Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 septembre 2009, 08-11.154, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint Denis, 16 novembre 2007), que par arrêté du 14 juin 2000 le préfet de La Réunion a déclaré d'utilité publique le projet d'aménagement de la ZAC du Moulin Joli sur la commune de La Possession, incluant des parcelles appartenant aux consorts X... ; que l'arrêté de cessibilité a été signé le 26 septembre 2002 et l'ordonnance d'expropriation rendue par le juge de l'expropriation le 10 décembre 2002 au profit de la Société d'équipement du département de La Réunion (SEDRE) à laquelle la réalisation des travaux avait été confiée ; qu'un procès verbal de constat d'huissier de justice établissant que les travaux avaient été entrepris sur l'une des parcelles des consorts X... dès le mois de février 2002, ces derniers ont sollicité et obtenu en référé la reconnaissance de l'existence d'une voie de fait sur leurs parcelles, et assigné au fond la commune de La Possession, qui a appelé la SEDRE et son assureur en la cause, après le dépot du rapport d'expertise sur l'évaluation du préjudice ;

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Vu l'article 545 du code civil ;

Attendu que nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ;

Attendu que pour débouter les consorts X... de leur action en responsabilité, l'arrêt retient qu'en l'état du litige, l'existence d'un préjudice subi par les consorts X... n'est pas démontrée du seul fait de la prise de possession prématurée des parcelles utilisées pour la construction d'une école, étant observé que l'opération de promotion immobilière envisagée par M. Serge X... sur ces terrains apparaissait fortement compromise en raison des avis défavorables émis par la Compagnie générale des eaux et par la Direction de l'agriculture ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'indépendamment de préjudices particuliers dont il appartient aux demandeurs de justifier, la seule constatation d'une voie de fait ouvre droit à réparation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 novembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée ;

Condamne la commune de La Possession aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la commune de La Possession à payer aux consorts X... la somme de 2 500 euros ; rejette les autres demandes de ce chef ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils pour les consorts X...

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a débouté les consorts X... de leur action en responsabilité formée à l'encontre de la commune de la Possession et de la SEDRE, et, en conséquence, de leur demande tendant à avoir condamner la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de la Réunion, à l'enseigne Groupama Océan indien et Pacifique à garantir la commune de la Possession des condamnations prononcées à son encontre ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'« il convient de confirmer la décision des premiers juges qui ont constaté qu'en l'état du litige, l'existence d'un préjudice subi par les consorts X... n'est pas démontrée du seul fait de la prise de possession prématurée des parcelles utilisées pour la construction d'une école, étant observé que l'opération de promotion immobilière envisagée par M. Serge X... sur ces terrains apparaissait fortement compromise en raison des avis défavorables émis par la Compagnie générale des eaux et par la Direction de l'agriculture » ;

AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l'appréciation de l'éventuel préjudice résultant de cette voie de fait ne peut que concerner les conséquences directes de la prise de possession par la SEDRE, mandatée par la commune de la Possession, des parcelles sur lesquelles ont été entrepris les travaux de construction de l'école susvisée tels que constatée en mars 2002 par l'huissier, à l'exclusion de celles résultant de la décision d'expropriation validant la dépossession des demandeurs sur ces terrains, dont aucun élément ne permet de remettre en cause à ce jour la validité, à la suite du jugement sur tierce opposition rendu le 23 décembre 2003 ; que, par conséquent, l'évaluation faite par M. B..., expert, dans son rapport, du préjudice présumé avoir été subi par les consorts X..., à partir du seul constat que l'opération de promotion relative au lotissement n'a pas été réalisée est sans réelle justification compte tenu de la validation à ce jour des décisions ayant entraîné le transfert de propriété des parcelles dont les demandeurs ne sont plus propriétaires, et en tout état de cause du fait que le projet de création de ce lotissement ne concerne par tous les indivisaires, mais, selon les explications et pièces produites, que M. Serge Jimmy X... en qualité de représentant de la SIP OI présentée comme maître d'ouvrage du projet ; que de plus, outre le fait que les informations produites permettent de douter de la faisabilité de ce lotissement, dans la mesure où des avis défavorables ont été émis tant par la Compagnie générale des eaux que par la Direction de l'agriculture, aucun élément probant ne permet d'établir que la construction de l'école de par la SEDRE, unique motif de la voie de fait constitutive de la faute relevée ci-dessus, est la seule cause de la perte du foncier qui aurait empêché la réalisation du projet de lotissement envisagé ; qu'en effet, cette analyse erronée omet de prendre en considération les incidences de l'expropriation quant à l'indemnité susceptible d'être due par ailleurs aux expropriés ; que bien évidemment, si les décisions administratives qui ont conduit au jugement d'expropriation, devaient être remises en cause dans le cas où un recours a effectivement été formé au dernier jugement du 23 décembre 2003, il appartiendrait aux demandeurs d'en tirer les conséquences sur l'incidence pouvant résulter d'une telle situation ; qu'au vu de ce qui précède, il s'ensuit qu'en l'état du litige, l'existence d'un préjudice réellement subi par les consorts X... n'est pas démontrée du seul fait de la prise de possession prématurée, en 2002, par la SEDRE, agissant en qualité de mandataire de la commune de la Possession, des parcelles utilisées pour la construction de cette école, alors que les terrains ont donné lieu à une expropriation par la suite » ;

ALORS QUE, premièrement, l'occupation sans droit ni titre d'une propriété par l'Administration constitue une voie de fait qui cause nécessairement un préjudice au propriétaire ; qu'en relevant, pour débouter les consorts X... de leur demande de dommages et intérêts, que l'existence d'un préjudice n'était pas démontrée du seul de la voie de fait commise par la commune de la Possession et la SEDRE dont elle avait constaté l'existence, consistant, avant que n'ait été engagée la procédure d'expropriation, à entreprendre des travaux d'édification d'une école sur leur propriété, sans autorisation, la Cour d'appel a violé l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 544 et 545 du Code civil ;

ALORS QUE, deuxièmement, en cause d'appel, les consorts X... avaient fait valoir que l'occupation sans droit ni titre de leur parcelle avant le prononcé de l'ordonnance d'expropriation leur avait au moins causé un trouble de jouissance, lequel devait être réparé par l'octroi d'une indemnité d'occupation ; qu'en rejetant leur demande au seul motif qu'en l'état de la procédure d'expropriation, ils ne pouvaient réclamer la réparation du préjudice né de la dépossession, sans répondre à ce moyen péremptoire et sans rechercher si les consorts X... n'avaient pas, à tout le moins, subi un trouble de jouissance qui devait être réparé, la Cour d'appel violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS QUE, troisièmement, si, tant qu'elle n'est pas annulée, l'ordonnance d'expropriation emporte transfert de propriété au profit de l'expropriant, jusqu'au paiement de l'indemnité d'expropriation, l'exproprié ne perd pas la jouissance du bien de sorte qu'en cas de prise de possession irrégulière par l'expropriant, l'exproprié est fondé à demander la réparation de son trouble de jouissance ; qu'en cause d'appel, pour la période postérieure au prononcé de l'ordonnance d'expropriation, les consorts X... avaient soutenu qu'en l'absence de paiement ou de consignation de l'indemnité d'expropriation, la prise de possession de leurs parcelles par la commune de la Possession et la SEDRE, qui leur en avait interdit l'accès, était irrégulière et devait entraîner le paiement d'une indemnité d'occupation destinée à les dédommager de leur trouble de jouissance ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre à ce moyen et sans rechercher si la prise de possession des parcelles sans versement préalable de l'indemnité d'occupation n'était pas irrégulière et n'avait pas occasionné un trouble de jouissance devant être réparé par une indemnité d'occupation, la Cour d'appel a, de nouveau, violé l'article 455 du Code de procédure civile.

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