Le Conseil d'Etat statuant au contentieux (section du contentieux, 1re et 6e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 1re sous-section de la section du contentieux,
Vu 1° sous le numéro 349431 la requête, enregistrée le 19 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Valérie Arigon-Lali, demeurant 9 ter, boulevard Montparnasse, à Paris (75006), Mme Ghislaine Abel, demeurant 39, rue de Lisbonne, à Paris (75008), Mme Elisabeth Julia Borgetto, demeurant 13, rue du Général-Leclerc, à Charenton-le-Pont (94220), M. Philippe Cadic, demeurant 768, rue du Haut-Midi, à Saint-Hilaire-Saint-Mesmin (45160), M. Michel Cherrier, demeurant 12, boulevard de la Libération, à Vincennes (94300), Mme Brigitte Dautel-Luchaire, demeurant 27, boulevard Aristide-Briand, à Aix-en-Provence (13100), M. Thierry Fontaine, demeurant 4, rue Jules-Guesde, à Villeneuve-d'Ascq (59650), Mme Catherine Fourcade, demeurant 7, rue de la Montagne-de-l'Espérou, à Paris (75015), M. Christian Jaen, demeurant 26, rue Gabriel-Péri, à Toulouse (31000), M. Jacques Hitter, demeurant 26, rue Millevoye, à Amiens (80000), Mme Sylvie Koenig-Bancel, demeurant 7, rue Faustin-Hélie, à Paris (75116), Mme Véronique Lemaire-Lutran, demeurant 91, rue Anatole-France, à Aulnay-sous-Bois (93600), M. Jean-Michel Mazer, demeurant 12, avenue de Fouilleuse, à Rueil-Malmaison (92500), Mme Régine Bousquet-Rouaud, demeurant 266, place Ernest-Gantier, à Montpellier (34000), M. Gérard Peria, demeurant 4, boulevard du 8-Mai-1945, à Bergerac (24100), M. Jean-Pascal Reynaud, demeurant 18, rue Victor-Clappier, à Toulon (83000), Mme Mila Chantal Santa, demeurant 15, boulevard de Charonne, à Paris (75011), le Centre laser international de la peau de Paris (CLIPP), dont le siège est 85, avenue de La Bourdonnais, à Paris (75007), représenté par son représentant légal, le Groupe de réflexion en chirurgie dermatologique (GRCD), dont le siège est 8, square Saint-Jean, à Arras (62000), représenté par son représentant légal, la SELARL Dr Dominique Debray, dont le siège est 55, avenue Marceau, à Paris (75016), représentée par son gérant, la société civile de moyens SCM 55-57, avenue-Marceau, dont le siège est 55-57, avenue Marceau, à Paris (75016), représentée par son représentant légal, la Société française de dermatologie chirurgicale et esthétique (SFDCE), dont le siège est 79, rue de Tocqueville, à Paris (75017), représentée par son représentant légal, le Syndicat autonome des généralistes en activités-médecins généralistes (SAGA-MG), dont le siège est 55, avenue Marceau, à Paris (75016), représenté par son président, le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), dont le siège est 89 bis, rue Gilbert-Rousset, à Asnières-sur-Seine (92600), représenté par son président ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2011-382 du 11 avril 2011 relatif à l'interdiction de la pratique d'actes de lyse adipocytaire à visée esthétique ou, à titre subsidiaire, son article 2 ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 25 000 EUR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2° sous le numéro 349432 la requête, enregistrée le 19 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SARL Société Candela France, dont le siège social est 6, avenue de Norvège, à Villebon-sur-Yvette (91140), représentée par son gérant, la société Clinipro, dont le siège social est 394, route de Notre-Dame-de-l'Osier, à Chantesse (38470), représentée par son représentant légal, la société Deka France, dont le siège social est 99, cours Gambetta, à Lyon (69003), représentée par son représentant légal, la société Pollogen, dont le siège social est 60 Kaufman Street, Gilbor House, PO Box 50320, à Tel-Aviv (Israël), représentée par son représentant légal, la société Syneron Medical Ltd., dont le siège social est Industrial Zone, Tavor Building, POB 550, à Yokneam Illit (Israël), représentée par son représentant légal, la société Zeltiq, dont le siège social est 4698 Willow Road, Pleasanton, CA 94588 (Etats-Unis), représentée par son représentant légal ; les requérantes demandent au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir le même décret ou, à titre subsidiaire, son article 2 ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 25 000 EUR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 3° sous le numéro 349433 la requête, enregistrée le 19 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Osyris Medical, dont le siège est Parc scientifique de la Haute-Borne, 60, avenue Halley, à Villeneuve-d'Ascq (59650), représentée par son représentant légal ; la société demande au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 7 