Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 avril 2015, 14-14.146, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 décembre 2013), que M. X... et M. Y... ont assigné la société Editions Jacob-Duvernet devant le juge des référés en vue d'obtenir l'interdiction de la diffusion à venir et la saisie du livre intitulé « Le Front national des villes et le Front national des champs », au motif que la diffusion de ce livre, qui rapportait que M. X..., alors secrétaire général du Front national, et M. Y..., membre du conseil régional du Nord Pas-de-Calais, étaient homosexuels et vivaient ensemble, porterait atteinte à l'intimité de leur vie privée ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen, qu'en vertu de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée, que l'orientation sexuelle fait partie du plus intime de la vie privée, que la révélation de l'homosexualité d'une personnalité politique ne saurait être justifiée par le débat dont fait l'objet la position du parti auquel appartient cette personnalité sur la question du mariage entre personnes de même sexe (son orientation sexuelle ne préjugeant en rien de sa position sur cette question et encore moins de celle de son parti) ou sur les relations que ce parti entretiendrait avec « les homosexuels » (ensemble de personnes qui ne constituent ni un groupement ni une communauté), qu'aucun débat d'intérêt général ne nécessitait en l'espèce l'atteinte portée au respect de la vie privée de M. X... par la révélation de son homosexualité et qu'en jugeant que le droit du public à être informé de l'homosexualité de M. X... primait sur le droit au respect de sa vie privée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Mais attendu qu'après avoir constaté la révélation de l'orientation sexuelle de M. X..., secrétaire général du Front national, et l'atteinte portée à sa vie privée, l'arrêt retient que l'évocation de cette orientation figure dans un ouvrage portant sur un sujet d'intérêt général, dès lors qu'il se rapporte à l'évolution d'un parti politique qui a montré des signes d'ouverture à l'égard des homosexuels à l'occasion de l'adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe ; qu'ayant ainsi apprécié le rapport raisonnable de proportionnalité existant entre le but légitime poursuivi par l'auteur, libre de s'exprimer et de faire état de l'information critiquée, et la protection de la vie privée de M. X..., la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande d'interdiction de diffusion et de saisie du livre intitulé « Le Front national des villes et le Front national des champs » et d'avoir dit que la société Editions Jacob-Duvernet pourrait publier ce livre à condition d'y supprimer seulement les passages relatifs à l'homosexualité de M. Y... et à sa vie commune avec M. X..., à l'exclusion de ceux relatifs à l'homosexualité de ce dernier,

aux motifs qu'« en traitant de l'orientation sexuelle et de la vie de couple de M. X... et M. Y..., faits que ceux-ci n'avaient pas divulgués publiquement l'ouvrage édité par la société Jacob-Duvernet porte gravement atteinte à des aspects les plus intimes de leur vie privée », que « le droit au respect de l'intimité de la vie privée peut se heurter aux droits d'information du public et de la liberté d'expression garantis par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et que dans un tel cas il revient au juge de dégager un équilibre entre ces droits antagonistes qui ne sont ni absolus, ni hiérarchisés entre eux, étant d'égale valeur dans une société démocratique », que « M. X... est une personnalité politique de premier plan puisqu'il est secrétaire général du front national et que, comme le rappelle le livre "Le Front National des villes et le Front National des champs", il sera le candidat de ce parti lors de prochaines élections dans une commune dont le livre rappelle l'importance dans la stratégie de conquête électorale menée par le Front national », que « l'évocation de l'homosexualité de M. X... et de la supposée influence de cette orientation sexuelle sur la politique du Front national est de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général puisque, dans un contexte de fort clivage entre la gauche et la droite parlementaire à l'occasion de l'adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe, le Front national a montré des signes d'ouverture à l'égard des homosexuels, ce qui a donné lieu à des questionnements publics sur les relations entre la droite nationaliste et les homosexuels, comme le montrent des pièces produites aux débats et relatives par exemple à la sortie en 2012 du livre "Pourquoi les gays sont passés à droite" ou des enquêtes dans des organes de presse aussi divers que le quotidien Le Monde en juin 2012 sous le titre "Le nouveau nationalisme est-il gay ?" que l'hebdomadaire "Minute" en janvier 2013 sous le titre "Question taboue : existe-t-il un lobby gay au FN ?" », qu'« en conséquence le droit du public à être informé de l'homosexualité de M. X... prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée »,

alors qu'en vertu de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée, que l'orientation sexuelle fait partie du plus intime de la vie privée, que la révélation de l'homosexualité d'une personnalité politique ne saurait être justifiée par le débat dont fait l'objet la position du parti auquel appartient cette personnalité sur la question du mariage entre personnes de même sexe (son orientation sexuelle ne préjugeant en rien de sa position sur cette question et encore moins de celle de son parti) ou sur les relations que ce parti entretiendrait avec « les homosexuels » (ensemble de personnes qui ne constituent ni un groupement ni une communauté), qu'aucun débat d'intérêt général ne nécessitait en l'espèce l'atteinte portée au respect de la vie privée de M. X... par la révélation de son homosexualité et qu'en jugeant que le droit du public à être informé de l'homosexualité de M. X... primait sur le droit au respect de sa vie privée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

ECLI:FR:CCASS:2015:C100377
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