Conseil d'État, 9ème chambre jugeant seule, 20/10/2016, 388067, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La SARL La Cressonière a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007 ainsi que les pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1106947 du 4 juin 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE03077 du 18 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la SARL La Cressonière contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 février 2015, 15 mai 2015 et 22 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL La Cressonière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la SARL La Cressoniere ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SARL La Cressonière a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause la déduction, opérée par la SARL sur son résultat de l'exercice clos en 2007, d'une provision d'un montant de 400 000 euros correspondant au versement d'une indemnité d'éviction destinée à indemniser la société Neturba des difficultés induites par la vente, en début d'année 2007, des locaux à usage de bureaux et d'entrepôts donnés en location par la SARL requérante à cette société au 14, rue des Cressonnières à Gonesse (95500). La SARL La Cressonière se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie à ce titre, y compris la majoration de 40 % pour manquement délibéré.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes du I de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois en ce qui concerne : / 1° Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article 302 septies A du code général des impôts (...) ". Ces dispositions organisent, au bénéfice de certaines entreprises limitativement énumérées, une garantie spéciale encadrant la procédure de vérification sur place dont elles peuvent faire l'objet. Les entreprises qui exercent une activité civile de location immobilière de locaux nus n'entrent pas dans le champ d'application de cet article.

3. Pour exclure la société requérante du bénéfice de cette garantie de procédure, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en retenant, par des faits qu'elle a souverainement appréciés sans les dénaturer, que la SARL La Cressonière a été constituée le 1er avril 1999 pour exercer une activité de location de locaux commerciaux et qu'elle n'a fourni aucun début de preuve de ce que les locaux qu'elle a donnés en location auraient fait effectivement l'objet par ses soins d'aménagements ou d'agencements destinés à l'exploitation de l'activité du preneur ni aucun élément relatif à une autre activité qu'elle aurait effectivement exercée au cours de la période en litige.

4. Dès lors que la cour a ainsi jugé que la société requérante n'exerçait aucune activité commerciale pendant la période vérifiée, elle n'était pas tenue de répondre au moyen, inopérant, tiré du caractère seulement accessoire de son activité civile. Elle n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation en écartant le moyen tiré de ce qu'elle aurait été redevable de la taxe professionnelle, qui était inopérant. Enfin, le motif de l'arrêt attaqué par lequel la cour a jugé que la société n'aurait pas exercé d'activité industrielle ou commerciale au cours des années, postérieures à l'année d'imposition en litige, pendant lesquelles l'administration a procédé à la vérification de sa comptabilité, doit être regardé comme surabondant au regard de l'objet du litige. Est, par suite, inopérant, en tout état de cause, le moyen tiré de ce que la cour aurait ainsi méconnu les articles L. 52 du livre des procédures fiscales et R. 611-7 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

5. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice le montant de charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.

6. Pour juger que l'indemnité d'éviction de 400 000 euros à verser à la société Neturba, provisionnée au titre de l'exercice clos en 2007, ne correspondait pas à une charge exposée dans l'intérêt de l'exploitation de la SARL La Cressonière, la cour a relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que si cette somme était destinée à indemniser la société Neturba des difficultés qui auraient été induites par la vente des locaux dans lesquels cette société avait déjà entreposé du matériel pour sa propre exploitation et ainsi éviter à la société requérante d'être engagée dans des procédures contentieuses coûteuses dont l'issue lui aurait été défavorable, la société Neturba n'apparaissait pas s'être effectivement organisée pour exercer une activité ou exploiter un fonds de commerce dans les locaux en cause, de sorte que la réalité d'un préjudice que cette société pouvait subir du fait de la résiliation du bail n'était pas avérée. La cour a ainsi pu légalement qualifier d'acte anormal de gestion la constitution de la provision litigieuse. Au surplus, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, comme l'ont relevé les premiers juges, le montant provisionné représentait plus de 60 % de la somme des loyers dont le preneur aurait dû s'acquitter au cours des neuf années qu'avait vocation à durer le bail signé le 1er décembre 2005.

Sur les pénalités :

7. En vertu de l'article 1729 du code général des impôts, les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraînent l'application d'une majoration de 40 % si le contribuable a délibérément entendu se soustraire à l'impôt. Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi (...) incombe à l'administration ".

8. En jugeant que l'administration établissait le caractère délibéré de l'inexactitude relevée dans la déclaration de la SARL La Cressonière du seul fait qu'il s'agissait d'un acte anormal de gestion et que la requérante et le preneur étaient dirigés par la même personne, par ailleurs associée de la société requérante, la cour a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL La Cressonière est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il s'est prononcé sur les pénalités. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à la société requérante d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 décembre 2014 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les pénalités.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'État versera une somme de 1 000 euros à la SARL La Cressonière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SARL La Cressonière est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SARL La Cressonière et au ministre de l'économie et des finances.

ECLI:FR:CECHS:2016:388067.20161020
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