CAA de NANCY, , 07/08/2020, 20NC01030, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre de gestion de la fonction publique territoriale de Meurthe-et-Moselle a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy de condamner la société André et Moulet Architecture à lui verser une provision d'un montant de 62 800 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 25 novembre 2019, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 1903514 du 22 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a condamné la société André et Moulet Architecture à verser une provision de 57 800 euros TTC au centre de gestion de la fonction publique territoriale de Meurthe-et-Moselle, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2019, a mis à la charge de cette société une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mai 2020, la société André et Moulet Architecture, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 22 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy en tant qu'elle s'est prononcée sur les demandes d'indemnisation du centre de gestion de la fonction publique territoriale de Meurthe-et-Moselle relatives à la surconsommation d'eau, aux travaux de reprise de la gaine d'ascenseur et à l'indemnité de procédure ;

2°) de confirmer l'ordonnance attaquée pour le surplus ;

3°) de mettre à la charge du centre de gestion de la fonction publique territoriale de Meurthe-et-Moselle une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

A titre subsidiaire :

4°) d'annuler l'ordonnance attaquée en tant qu'elle s'est prononcée sur la demande relative à la surconsommation d'eau et la confirmer en ce qui concerne le rejet relatif au préjudice de jouissance et d'image ;

Elle soutient que :

- le centre de gestion de la fonction publique territoriale de Meurthe-et-Moselle a signé son décompte général et définitif le 2 février 2017 avec un protocole relatif aux honoraires, alors qu'il avait connaissance de la surconsommation d'eau et des dysfonctionnements de l'ascenseur ;

- le décompte général et définitif met fin à la relation contractuelle ;

- cette intangibilité du décompte général et définitif interdit toute réclamation ultérieure en provenance des parties ;

- la surconsommation d'eau est imputable aux installations de chantier ;

- l'obligation de paiement aux travaux de réparation relatifs à la surconsommation d'eau est sérieusement contestable ;

- les demandes au titre du préjudice de jouissance et de perte de l'image sont totalement infondées.


Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2020, le centre de gestion de la fonction publique territoriale de Meurthe-et-Moselle, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) de confirmer l'ordonnance du 22 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de mettre à la charge de la société André et Moulet Architecture la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code d justice administrative.

Il soutient que :

- le fondement de l'obligation du maître d'oeuvre justifiant la provision allouée au titre des désordres affectant la gaine d'ascenseur ne repose pas sur la responsabilité contractuelle, mais sur la garantie décennale ;

- l'expert estime que c'est la maîtrise d'oeuvre qui est responsable des dysfonctionnements affectant l'ascenseur, en raison d'un défaut de conception de la ventilation de la gaine vitrée ;

- l'expert indique que ce désordre rend l'ouvrage impropre à sa destination ;

- la société André et Moulet Architecture n'est pas fondée à se prévaloir du caractère intangible des obligations financières nées du marché de maîtrise d'oeuvre ;


- l'expert indique que la surconsommation d'eau est inhérente aux travaux effectués par ou sous couvert de la société GTM Halle ;

- le maître d'oeuvre avait, notamment, pout mission de vérifier les décomptes mensuels et finaux et d'établir le décompte général des marchés de travaux ;

- la société André et Moulet Architecture a établi le décompte général de la société GMT Halle sans l'assortir d'aucune réserve au titre de la surconsommation d'eau et sans attirer l'attention du maître d'ouvrage sur les dépenses à soustraire à ce titre ;

- il n'a établi, ni signé aucun décompte général concernant la société André et Moulet Architecture ;

- en l'absence d'un tel décompte, la responsabilité contractuelle de la société André et Moulet Architecture est pleine et entière.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre de gestion de la fonction publique territoriale (CGFPT) de Meurthe-et-Moselle a entrepris des travaux de rénovation de son siège social et de construction d'une extension. Un marché de maîtrise d'oeuvre a été conclu le 1er décembre 2011 avec un groupement, composé des sociétés André et Moulet Architecture, mandataire et Egis bâtiments Grand Est. Les lots n° 2 " Gros-oeuvre ", n° 5 " Menuiserie extérieure, aluminium, occultation " et n° 13 " Ascenseur " ont été respectivement confiés aux sociétés GTM Lorraine, aux droits desquelles est venue la société GTM-Halle, Lefevre et Thyssenkrupp. En 2015, après avoir constaté une consommation anormale d'eau concomitamment au chantier et le dysfonctionnement de l'ascenseur, le CGFTP a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à prescrire une expertise. L'expert, désigné par ordonnance du 22 juin 2016, a déposé son rapport le 9 avril 2018. Le CGFPT a saisi le juge des référés d'une demande tendant à la condamnation de la société André et Moulet Architecture à lui verser une provision d'un montant de 62 800 euros en réparation des préjudices subis du fait des désordres. Le cabinet d'architecture fait appel de l'ordonnance 22 avril 2020 par laquelle le juge des référés l'a condamné à verser au CGFTP une provision de 57 800 euros TTC, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2019.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. (...) ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.
En ce qui concerne le dysfonctionnement de l'ascenseur :

