Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 15 juin 2010, 09-84.034, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Y... Edmond,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-13, en date du 30 avril 2009, qui, pour contrefaçons, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'Edmond Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, à Angers et à Lille, contrefait le diplôme d'études approfondies de sociologie et la thèse de droit de Bénédicte Z... par reproduction et diffusion, en l'espèce en recopiant et en diffusant sciemment, sans l'autorisation de son auteur, dans sa thèse de santé publique, 87 pages écrites par Bénédicte Z... et, dans sa thèse de droit, 148 pages, schémas et bibliographies rédigées par Bénédicte Z..., ainsi qu'environ 34 pages du diplôme d'études approfondies de celle-ci ; qu'Edmond Y... a opposé des exceptions d'extinction de l'action publique tirées de la prescription et de l'amnistie ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 335-2 à L. 335-5 du code de la propriété intellectuelle, de l'article 1382 du code civil, des articles 8, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt a dit que la prescription n'était pas acquise, a condamné Edmond Y... à deux ans d'emprisonnement avec sursis, a ordonné la publication de l'arrêt, par extrait, à ses frais, dans les journaux Le Monde, Le Figaro, La Gazette du Palais et Ouest France, a condamné Edmond Y... à payer à Bénédicte Z... la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts s'agissant de l'atteinte aux droits moraux et du préjudice moral et la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés ;

" aux motifs que le délai de prescription, s'agissant du délit de contrefaçon, est de trois ans à compter du jour de la réalisation de la contrefaçon ou de celui de la dernière diffusion de l'acte contrefait ; qu'il ressort du dossier que, préalablement à la soutenance d'une thèse, seul a cours un résumé de la thèse ou des travaux à l'intérieur de l'établissement, que seuls les membres du jury et deux rapporteurs prennent connaissance des travaux, que des rapports écrits sont établis par les rapporteurs, sur le fondement desquels le chef d'établissement autorise ou non la soutenance ; que rien n'interdit au candidat de reporter la soutenance de sa thèse, de la retirer et, par conséquent, de la modifier aux fins de soutenance ultérieure ; qu'il s'ensuit que le délai de prescription court non seulement le dépôt de la thèse mais également de la soutenance publique de celle-ci ; que la thèse de médecine légale d'Edmond Y... a été soutenue le 3 juillet 1998 alors que celle de droit a été soutenue le 13 mai 2000 après dépôt le 22 avril 2000 ; que s'agissant de la première thèse, elle a été à nouveau portée à la connaissance du public, par un nouvel acte de diffusion par l'envoi par l'atelier national de reproduction des thèses de Grenoble et la diffusion de microfiches auprès de soixante-deux bibliothèques section " santé destinataires institutionnels " à la date du 8 novembre 2000 ; que s'agissant de la seconde thèse, elle a été à nouveau portée à la connaissance du public par un nouvel acte de diffusion par l'envoi par l'atelier national de reproduction des thèses de Lille qui l'a diffusée par microfiches auprès des bibliothèques universitaires le 21 février 2002 ; que, lors de toute soutenance de thèse, l'étudiant remplit nécessairement un formulaire d'enregistrement de thèse soutenue à en tête du ministère de l'éducation nationale, sous-direction des bibliothèques et de la documentation, dans lequel il mentionne un résumé de sa thèse, propose des mots-clés, l'autorisation de diffusion étant donnée par le jury, éventuellement sous réserve de corrections demandées par le jury ; qu'en ce qui concerne la thèse de droit, le jury a autorisé la publication sous réserve non seulement de corrections mais également de précisions comme il ressort du procès-verbal de soutenance du 13 mai 2000 et du rapport après soutenance signés par les membres du jury, lesquelles ont été apportées ; qu'il résulte de ce qui précède qu'en raison de la date de soutenance et d'une diffusion intervenue le 21 février 2002 pour la thèse de droit, et d'une diffusion intervenue 8 novembre 2000, les faits poursuivis à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile du 13 mai 2003, ne sont pas prescrits ;

