Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 21 mai 2014, 13-16.341, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 1152-1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée par la société Complexe commercial de La Roche-Posay (la société) le 1er octobre 1992 en qualité de secrétaire, physionomiste, caissière grands jeux, était en dernier lieu membre du comité de direction des machines à sous ; qu'en arrêt de travail pour maladie à compter du 22 décembre 2003, elle a été déclarée inapte définitive à tout poste dans l'entreprise le 5 décembre 2006 et licenciée à ce titre le 5 janvier 2007 ;
Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes d'annulation du licenciement et de dommages-intérêts, l'arrêt retient que l'attitude, sans doute assez ferme, du directeur de la société était rigoureusement identique à l'égard de l'ensemble des salariés et qu'elle ne faisait donc pas l'objet d'une attitude de dénigrement particulière ; que dans ce contexte, l'incident qui l'a opposée à l'employeur lors d'une réunion du comité de direction n'est qu'une manifestation, au regard de la question des congés, de l'impulsivité dont il semble coutumier vis-à-vis de l'ensemble de ses subordonnés, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de direction et que, quant au contenu même de l'entretien, il relève du pouvoir de direction d'un employeur de formuler à l'égard de son personnel les remarques qu'il estime nécessaires et qu'il ne s'en est suivi, malgré la tension manifeste qui y régnait, ni observation écrite ni avertissement de sa part ;
Attendu cependant, que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses constatations que la salariée subissait personnellement les agissements dont son supérieur hiérarchique était coutumier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 mars 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;

Condamne la société Complexe commercial de La Roche-Posay aux dépens ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne la société Complexe commercial de La Roche-Posay à payer à Me Delamarre la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Delamarre, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté Mademoiselle X... de sa demande d'annulation du licenciement prononcé à son encontre et de sa demande de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE
« * sur le harcèlement :

Dans ses écritures, Melle X... verse dans un premier temps différents témoignages qui établissent sans l'ombre d'une ambiguïté que l'attitude, sans doute assez ferme, de M. Y..., directeur de la société Complexe commercial, était rigoureusement identique à l'égard de l'ensemble des salariés (témoignages de MM. Z..., A..., B... et C... ainsi que de Mmes D..., E... et F...) et que Melle X... ne faisait donc pas l'objet d'une attitude de dénigrement particulière.
Dans ce contexte, l'incident qui a opposé Melle X... à son employeur lors d'une réunion du comité de direction relativement à un glissement des primes dont bénéficiaient les salariés les plus anciens et au cours de laquelle l'employeur avait déjà dû, sur ce sujet, s'opposer à certains contradicteurs, n'est qu'une manifestation, au regard de la question des congés, de l'impulsivité dont il semble coutumier vis-à-vis de l'ensemble de ses subordonnés, dan se cadre de l'exercice de son pouvoir de direction.
Enfin, Melle X... ne peut sérieusement reprocher à son employeur de l'avoir « séquestrée » lors d'une réunion ; si houleuse fut-elle, d'une heure environ le 22 décembre 2003 dès lors que cette réunion s'est déroulée en présence d'une tierce personne, et que dans le cours de son déroulement la salariée a pu sortir puis revenir librement sur le lieu de l'entretien, le seul fait que l'employeur lui ait imposé de l'écouter jusqu'à la fin de sa phrase ne pouvant être déterminant d'une séquestration et pas davantage le fait d'avoir poussé la parte, sans la fermer à clé, afin de réduire la portée es éclats de voix vis-à-vis de l'environnement.
Quant au contenu même de l'entretien, il relève du pouvoir de direction d'un employeur de formuler à l'égard de son personnel les remarques qu'il estime nécessaires et la Cour a pu constater qu'il ne s'en est suivi, malgré la tension manifeste qui y régnait, ni observation écrite ni avertissement de sa part.
Pour le surplus, la salariée n'évoque concrètement pas d'autres agissements répétés portant atteinte à ses droits, à sa dignité ou à sa santé physique et mentale ou à son avenir professionnel et l'instruction sur plainte de Melle X... pour harcèlement moral qui a repris par le menu l'argumentation qu'elle avait développée à l'appui de son action en justice, a conclu un non-lieu confirmé en appel le 24 juin 2008.
* sur le non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité de protection de la santé physique et mentale des travailleurs :
Melle X... fonde ce grief sur le certificat médical que lui a délivré le 22 décembre 2003 son médecin traitant, pour dépression réactionnelle liée à un harcèlement moral professionnel » , or ce certificat médial ne peut à lui seul établir la preuve d'un lien de causalité entre l'existence d'un état dépressif dont le diagnostic relève de la compétence du praticien qui y a procédé et le non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés alors même que ledit praticien ne s'est pas déplacé au sein de l'entreprise concernée et n'a pu que répéter les déclarations formulées par son patient, sans les avoir vérifiées.
Les comportements harcelants imputés à M. Y... n'ont pu précédemment être mis en évidence et il ressort de l'expertise psychologique de Melle X... une personnalité manifestement fragile, ayant évolué dans une famille « cocon » très soutenante, qui n'avait jamais rencontré par le passé de difficultés importantes et qui manifestement été déstabilisée par un changement de mode de direction passant d'une forme plutôt familiale et paternaliste à un mode beaucoup plus distant et empreint de plus grande fermeté.
Il n'apparaît donc pas que les griefs articulés par Melle X... à l'encontre de son employeur soient établis et c'est à juste titre que le premier juge, dont la décision sera confirmée de ce chef, a débouté la salariée de sa demande tenant à l'annulation du licenciement pour inaptitude dont elle avait été l'objet.
- Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail :
Les griefs invoqués par Melle X... n'ayant pas été établis, celle-ci ne peut prétendre à des indemnités de rupture du fait d'un licenciement nul et il n'y aura pas davantage lieu d'ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer le préjudice qui découlerait pour la victime des fautes, non établies, qu'elle impute à son employeur »,
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE
« Sur le harcèlement moral

