Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 25 novembre 2008, 07-87.650, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Didier,
- Y... Olivier,
- Z... Michel,
- LE SYNDICAT CGT DES TRANSPORTS,
parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de NANCY, chambre correctionnelle, en date du 9 octobre 2007, qui les a déboutées de leurs demandes après relaxe de Guy A... du chef de prise de sanction pécuniaire illicite ;


La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 novembre 2008 où étaient présents : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Palisse conseiller rapporteur, Mme Anzani, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori conseillers de la chambre, Mmes Leprieur, Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Mathon ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

Sur le rapport de Mme le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MATHON ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, commun aux demandeurs, pris de la violation des articles L. 122-42, L. 152-1-5, L. 231-8, L. 231-8-1 et L. 231-9 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif a relaxé Guy A... du chef d'instauration de sanction pécuniaire à l'encontre de salariés et, par voie de conséquence, rejeté les demandes de dommages-intérêts des parties civiles ;

" aux motifs qu'à la suite de difficultés rencontrées par la société Connex Nancy dans l'utilisation de bus fonctionnant au gaz, et notamment d'un incendie survenu au début du mois d'août 2005 sur l'un des bus à gaz, dont la presse s'est fait l'écho, le CHSCT a initié une procédure d'alerte pour danger grave et imminent, sur le fondement de l'article L. 231-9 du code du travail, et a saisi l'inspection du travail ; que, selon un courrier en date du 18 août 2005, l'inspection du travail a décidé que le recours à la procédure d'alerte pour danger grave et imminent était maintenu pour la série dite " Montbéliard ", mais qu'il était levé pour les véhicules Volvo au fur et à mesure de leur contrôle et de l'avis technique des services de la DRIRE ; que les réserves relatives aux bus à gaz GNV de type " Montbéliard " ont été levées par l'inspection du travail au fur et à mesure des contrôles et conclusions réalisés par le CETIM par décisions des 29 août, 8 septembre, 13 octobre et 7 novembre 2005 ; que la société Connex Nancy a dans ces conditions demandé aux conducteurs d'assurer leur service ; que Didier X..., Didier C..., Olivier Y... et Michel Z... ont toutefois refusé d'obtempérer, au cours de la période s'étendant de septembre à novembre 2005, en invoquant le droit de retrait individuel prévu à l'article L. 231-8 du code du travail, lequel texte dispose que « le salarié signale immédiatement à l'employeur ou à son représentant toute situation dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé » ; que l'article L. 231-8 du même code dispose qu'aucune sanction, aucune retenue sur salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié qui s'est effectivement retiré d'une telle situation de travail ; qu'informée de la situation de Didier X... et Olivier Y..., qui avaient refusé d'assurer leur service sur les bus qui leur étaient affectés, lors de leur prise de service le samedi 3 septembre 2005 jusqu'à la fin de leur service, et avaient par conséquent été inoccupés pendant toute la journée, l'inspection du travail a, par courrier adressé à la société Connex Nancy, le 8 septembre 2005, donné raison aux intéressés, en énonçant que, même si les deux autobus en cause avaient fait l'objet d'une levée du droit d'alerte dans le cadre de l'article L. 231-9 du code du travail, tout salarié peut faire valoir un droit de retrait individuel au titre de l'article L. 231-8 du code du travail, s'il a un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ; que ce courrier précisait que seuls les juges du fond ont compétence pour apprécier si l'exercice de ce droit est fondé ou non, dans l'hypothèse où l'employeur en conteste l'existence, et rappelait les dispositions de l'article L. 231-8-1 du code du travail ; qu'il ajoutait que c'est a posteriori, une fois établi l'exercice non fondé de ce droit qu'une sanction (non pécuniaire) peut éventuellement être prononcée ; que ce point de vue n'a pas été admis par la société Connex Nancy, qui a considéré que le droit de retrait opposé par Didier X... et Olivier Y..., et postérieurement par Michel Z... et Didier C..., n'était pas justifié, et a en conséquence opéré des retenues sur leurs salaires respectifs ; que, le 16 février 2006, l'inspection du travail a en définitive établi un procès-verbal, dans lequel elle énonce que sont contraires aux dispositions de l'article L. 231-8-1 du code du travail, les faits consistant pour un employeur à contester le bien-fondé d'un droit de retrait et à opérer immédiatement une retenue pour absence irrégulière, alors même qu'il prend acte que les conducteurs concernés se sont déclarés disponibles pour exercer leur métier sur un autre véhicule que celui incriminé et sans que ladite contestation ne fasse l'objet d'une saisine du juge ; que le rédacteur de ce procès-verbal concluait que, dans de telles conditions, les retenues opérées sur les salaires des conducteurs concernés ne sauraient trouver leur justification dans une absence irrégulière, et relèvent alors des sanctions pécuniaires prohibées par l'article L. 122-42 du code du travail, lequel texte est sanctionné par l'article L. 152-1-5 du même code, qui dispose que « toute infraction aux dispositions de l'article L. 122-42 est punie d'une amende de 3. 750 euros, et, en cas de récidive, d'une amende de 7 500 euros » ; qu'à la suite de ce procès-verbal, Guy A... a été cité devant le tribunal de grande instance de Nancy, qui est entré en voie de condamnation à son encontre, par le jugement déféré ; (…) ; qu'en droit, il résulte de la jurisprudence interprétative de l'article L. 231-8 du code du travail, à laquelle se réfère l'inspection du travail, que l'employeur peut opérer une retenue sur salaire pour exercice non fondé du droit de retrait, une telle retenue ne constituant pas une sanction pécuniaire prohibée, mais la simple contrepartie de l'absence de fourniture de travail ; que, toutefois, aucune disposition légale ou réglementaire n'impose à l'employeur, préalablement à une retenue sur salaire opérée en raison de l'exercice non fondé du droit de retrait, de saisir le juge fond en vue d'apprécier la légitimité ou non de cet exercice ; qu'en l'occurrence, il est constant qu'à l'époque de l'exercice des droits de retraits individuels litigieux l'inspection du travail avait levé Ie recours à la procédure d'alerte pour danger grave et imminent pour les véhicules appartenant à la série dite " Montbéliard ", et avait levé les réserves concernant les bus articulés Volvo, d'où il suit que la société Connex Nancy pouvait légitimement demander aux conducteurs d'assurer leur service ; qu'il ne résulte pas du dossier qu'à l'époque de l'exercice de leur droit de retrait individuel, un motif raisonnable autorisait Didier X..., Olivier Y... et Michel Z..., à penser qu'en dépit de la levée du recours de la procédure d'alerte, décidée par l'inspection du travail, leur situation de travail présentait un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé ; qu'il suit de là que le droit de retrait individuel exercé par les intéressés était dépourvu de légitimité, et que l'employeur était fondé à pratiquer sur leurs salaires les retenues opérées ;

