Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 26 octobre 2010, 09-70.927, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 10 septembre 2009), qu'à la suite du décès de M. X..., survenu le 27 décembre 1998, et du dépôt d'une déclaration de succession le 30 juin 2000, l'administration fiscale a adressé à sa légataire, Mme Y..., une lettre dans laquelle elle lui demandait, en application des articles L. 10 et L. 19 du livre des procédures fiscales, de lui faire parvenir des précisions et éclaircissements, afin de permettre le contrôle intégral de la déclaration de succession, en répondant à des questions relatives à un compte bancaire dont elle était titulaire conjointement avec le défunt ainsi que sur des versements ou virements effectués sur ce compte et sur un livret et portant sur des contrats d'assurances-vie ; que l'administration a ensuite notifié à Mme Y... une proposition de rectification concernant un rappel des droits de succession à la suite de la réintégration, dans l'actif successoral, d'un don manuel de 145 000 francs (22 105,11 euros) et du montant des trois contrats d'assurance-vie, analysés comme une donation indirecte ; que sa réclamation ayant été rejetée, Mme Y... a saisi le tribunal de grande instance aux fins d'entendre prononcer la décharge de l'imposition ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la procédure de redressement relative à un virement de 145 000 francs avait été régulière et de l'avoir en conséquence déboutée de ses demandes tendant à la décharge des impositions litigieuses, alors, selon le moyen :

1°/ que la notion de caractère non contraignant de la procédure ainsi engagée ne peut se limiter à une absence de délai de réponse ou d'annonce de sanctions mais doit résulter d'un examen concret et particulier de la demande de l'administration ; que le manquement au devoir de loyauté ne pouvait s'apprécier au seul regard des questions posées mais en tenant compte du contexte général de la demande et, en particulier, de la remarque relative au fait que les questions posées ne portaient pas sur la situation fiscale personnelle de l'exposante ; qu'ainsi l'arrêt attaqué viole les dispositions de l'article L. 0 du livre des procédures fiscales et le principe du respect des droits de la défense ;

2°/ que ce droit n'aurait pu s'exercer que dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès des établissements bancaires teneurs des comptes en cause ; qu'ainsi, la cour a commis une erreur de droit au regard de l'application de l'article L. 19 du livre des procédures fiscales ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que, bien que les services fiscaux n'aient pas explicitement précisé, dans leur demande de renseignements adressée à Mme Y..., que celle-ci n'avait pas de caractère contraignant, ils n'ont pas fait état d'une obligation de répondre aux questions posées dans un délai précis et sous peine de sanction en cas de défaut de réponse, ni manqué à leur devoir de loyauté dès lors qu'ils se sont bornés à lui poser des questions précises, concrètes, détaillées et dépourvues d'ambiguïté sur des éléments ou événements datés et décrits avec précision ; qu'il retient que la réponse affirmative apportée par la contribuable quant à l'existence d'un don n'avait ainsi été ni provoquée, suscitée ou imposée par l'administration ; que la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la procédure de redressement était régulière ;

Et attendu, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 19 du livre des procédures fiscales, qui permettent à l'administration fiscale, à l'occasion du contrôle des déclarations de succession, de demander aux héritiers et autres ayants droit des éclaircissements ou des justifications au sujet des titres, valeurs et créances non énoncées dans la déclaration et qui sont présumés faire partie de la succession, ne lui imposent pas de solliciter l'établissement bancaire où sont tenus les comptes ; que l'arrêt relève que l'administration s'est limitée à solliciter auprès des héritiers du défunt la communication des relevés du compte joint dont il était titulaire avec Mme Y... et dont les mentions révélaient un virement de 145 000 francs au profit du livret au nom de celle-ci ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir considéré qu'elle avait bénéficié, du fait de la souscription par le de cujus de trois contrats d'assurance-vie dans lesquelles elle était désignée comme bénéficiaire, d'une donation indirecte, alors, selon le moyen :

1°/ que faute pour la bénéficiaire d'avoir accepté les trois contrats, celle-ci ne pouvait être considérée comme ayant bénéficié d'une donation indirecte ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une violation de l'article 784 du code général des impôts ;

