Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 janvier 2012, 10-18.558, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 2142-6 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., délégué syndical au sein de la caisse régionale de Crédit maritime mutuel du Finistère, a fait l'objet d'un avertissement le 26 avril 2008 pour avoir envoyé, le 7 avril précédent avec son ordinateur et sa messagerie personnels, un tract signé de l'intersyndicale à l'adresse électronique des trente-cinq points de vente des agences du Crédit maritime mutuel en Bretagne ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale pour demander l'annulation de cet avertissement ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande, l'arrêt retient qu'il n'existe pas dans l'entreprise d'accord autorisant l'utilisation de la messagerie électronique par les organisations syndicales et que la liberté d'expression et de communication syndicale par voie électronique est limitée par les dispositions de l'article L. 2142-6 du code du travail ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le message syndical était arrivé dans les seules boîtes électroniques des responsables d'agence, ce qui ne caractérisait pas une diffusion au sens de l'article L. 2142-6 du code du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er avril 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne la caisse régionale de Crédit maritime mutuel de Bretagne-Normandie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. X....

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande d'annulation de l'avertissement.

AUX MOTIFS QUE, l'avertissement du 26 avril 2008 est ainsi motivé : « le 7 avril 2008 vous avez envoyé un message syndical depuis votre propre ordinateur personnel à l'ensemble des points de vente de la Caisse Régionale de Crédit Maritime du FINISTERE. Vous avez ainsi utilisé les boîtes à lettre électronique des agences en infraction avec l'article L. 412-8 du Code du Travail et une jurisprudence bien établie sur l'utilisation par les syndicats des technologies de l'information et de la communication ; Je vous confirme que seul un accord d'entreprise peut autoriser l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise par un syndicat pour diffuser les publications de tracts de nature syndicales en fixant les modalités ; Je vous rappelle que ce sujet a fait l'objet d'une mise au point lors de la séance du comité d'entreprise en date du 25 mai 2007 » ; L'article 412.8 du Code du Travail devenu L. 2142.6 dispose qu'un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise ; dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail ; L'accord d'entreprise définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et des règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message ; Force est de constater que : - Monsieur X... a adressé le 7 avril 2008 au moyen de son ordinateur personnel et de son adresse internet personnelle, un tract signé de l'intersyndicale aux 35 points de vente des agences du Crédit Maritime Bretagne, via la messagerie électronique de l'entreprise, étant observé que ces messages sont arrivés sur les postes de travail des responsables d'agence, ont été diffusés à l'intérieur de l'entreprise ; - qu'il n'existe pas en la cause d'accord d'entreprise autorisant l'utilisation de la messagerie électronique par les organisations syndicales ; - que bien au contraire le comité d'entreprise aux termes d'une réunion du 25 mai 2007 rappelait l'interdiction d'utiliser la messagerie électronique de la Caisse Régionale, outil de travail destiné à l'entreprise ajoutant que les syndicats doivent se conforme à la législation en utilisant les panneaux d'affichage qui leur sont réservés et en diffusant les tracts et publications aux heures d'entrée et de sortie du travail, invitant donc les syndicats à se conformer aux dispositions des articles L. 2142,3 et 4 du Code du Travail ; Manifestement Monsieur X... n'a pas respecté les dispositions légales sur l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise ; Il ne peut se prévaloir d'une violation de la liberté d'expression et de communication par voie électronique lesquelles font l'objet, comme toute liberté, de limitations strictement encadrées ; Cette liberté de communication par voie électronique et d'expression syndicale trouve ainsi sa limitation dans l'article L. 2142.6 du Code du Travail sus-énoncé ; M. X... ne saurait se prévaloir d'une violation du secret des correspondances dort la mesure où lui-même a diffusé massivement son message auprès de toutes les agences du Crédit Maritime ; Il est de jurisprudence constante que toute diffusion de tracts par la messagerie de l'entreprise doit être soumise à autorisation de l'employeur, matérialisé dans un accord d'entreprise ou non ; La sanction prononcée à l'encontre de Monsieur X... est proportionnée à la faute dûment constatée ; Monsieur X..., qui est le seul auteur matériel de la diffusion, ne peut se dire victime d'une discrimination syndicale, les autres membres de l'intersyndicale, non identifiés n'ayant pas été sanctionnés: En outre, si Monsieur Y... en 2006 n'a pu faire l'objet que d'un rappel à l'ordre, il convient de souligner que la sanction est antérieure à la réunion du comité d'entreprise du 25 mai 2007, alors que les faits reprochés à Monsieur X... se situent en avril 2008 ; L'avertissement prononcé le 26 avril 2008 n'a pas de caractère discriminatoire.

ALORS QUE, l'article L. 2146-2 du Code du travail dispose que « un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. Dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail » ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que le tract avait été diffusé de la messagerie personnelle du salarié, à l'adresse des responsables d'agence, ce dont il résultait que le salarié n'avait eu recours, ni à l'intranet de l'entreprise, ni à la messagerie interne de l'entreprise ; qu'ainsi, en disant cet envoi fautif par application de l'article L. 2146-2 du Code du travail, la Cour d'appel a violé la loi par fausse application de l'article L. 2146-2 du Code du travail ;

ALORS ENCORE QUE, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; Qu'en affirmant, pour refuser de faire droit à la demande du salarié, que la liberté de communication dont jouissent les syndicats trouve sa limite dans les dispositions de l'article L. 2146-2 du Code du travail, alors que l'atteinte à une liberté fondamentale doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1121-1 et L. 2146-2 du Code du travail ;

Qu'à tout le moins, la Cour d'appel, qui a reconnu que le salarié avait fait usage de sa liberté de communication et qui n'a pourtant pas examiné les justifications et la proportionnalité de l'atteinte à cette liberté, n'a pas tiré légalement justifié sa décision au regard des dispositions de l'article L. 1121-1 du Code du travail.

ALORS ENFIN QUE, la diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise de publications ou de tracts de nature syndicale est prohibée si elle n'est pas compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et entrave l'accomplissement du travail ; Qu'en refusant de faire droit à la demande du salarié, sans expliquer en quoi l'envoi des publications de nature syndicale sur la messagerie de l'entreprise avait perturbé le réseau informatique et entravé l'accomplissement du travail, la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2146-2 du Code du travail.

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