Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 février 2013, 11-18.891 11-18.905, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Vu la connexité, joint les pourvois n° M 11-18.891 et B 11-18.905 ;

Sur les moyens uniques de chaque pourvoi, qui sont comparables et reproduits en annexe :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 31 mars 2011), que Mme X..., engagée le 13 mars 2002 par la société Jugremix-hyper U, occupant en dernier lieu les fonctions d'ajointe au responsable de caisses, a déclaré démissionner sans réserves par lettre du 23 septembre 2008 ; qu'elle a été engagée le jour même par la société 3.14 distribution aux fonctions d'employée commerciale avec une période d'essai d'une durée d'un mois ; que le contrat de travail a été rompu le 3 octobre 2008 ; que le même jour, invoquant une collusion entre les deux employeurs pour la déterminer à démissionner et la priver de tout emploi, la salariée a remis en cause sa démission ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;

Attendu que les sociétés font grief à l'arrêt de condamner la première au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la seconde au titre d'une rupture abusive de l'essai ;

Mais attendu qu'ayant souverainement caractérisé l'existence d'un concert frauduleux entre les deux entreprises qui a conduit la salariée à démissionner de son emploi chez la première pour être immédiatement engagée à l'essai par la seconde, ce qui, dans le stratagème ainsi mis en place, avait permis au nouvel employeur de rompre ce second contrat de travail dans le but de rendre service à son prédécesseur, la cour d'appel en a exactement déduit que la démission et la rupture de l'essai leur étaient imputables, de sorte que la première constituait un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la seconde était abusive ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne les sociétés Jugremix-hyper U et 3.14 distribution aux dépens ;

Vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne les sociétés Jugremix-hyper U et 3.14 distribution à payer la somme globale de 2 500 euros à la SCP Boulloche à charge pour cette dernière de renoncer à percevoir l'indemnité prévue par l'Etat ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt février deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi n° M 11-18.891 par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Jugremix-hyper U

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la démission de Mademoiselle X... était équivoque et qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'avoir en conséquence condamné la société JUGREMIX à verser à Mademoiselle X... la somme de 15 504 euros ainsi que la somme de 1500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « Mme X... a été engagée par la société Jugremix à la date du 13 mars 2002 en qualité d'adjointe au responsable des caisses de cette grande surface à prédominance alimentaire.

Mme X... a entretenu des relations intimes avec l'un des salariés de cette grande surface située à Manosque, une rupture étant intervenue peu avant la cessation de son contrat de travail.

L'intéressée a en effet démissionné par une lettre simple datée du 23 septembre 2008 sans évoquer dans cette correspondance un reproche à l'endroit de son employeur et elle a été embauchée dès le lendemain par la société 3.14 Distribution, située à Sisteron, en qualité d'employée commerciale, sous réserve d'une période d'essai d'un mois.

Ce second employeur a mis fin à cette période d'essai dès le 3 octobre 2008, soit après seulement huit jours.

Cette salariée soutient que la société Jugremix l'a poussée à la démission pour l'écarter géographiquement du premier magasin afin de ménager l'humeur de son ancien compagnon.

Elle s'en ouvrait auprès de ce premier employeur dans un courrier simple daté du 3 octobre 2008 lequel s'est immédiatement défendu de ces accusations.

Cependant l'hypothèse d'une fausse démission dictée par le premier employeur aux fins d'écarter géographiquement la salariée doit être retenue à l'examen des pièces versées aux débats.

Première anomalie au regard des contraintes matérielles qui pèsent sur les employeurs, Mme X... démissionne le 23 septembre 2008 et elle décide de son propre chef de ne pas effectuer son préavis, sa démission prenant immédiatement effet par la remise en mains propres de sa lettre manuscrite de démission à son directeur qui en accuse réception par une mention manuscrite datée du 23 septembre 2008 suivie de sa signature.