1°) " alors que la reproduction d'une oeuvre sans droit est une infraction instantanée qui se prescrit à compter de l'accomplissement de l'acte illicite de reproduction ; qu'Edmond Y... était poursuivi pour avoir reproduit des extraits de la thèse et du mémoire de Bénédicte Z... dans sa thèse de médecine légale et dans sa thèse de droit ; qu'en affirmant que les faits poursuivis à la suite de la plainte avec constitution de partie civile du 13 mai 2003 n'étaient pas prescrits tout en constatant que la thèse de médecine légale avait été soutenue le 3 juillet 1998 et celle de droit déposée le 22 avril 2000 en sorte la reproduction illicite reprochée à Edmond Y... était nécessairement antérieure au 22 avril 2000 et que la prescription de ces faits était acquise lors du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile le 13 mai 2003, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés ;

2°) " alors que la reproduction d'une oeuvre sans droit est une infraction instantanée qui se prescrit à compter de l'accomplissement de l'acte illicite de reproduction ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que préalablement à la soutenance d'une thèse ou des travaux à l'intérieur de l'établissement, seuls les membres du jury et deux rapporteurs prennent connaissance des travaux, que des rapports écrits sont établis par les rapporteurs sur le fondement desquels le chef d'établissement autorise ou non la soutenance ; qu'en affirmant que le délai de prescription devait courir non à compter du dépôt de la thèse mais de la soutenance publique de celle-ci au motif que rien n'interdit au candidat de reporter la soutenance de sa thèse, de la retirer et par conséquent de la modifier aux fins de soutenance ultérieure sans relever d'éléments établissant qu'Edmond Y... aurait, postérieurement au dernier dépôt en date de ses thèses, le 22 avril 2000, repris l'une de celles ci afin d'y ajouter des extraits de la thèse ou du mémoire de Bénédicte Z..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

3°) " alors que la prescription du délit de contrefaçon court du jour de la consommation de l'infraction ; qu'Edmond Y... était poursuivi pour avoir diffusé les extraits de la thèse et du mémoire de Bénédicte Z... reproduits dans sa thèse de médecine légale et dans sa thèse de droit ; qu'en affirmant que les faits poursuivis à la suite de la plainte avec constitution de partie civile du 13 mai 2003 n'étaient pas prescrits au motif que sa thèse de médecine légale avait été portée à la connaissance du public par l'atelier national de reproduction des thèses de Grenoble et la diffusion de microfiches auprès de soixante-deux bibliothèques le 8 novembre 2000 et que sa thèse de droit avait été portée à la connaissance du public par l'atelier national de reproduction des thèses de Lille qui l'a diffusé par microfiches auprès des bibliothèques universitaires le 21 février 2002 tout en constatant que l'autorisation de diffusion est donnée par le jury de thèse en sorte que les faits de diffusion imputables à Edmond Y... se limitaient au dépôt de sa thèse auprès des membres du jury, les 3 juillet 1998 et 22 avril 2000 et que le 13 mai 2003, la prescription des faits de diffusion était acquise, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés " ;

Attendu que, d'une part, la discussion soulevée par les deux premières branches du moyen relatives au point de départ de la prescription des actes de reproduction reprochés au prévenu est inopérante dès lors qu'Edmond Y... était poursuivi non seulement pour contrefaçon par reproduction, mais également pour contrefaçon par diffusion en violation des droits de l'auteur ;

