Cour de cassation, Assemblée plénière, 25 juin 2010, 08-86.891, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Arrêt n° 585 P + B + R + I


LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

REJET des pourvois formés par :

1° / le procureur général près la cour d'appel de Versailles,

2° / M. Mohamed X..., domicilié..., 92230 Gennevilliers,

3° / M. Emmanuel Y..., domicilié ..., London, W 86 Hhuk (Royaume-Uni), contre l'arrêt rendu le 23 septembre 2008 par la cour d'appel de Versailles (8e chambre des appels correctionnels) ;

Le procureur général près la cour d'appel de Paris s'est pourvu en cassation contre l'arrêt de ladite cour (11e chambre) en date du 22 juin 2006 ;

Cet arrêt a été cassé le 11 juillet 2007 par la chambre criminelle de la Cour de cassation ;

La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Versailles qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 23 septembre 2008 dans le même sens que la cour d'appel de Paris, par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation ;

Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles (8e chambre des appels correctionnels), la chambre criminelle a, par arrêt du 10 novembre 2009, décidé le renvoi de l'affaire devant l'assemblée plénière ;

Le procureur général près la cour d'appel de Versailles invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen unique de cassation, formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation et annexé au présent arrêt ;

MM. X... et Y... invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Waquet, Farge et Hazan en réponse au mémoire du procureur général près la cour d'appel de Versailles ;

Le rapport écrit de M. Moussa, conseiller, et l'avis écrit de M. Salvat, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 11 juin 2010, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, Mmes Favre, Collomp, MM. Lacabarats, Louvel, Charruault, Loriferne, présidents, M. Moussa, conseiller rapporteur, M. Cachelot, Mme Tric, MM. Mazars, Pluyette, Dulin, Mme Crédeville, M. Blatman, Mmes Pezard, Fossaert, Feydeau, M. Montfort, conseillers, M. Salvat, avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;

Sur le rapport de M. Moussa, conseiller, assisté de Mme Calvez, auditeur au Service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, l'avis de M. Salvat, avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 septembre 2008), rendu sur renvoi après cassation (chambre criminelle, 11 juillet 2007, pourvoi n° 06-86. 024), et les pièces de la procédure, que, sur plainte du ministre de l'intérieur, le ministère public a fait citer devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers une administration publique, M. Mohamed X..., dit " Hamé ", membre du groupe de rap " La Rumeur " et auteur de propos publiés, sous l'intitulé " Insécurité sous la plume d'un barbare ", dans le livret promotionnel destiné à accompagner la sortie du premier album du groupe, ainsi que M. Emmanuel Y..., dirigeant de la société éditrice du livret, en raison de passages mettant en cause la police nationale en ces termes ;

" Les rapports du ministre de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété " ;

" La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique " Touche pas à mon pote " ;

" La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers, c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières " ;

que le tribunal correctionnel ayant relaxé les prévenus, appel a été interjeté par le ministère public ;

Attendu que le ministère public fait grief à l'arrêt de renvoyer les prévenus des fins de la poursuite, alors, selon le moyen, " que constitue une diffamation envers une administration publique, ne pouvant être justifiée par le caractère outrancier du propos, l'imputation faite aux forces de police de la commission, en toute impunité, de centaines de meurtres de jeunes des banlieues " ; qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 qu'elle a violé ;

Mais attendu qu'ayant exactement retenu que les écrits incriminés n'imputaient aucun fait précis, de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, la cour d'appel en a déduit à bon droit que ces écrits, s'ils revêtaient un caractère injurieux, ne constituaient pas le délit de diffamation envers une administration publique ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-cinq juin deux mille dix.

MOYENS ANNEXES :

Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Versailles

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 :

En ce que l'arrêt attaqué a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite au motif qu'à défaut d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, les passages incriminés ne sauraient constituer que des propos injurieux,

ALORS :

- que constitue une diffamation envers une administration publique, ne pouvant être justifiée par le caractère outrancier du propos, l'imputation faite aux forces de police de la commission, en toute impunité, de centaines de meurtres de jeunes des banlieues,

- qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et que l'arrêt encourt de ce chef la cassation.


Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour MM. X... et Y... :

MOYEN DE CASSATION : violation de l'article 65, alinéas 1 et 2, de la loi du 29 juillet 1881, et des articles 591, 593 et 612 du code de procédure pénale, excès de pouvoir ;

EN CE QUE l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription résultant de l'absence d'effet interruptif des réquisitions aux fins d'enquête en date du 13 novembre 2002 ;

AUX MOTIFS QUE les premiers juges ont, à bon droit, énoncé que les réquisitions aux fins de poursuivre l'enquête en date du 13 novembre 2002 se référent formellement au soit-transmis du 11 octobre 2002 et précisent qu'il y est renvoyé “ expressément notamment au regard de mes réquisitions interruptives de prescription ”, satisfaisant ainsi aux exigences de l'article 65, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 (arrêt, p. 11) ;

ALORS QUE la juridiction de renvoi n'est saisie que dans la mesure de la cassation prononcée ; que par son arrêt du 19 juin 2007, la chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 juin 2006 qui, statuant au fond, avait confirmé le jugement du 17 décembre 2004 rendu par le tribunal correctionnel de Paris et avait relaxé les prévenus ; qu'en revanche, par son arrêt du 19 juin 2007, la chambre criminelle a uniquement annulé le pourvoi contre l'arrêt avant dire droit de la cour d'appel de Paris du 6 octobre 2005, qui avait écarté l'exception de prescription, et avait ordonné que la procédure se poursuive devant la juridiction saisie ; qu'il en résulte que la cour d'appel de Versailles n'était saisie que de l'appel contre le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 17 décembre 2004 statuant au fond ; qu'en se prononçant néanmoins sur l'exception de prescription, la cour d'appel de renvoi a méconnu sa saisine et excédé ses pouvoirs ; que son arrêt encourt l'annulation ;

ET ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE, avant l'engagement des poursuites, la prescription en matière de presse ne peut être interrompue que par des réquisitions aux fins d'enquête qui articulent et qualifient les faits à raison desquels l'enquête ou sa continuation est ordonnée ; que sont dépourvues d'effet interruptif les réquisitions aux fins d'enquête qui se bornent à renvoyer à de précédentes réquisitions d'enquêtes, articulant et qualifiant les faits objet de l'enquête, sans articuler et qualifier par elles-mêmes à nouveau les faits justifiant la continuation de l'enquête ; que les réquisitions en date du 13 novembre 2002, priant le commissaire de police “ de bien vouloir poursuivre l'enquête dans les termes définis dans le précédent soit-transmis daté du 11 octobre 2002 et auquel renvoie expressément le présent notamment aux regard (des) réquisitions interruptives de prescription ”, qui n'articulent ni ne qualifient les faits en cause sont dépourvues d'effet interruptif sur la prescription de l'action publique ; qu'il résulte des pièces du dossier que l'action publique est prescrite, aucun acte valablement interruptif de prescription n'étant intervenu dans le délai de trois mois après les dernières réquisitions interruptives de prescription en date du 11 octobre 2002 ; que la cassation aura lieu sans renvoi.

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