Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 mai 2015, 13-24.261, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée en qualité de serveuse par M. Y..., exploitant un restaurant, par contrat à durée déterminée pour la période du 14 juin au 14 juillet 2010 puis du 15 juillet 2010 au 14 janvier 2011 ; qu'invoquant l'existence d'une faute grave de l'employeur justifiant la rupture anticipée de ce contrat de travail, la salariée a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve produits aux débats, la cour d'appel a relevé que la salariée s'était plainte auprès de son employeur, devant une autre salariée, d'avoir été victime d'une agression sexuelle sur son lieu de travail, qu'elle avait été examinée par son médecin traitant et placée en arrêt de travail et que son compagnon s'était rendu à la gendarmerie, puis a constaté que l'employeur s'était contenté de hausser les épaules en réponse à cette plainte ; que, sans violer le principe de la contradiction, ni encourir les griefs du moyen, elle a pu déduire de ses constatations l'existence d'une faute grave de l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu les articles L. 1243-1, L. 3243-2 et L. 1242-16 du code du travail ;

Attendu qu'après avoir retenu la faute grave de l'employeur justifiant la rupture à ses torts du contrat à durée déterminée, l'arrêt condamne celui-ci à payer à la salariée des sommes représentant des salaires qui auraient été dus jusqu'à la fin du contrat, outre les congés payés afférents et ordonne la remise des bulletins de paie conformes à la décision ;

Qu'en statuant ainsi, alors d'une part que les sommes versées par l'employeur, auquel la rupture anticipée du contrat à durée déterminée est imputable, n'ont pas le caractère de salaire et ne doivent pas donner lieu à remise de bulletins de paie, d'autre part que la période de travail non effectuée en raison de cette rupture n'ouvre pas droit à des congés payés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, d'une part, il condamne M. Y... à payer à Mme X... les sommes de 7 614,65 euros et de 761,46 euros qualifiées de rappel de salaire et de congés payés, d'autre part, il ordonne la remise de bulletins de paie conformes à la décision, l'arrêt rendu le 5 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Y....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, d'AVOIR dit que la prise d'acte, par Mme X..., de la rupture de son contrat de travail était imputable à la faute grave de l'employeur et d'AVOIR condamné M. Y... à lui verser les sommes de 7.614,65 euros à titre de rappel de salaire, de 761,46 euros à titre de congés payés afférents et d'AVOIR ordonné à M. Y... la remise à Mme X... des bulletins de salaire, du certificat de travail, de l'attestation Pôle emploi et des justificatifs de paiement des cotisations sociales, conformes à sa décision ;

AUX MOTIFS QUE « sur la rupture, Mme Z... alors serveuse dans l'établissement, atteste avoir, le 15 août 2010, entendu Mme X... alerter leur employeur de ce qu'elle venait de se faire agresser sexuellement dans les toilettes de l'établissement et avoir constaté que ce dernier se contentait de hausser les épaules et demandait à sa salariée d'arrêter ses enfantillages et de retourner travailler ; que le médecin traitant de Mme X... a certifié quant à lui avoir recueilli, le 17 août 2010, ses doléances sur le fait qu'elle avait été victime de palpations et attouchements de la part d'un client de l'établissement et avoir constaté qu'elle pleurait en évoquant les faits bien que l'examen clinique n'ait relevé aucune lésion, ce qui l'a conduit à délivrer un arrêt de travail jusqu'au 22 août ; que M. A..., compagnon de Mme X... atteste de son côté qu'il s'est rendu à la gendarmerie le 15 août pour faire part des difficultés rencontrées par cette dernière et s'être vu indiquer que c'était à elle de faire la démarche ; qu'ainsi, en l'état d'attestations qui ne font l'objet d'aucune critique, il ne peut être contesté que, si elle ne s'est pas rendue à la gendarmerie, Mme X... a néanmoins rapporté les faits dont elle se prétendait victime à son employeur qui n'a pas eu la réaction appropriée ; qu'en effet, quand bien même il n'avait pas constaté lui-même ces faits qui n'ont pas eu d'autre témoin, il se devait de prêter à la déclaration de sa salariée toute l'attention requise et d'adopter en termes de propos et de mesures pour l'avenir une attitude permettant d'assurer à celle-ci qu'elle serait dans l'avenir davantage protégée contre ce genre d'agissements et à tout le moins contre de nouveaux agissements de ce même client, ce qu'il n'a pas fait, manquant ainsi à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité ; que lorsque le salarié rompt un contrat à durée déterminée et invoque des manquements de l'employeur il incombe au juge de vérifier si les faits invoqués sont ou non constitutifs d'une faute grave ; qu'en l'espèce, le manquement à une obligation de sécurité de résultat caractérise une faute grave, ce qui ouvre droit au paiement des salaires qui auraient été dus jusqu'à la fin du contrat, soit une somme de 7.614,65 euros, outre les congés payés y afférents ; que sur les dommages-intérêts complémentaires, Mme X... évoque un harcèlement qui n'est nullement constitué en l'espèce et elle ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'indemnité spéciale » ;