Sa dispense de préavis est accordée le jour même par une correspondance dactylographiée remise en mains propres lui indiquant qu'elle cesse de faire partie des effectifs à compter du 23 septembre 2008.

Le fait de répondre le jour même à sa démission et de la dispenser sans aucun temps de réflexion de l'exécution de son préavis permet de supposer que l'employeur savait que la démission de Mme X... lui serait présentée.

La supposition devient une certitude à la lecture du certificat de travail remis à la salariée et à la lecture de l'attestation destinée à l'Assédic qui mentionnent la date du septembre 2008 comme étant le dernier jour travaillé.

Trop pressé de se débarrasser de Mme X... pour les raisons qu'elle explique, le directeur de l'hypermarché U de Manosque s'est coupé en signant ces deux documents avant même de se faire remettre par l'intéressée sa lettre de démission.

Cette démission étant nécessairement équivoque, elle produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme X... accusait au 22 septembre 2008 six ans et six mois d'ancienneté.

Agée de 25 ans au moment de la rupture, l'intéressée a perdu un salaire net de 1 558 euros par mois et elle justifie d'une prise en charge par l'Assédic du 8 octobre 2008 au 31 mai 2009.

La salariée recevra les indemnités légales de rupture qu'elle réclame, dont les montants ne sont pas discutés, ainsi que l'indemnité d'un montant de 10 000 euros qu'elle réclame en réparation de son entier préjudice pécuniaire né de cette rupture illégitime de son contrat de travail. …

La salariée soutient que le directeur de la grande surface de Manosque s'était acoquiné avec le directeur de la grande surface de Sisteron pour se débarrasser d'elle ce que ce second employeur dément fermement.

Mais à nouveau les faits sont parlants.

Lorsque ce second employeur fait signer à Mme X... sa fiche de poste le jour même de la présentation de sa lettre de démission il lui fallait connaître sa situation de démissionnaire et il n'a pu en être informé que par le premier employeur qui avait censément pris lui-même connaissance de cette démission le jour même.

Le procédé était d'ailleurs assez astucieux car si Mme X... avait été poussée à la démission sans retrouver immédiatement un emploi à la qualification égale et à salaire égal – ce qui n'est pas le fruit du hasard – elle n'aurait peut-être pas accepté de se prêter à ce stratagème.

Lorsqu'enfin ce second employeur embauche Mme X... à compter du 24 septembre 2008, cette embauche avait été précédée d'un entretien.

Cet entretien s'est déroulé selon la salariée, et le fait n'est pas contesté, le 19 septembre, alors qu'elle était encore à cette date au service de son premier employeur à Manosque, lequel n'a pas bien entendu vu aucun empêchement à la tenue de cet entretien bien que pris sur le temps de travail de la salariée.

A l'occasion de cet entretien la salariée n'est pas contredite lorsque indique que le poste lui fut immédiatement offert ce qui est contraire à toutes les pratiques d'embauche lorsque le candidat est dans les liens d'un contrat de travail.

Après la signature de son second contrat de travail il ne restait plus pour ce second employeur que de se débarrasser définitivement de la présence de Mme X... pour rendre service au premier.

De tels procédés sont contraires à la loyauté qui sied à l'exécution du contrat de travail, peu important le fait que la rupture du second contrat de travail soit intervenue durant une période d'essai puisque la cour retient l'existence d'un abus de droit.

