Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 23 septembre 2014, 12-24.967, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur les deux moyens réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 28 juin 2012), qu'engagée le 30 juin 2007 par la société Mutant distribution, Mme X... a bénéficié d'arrêts de travail dont le dernier avait pour terme le 14 août 2009 ; que la salariée a, le 22 mars 2010, pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant des manquements de l'employeur à ses obligations ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de décider que la prise d'acte avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la condamner au paiement de sommes à titre de rappel de salaire et de congés payés, de dommages-intérêts et d'indemnités de rupture, alors, selon le moyen :

1°/ que l'employeur n'est tenu d'organiser la visite médicale de reprise que si le salarié a demandé à reprendre le travail ou a manifesté d'une manière quelconque le désir de le faire ; qu'ayant relevé que Mme X... n'a pas repris son travail à la fin de son dernier arrêt maladie du 14 août 2009 et en imputant cependant à faute à la société Mutant distribution de ne pas avoir lui avoir fait passer de visite de reprise sans constater que la salariée, qui ne s'est plus jamais présentée dans l'entreprise à compter de cette date, n'a plus adressé d'arrêts de travail et n'a plus donné de ses nouvelles jusqu'au 6 janvier 2010, avait manifesté le désir de reprendre son activité de caissière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 4624-21, R. 4624-22 et L. 1231-1 du code du travail ;

2°/ qu'en outre, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; que par application de ce principe, la salariée, qui manque à sa propre obligation de reprendre le travail au terme d'un arrêt de travail et qui s'abstient d'informer l'employeur sur sa situation pendant plusieurs mois, ne peut se prévaloir d'un manquement de l'employeur à l'obligation d'organiser une visite médicale qui dépend de la volonté de la salariée d'exécuter son contrat ; qu'en l'espèce, la société Mutant distribution a fait valoir que Mme X... n'a jamais repris son travail au sein de la société Mutant distribution à l'issue de son arrêt de travail le 14 août 2009, n'a donné aucune justification de son absence à son employeur en dépit de multiples courriers recommandés qu'il lui a adressés et ne s'est manifestée que le 6 janvier 2010 après sa convocation, le 5 janvier, à un entretien préalable en vue d'un licenciement, pour se plaindre de l'absence de visite de reprise ; qu'en imputant à faute à l'employeur de ne pas avoir fait passer de visite de reprise, « malgré les demandes insistantes de la salariée » dont la cour d'appel a pourtant constaté qu'elles ont été formées pour la première fois le 6 janvier 2010, soit plus de cinq mois après le terme du dernier arrêt de travail, pour analyser la prise d'acte de rupture du 23 mars 2010 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans s'expliquer sur la particulière mauvaise foi de la salariée exclusive de toute faute de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1 et L. 1231-1 du code du travail ;

3°/ qu'en tout état de cause, la prise d'acte de rupture du contrat par la salariée s'analyse en une démission dès lors que le comportement reproché à l'employeur n'est que le fruit de la propre faute de la salariée ; qu'en se bornant à analyser la prétendue défaillance de la société Mutant distribution à son obligation d'organiser la visite médicale de reprise, sans rechercher si les fautes de la salariée précédemment décrites n'étaient pas de nature à exclure une faute de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1231-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

4°/ que, sauf obligation légale, conventionnelle ou contractuelle, le salaire n'est pas dû en l'absence de prestation de travail et plus précisément, lorsque le salarié ne se tient pas à la disposition de l'employeur ; que tel est le cas lorsque le contrat de travail est suspendu ; qu'en condamnant la société Mutant distribution à payer un rappel de salaires pour la période du 17 août 2009 -terme du dernier arrêt de travail- jusqu'au 23 mars 2010 -date de la prise d'acte de rupture- tout en constatant que la salariée n'avait pas repris son travail au cours de cette période où son contrat était suspendu et en ne relevant pas que Mme X... se serait tenue à la disposition de la société Mutant distribution, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil et l'article L. 3211-1 du code du travail ;

5°/ qu'en tout état de cause, le manquement de l'employeur à son obligation d'organiser une visite médicale de reprise n'ouvre pas droit au paiement de salaire, le contrat de travail restant suspendu tant que la visite de reprise n'a pas été effectuée par le médecin du travail ; qu'à supposer que puisse être reproché à la société Mutant distribution de ne pas avoir organisé une visite médicale en faveur de Mme X..., la cour d'appel ne pouvait lui allouer des rappels de salaire couvrant la période de suspension de son contrat ; que la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble les articles R. 4624-22 et L. 3211-1 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que l'employeur ne peut être dispensé de payer leur salaire aux salariés qui se tiennent à sa disposition que s'il démontre qu'une situation contraignante l'empêche de fournir du travail ; qu'ayant relevé que la salariée, dont le dernier arrêt de travail, d'une durée supérieure à trois mois, avait pris fin le 14 août 2009, se tenait à la disposition de l'employeur pour qu'il soit procédé à la visite de reprise dont elle avait en vain sollicité l'organisation par l'employeur, la cour d'appel en a exactement déduit que celui-ci était redevable du paiement des salaires pour la période antérieure à la prise d'acte ;

