Observations du Gouvernement sur la loi relative à la géolocalisation

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  • Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés pour qu'il soit statué sur la conformité à la Constitution de la loi relative à la géolocalisation.
    Cette saisine appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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    La Cour de cassation a jugé, par deux arrêts en date du 22 octobre 2013, que le recours aux mesures de géolocalisation dans le cadre d'une enquête placée sous l'autorité du parquet reposait sur une base juridique insuffisamment précise au regard de l'ingérence dans la vie privée qu'elle implique.
    Le législateur a donc souhaité définir, par la loi dont le Conseil constitutionnel est saisi, un régime juridique cohérent, qui assure une conciliation qui réponde aux exigences de la jurisprudence entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, le respect des autres droits et libertés constitutionnellement protégés au nombre desquelles figurent le droit au respect de la privée, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que le droit à un recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration.
    Le Conseil constitutionnel considère que, si le législateur peut prévoir des mesures d'investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, c'est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu'elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n'introduisent pas de discriminations injustifiées (décision n° 2004-492 DC, cons. 6).
    Les cas dans lesquels il est possible de recourir aux mesures de géolocalisation et l'encadrement de ces mesures répondent à ces exigences.
    Il convient, en premier lieu, de constater que les mesures de géolocalisation s'apparentent aux mesures de filature traditionnellement mises en œuvre par la police. Elles ont pour objet de suivre les déplacements de la personne, le plus souvent en assurant la localisation de son téléphone portable. Elles ne permettent pas de suivre les échanges que la personne suivie peut avoir avec d'autres personnes à la différence des mesures d'interceptions téléphoniques, des mesures de sonorisation ou des mesures de captation des données informatiques. L'atteinte au droit au respect de la vie privée induite par l'utilisation de la géolocalisation n'est donc en rien comparable à celle engendrée par les mesures d'investigation spéciales prévues au code de procédure pénale que le Conseil a examinées dans la décision n° 2004-492 DC précitée.
    Le législateur a veillé à ce que l'utilisation de la géolocalisation soit proportionnée à la gravité des infractions commises.
    L'article 230-2 du code de procédure pénale prévoit qu'il peut être recouru à une mesure de géolocalisation pour rechercher des auteurs des délits prévus au livre II (des crimes et délits contre les personnes) ou aux articles 434-6 (qui sanctionne le fait d'aider l'auteur ou le complice d'un acte de terrorisme à échapper à la justice) et 434-27 (qui punit l'évasion) du code pénal, punis d'au moins trois ans d'un emprisonnement et les auteurs des crimes et des autres délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Il pourra également être recouru à une mesure de géolocalisation en cas de découverte d'un cadavre ou d'une personne grièvement blessée lorsque les causes de la mort ou des blessures sont inconnues ou suspectes, en cas de disparition d'un mineur ou d'un majeur protégé ainsi que pour retrouver une personne en fuite alors qu'elle fait l'objet d'un mandat d'arrêt ou qu'elle a été condamnée à une peine privative de liberté d'au moins un an.
    Le législateur a donc réservé l'utilisation des mesures de géolocalisation à des situations présentant une gravité particulière.
    Le législateur a également prévu que le recours aux mesures de géolocalisation intervienne sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire qui, comme le rappelle de manière constante le Conseil constitutionnel, comprend à la fois les magistrats du siège et les magistrats du parquet.
    L'article 230-33 du code de procédure pénale prévoit que l'opération de géolocalisation est autorisée par un juge d'instruction pour une durée maximale de quatre mois renouvelable dans le cadre d'une instruction ou d'une information pour recherche des causes de la mort ou des causes de la disparition mentionnées aux articles 74, 74-1 et 80-4.
    Dans le cadre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou d'une procédure prévue aux articles 74 à 74-2 du code de procédure pénale, l'opération est autorisée par le procureur de la République pour une durée maximale de quinze jours. A l'issue de ce délai, la prolongation de l'opération devra être autorisée par le juge des libertés et de la détention pour une durée maximale d'un mois renouvelable.
    L'intervention du procureur de la République s'inscrit dans le cadre du contrôle général que le parquet exerce sur les mesures d'enquête. Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de rappeler, lorsque le législateur a permis le recours aux pouvoirs spéciaux d'enquête et d'instruction applicables en matière de criminalité organisée aux délits de corruption ou de trafic d'influence, de fraude fiscale aggravée ou des délits douaniers punis d'une peine d'emprisonnement supérieure à cinq ans, que certains de ses pouvoirs d'enquête sont placés sous le contrôle du parquet comme les techniques d'infiltration. De même, le Conseil constitutionnel a validé le contrôle qu'exerce le parquet sur certaines mesures d'enquête privatives de liberté. C'est ainsi au parquet qu'il revient de contrôler la garde à vue et sa prolongation jusqu'à quarante-huit heures (décision n° 2010-14/22 QPC, cons. 26) et de se faire présenter la personne déférée après la garde à vue (décision n° 2011-125 QPC, cons. 8).