Ce second employeur versera à la salariée l'indemnité de 5 000 euros qu'elle lui réclame, seule à même de réparer son entier préjudice résultant d'une perte d'emploi par rupture abusive d'un contrat de travail à durée indéterminée. » ;

ALORS QUE lorsqu'un salarié invoque un dol de son employeur pour l'inciter à démissionner, consistant à lui faire faussement croire en une opportunité d'emploi plus intéressant auprès d'un autre employeur agissant de concert, il appartient au salarié de prouver les manoeuvres déployées par les deux employeurs ensemble et destinées à le tromper ; qu'il lui appartient donc de démontrer à l'égard de son premier employeur que ce dernier avait connaissance soit de ce que le poste proposé ne correspondait pas à celui promis, soit qu'il s'était mis d'accord avec le second employeur pour que celui-ci licencie le salarié pendant la période d'essai ; qu'une telle preuve ne saurait résulter de ce que le premier employeur, connaissant la volonté du salarié de démissionner, accepte qu'il candidate auprès d'un autre employeur avant même de se voir remettre la lettre de démission, et de ce que le second employeur, également informé de la situation, recrute le salarié après sa démission effective puis rompt finalement le contrat en période d'essai, ces circonstances révélant au plus un accord entre la salariée et ses deux employeurs successifs et non un quelconque agissement fautif de l'un d'entre ces derniers ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1237-1 et L 1235-3 du Code du travail, ensemble les 1116 et 1134 du Code civil.Moyen produit au pourvoi n° B 11-18.905 par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société 3.14 distribution

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le contrat de travail de Mademoiselle X... avait été rompu abusivement et d'avoir en conséquence condamné la société 3.14 DISTRIBUTION à verser à sa salariée la somme de 5 000 euros ;

AUX MOTIFS QUE « Mme X... a été engagée par la société Jugremix à la date du 13 mars 2002 en qualité d'adjointe au responsable des caisses de cette grande surface à prédominance alimentaire.

Mme X... a entretenu des relations intimes avec l'un des salariés de cette grande surface située à Manosque, une rupture étant intervenue peu avant la cessation de son contrat de travail.

L'intéressée a en effet démissionné par une lettre simple datée du 23 septembre 2008 sans évoquer dans cette correspondance un reproche à l'endroit de son employeur et elle a été embauchée dès le lendemain par la société 3.14 Distribution, située à Sisteron, en qualité d'employée commerciale, sous réserve d'une période d'essai d'un mois.

Ce second employeur a mis fin à cette période d'essai dès le 3 octobre 2008, soit après seulement huit jours.

Cette salariée soutient que la société Jugremix l'a poussée à la démission pour l'écarter géographiquement du premier magasin afin de ménager l'humeur de son ancien compagnon.

Elle s'en ouvrait auprès de ce premier employeur dans un courrier simple daté du 3 octobre 2008 lequel s'est immédiatement défendu de ces accusations.

Cependant l'hypothèse d'une fausse démission dictée par le premier employeur aux fins d'écarter géographiquement la salariée doit être retenue à l'examen des pièces versées aux débats.

Première anomalie au regard des contraintes matérielles qui pèsent sur les employeurs, Mme X... démissionne le 23 septembre 2008 et elle décide de son propre chef de ne pas effectuer son préavis, sa démission prenant immédiatement effet par la remise en mains propres de sa lettre manuscrite de démission à son directeur qui en accuse réception par une mention manuscrite datée du 23 septembre 2008 suivie de sa signature.

Sa dispense de préavis est accordée le jour même par une correspondance dactylographiée remise en mains propres lui indiquant qu'elle cesse de faire partie des effectifs à compter du 23 septembre 2008.

Le fait de répondre le jour même à sa démission et de la dispenser sans aucun temps de réflexion de l'exécution de son préavis permet de supposer que l'employeur savait que la démission de Mme X... lui serait présentée.

La supposition devient une certitude à la lecture du certificat de travail remis à la salariée et à la lecture de l'attestation destinée à l'Assédic qui mentionnent la date du septembre 2008 comme étant le dernier jour travaillé.

Trop pressé de se débarrasser de Mme X... pour les raisons qu'elle explique, le directeur de l'hypermarché U de Manosque s'est coupé en signant ces deux documents avant même de se faire remettre par l'intéressée sa lettre de démission.

Cette démission étant nécessairement équivoque, elle produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme X... accusait au 22 septembre 2008 six ans et six mois d'ancienneté.