Attendu, ensuite, qu'après avoir souverainement écarté les courriers de l'employeur non distribués alors qu'ils avaient été adressés à une autre adresse que celle de la salariée qu'il connaissait parfaitement et relevé que cette salariée avait formulé des demandes insistantes aux fins de bénéficier d'une visite de reprise, ce dont il résultait qu'elle entendait reprendre son activité, la cour d'appel, sans préciser que la lettre du 6 janvier 2010 correspondait à une première demande de la salariée, a exclu la mauvaise foi de celle-ci et l'existence d'une justification au manquement, caractérisé par ses soins, de l'employeur qui n'avait pas donné suite aux demandes réitérées d'organisation d'une visite de reprise ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Mutant distribution aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Mutant distribution et condamne cette société à payer à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray la somme de 2 500 euros et à Mme X... celle de 343,25 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Mutant distribution

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte de rupture du contrat par la salariée s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR en conséquence condamné la société Mutant distribution à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaires d'août 2009 au 23 mars 2010 et de congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que d'AVOIR ordonné à l'exposante de rembourser aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de six mois ;

AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que Mme X... n'a pas repris le travail à la fin de son dernier arrêt maladie du 14 août 2009 ; que les premiers juges ont justement rappelé que l'obligation de faire passer une visite médicale après une absence d'au moins 21 jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel, est affirmée par l'article R. 4624-21 du code du travail ; qu'en effet, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité ; qu'en l'espèce, après un long arrêt de travail (plus de 3 mois), la société Mutant Distribution devait faire passer à sa salariée une visite médicale de reprise afin de s'assurer de son aptitude à l'emploi envisagé ; que l'employeur ne peut affirmer que Mme X... devait d'abord réintégrer son poste le 17 août 2009 et qu'il disposait ensuite de 8 jours pour lui faire passer cette visite, en s'appuyant sur l'article R. 4624-22 du code du travail, et ce dans la mesure où l'objet de l'examen de reprise a pour objet d'apprécier l'aptitude médicale du salarié à reprendre son ancien emploi ou la nécessité d'une adaptation des conditions de travail ou d'une réadaptation, le texte invoqué par l'employeur encadrant seulement le délai dans lequel cet examen doit avoir lieu au plus tard ; que de plus, il ne peut être reproché à Mme X... d'avoir attendu cette convocation, l'employeur ne pouvant, au nom de l'obligation de sécurité résultat précité, laisser son salarié reprendre le travail sans s'assurer de son aptitude à son ancien emploi ; qu'il n'est pas contesté que jamais, la société Mutant Distribution n'a fait passer une visite de reprise à sa salariée, même quand les parties ont enfin pu échanger leurs points de vue par des courriers adressés à la bonne adresse et malgré les demandes insistantes de la salariée de bénéficier de cette visite de reprise ; que par courrier en date du 6 janvier 2010, Mme Laetitia X... a ainsi écrit à son employeur dans les termes suivants « Depuis la fin du mois d'août 2009, je n'ai plus de nouvelles de votre part et vous ne m'avez pas convoquée à une visite de reprise auprès de la médecine du travail. Je vous demande de régulariser ma situation par retour en me renvoyant notamment les salaires depuis septembre 2009 » ; que par courrier daté du 26 janvier 2010, la société Mutant Distribution a répondu à la salariée la considérer comme étant en absence injustifiée depuis le 17 août 2009 : « Nous vous avons fait parvenir plusieurs courriers en recommandé avec accusé de réception, soit le 20 août 2009, le 13 novembre 2009 et le 26 novembre 2009. Ceux-ci ont été refusés ou non réclamés.... Afin de régulariser votre situation, nous vous mettons en demeure de nous fournir dans les 24 heures un avis d'arrêt de travail conforme à la réglementation » ; qu'en réponse, par courrier en date du 2 février 2010, Mme X... s'est étonnée de ce courrier réclamant à son employeur « la copie des courriers qu'elle n'a pas récupérés ou refusés » en rajoutant « Je suis très étonnée de ne toujours pas être convoquée à la visite médicale de reprise. Je vous rappelle que cette obligation pèse sur l'employeur et que sans reprise, je ne peux pas reprendre » ; qu'or, par courrier daté du 19 février 2009, l'employeur a maintenu sa demande de recevoir « dans les plus brefs délais un avis d'arrêt de travail conforme à la réglementation qui couvre la période du 18 août 2009 à ce jour » ; que par courrier en date du 22 mars 2010, Mme X... a dès lors pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur pour ne « pas respecter les règles essentielles du Code du Travail :
- paiement du salaire et remise bulletin de salaire,
- fourniture de travail avec obligation absolue de faire passer une visite médicale de reprise après un arrêt maladie suffisamment long » et contrairement aux premiers juges, la Cour estime que les manquements de l'employeur quant aux conditions de la reprise de travail par la salariée sont suffisamment graves pour justifier de la prise d'acte de la salariée qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 23 mars 2010 ;