    La Cour européenne des droits de l'homme juge également qu'une mesure de géolocalisation peut être ordonnée par les autorités de poursuite dès lors que la légalité de cette mesure de surveillance pouvait être contrôlée par les juridictions pénales dans la procédure pénale ultérieure menée contre la personne concernée (CEDH, Uzun c. Allemagne, 2 septembre 2010, § 71).
    Le législateur a donc pu prévoir que le procureur de la République puisse ordonner une mesure de géolocalisation pour une durée maximale de quinze jours.
    Si l'article 230-35 du code de procédure pénale prévoit qu'une opération de géolocalisation puisse être mise en place par un officier de police judiciaire, ce pouvoir d'initiative est étroitement encadré.
    Il ne pourra s'exercer que dans le cadre d'une urgence résultant d'un risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens. L'officier de police judiciaire devra immédiatement informer l'autorité judiciaire de la mise en place de la géolocalisation. Le magistrat pourra ordonner sans délai la mainlevée de cette mesure. Ce dispositif s'apparente ainsi aux dispositions qui permettent à un officier de police judiciaire de procéder au placement en garde à vue d'un suspect afin d'« empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels », l'autorité judiciaire devant être immédiatement informée de cette mesure.
    La poursuite de l'opération devra faire l'objet d'une autorisation écrite du magistrat dans un délai de vingt-quatre heures. Les circonstances de fait établissant l'existence du risque imminent devront être mentionnées sur l'autorisation de l'opération, ce qui permettra un contrôle judiciaire lors de la procédure pénale.
    L'article 230-35 prévoit expressément que l'officier de police judiciaire ne pourra mettre en place un dispositif de géolocalisation dans un lieu d'habitation sans accord préalable d'un juge du siège.
    L'article 230-34 du code de procédure pénale prévoit en effet que la mise en place d'un dispositif de géolocalisation dans un lieu d'habitation doit être autorisée par un juge des libertés et de la détention lorsque l'autorisation relève normalement du procureur de la République ou lorsque l'autorisation relève normalement du juge d'instruction mais que l'opération doit intervenir de nuit.
    Le Gouvernement estime donc que le régime général de la géolocalisation respecte l'ensemble des exigences constitutionnelles qui s'appliquent aux mesures d'investigation.
    Le législateur a également souhaité prévoir un dispositif spécifique pour protéger l'identité des personnes qui permettent aux forces de l'ordre de poser des balises de géolocalisation. Ces opérations peuvent en effet reposer sur des informations permettant de définir l'emplacement des véhicules utilisés par des auteurs d'infractions pour permettre de les suivre. Ces renseignements peuvent provenir d'informateurs de la police mais aussi de simples citoyens, comme des loueurs de véhicules, des personnes travaillant dans les parkings ou des garagistes.
    L'article 230-40 du code de procédure pénale prévoit ainsi que certaines informations relatives à la pose de balises de géolocalisation n'apparaissent pas dans le dossier de la procédure lorsque la connaissance de ces informations est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne, des membres de sa famille ou de ses proches.
    Cette procédure n'est pas sans précédent dans le code de procédure pénale. Ce dernier prévoit l'existence d'un dossier distinct non consultable par les parties pour protéger la vie des témoins anonymes.
    Le Conseil constitutionnel juge que l'article 16 de la Déclaration de 1789, selon lequel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution », garantit le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable ainsi que le principe du contradictoire (décision n° 2011-126 QPC, cons. 7).
    Le Gouvernement estime que si le principe du contradictoire constitue un aspect essentiel du droit au procès équitable, il existe des cas où ce principe doit être concilié avec d'autres exigences ou objectifs de valeur constitutionnelle comme la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d'infractions ou la nécessité de protéger la vie des personnes qui apportent leur concours aux forces de l'ordre. Mais les exceptions apportées au législateur doivent être strictement limitées aux mesures nécessaires pour protéger ces autres intérêts. Et ces exceptions doivent être entourées des garanties procédurales permettant de s'assurer qu'elles ne rendent pas impossible la défense des personnes mises en cause.
    Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de considérer que le droit au procès équitable garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être concilié avec d'autres exigences. Il a jugé, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité sur la procédure de protection du secret de la défense nationale, que le principe de la séparation des pouvoirs et l'existence d'autres exigences constitutionnelles peuvent imposer au législateur d'assurer une conciliation qui ne soit pas déséquilibrée entre le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable ainsi que la recherche des auteurs d'infractions et les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation (décision n° 2011-192 QPC, cons. 22). Le Conseil constitutionnel a examiné les garanties apportées par la procédure de déclassification pour considérer que le législateur a opéré, entre les différentes exigences constitutionnelles, une conciliation qui n'est pas déséquilibrée, même si elle peut conduire, dans certains cas, à priver le juge de pièces pertinentes pour apprécier la culpabilité d'une personne mise en cause.