" 1) alors que l'article L. 122-42 du code du travail interdit à l'employeur de pratiquer une retenue sur salaire pour sanctionner le refus du salarié d'exécuter certaines de ses tâches ; que le salarié, qui fait usage de son droit de retrait pour l'exercice de certaines tâches qu'il estime à tort dangereuses, mais reste à la disposition de l'employeur pour accomplir d'autres tâches sans abandonner son poste, ne peut dès lors voir sanctionner ce refus d'exécution par une retenue sur salaire ; qu'en retenant que les retenues sur salaire pratiquées par la société Connex, en raison du refus de Didier X..., Olivier Y... et Michel Z... d'assurer leur service sur les bus à gaz, ne constituaient pas une sanction pécuniaire interdite, quand elle constatait que les salariés étaient restés à la disposition de l'employeur, sans abandonner leur poste, et « se sont déclarés disponibles pour exercer leur métier sur un autre véhicule que celui incriminé », la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" 2) alors subsidiairement que, selon l'article L. 231-8-1 du code du travail, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié qui s'est retiré d'une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ; que l'exercice de ce droit de retrait est contrôlé par le juge qui apprécie si le salarié a un motif raisonnable de se croire en danger ; que la société Connex ne pouvait dès lors pratiquer une retenue sur les salaires de Didier X..., Olivier Y... et Michel Z..., en raison de l'exercice de leur droit de retrait, sans avoir obtenu au préalable une décision du juge prud'homal constatant qu'ils n'avaient pas de motif raisonnable de se penser en danger lors de la conduite des bus à gaz ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, qu'à la suite d'incendies survenus dans des autobus fonctionnant au gaz appartenant à la société Connex Nancy chargée du réseau des transports urbains, divers chauffeurs, dont les trois demandeurs au pourvoi, ont exercé leur droit de retrait individuel ; que des retenues sur leur salaire ont été pratiquées par l'employeur ; que ce dernier a été cité directement par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel, sur le fondement de l'article L. 122-42 devenu L. 1331-1 du code du travail, pour avoir opéré des sanctions pécuniaires interdites ; que le prévenu a été condamné et qu'il a été statué sur les intérêts civils ;

Attendu que, sur l'appel de toutes les parties et du ministère public, pour relaxer le prévenu et débouter les parties civiles de leurs demandes, l'arrêt retient qu'au moment de l'exercice du droit de retrait individuel par les chauffeurs, il n'existait pas de motif raisonnable permettant à ceux-ci de penser, qu'en dépit de la levée de la procédure d'alerte, leur situation de travail présentait un danger grave et imminent pour leur vie et leur santé ; que les juges ajoutent que l'employeur était fondé à opérer une retenue sur leur salaire celle-ci s'analysant en une contrepartie de l'absence de fourniture de travail, et aucune disposition n'imposant préalablement à l'employeur de saisir le juge ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, d'une part, lorsque les conditions du droit de retrait individuel ne sont pas réunies, le salarié s'expose à une retenue sur salaire, peu important qu'il reste à la disposition de l'employeur, que, d'autre part, l'employeur n'est pas tenu de saisir préalablement le juge sur l'appréciation du bien-fondé de l'exercice du droit de retrait par le salarié ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

DIT irrecevable la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq novembre deux mille huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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