Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 septembre 2015, 14-18.854, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 5 juin 2004, la société Redd Factors Limited a prêté une certaine somme à la société civile immobilière Solsud (la SCI) ayant pour associée majoritaire Mme X... ; que d'autres ouvertures de crédit ont été consenties à la SCI jusqu'en avril 2007 ; que la société Redd Factors Limited a assigné en paiement la SCI et Mme X... au titre de ces concours financiers ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la société Redd Factors Limited fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SCI une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que l'obligation de faire figurer sur l'offre de prêt immobilier la possibilité pour l'emprunteur de souscrire une assurance résulte d'une modification du code de la consommation, opérée par l'article 25 la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, qui n'est entrée en application qu'à compter du 1er octobre 2008 ; que la cour d'appel qui, pour condamner la société Redd Factors Limited à payer des dommages-intérêts à l'emprunteur, a retenu que le prêteur avait manqué à une obligation légale d'information relative à la possibilité de souscrire une assurance, après avoir constaté que l'emprunt avait été conclu le 5 juin 2004 et que les ouvertures de crédits avaient cessé au mois d'avril 2007, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, en méconnaissant ainsi le champ d'application temporel de la loi, a violé l'article 2 du code civil et le II de l'article 2 de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 ;

2°/ que l'organisme de crédit n'est débiteur d'une obligation de mise en garde qu'à l'égard de l'emprunteur non averti et à la condition que les capacités financières de celui-ci et les risques de l'endettement né de l'octroi du prêt justifient, à la date de signature du contrat, une information spécifique ; qu'en se bornant, pour retenir l'existence d'un manquement de la société Redd Factors Limited à son devoir de mise en garde, à relever qu'elle n'avait pas prévenu la SCI des risques d'endettement ou d'insolvabilité susceptibles de résulter, en l'absence de contrat d'assurance, d'un accident de santé d'un des associés, et qu'elle ne lui avait pas proposé de souscrire un tel contrat, sans rechercher, ainsi qu'il le lui incombait, si la SCI et ses associés devaient être regardés comme des emprunteurs non avertis et, dans l'affirmative, si, à la date de signature du contrat, les capacités financières de l'emprunteuse et les risques de l'endettement né de l'octroi des prêts impliquaient une mise en garde sur l'absence de souscription d'un contrat d'assurance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu que le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance bénéficie à tous les emprunteurs, fussent-ils avertis, et s'impose indépendamment de tout risque d'endettement excessif, la souscription d'une assurance destinée à garantir le remboursement d'un prêt n'étant pas déterminée par le niveau d'endettement de l'emprunteur mais par la perspective d'un risque dont la couverture apparaît opportune lors de la souscription du prêt ; que la cour d'appel n'avait donc pas à procéder à la recherche dont l'omission est dénoncée ;

D'où il suit que le moyen, qui s'attaque à des motifs surabondants en sa première branche, est inopérant en sa deuxième ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour accueillir la demande reconventionnelle de la SCI en paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la société Redd Factors Limited a manqué à son devoir d'information et de mise en garde envers la SCI, lui faisant perdre la possibilité de renoncer à contracter le prêt ;

Qu'en relevant d'office ce moyen, sans le soumettre préalablement à la discussion des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Redd Factors Limited à payer à la SCI Solsud la somme de 400 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 6 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la SCI Solsud et Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils, pour la société Redd Factors Limited.