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 4° sous le numéro 349434 la requête, enregistrée le 19 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la SARL Cellusonic Group, dont le siège est 22, rue Saint-Augustin, à Paris (75002), représentée par son gérant, la SARL Cellucabine, dont le siège est 22, rue Saint-Augustin, à Paris (75002), représentée par son gérant, la SARL Celluconcept, dont le siège est 22, rue Saint-Augustin, à Paris (75002), représentée par son gérant, la SARL Cellucarnot, dont le siège est 21, avenue Carnot, à Paris (75017), représentée par son gérant, la SARL Institut Cellusonic, dont le siège est 98, rue du Théâtre, à Paris (75015), représentée par son gérant, la SARL Celluopéra, dont le siège est 22, rue Saint-Augustin, à Paris (75002), représentée par son gérant ; les requérantes demandent au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du même décret ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 EUR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 5° sous le numéro 350058 la requête, enregistrée le 10 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la Confédération nationale de l'esthétique-parfumerie (CNEP), dont le siège est 4, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris (75008), représentée par sa présidente ; la CNEP demande au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du même décret ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 EUR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 6° sous le numéro 350067 la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juin et 12 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté (CNAIB), dont le siège social est 64, rue Briquetterie, à La Rochelle (17000), représentée par sa présidente ; la CNAIB demande au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 8 000 EUR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 7° sous le numéro 350083 la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 juin et 12 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la société Ultrashape, dont le siège social est 1 Ha'atid Street, PO Box 80, New Industrial Park, à Yokneam Illit (Israël), représentée par son représentant légal ; la société demande au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 EUR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 8° sous le numéro 350125 la requête, enregistrée le 14 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Association française des médecins esthéticiens (AFME), dont le siège social est 21, rue Détrois, à Bordeaux (33200), représentée par son président, la Fédération française des médecins experts en médecine esthétique et anti-âge (FFMEAA), dont le siège social est 4, rue Jacques-Gabriel, à Rennes (35000), représentée par son président, l'association Société savante de médecine morphologique et anti-âge (SOFMMAA), dont le siège social est 176, avenue du Général-de-Gaulle, à Neuilly-sur-Seine (92200), représentée par son président ; les requérantes demandent au Conseil d'Etat :
1° D'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;
2° De mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 EUR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er février 2012, présentée par le ministre du travail, de l'emploi et de la santé ;
Vu la Constitution ;
Vu la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux ;
Vu le code de la santé publique, modifié notamment par l'article 61 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
― le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, maître des requêtes ;
― les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de Mme Arigon-Lali et autres, de la société Candela France et autres, de la société Osyris Medical et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté ;
― les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de Mme Arigon-Lali et autres, de la société Candela France et autres, de la société Osyris Medical et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1151-3 du code de la santé publique : « Les actes à visée esthétique dont la mise en œuvre présente un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine peuvent être interdits par décret après avis de la Haute Autorité de santé. Toute décision de levée de l'interdiction est prise en la même forme » ; que, sur le fondement de cet article, le décret du 11 avril 2011, pris après l'avis du 16 décembre 2010 de la Haute Autorité de santé, a interdit, par son article 1er, « en raison du danger grave qu'elle présente pour la santé humaine », la mise en œuvre de cinq techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique et à caractère invasif, utilisant respectivement des injections de solutions hypo-osmolaires, des injections de produits lipolytiques (phosphatidylcholine ou déoxycholate de sodium), des injections de mélanges mésothérapeutiques, la carboxythérapie ainsi que le laser transcutané sans aspiration ; que le même décret a également interdit par son article 2 la mise en œuvre des techniques à visée lipolytique utilisant des agents physiques externes, « en raison de la suspicion de danger grave qu'elle présente pour la santé humaine » ;
