Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 25/10/2017, 394413

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La SAS Sodisac a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales qu'elle a acquittées au titre des années 2009 à 2011. Par un jugement n° 1204022 du 10 décembre 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13NT03424 du 24 septembre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement, accordé à la SAS Sodisac la restitution des sommes de 56 551 euros au titre de l'année 2009, 86 844 euros au titre de l'année 2010 et 88 429 euros au titre de l'année 2011 et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi, enregistré le 5 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1 et 2 de cet arrêt ;

2°) de remettre à la charge de la société Sodisac les impositions contestées.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société SODISAC ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 223 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années en litige : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés (...) membres du groupe (...). Seules peuvent être membres du groupe les sociétés (...) qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés (...) ". En vertu de l'article 46 quater-0 ZD de l'annexe III à ce code, dans sa rédaction applicable aux années en litige, la société mère ayant opté pour le régime de l'intégration fiscale prévu par l'article 223 A doit notifier cette option au service des impôts auprès duquel est souscrite la déclaration du résultat d'ensemble et lui adresser notamment la liste des sociétés filiales qui seront membres du groupe ainsi que les attestations par lesquelles ces sociétés font connaître leur accord pour que la société mère retienne leurs résultats pour la détermination du résultat d'ensemble.

2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société de droit français Sodisac est indirectement et intégralement détenue par la société de droit espagnol Manufacturas Tompla SA, par l'intermédiaire de deux filiales espagnoles, les sociétés SCE Tompla Holding SL et Grupo Tombla Sobre express SL. La société de droit français CEPAP est également indirectement détenue par cette même société, par l'intermédiaire de la société de droit espagnol Manipulados de Monzon qui détient 98,62 % de ses parts, elle-même détenue par les sociétés SCE Tompla Holding SL et Grupo Tombla Sobre express SL. La société Sodisac a demandé, le 17 juillet 2012, la restitution d'une fraction des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale qu'elle avait acquittées au titre des années 2009, 2010 et 2011, correspondant à l'excédent d'impôt résultant de l'absence d'imputation des déficits fiscaux de la société CEPAP sur ses propres bénéfices imposables réalisés au cours des mêmes années, au motif que le régime d'intégration fiscale prévu à l'article 223 A du code général des impôts ne lui permettait pas de constituer un groupe d'intégration fiscale avec la société CEPAP, cette impossibilité étant selon elle contraire à la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le ministre se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 septembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, annulant le jugement du 10 décembre 2013 du tribunal administratif d'Orléans, a fait partiellement droit à l'appel de la société Sodisac.

3. Après avoir jugé, par des motifs non contestés en cassation, que l'impossibilité de constituer un groupe fiscalement intégré entre deux sociétés françaises détenues indirectement par une même société mère située dans un autre Etat membre constitue une entrave à la liberté d'établissement, la cour a relevé, sans erreur de droit, que le ministre ne saurait opposer l'absence d'exercice formel d'une option de la société CEPAP en faveur de la constitution d'un groupe d'intégration fiscale avec la société Sodisac, selon les modalités prévues par l'article 46 quater-0 ZD de l'annexe III au CGI dans sa rédaction alors en vigueur, pour refuser la demande de restitution des impositions perçues en méconnaissance du droit de l'Union européenne. C'est également sans erreur de droit que la cour a recherché, par un motif qui, contrairement à ce qui est soutenu en défense par la société Sodisac, n'était pas surabondant, si la société CEPAP avait fait connaître son accord pour que ses propres résultats soient pris en compte pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe ainsi constitué, renonçant par voie de conséquence au report des déficits qu'elle n'aurait pas encore imputés.

4. Toutefois, en jugeant que la volonté de la société CEPAP de constituer un groupe d'intégration fiscale avec la société Sodisac résultait suffisamment de la production par cette dernière des déclarations fiscales de la société CEPAP intitulées " régime fiscal des groupes de sociétés / Etat de suivi des déficits d'ensemble et affectation des moins values à long terme d'ensemble " relatives aux exercices clos en 2009, 2010 et 2011, alors que ces pièces n'étaient pas de nature à justifier d'un accord exprès de la société CEPAP pour faire entrer la société Sodisac dans le périmètre de l'intégration fiscale qu'elle avait elle-même constituée avec sa filiale française, la SAS Stockgraph, la cour a dénaturé les pièces du dossier. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit, dès lors, être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Comme il est indiqué au point 3 ci-dessus, si le respect des modalités prévues par l'article 46 quater-0 ZD de l'annexe III au code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur ne pouvait être exigé, la société Sodisac ne pouvait bénéficier des effets de l'intégration fiscale qui aurait été constituée avec la société CEPAP si la législation française avait été conforme au droit de l'Union européenne qu'à la condition que cette dernière ait donné son accord pour que ses propres résultats soient pris en compte pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe ainsi constitué, en renonçant par voie de conséquence au report des déficits qu'elle n'aurait pas encore imputés. Il résulte des termes de l'attestation du 30 janvier 2017 produite devant le Conseil d'Etat par la société requérante que la société CEPAP a expressément donné un tel accord. Par suite, il y a lieu de faire droit à la demande de restitution, pour la totalité de la somme demandée et non contestée, soit 88 429 euros, au titre de l'année 2011 et, contrairement à ce que soutient la société Sodisac, dans la limite des impositions acquittées en 2009 et en 2010 qui, selon les affirmations non contestées de l'administration, s'élèvent respectivement à 56 551 euros et 86 844 euros, compte tenu des crédits d'impôts dont la société a bénéficié.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sodisac est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté intégralement sa demande. Il y a lieu de lui accorder les restitutions définies ci-dessus et de rejeter le surplus de sa demande.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 3 000 euros à verser à la société Sodisac au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 24 septembre 2015 de la cour administrative d'appel de Nantes et le jugement du 10 décembre 2013 du tribunal administratif d'Orléans sont annulés.
Article 2 : Il est accordé à la société Sodisac la restitution des sommes de 56 551 euros au titre de l'année 2009, 86 844 euros au titre de l'année 2010 et 88 429 euros au titre de l'année 2011.
Article 3 : L'Etat versera à la société Sodisac la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de la société Sodisac est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Sodisac.

ECLI:FR:CECHR:2017:394413.20171025
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