Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 04/05/2018, 410950

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Le complexe Le lagon bleu a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2005, 2006 et 2007 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er octobre 2004 au 31 décembre 2007. Par des jugements n° 1106617 du 23 décembre 2014 et n° 1204601 du 8 décembre 2015, le tribunal a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 15DA00307, 16DA00292 du 28 mars 2017, la cour administrative d'appel de Douai a dit n'y avoir pas lieu à statuer sur les conclusions de la requête qui concernent les intérêts de retard, la pénalité de 10 % pour non-dépôt de déclaration prévue à l'article 1728 du code général des impôts, l'amende et la pénalité prévues respectivement par les dispositions des articles 1736 et 1759 du même code et rejeté le surplus de l'appel que la société avait formé contre ces jugements.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 mai 2017, 29 août 2017 et 4 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Le complexe Le lagon bleu demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SARL Le Complexe Le Lagon Bleu.




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, ont été mises à la charge de la SARL Le complexe Le lagon bleu des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2005 à 2007 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er octobre 2004 au 31 décembre 2007. Cette société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 mars 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, après avoir dit n'y avoir lieu à statuer sur les conclusions relatives aux intérêts de retard, à la pénalité de 10 %, à l'amende et à la pénalité prévues respectivement par les articles 1728, 1736 et 1759 du code général des impôts, a rejeté le surplus des requêtes tendant à l'annulation des jugements du 23 décembre 2014 et du 8 décembre 2015 du tribunal administratif de Lille ayant rejeté ses demandes de décharge de ces impositions.

2. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements ". Aux termes de l'article L. 47 A du même livre, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " I.-Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contribuable peut satisfaire à l'obligation de représentation des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant, sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget, une copie des fichiers des écritures comptables définies aux articles 420-1 et suivants du plan comptable général. L'administration peut effectuer des tris, classements ainsi que tous calculs aux fins de s'assurer de la concordance entre la copie des enregistrements comptables et les déclarations fiscales du contribuable. L'administration restitue au contribuable, avant la mise en recouvrement, les copies des fichiers transmis et n'en conserve aucun double. / II. -En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : / a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; / b) Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, l'administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. Les résultats des traitements sont alors remis sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget ; /c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L'administration restitue au contribuable avant la mise en recouvrement les copies des fichiers et n'en conserve pas de double. L'administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification mentionnée à l'article L. 57. /Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui ou sous le contrôle desquels les opérations sont réalisées ". Doivent être regardés comme des systèmes informatisés de tenue de comptabilité, au sens de ces dispositions, dont les données sont soumises au contrôle qu'elles prévoient, les progiciels de comptabilité sur lesquels sont reportées les recettes journalières ainsi que les caisses ou équipements de nature comparable dotés de logiciels informatiques participant, même indirectement, à la centralisation des recettes journalières dès lors qu'ils concourent effectivement à l'établissement de la comptabilité. Est à cet égard sans incidence la circonstance que les données de ces caisses ou équipements ne soient pas transmises de manière informatique au progiciel de comptabilité.

3. La cour administrative d'appel a regardé les données issues des caisses enregistreuses du restaurant et du bar équipées d'un logiciel informatique ainsi que des " rampes de bar " pilotées par un système informatique comme entrant dans le champ du contrôle des comptabilités tenues au moyen de systèmes informatisés prévu par les articles L. 13 et L. 47 A du livre des procédures fiscales dès lors que ces équipements permettaient, par leurs fonctions de facturation et d'encaissement, une centralisation journalière des recettes, et concouraient ainsi à la formation des résultats comptables de la société. Par ces motifs, qui ne sont argués ni de dénaturation, ni d'insuffisance de motivation, la cour a implicitement mais nécessairement jugé que ne faisait pas obstacle à cette qualification la seule circonstance que les recettes étaient, lors des exercices vérifiés, totalisées manuellement, puis rapprochées pour vérification des enregistrements des caisses et des " rampes de bar ", avant d'être regroupées dans un " brouillard de caisse " tenu sous fichier de calcul bureautique, dont les données étaient de nouveau saisies dans le progiciel de comptabilité. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'en statuant ainsi, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.

