l'emprunteur (par exemple, informer dans les courriers d'acceptation sur la nécessité d'un retour rapide de l'avenant après le délai de réflexion légal, prise en compte de l'avenant signé dans les meilleurs délais...) " n'est pas, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le prêteur dispose du nouveau contrat d'assurance, lequel comprend nécessairement tous les éléments lui permettant de rédiger l'avenant.

Sur les recommandations relatives au contrôle du respect du principe du libre choix :

12. Le point 4.4.1 de l'acte attaqué recommande aux établissements de crédit et aux sociétés de financement, " aux fins de contrôle interne et de traitement des réclamations, d'adapter les moyens de contrôler la conformité de leurs pratiques commerciales avec le principe de libre choix de l'assurance emprunteur, notamment avec l'article L.313-32 du code de la consommation, y compris lorsqu'aucune offre de prêt n'est émise, par exemple en conservant, dans des délais compatibles avec les obligations issues de la loi " Informatique et libertés ", les versions des documents précontractuels communiquées au candidat à l'emprunt, dont les simulations ". Ces énonciations, qui se bornent à préconiser des règles de bonne pratique professionnelle et sont dépourvues de caractère contraignant, ne sont pas entachées d'incompétence.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération bancaire française n'est pas fondée à demander l'annulation de la recommandation attaquée.

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat (ACPR), qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fédération bancaire française la somme de 3 000 euros à verser à l'Etat (ACPR), au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Fédération bancaire française est rejetée.
Article 2 : La Fédération bancaire française versera à l'Etat (ACPR) une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération bancaire française et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.

ECLI:FR:CECHR:2018:413667.20181022
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