Agée de 25 ans au moment de la rupture, l'intéressée a perdu un salaire net de 1 558 euros par mois et elle justifie d'une prise en charge par l'Assédic du 8 octobre 2008 au 31 mai 2009.

La salariée recevra les indemnités légales de rupture qu'elle réclame, dont les montants ne sont pas discutés, ainsi que l'indemnité d'un montant de 10 000 euros qu'elle réclame en réparation de son entier préjudice pécuniaire né de cette rupture illégitime de son contrat de travail. …

La salariée soutient que le directeur de la grande surface de Manosque s'était acoquiné avec le directeur de la grande surface de Sisteron pour se débarrasser d'elle ce que ce second employeur dément fermement.

Mais à nouveau les faits sont parlants.

Lorsque ce second employeur fait signer à Mme X... sa fiche de poste le jour même de la présentation de sa lettre de démission il lui fallait connaître sa situation de démissionnaire et il n'a pu en être informé que par le premier employeur qui avait censément pris lui-même connaissance de cette démission le jour même.

Le procédé était d'ailleurs assez astucieux car si Mme X... avait été poussée à la démission sans retrouver immédiatement un emploi à la qualification égale et à salaire égal – ce qui n'est pas le fruit du hasard – elle n'aurait peut-être pas accepté de se prêter à ce stratagème.

Lorsqu'enfin ce second employeur embauche Mme X... à compter du 24 septembre 2008, cette embauche avait été précédée d'un entretien.

Cet entretien s'est déroulé selon la salariée, et le fait n'est pas contesté, le 19 septembre, alors qu'elle était encore à cette date au service de son premier employeur à Manosque, lequel n'a pas bien entendu vu aucun empêchement à la tenue de cet entretien bien que pris sur le temps de travail de la salariée.

A l'occasion de cet entretien la salariée n'est pas contredite lorsque indique que le poste lui fut immédiatement offert ce qui est contraire à toutes les pratiques d'embauche lorsque le candidat est dans les liens d'un contrat de travail.

Après la signature de son second contrat de travail il ne restait plus pour ce second employeur que de se débarrasser définitivement de la présence de Mme X... pour rendre service au premier.

De tels procédés sont contraires à la loyauté qui sied à l'exécution du contrat de travail, peu important le fait que la rupture du second contrat de travail soit intervenue durant une période d'essai puisque la cour retient l'existence d'un abus de droit.

Ce second employeur versera à la salariée l'indemnité de 5 000 euros qu'elle lui réclame, seule à même de réparer son entier préjudice résultant d'une perte d'emploi par rupture abusive d'un contrat de travail à durée indéterminée » ;

ALORS QUE lorsqu'un salarié invoque un dol de son employeur l'ayant incité à démissionner d'un précédant emploi et ayant consisté à lui faire faussement croire, de concert avec le premier employeur, en une opportunité d'emploi plus intéressant, il appartient au salarié de prouver les manoeuvres déployées par les deux employeurs ensemble et destinées à le tromper ; qu'il lui appartient donc de démontrer à l'égard du second employeur que ce dernier lui a sciemment proposé un poste différent de celui qu'il lui avait promis ou qu'il avait en réalité la volonté de rompre le contrat de travail dès son embauche ; qu'une telle preuve ne saurait résulter de ce que le premier employeur, connaissant la volonté du salarié de démissionner, accepte qu'il candidate auprès d'un autre employeur avant même de se voir remettre la lettre de démission et de ce que le second employeur, également informé de la situation, recrute le salarié après sa démission effective puis rompt finalement le contrat en période d'essai, ces circonstances révélant au plus un accord entre la salariée et ses deux employeurs successifs et non un quelconque agissement fautif de l'un d'entre ces derniers ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 1116 et 1134 du Code civil, ensemble l'article L 1231-1 du Code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2013:SO00357
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