Considérant que Mme Arigon-Lali et autres, la SARL société Candela France et autres, la société Osyris Medical et l'Association française des médecins esthéticiens (AFME) et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret ; que la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté (CNAIB) et la société Ultrashape doivent être regardées comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir du seul article 2 de ce décret ; que la SARL Cellusonic Group et la Confédération nationale de l'esthétique-parfumerie (CNEP) demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet article 2 ; qu'il y a lieu de joindre ces requêtes, dirigées contre tout ou partie du même décret, pour statuer par une seule décision ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
En ce qui concerne la procédure au terme de laquelle la Haute Autorité de santé a rendu son avis :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 161-77 du code de la sécurité sociale : « Le collège arrête son règlement intérieur, qui fixe : 1° Ses modalités de délibération, notamment les règles de convocation, de quorum et de suppléance du président ainsi que les modalités selon lesquelles il traite les demandes qui lui sont adressées (...) » ; qu'aux termes de l'article I-4 de ce règlement intérieur : « (...) Le collège se réunit sur convocation de son président ou à la demande de la moitié de ses membres » ; qu'aux termes de l'article I-5 du même règlement : « (...) Sauf cas d'urgence, l'ordre du jour des réunions est transmis aux participants au plus tard sept jours avant la séance, et six jours au plus tard pour les dossiers » ;
Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers que l'ensemble des membres du collège ont été convoqués par leur président huit jours avant la séance du 16 décembre 2010 au cours de laquelle a été émis l'avis sur les techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'ensemble des membres du collège n'auraient pas été convoqués dans les conditions fixées par le règlement intérieur doit être écarté ;
Considérant qu'aux termes de l'article l-6 du règlement intérieur : « (...) Le collège ne peut valablement délibérer que si cinq membres au moins sont présents » ; qu'il ressort des pièces des dossiers que six des huit membres du collège étaient présents à la réunion du 16 décembre 2010 ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que le quorum n'aurait pas été atteint manque en fait ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 161-44 du code de la sécurité sociale : « Les membres de la Haute Autorité de santé, les personnes qui lui apportent leur concours ou qui collaborent occasionnellement à ses travaux ainsi que le personnel de ses services sont soumis, chacun pour ce qui le concerne, aux dispositions de l'article L. 5323-4 du code de la santé publique » ; que, selon le 2° de cet article L. 5323-4, les agents de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé « ne peuvent, par eux-mêmes ou par personne interposée, avoir, dans les établissements ou entreprises contrôlés par l'agence ou en relation avec elle, aucun intérêt de nature à compromettre leur indépendance » ; qu'aux termes du même article : « Les personnes collaborant occasionnellement aux travaux de l'agence et les autres personnes qui apportent leur concours aux conseils et commissions siégeant auprès d'elle, à l'exception des membres de ces conseils et commissions, ne peuvent, sous les peines prévues à l'article 432-12 du code pénal, traiter une question dans laquelle elles auraient un intérêt direct ou indirect » ; que, par ailleurs, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 161-85 du code de la sécurité sociale : « Les personnes collaborant occasionnellement aux travaux de la Haute Autorité, les experts mentionnés à l'article L. 1414-4 du code de la santé publique, les personnes qui apportent leur concours au collège ou aux commissions spécialisées de la Haute Autorité et les membres des commissions spécialisées (...) adressent au président du collège, à l'occasion de leur nomination ou de leur entrée en fonctions, une déclaration mentionnant leurs liens, directs ou indirects, avec les entreprises ou établissements dont les produits entrent dans son champ de compétence, ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs. Cette déclaration est rendue publique et est actualisée à leur initiative dès qu'une modification intervient concernant ces liens ou que de nouveaux liens sont noués » ;