3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre le cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

4. Le cabinet André et Moulet Architecture, qui se borne à faire valoir que son décompte général est devenu définitif de telle sorte que les parties au contrat ne pouvaient plus agir en responsabilité l'une contre l'autre sur le terrain contractuel, n'apporte ni argumentation, ni élément de nature à remettre en cause les énonciations de l'ordonnance attaquée en ce qu'elle retient le fondement de la garantie décennale, qui intervient après la fin des relations contractuelles selon des conditions de mise en jeu spécifiques, pour le condamner à verser une provision au CGFPT. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a mis à sa charge une provision au titre des préjudices en relation avec le dysfonctionnement de l'ascenseur.

En ce qui concerne la surconsommation d'eau :

5. Si le cabinet André et Moulet Architecture fait valoir que la surconsommation d'eau ne lui est pas imputable, ce moyen est inopérant dans la mesure où le fondement retenu par le premier juge pour engager sa responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage est tiré de son abstention à appeler l'attention de celui-ci sur la nécessité pour lui, en vue de sauvegarder ses droits, d'intégrer le coût de cette surconsommation d'eau dans le décompte général de la société GTM-Halle, devenu définitif.

6. Lorsqu'il a connaissance de désordres survenus en cours de chantier qui, sans affecter l'état de l'ouvrage achevé, ont causé des dommages au maître de l'ouvrage, il appartient au maître d'oeuvre chargé d'établir le décompte général du marché, soit d'inclure dans ce décompte, au passif de l'entreprise responsable de ces désordres, les sommes correspondant aux conséquences de ces derniers, soit, s'il n'est pas alors en mesure de chiffrer lesdites conséquences avec certitude, d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur la nécessité pour lui, en vue de sauvegarder ses droits, d'assortir la signature du décompte général de réserves relatives à ces conséquences. A défaut, il commet une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage.

7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que, par un courrier du 6 octobre 2014, la communauté urbaine de Nancy a informé le CGFPT d'une consommation importante d'eau en comparaison des consommations antérieures. Par courrier du 5 février 2015, le cabinet André et Moulet Architecture a informé le CGFPT des investigations qu'il avait entreprises pour déceler l'origine de cette surconsommation, tout en indiquant la probable implication de la société GTM Hallé à qui il demandait des informations complémentaires. La consommation d'eau est redevenue normale à l'issue du chantier. Selon l'expert, les ouvrages ne seraient pas en cause, mais cette surconsommation est inhérente à des travaux défaillants effectuées par ou sous couvert de la société GTM Hallé, titulaire du lot n° 2 " Gros-oeuvre " qui, en application de l'article 3.1.6 du cahier des clauses techniques particulières de son lot devait prendre à sa charge les frais d'embranchement d'installation, de consommation et d'abonnement des réseaux nécessaires pour le chantier, en particulier pour ce qui concerne l'eau potable et l'assainissement. Le cabinet André et Moulet Architecture a transmis, le 25 novembre 2015, au CGFPT, pour règlement, le projet de décompte général de la société GTM Halle qu'il avait établi. Il n'est pas contesté que le décompte général a été notifié à l'entreprise ce même mois de novembre 2015. Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le cabinet André et Moulet Architecture a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard du maître d'ouvrage en s'abstenant d'attirer son attention, en vue de sauvegarder ses droits, d'intégrer au sein de ce décompte le coût de la surconsommation d'eau le privant ainsi, du fait du caractère intangible du décompte général devenu définitif, de la possibilité d'obtenir réparation auprès de l'entreprise GTM Halle.

8. Toutefois, le cabinet André et Moulet Architecture fait valoir, d'une part, que le CGFPT ayant signé, le 2 février 2017, son décompte général auquel était annexé un protocole relatif aux honoraires, ce décompte est devenu le décompte général et définitif, mettant fin aux relations contractuelles et, d'autre part, que le centre de gestion, à la date de cette signature, avait connaissance de la situation liée à la surconsommation d'eau.

