Cour Administrative d'Appel de Versailles, 3ème Chambre, 02/12/2014, 12VE03684, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 12 novembre 2012, présentée pour la société
ZAMBON FRANCE, dont le siège social est 13 rue René Jacques à Issy-les-Moulineaux (92138), par Me Schneider, avocat ; la société ZAMBON FRANCE demande à la Cour :

1° à titre principal, d'annuler le jugement n° 1102790 en date du 3 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la restitution des sommes respectives de 1 421 809 euros et 1 865 462 euros, correspondant à une fraction de l'impôt sur les sociétés et des contributions sociales dont elle s'est acquittée au titre des exercices clos en 2008 et 2009 ;

2° d'ordonner la restitution de la somme de 3 287 271 euros, assortie des intérêts au taux légal, et capitalisation de ces intérêts au titre des deux exercices litigieux ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4° subsidiairement, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre du renvoi préjudiciel, de la question suivante : " L'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose aux règles établies par la loi française sur les conditions de constitution et d'appartenance à un groupe d'intégration fiscale, lesquelles subordonnent le bénéfice de ce régime et la possibilité qui s'en suit de compenser les résultats fiscaux des sociétés membres du groupe, à la condition que ces sociétés soient détenues, directement ou indirectement, par une société qui soit elle-même soumise à l'impôt sur les sociétés ' " ;

Elle soutient que l'impossibilité pour les sociétés soeurs françaises du groupe Zambon de constituer un groupe fiscal intégré au sens des articles 223 A et suivants du code général des impôts, au seul motif qu'elles sont détenues indirectement par une société mère italienne, par l'intermédiaire de filiales également de droit italien, constitue une restriction à la liberté d'établissement prohibée par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui n'est justifiée par aucune raison impérieuse d'intérêt général ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 12 juin 2014 dans les affaires jointes C-39/13, C-40/13 et C-41/13 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 novembre 2014 :

- le rapport de M. Locatelli, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Coudert, rapporteur public ;


1. Considérant que les sociétés françaises, ZAMBON FRANCE et ZaCh System, sont indirectement et intégralement détenues par la société de droit italien Zambon Company SPA, par l'intermédiaire des filiales Zambon SPA pour la première, et ZaCh System SPA pour la seconde, toutes deux également de droit italien ; que la société ZAMBON FRANCE a réclamé à l'administration fiscale, le 30 décembre 2010, la restitution d'une fraction des cotisations primitives, mais aussi supplémentaires, dont elle s'était acquittée à l'impôt sur les sociétés et aux contributions sociales pour les sommes respectives de 1 421 809 euros et 1 865 462 euros au titre des exercices clos en 2008 et 2009, au motif que l'impossibilité dans laquelle la plaçait la législation française de constituer un groupe fiscal intégré avec la société ZaCh System et, par suite, d'imputer les déficits de cette dernière sur ses propres bénéfices fiscaux, est contraire à la liberté d'établissement protégée à l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'après que l'administration a rejeté sa réclamation par application de l'article 223 A du code général des impôts, la société ZAMBON FRANCE a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 3 octobre 2012, dont elle relève appel, a également rejeté cette demande ;


Sur la compatibilité du régime de l'intégration fiscale défini aux articles 223 A et suivants du code général des impôts avec la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 223 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe (...) Les sociétés du groupe restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats (...) Seules peuvent être membres du groupe les sociétés qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés (...) " ; qu'aux termes de l'article 223 B de ce code : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe (...) " ; qu'enfin, en vertu de ce dernier article et des articles 223 D et 223 F du même code, est prévue la neutralisation d'opérations internes au groupe, telles que des provisions pour créances douteuses ou pour risques entre sociétés du groupe, des abandons de créances ou des subventions internes à celui-ci, des provisions pour dépréciation de participations détenues dans d'autres sociétés du groupe et des cessions d'immobilisations au sein de ce dernier ;

3. Considérant que la liberté d'établissement, que l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) reconnaît aux ressortissants européens, et qui comporte pour eux l'accès aux activités non salariées et l'exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l'Etat membre d'établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l'article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union européenne, le droit d'exercer leur activité dans l'Etat membre concerné par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence ; qu'à cet égard, la possibilité ouverte, par le régime de l'intégration fiscale, à une société mère résidente d'alléger son imposition en lui permettant de consolider les résultats de toutes les sociétés du groupe fiscalement intégré, est constitutive d'un avantage de trésorerie pour les sociétés concernées en ce que, notamment, la compensation des bénéfices et des pertes autorisées permet au groupe une prise en compte immédiate des pertes de certaines sociétés membres et, ainsi, de conserver aux transactions effectuées au sein du groupe un caractère fiscalement neutre ;