Attendu que, d'autre part, s'agissant de la contrefaçon par diffusion, la cour d'appel constate, à juste titre, pour écarter la prescription de l'action publique, qu'avec l'accord de celui-ci, les deux thèses du prévenu, qui reproduisaient des passages de la thèse et du mémoire de diplôme d'études approfondies de Bénédicte Z..., ont été diffusées au public à compter, respectivement, du 8 novembre 2000, s'agissant de la thèse de médecine légale et du 21 février 2002, s'agissant de la thèse de droit, c'est-à-dire moins de trois ans avant le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile de la victime intervenue le 12 mai 2003 ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 335-2 à L. 335-5 du code de la propriété intellectuelle, des articles 3 et 14 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, de l'article 1382 du code civil, des articles 6, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt a dit que l'action publique n'était pas éteinte par l'effet de la loi d'amnistie du 6 août 2002, a condamné Edmond Y... à deux ans d'emprisonnement avec sursis, a ordonné la publication de l'arrêt, par extrait, à ses frais, dans les journaux Le Monde, Le Figaro, La Gazette du Palais et Ouest France, a condamné Edmond Y... à payer à Bénédicte Z... la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts s'agissant de l'atteinte aux droits moraux et du préjudice moral et la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés ;

" aux motifs qu'aux termes des articles 1° et 3-3° de la loi du 6 août 2002 portant amnistie, relèvent de l'amnistie en raison de la nature de l'infraction, les délits commis à l'occasion de conflits relatifs aux problèmes de l'enseignement ou délits relatifs à la reproduction d'oeuvres ou à l'usage de logiciel à des fins pédagogiques et sans but lucratif ; que l'article 14 de la loi du 6 août 2002 précise que sont exclus du bénéfice de la loi, sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article 3, les infractions prévues par les articles L. 335-2 à L. 335-5 du code de la propriété industrielle ; que la finalité pédagogique de la reproduction et l'absence de but lucratif sont des conditions cumulatives de l'amnistie ; que ni les travaux de Béatrice Z... ni ceux d'Edmond Y... ne peuvent être considérés comme des oeuvres à visée pédagogique réalisées dans le cadre d'une activité d'enseignement dès lors qu'ils émanaient d'étudiants cherchant à obtenir un diplôme ; que l'utilisation ultérieure de ces travaux par d'autres étudiants ou chercheurs n'est qu'éventuelle et ne permet pas de retenir que la finalité pédagogique d'une thèse ou d'un mémoire au sens de la loi du 6 août 2002 ; que, d'autre part, la soutenance d'une thèse a pour objet d'obtenir un titre universitaire et par conséquent un bénéfice de carrière, de sorte qu'il y avait bien en l'espèce but lucratif ; qu'il s'ensuit que l'action publique n'est pas éteinte par l'effet de la loi d'amnistie ;

1°) " alors que sont amnistiés par l'article 3. 3° de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, les délits relatifs à la reproduction d'oeuvres à des fins pédagogiques et sans but lucratif ; qu'en affirmant que l'action publique n'était pas éteinte par l'effet de la loi d'amnistie au motif que la soutenance d'une thèse a pour objet d'obtenir un titre universitaire et par conséquent un bénéfice de carrière de sorte qu'il y a bien un but lucratif alors que l'obtention d'un tel titre n'est pas un but lucratif, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2°) " alors que sont amnistiés par l'article 3. 3° de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, les délits relatifs à la reproduction d'oeuvres à des fins pédagogiques et sans but lucratif ; qu'en affirmant que l'action publique n'était pas éteinte par l'effet de la loi d'amnistie au motif que l'utilisation ultérieure de ces travaux par d'autres étudiants ou chercheurs n'est qu'éventuelle et ne permet pas de retenir la finalité pédagogique d'une thèse ou d'un mémoire émanant d'un étudiant cherchant à obtenir un diplôme, alors que l'article 3. 3° de la loi du 6 août 2002 ne subordonne pas l'amnistie à une finalité exclusivement pédagogique et que si la thèse permet l'obtention d'un diplôme, elle vient également enrichir la doctrine et le fond documentaire à disposition des enseignants et des étudiants, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu que le moyen, qui se borne à reprendre l'argumentation que, par une motivation exempte d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel a écartée à bon droit, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 3 000 euros la somme qu'Edmond Y... devra payer à Bénédicte Z... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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