4. En deuxième lieu, aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / En cas d'application des dispositions de l'article L. 47 A, l'administration précise au contribuable la nature des traitements effectués. ". Il résulte de ces dispositions, ainsi que des termes mêmes de celles, précitées, de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales que, lorsqu'une société vérifiée choisit, en vertu du c du II de ce dernier article, de mettre à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle, l'administration est tenue de préciser, dans sa proposition de rectification, les fichiers utilisés, la nature des traitements qu'elle a effectués sur ces fichiers et les modalités de détermination des éléments servant au calcul des rehaussements, mais n'a l'obligation de communiquer ni les algorithmes, logiciels ou matériels qu'elle a utilisés ou envisage de mettre en oeuvre pour effectuer ces traitements, ni les résultats de l'ensemble des traitements qu'elle a réalisés, que ce soit préalablement à la proposition de rectification ou dans le cadre de celle-ci. Par suite, c'est par un arrêt suffisamment motivé et exempt d'erreur de droit que la cour administrative d'appel, après avoir relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que la société avait opté en faveur du c du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, et que les propositions de rectification des 16 décembre 2008 et 25 juin 2009 précisaient la méthodologie suivie, les traitements opérés en indiquant notamment les fichiers utilisés, ainsi que les résultats obtenus par le service dans le cadre de ces traitements, a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 47 A et L. 57 du livre des procédures fiscales au motif que l'administration n'était tenue de communiquer à la SARL Le complexe Le lagon bleu ni l'ensemble des résultats des traitements réalisés, ni le matériel, les logiciels ou les algorithmes utilisés pour procéder à ces traitements, mais uniquement ceux des résultats des traitements qui avaient été utilisés pour établir les rehaussements.

5. En troisième lieu, la cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que, l'administration fiscale avait constaté l'absence de conservation des données et des anciennes versions du logiciel utilisé par le système de caisse de la discothèque, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales, que la société n'avait pu, pour certaines périodes, produire les données des caisses, que des lignes de caisse sur les fichiers fournis ne mentionnaient aucun libellé ou mentionnaient des montants ou quantités nuls, que la société requérante n'avait pas fourni, malgré les demandes réitérées de l'administration, la tenue d'inventaires du stock à la clôture des exercices sur toute la période vérifiée, que le résultat du mois de septembre 2007 afférent au restaurant " La Paillote ", d'un montant de 14 734,36 euros hors taxes, n'avait pas été comptabilisé et, enfin, que l'enregistrement comptable de boissons telles que la vodka, le gin, le whisky et le champagne se faisait uniquement au profit de la discothèque alors qu'une partie était utilisée pour la brasserie. En retenant que le cumul de ces irrégularités rendait la comptabilité non probante et insincère et justifiait ainsi le rejet de cette dernière, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.

6. En dernier lieu, la cour administrative d'appel a écarté le moyen tiré de ce que la méthode de reconstitution retenue par le vérificateur serait excessivement sommaire et radicalement viciée. Elle a relevé qu'il avait mis en oeuvre une méthode fondée notamment sur les entrées et les consommations au niveau du bar tout en tenant compte des boissons offertes et des annulations de commande pour la partie discothèque et des données de caisse pour la partie restaurant. Elle a estimé que la SARL Le complexe Le lagon bleu ne démontrait pas le caractère exagéré des bases d'imposition dès lors, d'une part qu'elle se contentait d'alléguer l'existence d'une différence marginale entre les montants encaissés sur les caisses enregistreuses et ceux enregistrés en comptabilité, et, d'autre part, qu'elle n'apportait aucun élément de preuve justifiant que les recettes des soirées que l'administration fiscale a regardées comme non comptabilisées et réintégrées au chiffre d'affaires, auraient été cumulées à d'autres soirées et comptabilisées a posteriori. Dès lors que la SARL Le complexe Le lagon bleu ne contestait que le dernier de ces motifs et n'apportait, au soutien de son allégation, aucun document établissant que les recettes des soirées en cause auraient effectivement été comptabilisées les jours suivants, le moyen de dénaturation soulevé par la société requérante ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la SARL Le complexe Le lagon Bleu, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejeté.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SARL Le Complexe Le Lagon Bleu est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SARL Le Complexe Le Lagon Bleu et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2018:410950.20180504
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