9. En premier lieu, aux termes de l'article 10 " Règlement des comptes du maître d'oeuvre " du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d'oeuvre : " 10.2.1 Demande paiement : Chaque acompte fait l'objet d'une demande établie par le maître d'oeuvre à laquelle il joint les pièces nécessaires à la justification du paiement. (...) 10.2.2 acceptation de la demande de paiement par le maître d'ouvrage : Le maître d'ouvrage accepte ou rectifie la demande de paiement. (...). 10.3 Le solde Après constatation de l'achèvement de sa mission dans les conditions prévues par l'article AP 7.89 du présent CCAP, le maître d'oeuvre adresse au maître d'ouvrage une demande de paiement du solde. 10.3.1Projet de décompte général - Etat du solde Le maître d'ouvrage établit le projet de de décompte général dans le délai de 30 jours. (...) 10.3.2. Décompte général Le projet de décompte général est signé par le représentant du maître d'ouvrage et devient le décompte général. / Le représentant du maître d'ouvrage le notifie au maître d'oeuvre (...) 10.3.3 Acceptation du décompte général par le maître d'oeuvre Le maître d'oeuvre dispose d'un délai de 45 jours à compter de la notification du décompte général pour soit l'accepter, avec ou sans réserves, en y apposant sa signature, soit pour faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. Décompte général et définitif A compter de la date d'acceptation, sans réserve du décompté général par le maître d'oeuvre, ce document devient le décompte généra et définitif, et ouvre droit au paiement du solde. / Ce décompte lie définitivement les parties sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires afférents au solde. ".

10. Le CGFPT, dans son mémoire en défense du 18 juin 2020, enregistré le 19 juin, conteste que le décompte général du cabinet André et Moulet Architecture est devenu définitif dans la mesure où, d'une part, le document dont se prévaut le maître d'oeuvre est relatif au paiement d'une note d'honoraires établie en application des stipulations de l'article 10.2 du CCAP et que, d'autre part, la procédure prévue par l'article 10.3 du même CCAP pour l'établissement du décompte général et définitif n'a pas été mise en oeuvre et que, par conséquent le cabinet André et Moulet Architecture ne saurait soutenir qu'il peut se prévaloir d'un tel décompte. Par lettre, enregistrée le 3 juillet 2020, le cabinet André et Moulet Architecture a informé la cour qu'il n'entendait pas répliquer à ce mémoire du CGFPT. Dans ces conditions, en l'absence de réplique et de production d'une copie d'un décompte général dûment signé par le maître d'ouvrage, la société requérante ne peut se prévaloir d'un décompte général devenu définitif avec un degré suffisant de certitude. Dès lors, les conclusions du CGFPT tendant à l'engagement de sa responsabilité contractuelle doivent être accueillies.

10. En second lieu, il ressort, toutefois, de ce qui a été dit au point 7 que, préalablement à la signature du décompte général de la société GTM Halle, le maître d'ouvrage était informé de l'origine de la surconsommation d'eau et de la probable imputabilité de ce désordre à cette entreprise. Ainsi en signant sans réserve le décompte général de celle-ci, établi par le cabinet André et Moulet Architecture, le CGFPT a commis une négligence de nature à atténuer la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre. Il sera fait une juste appréciation des responsabilités respectives du CGFPT et du cabinet André et Moulet Architecture en condamnant ce dernier à réparer, à concurrence de 50 %, le coût de la surconsommation d'eau imputable à la société GTM Halle.

11. Le montant de la surconsommation d'eau ayant été fixée par l'expert à la somme de 36 800 euros TTC, l'existence d'une obligation de créance incombant au cabinet requérant, au titre du préjudice subi par le CGFPT en relation avec les désordres en cause, présente un caractère non sérieusement contestable à hauteur de 18 400 euros TTC.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'existence d'une obligation d'un montant de 39 400 euros seulement, envers le CGFPT présente en l'état de l'instruction un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Par suite, le cabinet André et Moulet Architecture est seulement fondé à demander que la provision, que le juge des référés du tribunal administratif de Nancy l'a condamné, par l'ordonnance attaquée, à verser au CGFTP soit ramenée à la somme de 39 400 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du cabinet André et Moulet Architecture et du CGFTP présentées sur le fondement de ces dispositions.


ORDONNE :

Article 1er : La provision de 57 800 euros TTC que le cabinet André et Moulet Architecture a été condamné à verser au CGFTP par l'ordonnance du 22 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy est ramenée à 39 400 euros TTC.
Article 2 : L'ordonnance du 22 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 3 : les conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au cabinet André et Moulet Architecture et au centre de gestion de la fonction publique territoriale de Meurthe-et-Moselle.

Fait à Nancy, le 7 août 2020.
La présidente de la cour
Signé : Françoise Sichler

La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.





Pour expédition conforme,
La greffière,




Aline Siffert
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20NC01030



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