Considérant qu'une partie des requérants soutient que l'avis de la Haute Autorité de santé a été élaboré en méconnaissance du principe d'impartialité, dont s'inspirent les dispositions rappelées ci-dessus, compte tenu de l'absence de souscription et de publication de l'ensemble des déclarations d'intérêts des membres de l'équipe chargée de l'évaluation des techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique, de la situation de conflit d'intérêts du docteur Roudot-Thoraval, « membre référent » de cette équipe, et de l'absence de transparence des modalités de l'évaluation ;
Considérant que si l'absence de souscription et de publication des déclarations d'intérêts prévues à l'article R. 161-85 ne révèle pas, par elle-même, malgré le caractère impératif de ces formalités, une méconnaissance du principe d'impartialité, il appartient, en revanche, à la Haute Autorité de santé, pour celles des personnes dont la déclaration obligatoire d'intérêts échapperait ainsi au débat contradictoire, de verser au dossier l'ensemble des éléments permettant au juge de s'assurer, après transmission aux parties, de l'absence ou de l'existence de liens d'intérêts et d'apprécier, le cas échéant, si ces liens sont de nature à révéler des conflits d'intérêts ; qu'à la suite de la mesure d'instruction ordonnée par la 1re sous-section de la section du contentieux, la Haute Autorité de santé a produit l'ensemble des déclarations d'intérêts souscrites par les membres de l'équipe d'évaluation, dont il ressort qu'aucune des personnes concernées ne se trouvait en situation de conflit d'intérêts ; que s'il est cependant soutenu que le docteur Roudot-Thoraval se trouverait dans une telle situation, la circonstance présentée au soutien de cette allégation selon laquelle cette praticienne exerce dans le même établissement hospitalier que le professeur Lantieri, qui a pris publiquement position contre les techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique, et qu'elle aurait cosigné avec lui en 1997 et 2007 deux études médicales, n'est pas de nature à révéler une telle situation ; qu'en effet, et en tout état de cause, le docteur Roudot-Thoraval, qui exerce dans une autre spécialité que celle du professeur Lantieri, n'est pas rattachée à son service ni placée sous son autorité et les études auxquelles elle a participé en qualité de statisticienne, au titre de ses fonctions hospitalières, portaient sur des sujets sans rapport avec les techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique ; qu'enfin, au regard des indications méthodologiques figurant dans le rapport d'évaluation de la Haute Autorité de santé, le moyen tiré de l'absence de transparence de ce travail ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ; qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'avis de la Haute Autorité de santé aurait été élaboré en méconnaissance du principe d'impartialité ;
Considérant que le moyen tiré de ce que la Haute Autorité de santé aurait dû recourir à la méthode des « recommandations par consensus formalisé » et aurait donc méconnu ses propres procédures d'évaluation doit être écarté dès lors qu'aucune disposition et notamment pas, en tout état de cause, le « guide méthodologique » élaboré par la Haute Autorité relatif à cette méthode, ne l'imposait ;
Considérant que, contrairement à ce que font valoir certains requérants, aucune règle ni aucun principe général n'impose à la Haute Autorité de santé d'associer à ses travaux d'évaluation l'ensemble des professionnels concernés ni de procéder à leur consultation ou à leur audition ; que les dispositions de l'article 19 de la directive du 14 juin 1993 relatives aux mesures individuelles de retrait du marché de dispositifs médicaux ne peuvent pas, en tout état de cause, être utilement invoquées à l'encontre d'actes de portée réglementaire ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure suivie devant la Haute Autorité ne peut qu'être écarté ;
Considérant que s'il est soutenu que l'avis rendu par la Haute Autorité de santé serait irrégulier en raison de l'absence de spécialisation professionnelle des experts choisis pour évaluer les techniques de lyse adipocytaire, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors qu'il ressort des pièces des dossiers que l'évaluation de ces techniques a été confiée par la Haute Autorité de santé à des membres du corps médical ;