1°- ALORS QUE l'employeur n'est tenu d'organiser la visite médicale de reprise que si le salarié a demandé à reprendre le travail ou a manifesté d'une manière quelconque le désir de le faire ; qu'ayant relevé que Mme X... n'a pas repris son travail à la fin de son dernier arrêt maladie du 14 août 2009 et en imputant cependant à faute à la société Mutant Distribution de ne pas avoir lui avoir fait passer de visite de reprise sans constater que la salariée qui ne s'est plus jamais présentée dans l'entreprise à compter de cette date, n'a plus adressé d'arrêts de travail, et n'a plus donné de ses nouvelles jusqu'au 6 janvier 2010, avait manifesté le désir de reprendre son activité de caissière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 4624-21, R. 4624-22 et L. 1231-1 du code du travail ;

2°- ALORS en outre que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; que par application de ce principe, la salariée qui manque à sa propre obligation de reprendre le travail au terme d'un arrêt de travail et qui s'abstient d'informer l'employeur sur sa situation pendant plusieurs mois ne peut se prévaloir d'un manquement de l'employeur à l'obligation d'organiser une visite médicale qui dépend de la volonté de la salariée d'exécuter son contrat ; qu'en l'espèce, la société Mutant Distribution a fait valoir que Mme X... n'a jamais repris son travail au sein de la société Mutant Distribution à l'issue de son arrêt de travail le 14 août 2009, n'a donné aucune justification de son absence à son employeur en dépit de multiples courriers recommandés qu'il lui a adressés et ne s'est manifestée que le 6 janvier 2010 après sa convocation, le 5 janvier, à un entretien préalable en vue d'un licenciement, pour se plaindre de l'absence de visite de reprise ; qu'en imputant à faute à l'employeur de ne pas avoir fait passer de visite de reprise, « malgré les demandes insistantes de la salariée » dont la cour a pourtant constaté qu'elles ont été formées pour la première fois le 6 janvier 2010, soit plus de 5 mois après le terme du dernier arrêt de travail pour analyser la prise d'acte de rupture du 23 mars 2010 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans s'expliquer sur la particulière mauvaise foi de la salariée exclusive de toute faute de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1231-1 du code du travail ;

3°- ALORS en tout état de cause que la prise d'acte de rupture du contrat par la salariée s'analyse en une démission dès lors que le comportement reproché à l'employeur n'est que le fruit de la propre faute de la salariée ; qu'en se bornant à analyser la prétendue défaillance de la société Mutant Distribution à son obligation d'organiser la visite médicale de reprise sans rechercher si les fautes de la salariée précédemment décrites n'étaient pas de nature à exclure une faute de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1231-1 du code du travail et 1134 du code civil

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Mutant Distribution à payer à Mme X... une somme de 7 611,36 € (6088,77 € plus 1 522,59 € déjà versés) outre les congés payés y afférents au titre de rappel de salaire d'août 2009 au 23 mars 2010 ;

AUX MOTIFS précités au premier moyen ;

Et aux motifs que pendant la période allant du 17 août 2009 au 22 mars 2009, Mme X... n'a perçu aucun salaire ; que la société Mutant Distribution sur la base des trois derniers mois bulletins de salaire (mars à mai 2009) devra verser à la salariée la somme de 7 611,36 € (1 087,34 € x 7) au titre des rappels de salaire outre la somme de 761,14 € au titre des congés payés afférents ; qu'il conviendra de déduire de ces sommes celle de 1 522,59 € reçue par virement par Mme X... le 9 avril 2010, après audience de référé engagée par elle ;

1°- ALORS QUE sauf obligation légale, conventionnelle ou contractuelle, le salaire n'est pas dû en l'absence de prestation de travail et plus précisément, lorsque le salarié ne se tient pas à la disposition de l'employeur ; que tel est le cas lorsque le contrat de travail est suspendu ; qu'en condamnant la société Mutant Distribution à payer un rappel de salaires pour la période du 17 août 2009 -terme du dernier arrêt de travail- jusqu'au 23 mars 2010 -date de la prise d'acte de rupture- tout en constatant que la salariée n'avait pas repris son travail au cours de cette période où son contrat était suspendu et en ne relevant pas que Mme X... se serait tenue à la disposition de la société Mutant Distribution, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil et l'article L. 3211-1 du code du travail ;

2°- ALORS qu'en tout état de cause, le manquement de l'employeur à son obligation d'organiser une visite médicale de reprise n'ouvre pas droit au paiement de salaire, le contrat de travail restant suspendu tant que la visite de reprise n'a pas été effectuée par le médecin du travail ; qu'à supposer que puisse être reproché à la société Mutant Distribution de ne pas avoir organisé une visite médicale en faveur de Mme X..., la cour d'appel ne pouvait lui allouer des rappels de salaire couvrant la période de suspension de son contrat ; que la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble les articles R. 4624-22 et L. 3211-1 du code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2014:SO01504
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