2°/ que la proposition de rectification était clairement fondée sur l'existence, en l'espèce, d'un montage ayant eu pour but exclusif d'éluder l'impôt de mutation à titre gratuit de telle sorte qu'implicitement mais nécessairement le Service avait eu recours, sans le dire, à la procédure de répression des abus de droit ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une violation de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Mais attendu, d'une part, qu'un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ; que la cour d'appel, qui a retenu que M. X..., qui était atteint d'un cancer depuis 1997 au point d'avoir cessé ses activités professionnelles à la fin du mois de février 1998, a souscrit en mars 1998 les trois contrats d'assurance-vie dans lesquels Mme Y... était désignée comme bénéficiaire, et est décédé fin décembre 1998 à la suite de l'aggravation régulière de son état, a pu en déduire l'absence d'aléa au moment de la souscription des contrats ainsi que le caractère illusoire de la faculté de rachat et la volonté actuelle et irrévocable du souscripteur de se dépouiller au profit de Mme Y... ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que les services fiscaux avaient seulement constaté que, sans simulation, les contrats d'assurances-vie revêtaient accessoirement et indirectement le caractère de libéralité, l'arrêt en a justement déduit que l'administration n'avait pas à mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu que le deuxième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par Me Odent, avocat aux Conseils, pour Mme Y....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que la procédure de redressement relative à un virement de 145.000 F avait été régulière et d'avoir en conséquence débouté Mme Y... de ses demandes tendant à la décharge des impositions litigieuses ;

AUX MOTIFS QUE, s'il est vrai que le caractère non contraignant de la demande de renseignements et éclaircissements relatifs à la déclaration de succession de M. X... adressée à Mme Y... par l'administration des impôts en application de l'article L. 10 du LPF n'était pas explicitement précisé dans le courrier du 17 septembre 2004, force était cependant de constater que les services fiscaux ne faisaient pas état d'une obligation de répondre aux questions posées dans un délai précis et sous peine de sanction en cas de défaut de réponse ; qu'au surplus, aucun manquement à son devoir de loyauté ne pouvait être imputé à l'administration qui, dans le cadre étroitement défini du contrôle de la déclaration de succession de M. X..., s'est en effet bornée à poser à la contribuable des questions précises, concrètes, détaillées et dépourvues d'ambiguïté, dont la question critiquée sur l'existence d'un don, sur des éléments ou événements datés et décrits avec précision ; que, dans ces conditions, la réponse affirmative apportée à ce sujet par Mme Y... n'avait nullement été provoquée, suscitée ou imposée par l'administration ;

ALORS QUE la notion de caractère non contraignant de la procédure ainsi engagée ne peut se limiter à une absence de délai de réponse ou d'annonce de sanctions mais doit résulter d'un examen concret et particulier de la demande de l'administration ; que le manquement au devoir de loyauté ne
pouvait s'apprécier au seul regard des questions posées mais en tenant compte du contexte général de la demande et, en particulier, de la remarque relative au fait que les questions posées ne portaient pas sur la situation fiscale personnelle de l'exposante : qu'ainsi l'arrêt attaqué viole les dispositions de l'article LAO du LPF et le principe du respect des droits de la défense ;

ET AUX MOTIFS OUE l'administration, qui n'était pas tenue de s'adresser exclusivement à Mme Y..., s'est limitée, comme elle était en droit de le faire en application des dispositions de l'article L. 19 du LPF, à solliciter auprès des héritiers de M. X... la communication des relevés du compte joint dont il était titulaire avec Mme Y... et dont les mentions révélaient un virement de 145.000 F au profit du livret ouvert au nom de celle-ci ;

ALORS OUE ce droit n'aurait pu s'exercer que dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès des établissements bancaires teneurs des comptes en cause ; qu'ainsi, la cour a commis une erreur de droit au regard de l'application de l'article L. 19 du LPF.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir admis l'existence d'un don manuel au profit de Mme Y... s'agissant de sommes ayant alimenté un compte joint détenu par elle et le de cujus et d'avoir en conséquence débouté Mme Y... de ses demandes tendant à la décharge des impositions litigieuses ;

