Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 octobre 2013, 12-22.288, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 mai 2012), que Mme X...a été engagée par l'association Institut de la Méditerranée le 5 novembre 2001 en qualité de chargée d'études ; que se plaignant de harcèlement moral et sexuel de la part d'un conseiller technique du président de l'association, elle a, par lettre du 8 octobre 2007, déclaré user de son droit de retrait à compter du 5 octobre 2007 ; que le 6 octobre 2007, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie, lequel a été renouvelé sans interruption jusqu'au 3 septembre 2010 ; que le médecin du travail l'a alors déclarée inapte à tout poste de travail au sein de l'entreprise en visant un danger immédiat ; qu'elle a été licenciée pour inaptitude par lettre du 28 septembre 2008 ; qu'auparavant, elle avait saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur pour harcèlement moral et sexuel et en paiement de diverses sommes ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel et exécution fautive du contrat de travail par l'employeur, alors, selon le moyen, qu'il appartient seulement au salarié qui se prévaut d'un harcèlement moral ou sexuel d'établir les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, à charge pour l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de la cour d'appel que Mme X..., salariée, versait aux débats des éléments établissant que l'attitude de harcèlement moral et sexuel imputable à M. Y...était connue au sein de l'association, employeur, instaurant des « malaises latents » et des « bruits de couloir », et que plusieurs salariés témoignaient de cette situation en faisant état des tentatives déplacées de l'intéressé sur le personnel féminin, ainsi que de ses critiques humiliantes et dévalorisantes à l'endroit de ses collaborateurs ; que ces éléments étaient de nature à faire présumer un harcèlement moral et sexuel imputable à M. Y..., à charge dès lors pour l'employeur de justifier son attitude ; qu'en rejetant la demande de Mme X...au titre d'un harcèlement moral et sexuel, au motif que les pièces versées aux débats par celle-ci n'établissaient pas « de façon formelle (¿) la réalité » du harcèlement allégué (arrêt attaqué, p. 7, alinéa 1er), la cour d'appel a fait peser sur la salariée la charge de la preuve de ce harcèlement et a ainsi violé l'article L. 1154-1 du code du travail ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la salariée ne faisait référence à aucun fait précis et que les attestations produites relataient soit des propos ou comportements du mis en cause qui ne concernaient pas directement la salariée, soit émanaient de personnes qui reprenaient des propos que la salariée leur avait tenus, la cour d'appel, sans méconnaître les règles de preuve applicables en la matière a, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, constaté que la salariée n'établissait pas la matérialité de fait précis et concordants pouvant laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral ou sexuel à son égard ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rappel de salaires et d'indemnité de congés payés afférents, alors, selon le moyen, qu'aucune retenue sur salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur s'étant retiré d'une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa santé ; qu'en estimant que la demande de rappel de salaire présentée par Mme X...au titre de la période postérieure à l'exercice de son droit de retrait était infondée, au seul motif que l'intéressée avait bénéficié durant la période litigieuse des indemnités maladie complétées par les indemnités de la caisse de prévoyance Dexia et sans rechercher si Mme X...avait un motif raisonnable de penser que le maintien à son poste de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4131-3 du code du travail ;

Mais attendu que le droit de retrait ne pouvant être exercé que pendant l'exécution du contrat de travail, la cour d'appel, qui a constaté que le contrat de travail de la salariée était suspendu pour cause de maladie, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme X...aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour Mme X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mlle Nathalie X...de sa demande tendant à la condamnation de l'association Institut de la Méditerranée à lui payer la somme de 41. 172 ¿ nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral distinct subi en raison du harcèlement moral et sexuel dont elle a été victime et de l'exécution fautive du contrat de travail par l'employeur ;