    La Cour européenne des droits de l'homme considère également qu'il peut être nécessaire, dans certains cas, de dissimuler certaines preuves à la défense, de façon à préserver les droits fondamentaux d'un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important tel que la sécurité nationale ou la nécessité de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions. Mais seules sont légitimes au regard du droit au procès équitable les mesures restreignant les droits de la défense qui sont absolument nécessaires et la limitation des droits de la défense doit être suffisamment compensée par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (CEDH, Rowe et Davis c. Royaume-Uni, 16 février 2000, § 61).
    La Cour européenne des droits de l'homme a ainsi jugé que l'utilisation de dépositions de témoins anonymes ou absents comme preuve unique et déterminante de la condamnation ne méconnaît pas le droit au procès équitable lorsque cette utilisation est contrebalancée par des garanties assurant l'équité de la procédure globale suivie devant les juridictions (CEDH, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, 15 décembre 2011).
    Le Gouvernement estime, pour les mêmes raisons, que l'article 230-41 est conforme à la Constitution.
    Cet article prévoit une exception au principe du contradictoire pour prévenir la divulgation d'informations susceptibles de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne, des membres de sa famille ou de ses proches. Cette exception ne pourra s'appliquer que dans les instructions relatives à un crime ou un délit visé par l'article 706-73 du code de procédure pénale. Ces infractions, qui relèvent de la criminalité organisée, portent des atteintes caractérisées à la sécurité et la vie des personnes et sont souvent le fait de groupes d'individus capables d'actions extrêmement violentes contre les personnes apportant leur concours aux forces de police. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs jugé que les infractions retenues par l'article 706-73 sont suffisamment graves et complexes pour que le législateur ait pu fixer, en ce qui les concerne, des règles spéciales de procédure pénale (décision n° 2004-492 DC, cons. 19).
    Par ailleurs, le législateur a strictement défini les informations qui seront susceptibles d'être retirées du contradictoire pour répondre à la nécessité de protéger la vie des personnes qui apportent leur concours aux forces de police. Ainsi, ne pourront être extraites du dossier de procédure que les informations relatives à la date, à l'heure ou au lieu où la balise de géolocalisation a été installée ou retirée ainsi que les données de localisation et les éléments permettant d'identifier une personne ayant concouru à l'installation ou au retrait de la balise.
    Compte tenu du caractère strictement circonscrit de ces informations, dans la quasi-totalité des cas, leur occultation ne devrait pas entraîner le retrait de l'intégralité de la pièce qui contient ces informations du dossier de procédure. La personne mise en examen pourra consulter la pièce privée de ces mentions.
    Le législateur a enfin prévu d'importantes garanties procédurales pour s'assurer que les dérogations apportées au principe du contradictoire pour protéger la vie des collaborateurs des forces de l'ordre ne privent pas la personne mise en examen ou le témoin assisté d'informations indispensables à l'exercice des droits de la défense.
    Il a, en premier lieu, prévu que le recours à ce dispositif serait soumis à l'appréciation de deux juges, le juge d'instruction, qui sollicitera son application, et le juge des libertés et de la détention qui décidera ou non de sa mise en œuvre.
    Il a, en deuxième lieu, prévu que cette décision pourra être contestée devant le président de la chambre de l'instruction.
    Pour permettre cette contestation, la décision indiquant que des informations ont été retirées de certaines pièces de procédure en application de l'article 230-40 du code de procédure pénale sera versée au dossier. La personne mise en examen ou le témoin assisté pourra contester cette décision dans un délai de dix jours à compter de la notification de ce que des opérations de géolocalisation ont été réalisées dans le cadre de l'article 230-40 du code de procédure pénale, cette notification pouvant, le cas échéant, être faite par le magistrat instructeur dans le cadre d'un interrogatoire.
    Le président de la chambre de l'instruction pourra exercer son contrôle sur les pièces comportant les informations qui seront versées dans un dossier distinct de procédure et sur la requête du juge d'instruction. Ces informations seront inscrites sur un registre coté et paraphé ouvert au tribunal de grande instance.
    S'il constate que les opérations de géolocalisation n'ont pas été réalisées de façon régulière ou que les informations non divulguées sont indispensables à l'exercice des droits de la défense, le président de la chambre de l'instruction pourra ordonner l'annulation de la géolocalisation.
    Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre le respect des droits de la défense et le respect du principe du contradictoire et la nécessité de préserver la sécurité des personnes qui apportent leur concours aux forces de l'ordre dans la lutte contre la criminalité organisée.


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    Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que la loi dont le Conseil constitutionnel est saisi est conforme à la Constitution.

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