AUX MOTIFS QUE l'appelante ne conteste pas qu'à l'exception d'un versement de 500 F effectué à l'ouverture, elle n'a jamais alimenté le compte joint qu'elle détenait avec M. X... au Crédit agricole, pourtant déclaré pour moitié dans la succession de M. X... comme étant joint entre eux et qu'elle n'est jamais intervenue dans sa gestion ; que l'administration en a ainsi exactement déduit, ce que l'appelante ne conteste pas, que ce compte ne pouvait être considéré comme appartenant pour moitié à chacun au sens de l'article 753 du CGI, mais qu'il devait être regardé comme appartenant en totalité à M. X..., sous déduction du versement de 500 F ; qu'il est constant en outre que M. X... a effectué un versement de 150.000 F sur ce compte le 17 mars 1998, puis a viré une somme de 145.000 F sur un livret appartenant à Mme Y..., opération que celle-ci a qualifiée de don ; que ce don manuel ayant été consenti moins de dix ans avant le décès de M. X... et n'ayant fait l'objet d'aucun enregistrement ni paiement des droits correspondants à cette date, c'est à juste titre que l'Administration a rapporté ce don à la succession de M. X... en application de l'article 784 II du CGI ;

ALORS QUE, dans sa réponse du 4 octobre 2004, Mme Y... n'a pas reconnu ne pas avoir alimenté le compte en cause et a simplement indiqué qu'elle n'y effectuait aucune transaction sans l'autorisation de M. X... ; qu'en en déduisant qu'elle n'avait jamais alimenté ce compte, l'arrêt attaqué est entaché d'une dénaturation de la lettre du 4 octobre 2004, en violation de l'article 1134 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir considéré que Mme Y... avait bénéficié, du fait de la souscription par le de cujus de trois contrats d'asssurance-vie dans lesquelles elle était désignée comme bénéficiaire, d'une donation indirecte ;

AUX MOTIFS QU'il ressort des énonciations de la proposition de rectification que M. X..., qui avait fait l'acquisition d'une maison dans le Gers le 7 janvier 1997 et qui l'avait revendue le 12 mars 1998, a alors souscrit trois contrats d'assurance-vie dans lesquels Mme Y... était désignée comme bénéficiaire ; qu'il est constant que M. X..., atteint d'un cancer depuis 1997, a été contraint de cesser ses activités professionnelles de médecin libéral à la fin du mois de février 1998 et que son état de santé s'est régulièrement aggravé jusqu'à son décès survenu le 27 décembre 1998 ; que l'état de santé de M. X... et son évolution suffisent ainsi à démontrer l'absence manifeste d'aléa au moment de la souscription des trois contrats d'assurance-vie, intervenue quelques mois avant le décès, ainsi que le caractère illusoire de la faculté de rachat et, par suite, la volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller au profit de Mme Y... ; que, dès lors, observant également que M. X... venait de faire bénéficier Mme Y... d'un don manuel le 31 mars 1998 et qu'il l'avait désignée en qualité de légataire par testament du 31 juillet 1998, l'Administration était fondée à relever l'existence de l'intention libérale au profit de Mme Y... révélée par ces contrats et à réintégrer à l'actif successoral transmis par legs en tant que donation indirecte, en application de l'article 784 du CGI, les sommes versées sur les contrats d'assurance-vie ; qu'à cet égard, l'appelante n'est pas fondée à objecter le défaut d'acceptation de la donation dès lors que l'acceptation dans les formes prescrites par les articles 932 et suivants du code civil n'est exigée que pour la donation passée en la forme authentique et qu'enfin les services fiscaux ayant seulement constaté que, sans simulation, les contrats d'assurance-vie revêtaient accessoirement et indirectement le caractère de libéralité, Mme Y... reproche vainement à l'Administration d'avoir omis de mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du LPF ;

1°/ ALORS QUE, faute pour la bénéficiaire d'avoir accepté les trois contrats, celle-ci ne pouvait être considérée comme ayant bénéficié d'une donation indirecte ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une violation de l'article 784 du CGI ;

2°/ ALORS QUE la proposition de rectification était clairement fondée sur l'existence, en l'espèce, d'un montage ayant eu pour but exclusif d'éluder l'impôt de mutation à titre gratuit de telle sorte qu'implicitement mais nécessairement le Service avait eu recours, sans le dire, à la procédure de répression des abus de droit ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une violation de l'article L. 64 du LPF.

Retourner en haut de la page