AUX MOTIFS QUE manque à son obligation de résultat l'employeur dont un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercé par l'un de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ses agissements ; qu'il ressort des contrats versés aux débats par l'employeur que le professeur Y...n'était pas son salarié ; que, rémunéré par vacation, il était conseiller technique du président et président du conseil scientifique de l'Institut de la Méditerranée ; que depuis février 2010, il dépend de la structure Euromed et n'est plus conseiller du président Z... ; qu'il doit être considéré que, de par ses fonctions, il exerçait une autorité sur la salariée ; qu'en tout état de cause pour savoir si un quelconque reproche peut être fait à l'Institut de la Méditerranée, il convient de s'interroger sur la réalité du harcèlement moral et sexuel dont la salariée se dit avoir été victime ; que dès lors que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse au vu de ces éléments de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'il convient d'observer que Nathalie X...ne fait quant à elle référence à aucun fait précis ; qu'il est constant qu'elle a informé son supérieur hiérarchique fin juin 2007 qu'elle se considérait victime de tels agissements de la part de Jean-Louis Y...; qu'elle produit des attestations ; qu'Angélique A...témoigne avoir été à plusieurs reprises choquée par les termes employés par Jean-Louis Y...pour parler des femmes avec lesquelles il travaillait, ces propos faisant systématiquement référence au physique ou à la critique, avoir reçu les confidences de Geneviève B..., selon lesquelles il aurait tenté de l'embrasser ; qu'elle ajoute que ce dernier convoquait souvent dans son bureau Nathalie X...ainsi que le directeur des études et leur hurlait dessus, les propos qu'elle rapports ne concernant cependant que Frédéric C...; que Jean-Louis Y...convoquait en outre souvent Nathalie X...dans son bureau porte close ; qu'elle l'a entendu à plusieurs reprises parler à Frédéric C...de la productivité et de la fiabilité insuffisante de Nathalie X...; qu'elle fait en outre état d'une altercation dont elle a été le témoin au mois de juillet 2007 entre Nathalie X...et Jean-Louis Y...qui lui reprochait de ne pas avoir indiqué qu'elle aimait la musique, ce qui pour lui était scandaleux et ce qui l'avait amené à se plaindre auprès de Frédéric C...de son manque de professionnalisme, de productivité et de fiabilité de Nathalie X...; que Pierre D...atteste que Nathalie X...a souvent évoqué avec lui ses problèmes de harcèlement avec Jean-Louis Y...; qu'Anne E...qui fait également état de propos rapportés de Nathalie X...concernant ses relations avec Jean-Louis Y..., déclare avoir pu constater personnellement les malaises latents puis de plus en plus envahissants que présentait Nathalie X...lorsqu'elle évoquait ses relations de travail avec Jean-Louis Y...; que selon Joël F...qui rapporte avoir en compagnie de Nathalie X...rencontré M. G...en août 2007, celui-ci qui a proposé à Nathalie X...d'user de son droit de retrait et, précisé que « le comportement de Jean-Louis Y...ne le surprenait pas et qu'il était informé de la situation par des bruits de couloirs » ; que Vincent H..., professeur d'économie à l'Université d'Etat de Californie, atteste avoir remarqué « l'aggravation des douleurs psychologiques chez Nathalie X...qui avait de plus en plus de mal à supporter les pressions à caractère sexuel et les critiques dévalorisantes et humiliantes de son directeur » ; qu'il n'a été cependant le témoin d'aucun fait ; que le docteur Thierry I..., le médecin traitant de Nathalie X..., atteste le 29 mai 2007 qu'elle rapporte être l'objet d'un harcèlement sur son lieu de travail et qu'ont été observés des troubles du sommeil, une anxiété envahissante, une sommation importante ; que Nathalie X...a été arrêtée le 3 septembre 2007 par son psychiatre pour « syndrome de stress émotionnel » ; que de son côté, l'employeur fait valoir que dès que Nathalie X...l'a alerté des difficultés qu'elle disait rencontrer avec Jean-Louis Y..., il lui a proposé de faire usage de son droit de retrait le temps de conduire les investigations nécessaires ; qu'il expose que Jean-Claude G..., son délégué général, a interrogé les deux collaborateurs les plus proches de la salariée, qu'aucun d'eux n'avait pu attester avoir été le témoin direct de faits de harcèlement moral et sexuel, Mlle A...faisant état de conversations qu'elle avait eues avec Mlle X...mais lui ayant confirmé n'avoir été témoin direct d'aucun fait relevant du harcèlement, M. C...lui ayant parlé d'une dégradation de ses relations professionnelles avec Nathalie X...dues à une baisse de qualité de son travail et à ses absences répétées qui perturbaient le fonctionnement du service ; que contrairement à ce qu'affirme Nathalie X..., les propos attribués à Angélique A...dans le cadre de cette enquête, ne sont en rien incompatibles avec les termes de son attestation ; que l'Institut de la Méditerranée indique en outre que Jean-Louis Y...a opposé le plus ferme démenti aux accusations de Nathalie X...; qu'elle regrette en outre que la salariée se soit toujours refusée à communiquer les informations quant à l'évolution de la procédure pénale diligentée contre Jean-Louis Y...et à laquelle l'employeur n'est pas partie ; que Nathalie X...s'est au demeurant opposée au sursis à statuer subsidiairement sollicité par l'employeur ; que les témoignages produits relatent des propos ou comportements de Jean-Louis Y...qui ne concernent pas directement la salariée, rapportent des propos qu'elle a tenus à ces personnes mentionnant ou laissant entendre qu'elle subissait des agissements pouvant relever du harcèlement moral ou sexuel sans qu'aucun des faits dont ces personnes ont été témoins puisse, de façon formelle, en établir la réalité ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour considère que Nathalie X...doit être déboutée de sa demande au titre du préjudice moral distinct subi en raison du harcèlement moral et sexuel et l'exécution fautive du contrat de travail par l'employeur ; que ne peut être retenu à l'encontre de l'employeur aucun manquement de nature à justifier la résiliation judiciaire à ses torts du contrat de travail de Nathalie X...; qu'aucune faute ne pouvant être retenue à l'encontre de l'employeur, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a débouté Nathalie X...de ce chef ;