4. Considérant qu'en vertu des articles 223 A et suivants du code général des impôts, cet avantage fiscal n'est toutefois pas accordé à des sociétés ayant leur siège en France mais qui sont détenues directement ou indirectement par une société mère établie dans un autre Etat membre au moyen, le cas échéant, de filiales intermédiaires elles-mêmes établies dans d'autres Etats membres, du moins tant que la société mère et les filiales intermédiaires n'exercent aucune activité en France, notamment par l'entremise d'un établissement stable, alors qu'une société mère française a la faculté de constituer une intégration fiscale avec ses filiales ou ses
sous-filiales résidentes détenues par l'intermédiaire de filiales établies en France ou y ayant un établissement stable ; que les dispositions précitées créent ainsi une différence de traitement entre, d'une part, les sociétés mères ayant leur siège en France qui, grâce au régime de l'intégration fiscale, peuvent notamment, aux fins de l'établissement de leur bénéfice imposable, imputer immédiatement les pertes de leurs filiales déficitaires sur les bénéfices de leurs filiales bénéficiaires et, d'autre part, les sociétés mères détenant également des filiales en France mais qui, ayant leur siège dans un autre Etat membre et ne disposant pas d'établissement stable en France, sont exclues du bénéfice de l'entité fiscale et, partant, de l'avantage de trésorerie auquel elle ouvre droit ; qu'ainsi, en tant qu'elles défavorisent, sur le plan fiscal, les situations européennes par rapport aux situations purement internes, ces dispositions constituent une restriction en principe interdite par les stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la liberté d'établissement ; que l'existence de cette restriction n'est pas remise en cause par la circonstance que la société mère commune des filiales à consolider se trouve à un niveau plus élevé de la chaîne de participations du groupe, dès lors que les sociétés intermédiaires, dont le siège n'est pas en France et qui n'y disposent pas d'un établissement stable, ne peuvent pas elles-mêmes faire partie de l'intégration fiscale ;

5. Considérant, il est vrai, qu'une telle différence de traitement reste compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté d'établissement si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; que la comparabilité d'une situation européenne avec une situation interne doit être examinée en tenant compte de l'objectif poursuivi par la législation en cause ;

6. Considérant que l'objectif du régime français de l'intégration fiscale, qui est de permettre aux sociétés d'un même groupe d'être considérées le plus possible comme une entreprise unique formant un seul et même contribuable, peut être atteint aussi bien par des groupes dont la société mère est résidente que par ceux dont la société mère ne l'est pas, à tout le moins pour ce qui concerne l'imposition des seules sociétés assujetties à l'impôt en France ; que, dès lors que l'article 223 A du code général des impôts permet, dans le cas d'un groupe dont la société mère est résidente, la consolidation des filiales et que cet objectif peut également être en partie atteint, dans le cas d'une société mère étrangère, en ne permettant qu'aux seules filiales établies en France de faire l'objet d'une consolidation de leurs résultats, la différence de traitement, s'agissant de la possibilité d'intégrer uniquement des sociétés soeurs résidentes, n'est pas justifiée par une différence de situation objective, ni, d'ailleurs, en l'espèce, par un motif impérieux d'intérêt général que le ministre ferait valoir et qu'en tout état de cause, il n'appartient pas au juge de l'impôt de soulever d'office ; que, par suite, la société ZAMBON FRANCE est fondée à se prévaloir, contrairement à ce que soutient le ministre, de l'arrêt du 12 juin 2014 par lequel la Cour de justice européenne a, notamment dans l'affaire C-40/13, dit pour droit que
l'article 43 TCE, en combinaison avec l'article 48 TCE, et l'article 49 TFUE, en combinaison avec l'article 54 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent au régime néerlandais d'intégration fiscale qui, dans le cadre de l'imposition des bénéfices des sociétés, n'offre aux filiales nationales la possibilité de constituer entre elles une entité fiscale que si leur société mère est également établie sur le territoire national ou si, bien qu'établie dans un autre Etat membre, elle dispose d'un établissement stable sur ce territoire ;