Attendu que la notion de harcèlement moral doit être restituée dans le contexte réglementaire de l'époque, à savoir 2003,
Attendu qu'alors l'article L 122-49 du Code du Travail énonçait « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ¿ »,
Attendu que l'article L 122-52 du Code du Travail complétait « En cas de litige relatif à l'application des articles L 112-46 et L 122-40, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse ¿ de prouver que ces agissement ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement »,

Attendu qu'en l'espèce, la salariée verse aux débats les seuls procès-verbaux d'audition des personnes entendues au cours de la procédure pénale,
Attendu que la lecture de ces procès-verbaux d'audition, tant de Mademoiselle X... que de Monsieur Y..., son Directeur, de Messieurs A... et G..., ses collègues membres du comité de direction, de Mesdemoiselles E... et D..., de Messieurs Z... et C..., ses collègues, révèle que :
- le Directeur a apporté réponse, certes de façon sèche, mais en termes de pouvoir légitime d'une direction, à une demande de jours de récupération exprimée par la salariée ;
- le Directeur, lors de l'entretien du 22 décembre 2003, a fait un reproche à la salariée, relatif au non-respect des consignes, ce qui là aussi ressort du pouvoir légitime d'une direction ;

- un comportement général du Directeur qui se traduit par des propos quelque peu heurtés, voire durs, avec tous ses collaborateurs sans distinction, y compris avec les membres du Comité de Direction,
Attendu que dès lors, force est de constater que la salariée ne produit aucun élément de fait précis, individualisé et répété, susceptible de constituer l'existence d'un harcèlement moral envers elle,
Attendu que par ailleurs, la société constate que la salariée n'apporte aucunement la preuve d'agissements, force est alors de constater que le harcèlement moral ne peut être constitué.

En conséquence, dans ces conditions, le harcèlement moral invoqué n'est pas avéré »,
ALORS QUE
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique, dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner, pour ce salarié, une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, peu important que lesdites méthodes ne produisent pas les mêmes effets sur les autres salariés ; qu'en l'espèce, les juges d'appel ont constaté que le management mis en oeuvre par Monsieur Y... était empreint d'une grande fermeté et d'une certaine brusquerie, que ce mode de direction avait déstabilisé l'exposante et que le médecin traitant de Mademoiselle X... lui avait délivré le 22 décembre 2003 un certificat médical pour « dépression réactionnelle liée à un harcèlement moral professionnel » ; qu'ainsi, la cour d'appel a souligné que les méthodes managériales de Monsieur Y... avaient pu conduire à une dégradation des conditions de travail de Mademoiselle X... affectant sa santé, peu important que ces méthodes soient utilisées à l'égard des autres salariés ; qu'en estimant pourtant que le harcèlement moral n'était pas constitué, les juges d'appel n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres énonciations et violé l'article L. 1152-1 du Code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2014:SO01043
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