Conseil d'État, 1ère / 6ème SSR, 12/12/2013, 372156

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu l'ordonnance n° 13NT00558 du 6 septembre 2013, enregistrée le 13 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le recours présenté à cette cour par le ministre des affaires sociales et de la santé, ainsi que le mémoire soulevant une question prioritaire de constitutionnalité en défense ;

Vu le recours, enregistré le 15 février 2013 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes, présenté par le ministre des affaires sociales et de la santé et tendant :

1°) à l'annulation du jugement n° 1200221 du 20 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes, appréciant à la demande de la SCP Egu-Hardy et autres la légalité de l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 15 mars 2010 interdisant définitivement l'usage aux fins d'habitation d'un bien appartenant à M.E..., a déclaré que cette décision est entachée d'illégalité ;

2°) au rejet de la demande présentée par la SCP Egu-Hardy devant le tribunal administratif de Rennes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu l'article L. 1331-22 du code de la santé publique ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;





1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. E... a fait l'acquisition, le 18 septembre 2007, d'un studio situé à Rennes, qui appartenait à M. et Mme D... et qu'il a ensuite entendu revendre ; que toutefois, par un arrêté du 15 mars 2010, le préfet d'Ille-et-Vilaine a déclaré le local impropre par nature à l'habitation et l'a interdit définitivement à cet usage ; que M. E...a assigné M. et MmeD..., la SCP Egu-Hardy, notaire devant qui avait été passé l'acte d'acquisition, ainsi que la société Bretagne Ventes Immobilier (BVI), agent immobilier qui avait négocié ce contrat, devant le tribunal de grande instance de Rennes pour voir prononcer la nullité ou la résolution de la vente ; que cette dernière société a appelé en garantie les autres notaires qui avaient concouru à l'acte ; que, par une ordonnance du 5 janvier 2012, le juge de la mise en état de ce tribunal a sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la légalité de l'arrêté du 15 mars 2010 et des articles 40-3 et 40-4 du règlement sanitaire départemental d'Ille-et-Vilaine ; que, par un jugement du 20 décembre 2012, le tribunal administratif de Rennes, saisi par les notaires, a déclaré illégal l'arrêté du 15 mars 2010 et rejeté le surplus de la demande ; que le ministre des affaires sociales et de la santé a relevé appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Nantes ; qu'en défense à cet appel, par un mémoire enregistré le 12 juillet 2013, la SCP Egu-Hardy a demandé que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique soit transmise au Conseil d'Etat ; que le président de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis l'affaire au Conseil d'Etat, en application des articles R. 321-1 et R. 351-2 du code de justice administrative ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le mémoire présenté devant la cour par la SCP Egu-Hardy, sur le fondement de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, tendant, en défense à l'appel du ministre, à ce que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique soit transmise au Conseil d'Etat, doit être regardé comme tendant à ce que cette question soit renvoyée au Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; qu'aux termes du premier alinéa de cet article : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique : " Les caves, sous-sols, combles, pièces dépourvues d'ouverture sur l'extérieur et autres locaux par nature impropres à l'habitation ne peuvent être mis à disposition aux fins d'habitation, à titre gratuit ou onéreux. Le représentant de l'Etat dans le département met en demeure la personne qui a mis les locaux à disposition de faire cesser cette situation dans un délai qu'il fixe. Il peut prescrire, le cas échéant, toutes mesures nécessaires pour empêcher l'accès ou l'usage des locaux aux fins d'habitation, au fur et à mesure de leur évacuation. (...) Ces mesures peuvent faire l'objet d'une exécution d'office. " ;

4. Considérant, d'une part, que la SCP Egu-Hardy soutient que l'article L. 1331-22 du code de la santé publique porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété en tant qu'il permet à l'administration d'interdire à un propriétaire de loger dans son propre local ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il résulte néanmoins de ses articles 2 et 4 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ; que l'article L. 1331-22 a pour objet d'interdire la mise à disposition à un tiers, à des fins d'habitation, d'un local qui y est impropre par nature, et non l'occupation d'un tel local par son propriétaire ; que si les mesures que le préfet peut prescrire pour assurer l'exécution de sa décision peuvent avoir pour conséquence de faire obstacle à ce que le propriétaire utilise ce local pour son propre logement, ces dispositions, qui n'emportent aucune privation du droit de propriété, apportent à l'exercice de ce droit des restrictions qui sont justifiées par l'intérêt général s'attachant à la protection de la santé et de la sécurité des occupants de locaux impropres à l'habitation et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

5. Considérant, d'autre part, que contrairement à ce que soutient la SCP Egu-Hardy, la décision prise par le préfet doit être précédée d'une procédure contradictoire en vertu des dispositions combinées de la loi du 11 juillet 1979 et de la loi du 12 avril 2000 ; qu'aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle n'imposait de prévoir une procédure consultative préalable ; qu'enfin et en tout état de cause, l'administration n'est pas en situation de compétence liée quand elle qualifie un local d'impropre par nature à l'habitation ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 1331-22 du code de la santé publique porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur l'appel formé par le ministre des affaires sociales et de la santé à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Rennes :

7. Considérant que le ministre des affaires sociales et de la santé doit être regardé comme demandant l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes en tant seulement qu'il a déclaré illégal l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 15 mars 2010 ;

8. Considérant qu'ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, un local ne peut être qualifié d'impropre par nature à l'habitation, au sens de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique, au seul motif de la méconnaissance de la règle de surface minimale de la pièce principale prescrite par le règlement sanitaire départemental ; qu'en l'espèce, le local objet de l'arrêté litigieux, qui a une superficie de 8,75 mètres carrés et comprend, outre une salle d'eau et un coin cuisine, une pièce principale d'une superficie de 6,50 mètres carrés comportant une fenêtre, ne peut être qualifié, en application de ce même article, d'impropre par nature à l'habitation ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a déclaré illégal l'arrêté du 15 mars 2010 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la SCP Egu-Hardy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SCP Egu-Hardy.
Article 2 : L'appel du ministre des affaires sociales et de la santé est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de la SCP Egu-Hardy présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre des affaires sociales et de la santé et à la SCP Egu-Hardy.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, à M. B...E..., à MeC..., à la SCPC..., Laisne et Gueguen, à M. et Mme A...D...et à la société Bretagne Ventes Immobilier.

ECLI:FR:CESSR:2013:372156.20131212
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