1°) ALORS, D'UNE PART, QUE le manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur ne peut être caractérisé que dans la mesure où l'atteinte alléguée à la santé ou à la sécurité du salarié est avérée ; que tel ne peut être le cas lorsque les allégations d'une telle atteinte ne font l'objet d'aucune preuve et où la réalité du fait - et donc du manquement de l'employeur - n'est pas établie ; qu'en mettant la rupture du contrat de travail à la charge de l'employeur au prétexte d'un manquement à une obligation de sécurité de résultat, tout en admettant qu'aucune preuve de l'agression de Mme X... par un client n'était faite (« Mme X... a rapporté les faits dont elle se prétendait victime » « quand bien même l'employeur n'avait pas constaté lui-même ces faits qui n'ont pas eu d'autre témoin ») la Cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1232-1, L.4121-1, L.1153-1 et L.1153-5 du code du travail ;

2°) ALORS QU'à tout le moins, en retenant un tel manquement sans vérifier si les faits étaient exacts, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des mêmes textes ;

3°) ALORS QUE la circonstance inopinée, imprévisible et irrésistible pour l'employeur, qu'un client de celui-ci se livre sur un de ses salariés à une agression sexuelle ou autre, ne suffit pas, à elle seule, à constituer l'employeur en faute, ni à caractériser de sa part un manquement à son obligation de sécurité ; que la Cour d'appel ne pouvait donc déduire l'existence d'un tel manquement de la seule allégation par la salariée d'une agression sexuelle de la part d'un client ; qu'elle a violé l'article 1147 du code civil et les textes précités ;

4°) ALORS QUE la seule circonstance que l'employeur n'ait pas eu, au moment où la salariée lui dénonçait ce fait, une réponse « appropriée », ni ne lui ait donné d'assurance suffisante pour l'avenir est totalement étrangère à l'obligation de sécurité de résultat et à l'obligation en matière de protection de la santé et de la sécurité, et insusceptible de caractériser une violation desdites obligations ; que la Cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, L.1153-1, L.1153-5, L.1232-1 du code du travail ;

5°) ALORS AU DEMEURANT QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que si, lorsque la procédure est orale, les moyens soulevés d'office sont présumés avoir été débattus contradictoirement à l'audience, la preuve contraire est cependant rapportée lorsqu'il ressort des propres énonciations des juges du fond que les moyens oralement présentés à l'audience étaient ceux développés par les parties dans leurs écritures ; qu'en l'espèce, Mme X... soutenait uniquement, dans ses conclusions d'appel dont la cour a énoncé qu'elles avaient été reprises oralement à la barre, qu'elle aurait pris d'acte de la rupture de son contrat de travail en raison du harcèlement sexuel dont elle aurait été victime sur le lieu de travail, de sorte que la cour d'appel qui a soulevé d'office le moyen pris d'une violation, par l'employeur, de l'obligation générale de prévention de tout risque d'atteinte à la santé et à la sécurité des travailleurs sur le lieu de travail, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du Code de procédure civile.

6° ALORS QU'à supposer que les propos de l'employeur aient été inappropriés, la Cour d'appel devait rechercher si à eux seuls, et détachés de toute « obligation de résultat », ils présentaient un caractère de gravité suffisant pour justifier la prise d'acte de la rupture au torts de l'employeur, étant acquis au débat que la salariée a quitté les lieux et n'y est plus jamais revenue ; que la Cour d'appel a encore violé les textes précités.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, d'AVOIR dit que la prise d'acte, par Mme X..., de la rupture de son contrat de travail était imputable à la faute grave de l'employeur et d'AVOIR condamné M. Y... à lui verser les sommes de 7.614,65 euros à titre de rappel de salaire, de 761,46 euros à titre de congés payés afférents et d'AVOIR ordonné à M. Y... la remise à Mme X... des bulletins de salaire, du certificat de travail, de l'attestation Pôle emploi et des justificatifs de paiement des cotisations sociales, conformes à sa décision ;

ALORS QUE les sommes versées au salarié lorsque la rupture de son contrat de travail à durée déterminée avant le terme est imputable à la faute grave de l'employeur, n'ont pas le caractère de salaire et ne doivent pas donner lieu à la remise de bulletins de paie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a ordonné à M. Y... de remettre à Mme X... les bulletins de paie conformes aux sommes allouées au titre de la rupture de son contrat de travail a violé l'article L. 1243-4 du code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00777
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