La société Redd Factors Limited fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à la société Solsud la somme de 400.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L. 312-8 4° bis du code de la consommation, l'organisme prêteur mentionne que l'emprunteur peut souscrire auprès de l'assureur de son choix une assurance dans les conditions fixées à l'article L. 312-9 ; que l'offre de prêt de la société Redd Factors Limited ne fait état d'aucune proposition d'assurance alors même que Madame X..., associée majoritaire à 98 % de la société Solsud et, à ce titre, indéfiniment responsable de son passif, a été victime d'un accident de santé courant août 2007 la contraignant à la mise à la retraite anticipée pour inaptitude au travail avec les pertes de revenus qui s'ensuivent ; qu'il entre dans le devoir du banquier qui propose un prêt à son client de l'informer sur les risques d'endettement prévisibles provoqués notamment par la survenance d'un sinistre dont il lui revient de prévenir les conséquences par une proposition d'assurance adaptée à sa situation ; qu'en l'espèce la société Redd Factors Limited a prêté à la société Solsud, constituée dans l'unique dessein d'acquérir un bien immobilier pour le compte de ses trois associés, Madame X... détentrice de 98 parts sociales, Monsieur Y..., son compagnon détenteur d'une seule part tout comme Monsieur Z..., gérant, une somme de plus de 800.000 euros sans lui proposer, comme elle en avait l'obligation légale, de souscrire à un contrat d'assurance pouvant la prémunir des risques d'insolvabilité liée à la survenance d'un accident de santé de l'un de ses membres associés ; que ce faisant, elle a gravement manqué à son devoir d'information et de mise en garde envers la société Solsud lui faisant perdre la possibilité de renoncer à contracter le prêt ; que son préjudice sera justement évalué à la somme de 400.000 euros productive d'intérêt au taux légal à compter de la décision ;

1°) ALORS QUE l'obligation de faire figurer sur l'offre de prêt immobilier la possibilité pour l'emprunteur de souscrire une assurance résulte d'une modification du code de la consommation, opérée par l'article 25 la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, qui n'est entrée en application qu'à compter du 1er octobre 2008 ; que la cour d'appel qui, pour condamner la société Redd Factors Limited à payer des dommages-intérêts à l'emprunteur, a retenu que le prêteur avait manqué à une obligation légale d'information relative à la possibilité de souscrire une assurance, après avoir constaté que l'emprunt avait été conclu le 5 juin 2004 (p. 5, 1°) et que les ouvertures de crédits avaient cessé au mois d'avril 2007 (p. 3, §3), n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, en méconnaissant ainsi le champ d'application temporel de la loi, a violé l'article 2 du code civil et le II de l'article 2 de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 ;

2°) ALORS QUE l'organisme de crédit n'est débiteur d'une obligation de mise en garde qu'à l'égard de l'emprunteur non averti et à la condition que les capacités financières de celui-ci et les risques de l'endettement né de l'octroi du prêt justifient, à la date de signature du contrat, une information spécifique ; qu'en se bornant, pour retenir l'existence d'un manquement de la société Redd Factors Limited à son devoir de mise en garde, à relever qu'elle n'avait pas prévenu la société Solsud des risques d'endettement ou d'insolvabilité susceptibles de résulter, en l'absence de contrat d'assurance, d'un accident de santé d'un des associés, et qu'elle ne lui avait pas proposé de souscrire un tel contrat, sans rechercher, ainsi qu'il le lui incombait, si la société Solsud et ses associés devaient être regardés comme des emprunteurs non avertis et, dans l'affirmative, si, à la date de signature du contrat, les capacités financières de l'emprunteuse et les risques de l'endettement né de l'octroi des prêts impliquaient une mise en garde sur l'absence de souscription d'un contrat d'assurance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

3°) ALORS QUE le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office l'existence d'une perte de chance pour la société Solsud de ne pas contracter l'emprunt immobilier, sans permettre aux parties de présenter préalablement leurs observations à ce propos, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE, en tout état de cause, le préjudice résultant du manquement de l'organisme de crédit à ses obligations d'information de l'emprunteur sur la possibilité de contracter une assurance et de mise en garde contre les risques de ne pas adhérer à un tel contrat, est constitué par la perte de chance de souscrire ce contrat ; que la cour d'appel, qui, pour condamner la société Redd Factors Limited à indemniser la société Solsud, a retenu que les fautes du prêteur avaient causé à l'emprunteuse un préjudice constitué de la perte d'une possibilité de renoncer à l'emprunt, lequel préjudice était insusceptible de trouver son origine dans les manquements retenus à l'encontre du prêteur, a violé l'article 1147 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:C101044
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