Considérant, enfin, que l'avis rendu par la Haute Autorité de santé sur le fondement de l'article L. 1151-3 du code de la santé publique est un élément de la procédure d'édiction du décret interdisant les actes à visée esthétique dont la mise en œuvre présente un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine ; que le titulaire du pouvoir réglementaire n'est pas lié par cet avis ; qu'il en résulte que les moyens par lesquels les requérants critiquent les appréciations portées dans son avis par la Haute Autorité de santé sur la mise en œuvre des techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique sont inopérants ;
En ce qui concerne la signature du Premier ministre :
Considérant qu'il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué figurant au dossier, certifiée conforme par le secrétaire général du Gouvernement, que le moyen tiré de l'absence de signature par le Premier ministre manque en fait ;
En ce qui concerne les contreseings ministériels :
Considérant que l'article 22 de la Constitution dispose que les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ; que l'exécution du décret litigieux n'implique nécessairement l'intervention d'aucune mesure individuelle ou réglementaire que le ministre chargé de l'artisanat aurait compétence pour signer ou contresigner ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ce ministre aurait dû contresigner le décret attaqué doit être écarté ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
En ce qui concerne l'ensemble du décret :
Considérant que si le Premier ministre a adopté une position identique à celle proposée dans son avis par la Haute Autorité de santé, il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'il se serait estimé à tort lié par la teneur de cet avis ; qu'il ressort en particulier de ces pièces que le Premier ministre a fait application des notions de « danger grave » et de « suspicion de danger grave » énoncées par le législateur au vu des seuls éléments techniques et factuels résultant de la mise en œuvre des techniques de lyse adipocytaire examinées dans le rapport d'évaluation circonstancié incorporé à l'avis de la Haute Autorité de santé et n'a pas fondé son appréciation sur la notion d'« effets indésirables graves » utilisée par cette dernière ;
Considérant que la circonstance que certains actes de lyse adipocytaire seraient mis en œuvre au moyen de dispositifs médicaux particuliers bénéficiant, en application de l'article 2 de la directive du 14 juin 1993, d'un marquage CE et que l'utilisation de ces matériels ferait l'objet d'un dispositif de vigilance est sans influence sur la légalité du décret attaqué, qui a pour objet d'interdire des techniques de lyse adipocytaire et non des matériels ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
En ce qui concerne l'article 1er du décret :
Considérant qu'en regardant comme un « danger grave » la survenance de complications, comme des fistules ou des nécroses des tissus, surinfectées ou non, nécessitant des interventions chirurgicales ou des traitements médicaux lourds et pouvant provoquer des séquelles douloureuses et esthétiques, accompagnées d'une invalidité permanente, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 1151-3 du code de la santé publique ;
Considérant que s'agissant des cinq techniques de lyse adipocytaire qui présentent un caractère invasif, les conclusions du rapport d'évaluation exposent que ces techniques peuvent présenter des risques pour le patient, en raison de l'effraction cutanée et de l'introduction d'un agent chimique ou thermique dans le tissu adipeux, et qu'elles soulèvent la question de l'élimination des débris cellulaires résultant de ces opérations ; que le rapport d'évaluation fait également apparaître que des complications, telles que notamment des nécroses, des infections, des lésions nodulaires, ont été constatées ; que, toutefois, cette étude relève que le nombre de cas répertoriés où ces complications ont présenté un caractère d'une certaine gravité demeure faible et n'est pas rapporté, faute de données disponibles, au nombre d'actes réalisés ; qu'elle souligne également qu'une partie au moins de ces complications est imputable à des conditions inadéquates de mise en œuvre des techniques utilisées en raison d'un défaut d'asepsie, d'une mauvaise concentration de produit ou d'un manque de formation des professionnels concernés et qu'il est difficile d'identifier la part des différents facteurs susceptibles d'avoir provoqué ces complications ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments le Premier ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'interdiction des techniques de lyse adipocytaire à caractère invasif pouvait être prononcée en raison de l'existence d'un danger grave ;