ALORS QU'il appartient seulement au salarié qui se prévaut d'un harcèlement moral ou sexuel d'établir les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, à charge pour l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de la cour d'appel que Mlle X..., salariée, versait aux débats des éléments établissant que l'attitude de harcèlement moral et sexuel imputable à M. Y...était connue au sein de l'association, employeur, instaurant des « malaises latents » et des « bruits de couloir », et que plusieurs salariés témoignaient de cette situation en faisant état des tentatives déplacées de l'intéressé sur le personnel féminin, ainsi que de ses critiques humiliantes et dévalorisantes à l'endroit de ses collaborateurs ; que ces éléments étaient de nature à faire présumer un harcèlement moral et sexuel imputable à M. Y..., à charge dès lors pour l'employeur de justifier son attitude ; qu'en rejetant la demande de Mlle X...au titre d'un harcèlement moral et sexuel, au motif que les pièces versées aux débats par celle-ci n'établissaient pas « de façon formelle (¿) la réalité » du harcèlement allégué (arrêt attaqué, p. 7, alinéa 1er), la cour d'appel a fait peser sur la salariée la charge de la preuve de ce harcèlement et a ainsi violé l'article L. 1154-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mlle Nathalie X...de sa demande tendant au paiement de la somme de 81. 920 ¿ nets à titre de rappel de salaires, outre la somme de 8. 192 ¿ nets au titre des congé payés afférents ;

AUX MOTIFS QUE Nathalie X...réclame un rappel de salaire à l'encontre de l'employeur qu'elle évalue à 81. 920 ¿ correspondant à la période de retrait légitime en l'absence de mesure prise par l'employeur pour y remédier ; que ce n'est que le 8 octobre 2007 que Nathalie X...a fait valoir son droit de retrait ; qu'elle a immédiatement produit un certificat médical d'arrêt de travail daté du 6 octobre 2007 et qui sera renouvelé jusqu'au 3 septembre 2010, jusqu'à épuisement de ses droits à indemnités journalières, mettant de fait un terme au droit de retrait qu'elle a exercé ; que pendant toute cette période, elle a bénéficié dans un premier temps de son salaire maintenu par son employeur jusqu'au 31 janvier 2008 puis des indemnités de l'assurance maladie complétée par des indemnités de la caisse de prévoyance Dexia, organisme d'assurance complémentaire à laquelle l'Institut de la Méditerranée a adhéré ;

ALORS QU'aucune retenue sur salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur s'étant retiré d'une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa santé ; qu'en estimant que la demande de rappel de salaire présentée par Mlle X...au titre de la période postérieure à l'exercice de son droit de retrait était infondée, au seul motif que l'intéressée avait bénéficié durant la période litigieuse des indemnités maladie complétées par les indemnités de la caisse de prévoyance Dexia et sans rechercher si Mlle X...avait un motif raisonnable de penser que le maintien à son poste de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4131-3 du code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2013:SO01625
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