Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 21/03/2007, 278437

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mars 2005 et 4 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler l'arrêt du 30 décembre 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 23 avril 2004 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise le déclarant démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller municipal de la commune de Romainville à la demande du maire de cette commune ; 2°) statuant au fond, d'annuler le jugement du 23 avril 2004 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et de rejeter la demande du maire de Romainville tendant à ce qu'il soit déclaré démissionnaire d'office ; 3°) de mettre à la charge de la commune de Romainville une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n°1 ; Vu le code général des collectivités territoriales ; Vu le code électoral ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. François Delion, Maître des Requêtes, - les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A, et de Me Foussard, avocat de la commune de Romainville ; - les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Romainville a demandé à plusieurs conseillers municipaux, dont M. A, d'assurer la présidence de bureaux de vote lors des premier et second tours des élections régionales qui se sont tenus les 21 et 28 mars 2004 ; que, par lettre du 5 mars 2004, M. A a expressément refusé d'assurer la présidence du bureau de vote n° 5 lors du premier tour de scrutin; que, par un jugement du 23 avril 2004, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par le maire de Romainville sur le fondement des articles L. 2121-5 et R. 2121-5 du code général des collectivités territoriales, a déclaré l'intéressé démissionnaire d'office ; que, par un arrêt du 30 décembre 2004, contre lequel M. A se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Versailles a confirmé ce jugement ; Sur le pourvoi : Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 43 du code électoral : Les bureaux de vote sont présidés par les maires, adjoints et conseillers municipaux dans l'ordre du tableau. A leur défaut, les présidents sont désignés par le maire parmi les électeurs de la commune. ; que l'article L. 2121-5 du code général des collectivités territoriales dispose : Tout membre d'un conseil municipal qui, sans excuse valable, a refusé de remplir une des fonctions qui lui sont dévolues par les lois, est déclaré démissionnaire par le tribunal administratif. / Le refus résulte soit d'une déclaration expresse adressée à qui de droit ou rendue publique par son auteur, soit de l'abstention persistante après avertissement de l'autorité chargée de la convocation. / Le membre ainsi démissionnaire ne peut être réélu avant le délai d'un an. ; qu'en vertu de l'article R. 2121-5 du même code, il appartient au maire, lorsqu'un conseiller municipal a refusé, dans les conditions prévues à l'article L. 2121-5, de remplir l'une des fonctions qui lui sont dévolues par les lois, de saisir dans le délai d'un mois le tribunal administratif, lequel peut prononcer la démission d'office ; Considérant que la présidence des bureaux de vote prévue par l'article R. 43 du code électoral est au nombre des fonctions visées par l'article L. 2121-5 précité du code général des collectivités territoriales qu'un conseiller municipal est tenu de remplir à peine d'être déclaré démissionnaire d'office par le tribunal administratif en application de l'article R. 2121-5 de ce code ; qu'il ne peut se soustraire à cette obligation que s'il est en mesure, sous le contrôle du juge administratif, de présenter une excuse valable ; que peut être, le cas échéant, regardé comme excipant d'une telle excuse pour l'application des dispositions susrappelées un conseiller municipal qui établit l'existence de manoeuvres consistant en des décisions ou comportements d'un maire destinés à provoquer un refus de l'intéressé d'exercer ses fonctions susceptible de le faire regarder comme s'étant de lui-même placé dans la situation où il peut être déclaré démissionnaire d'office ; que par suite, en estimant que le tribunal administratif n'avait pas à répondre au moyen tiré de ce que la désignation de l'intéressé en qualité de président d'un bureau de vote serait constitutive d'une manoeuvre, puis en s'abstenant d'y répondre elle-même, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit et entaché son arrêt d'insuffisance de motivation ; qu'ainsi l'arrêt du 30 décembre 2004 doit être annulé ; Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ; Sur la requête d'appel présentée par M. A : Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. A n'a pas produit de défense en première instance ; que le moyen selon lequel le tribunal administratif se serait irrégulièrement abstenu de répondre aux moyens tirés de l'existence de manoeuvres du maire et de la méconnaissance de l'article R. 43 du code électoral ne peut dès lors qu'être écarté ; qu'il n'appartenait pas au tribunal administratif de se prononcer d'office sur le point de savoir si la désignation de l'intéressé avait été faite conformément aux dispositions de cet article ; Considérant, en deuxième lieu, que par lettre du 5 mars 2004, M. A a informé le maire de Romainville, sans indiquer de motif, qu'il refusait d'assurer la présidence du bureau de vote n° 5 lors du scrutin du 21 mars 2004 ; que ce n'est que devant la cour administrative d'appel de Versailles qu'il a fait état, pour justifier son refus, de problèmes de santé et de manoeuvres « vexatoires » du maire ; qu'il ne ressort pas du certificat médical produit tardivement par l'intéressé et établi postérieurement à la date du scrutin que son état de santé était incompatible avec la présidence d'un bureau de vote ; qu'au demeurant, il est constant que M. A a assuré les fonctions d'assesseur titulaire dans le bureau n° 7 lors du scrutin du 21 mars 2004 ; qu'en se bornant à soutenir qu'il exerçait lors de précédentes élections la présidence d'un bureau plus proche de son domicile, que son âge et ses problèmes de santé étaient connus du maire, que l'ordre du tableau prescrit par l'article R. 43 du code électoral n'aurait pas été respecté, certains bureaux ayant été présidés par de simples électeurs alors que des conseillers municipaux étaient disponibles, et que le maire a en réalité cherché à évincer de leurs fonctions des conseillers municipaux dissidents, alors que le maire de Romainville allègue, sans être démenti, des sérieuses difficultés d'organisation auxquelles il s'est heurté en raison de l'existence de 13 bureaux de vote, de la concomitance des élections régionales et cantonales et des nombreux refus d'assurer la présidence de bureaux de vote opposés par des conseillers municipaux, et fait valoir, pièces à l'appui, que l'ensemble des groupes politiques avaient été sollicités, l'intéressé n'établit pas que le maire de Romainville se serait livré à des manoeuvres et ne l'aurait sollicité qu'en vue de provoquer un refus permettant d'engager à son encontre une procédure de démission d'office ; que M. A ne peut dès lors être regardé comme justifiant d'une excuse valable au sens de l'article L. 2121-5 du code général des collectivités territoriales ; Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3 du protocole additionnel n°1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. ; que ces stipulations ne visent que les élections au « corps législatif », c'est à dire celles relatives à un organe pouvant adopter des actes ayant force de loi dans les matières qui lui sont expressément attribuées ; qu'un conseil municipal ne présente pas le caractère d'un corps législatif ; que le requérant ne peut dès lors utilement invoquer une méconnaissance de cet article ; Considérant, enfin, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. A a refusé d'exercer une fonction lui incombant légalement sans justifier d'une excuse valable ; qu'il entrait ainsi dans le champ des prévisions de l'article L. 2121-5 du code général des collectivités territoriales, comme l'a à bon droit jugé le tribunal administratif ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'une mesure de démission d'office était disproportionnée au regard du manquement allégué ne peut qu'être écarté ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 23 avril 2004, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a déclaré démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller municipal ; Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant que le maire agissant en cette matière en qualité d'agent de l'Etat, les conclusions présentées par M. A tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être regardées comme tendant au paiement des sommes en cause par l'Etat ; que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de ce dernier, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A la somme que demande la commune au même titre ;
D E C I D E : -------------- Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en date du 30 décembre 2004 est annulé. Article 2 : Le surplus des conclusions de M. A, sa requête d'appel et les conclusions de la commune de Romainville tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés. Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean A, au maire de Romainville et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
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