Considérant, toutefois, que, dans les mémoires en défense qu'il a présentés après l'ordonnance du 17 juin 2011 par laquelle le juge des référés du Conseil d'Etat a suspendu l'exécution du décret attaqué, dont le Premier ministre a fait siennes les écritures, et qui ont été communiqués aux requérants, le ministre chargé de la santé invoque un autre motif, tiré de ce que la mise en œuvre des cinq techniques de lyse adipocytaire à caractère invasif présente une suspicion de danger grave ; qu'au regard des complications relevées par le rapport d'évaluation de la Haute Autorité de santé et des incertitudes attachées à leur survenance ce motif n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'il résulte de l'instruction que le Premier ministre aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif ; qu'il y a lieu, dès lors, de procéder à la substitution demandée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'article 1er du décret attaqué ;
En ce qui concerne l'article 2 du décret :
Considérant que, si l'avis de la Haute Autorité de santé, dont le Premier ministre doit être regardé comme s'étant approprié les motifs, affirme que la mise en œuvre de « techniques à visée lipolytique non invasives utilisant des agents physiques externes, sans effraction cutanée (ultrasons focalisés, radiofréquence, laser, etc.) » présente une suspicion de danger grave, le document d'évaluation qui s'incorpore à cet avis et lui sert de fondement se borne à relever, s'agissant des trois techniques à visée lipolytique non invasives examinées, qu'« aucune complication grave n'a été rapportée », que « dans l'ensemble, les complications pouvant survenir sont prévisibles et légères, type érythèmes ou douleur transitoire, et ne nécessitent aucun traitement », enfin que « les effets indésirables (...) disparaissent en quelques heures, sans limitation de l'activité et ne nécessitent pas d'intervention médicale » ; que, par suite, et en l'état des éléments versés aux dossiers, le Premier ministre ne pouvait, sans erreur manifeste d'appréciation, estimer que la mise en œuvre de ces techniques de lyse adipocytaire présentait une suspicion de danger grave pour la santé humaine ; qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes ― notamment celui tiré, s'agissant spécifiquement de cet article, de l'irrégularité de l'évaluation à laquelle a procédé la Haute Autorité de santé en se fondant sur le « mécanisme d'action » commun de ces techniques sans procéder à l'examen de chacune d'entre elles ― que les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'article 2 du décret attaqué, qui est divisible du premier article ;
En ce qui concerne l'absence de mesures transitoires :
Considérant que, s'il est reproché au Premier ministre de n'avoir pas assorti de mesures transitoires l'interdiction des techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique, l'entrée en vigueur immédiate du décret, justifiée par des impératifs de santé publique, n'est pas entachée d'une méconnaissance du principe de sécurité juridique ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés qu'à demander l'annulation de l'article 2 du décret attaqué ;
Considérant que le rejet des conclusions d'une requête tendant à l'annulation d'un acte ou de la partie d'un acte dont l'exécution a été suspendue par le juge administratif statuant en référé a en principe pour effet que cet acte ou cette partie de l'acte trouve ou retrouve application dès le prononcé de cette décision juridictionnelle ; que, cependant, eu égard aux conditions dans lesquelles intervient une telle remise en vigueur et à ses conséquences pour les professionnels concernés, il y a lieu de prévoir, dans les circonstances particulières de l'espèce, que le rejet par la présente décision des conclusions dirigées contre l'article 1er du décret attaqué ne prendra effet que le 1er mars 2012 ; qu'il y a lieu également de prescrire la publication de la présente décision au Journal officiel de la République française ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 EUR respectivement à Mme Arigon-Lali et autres, à la SARL société Candela France et autres, à la société Osyris Medical, à la SARL Cellusonic Group et autres, à la Confédération nationale de l'esthétique-parfumerie (CNEP), à la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté (CNAIB), à la société Ultrashape et à l'Association française des médecins esthéticiens (AFME) et autres,
Décide :
Décision n° 349431, 349432, 349433, 349434, 350058, 350067, 350083 et 350125 du 17 février 2012