7. Considérant que si les régimes d'intégration fiscale français et néerlandais diffèrent en ce que, dans le système français, chaque société établit son propre résultat et ne s'octroie qu'ensuite les effets de l'intégration fiscale sous la forme de transferts de perte et de la neutralisation fiscale de chacune des transactions, alors que, dans le système néerlandais, ce résultat est atteint en traitant les sociétés du groupe comme un seul contribuable, cette circonstance n'est pas de nature à entraîner une appréciation différente quant à l'existence d'une restriction à la liberté d'établissement, dont l'administration n'établit pas la justification par un motif impérieux d'intérêt général ;

8. Considérant, en conséquence, que doivent être rejetés les arguments du ministre selon lesquels la société ZAMBON FRANCE n'avait pas le statut d'une société mère lui donnant qualité pour demander l'intégration de sa soeur française ZaCh System, en l'absence de holding établie en France qui leur soit commune et qui ne pouvait résulter que de la libre volonté des dirigeants du groupe Zambon de ne pas bénéficier du régime d'intégration pour ces deux sociétés ; qu'enfin, le ministre ne saurait opposer l'absence d'exercice formel d'une option en ce sens et de conclusion d'une convention d'intégration fiscale entre les sociétés ZAMBON FRANCE et ZaCh System, dès lors que, d'une part, ces formalités ne pouvaient, en tout état de cause, être accomplies en raison même du caractère restrictif de la législation française et que, d'autre part, ces difficultés pratiques ne peuvent justifier, à elles seules, l'atteinte portée à une liberté fondamentale protégée par le droit primaire de l'Union européenne ;

9. Considérant, par suite, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que la société ZAMBON FRANCE est fondée, contrairement à ce qu'a estimé le jugement attaqué, à solliciter le bénéfice de l'intégration fiscale de la société ZaCh System et, en conséquence, la restitution des cotisations litigieuses d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales ;

Sur le quantum de la restitution sollicitée :

10. Considérant que, dans le dernier état de ses écritures d'appel, la société ZAMBON FRANCE ne sollicite la restitution des impositions primitives et supplémentaires qu'à concurrence des sommes respectives de 1 273 339 euros et 9 949 euros en 2008, et de 1 847 383 euros et 4 269 euros en 2009, dont elle s'est acquittée, soit la somme globale de 3 134 940 euros ;
11. Considérant qu'il est constant qu'en vertu de l'intégration des déficits de la société ZaCh System aux bénéfices de la société requérante, cette dernière n'aurait été redevable d'aucune imposition, y compris supplémentaire, du fait de l'imputation, au titre de l'exercice clos en 2008, d'une fraction de son déficit reportable constaté en 2004 et de l'existence, au titre de celui clos en 2009, d'un résultat d'ensemble du groupe déficitaire de 10 077 465 euros ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société ZAMBON FRANCE est fondée à solliciter la restitution de la somme de 3 134 940 euros, dont elle s'est globalement acquittée au cours des deux exercices litigieux au titre des cotisations primitives et supplémentaires d'impôts en litige ;

Sur le versement des intérêts moratoires :

13. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal, les intérêts moratoires et, le cas échéant, les sommes engagées par le contribuable pour constituer des garanties autres qu'une consignation, lui sont remboursés dans les limites et conditions fixées par les articles R. 208-1 à R. 208-6 dudit livre ; que la société requérante ne fait état d'aucune demande à l'administration en ce sens ; qu'ainsi, en l'absence de litige né et actuel, elle n'est pas recevable à demander que l'Etat soit condamné à lui verser les intérêts moratoires ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la condamnation de l'Etat aux entiers dépens :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de ces dispositions, la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par la société ZAMBON FRANCE et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, en l'absence de dépens, les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens ne peuvent qu'être rejetées ;



DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1102790 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise
du 3 octobre 2012 est annulé.
Article 2 : Il est accordé à la société ZAMBON FRANCE la restitution des sommes de 1 283 288 euros au titre de l'exercice 2008 et 1 851 652 euros au titre de l'année 2009.
Article 3 : L'Etat versera à la société ZAMBON FRANCE la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société ZAMBON FRANCE est rejeté.
''
''
''
''
N° 12VE03684 2



Retourner en haut de la page