Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 31/12/2014, 11DA01495, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 9 septembre 2011, présentée pour la société Valérian, société en nom collectif, dont le siège est Espace d'activités Sainte-Anne, 75 avenue Louis Lépine, BP 305 à Sorgues (84706), par Me A...B..., pour la société Vinci construction terrassement, venant aux droits de la société Entreprise Deschiron, dont le siège est 61 avenue Jules Quentin à Nanterre (92000), par Me Jérôme Grégoire, et la société NGE, venant aux droits de la société Guintoli, dont le siège est 26 boulevard Saint-Roch à Avignon (84000), par Me Frédéric Torron ;

La société Valérian et autres demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702331 du 6 juillet 2011 du tribunal administratif de Rouen qui a rejeté leurs conclusions tendant à la condamnation du Grand port maritime du Havre à leur verser la somme de 24 586 676,50 euros, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts légaux à compter du 6 septembre 2007, ainsi que de leur capitalisation, et a mis à leur charge les frais et honoraires de l'expert taxés et liquidés par une ordonnance du 27 mars 2007 ;

2°) de condamner le Grand port maritime du Havre à leur verser la somme de 24 986 876,50 euros, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts légaux à compter du 6 septembre 2007 ainsi que de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du Grand port maritime du Havre, au titre des frais d'expertise, la somme de 517 444,04 euros, augmentée des intérêts légaux à compter du 6 septembre 2007, ainsi que de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge du Grand port maritime du Havre la somme de 71 760 euros toutes taxes comprises au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 15 et 16 décembre 2014, présentées respectivement pour la société Valérian et autres et par le Grand port maritime du Havre ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- les conclusions de Mme Perrine Hamon, rapporteur public,

- et les observations de Me Cyril Perrier, avocat de la société Valérian, de Me Jérôme Grégoire, avocat de la société Vinci construction terrassement, par Me Frédéric Torron, avocat de la société NGE, et de Me Julien Molas, avocat du Grand port maritime du Havre ;


Sur le contexte du litige :

1. Considérant que le Port autonome du Havre devenu Grand port maritime du Havre a entrepris la création d'un port, à l'extérieur des bassins existants, dans le cadre du projet " Port 2000 " ; qu'il a, par un marché signé le 18 mai 2001, confié la réalisation de la première tranche du projet à la société Solétanche Bachy France, la mission de maîtrise d'oeuvre étant assurée par ses services techniques ; que ce marché consistait en la construction d'un quai de 1 400 mètres de longueur utile répartis en une tranche ferme de 700 mètres et deux autres tranches conditionnelles de 350 mètres, en prolongement est et ouest de la tranche ferme, ainsi qu'en la démolition de la digue existante, le creusement du bassin de marée situé au droit de ce quai et le reprofilage de la digue d'enclôture ; que la société Solétanche Bachy France a conclu des contrats de sous-traitance avec la société Valérian, la société Guintoli, aux droits de laquelle se trouve la société NGE, et la société Deschiron, aux droits de laquelle se trouve la société Vinci construction terrassement, pour la réalisation des travaux de terrassement ; que ces entreprises, qui ont constitué une société en participation et opté pour le principe de transparence, ont été agréées par le maître d'ouvrage le 27 août 2001 ;

2. Considérant que la commune et le port du Havre ayant été bombardés lors de la seconde guerre mondiale, deux options avaient été prévues afin d'assurer le déminage indispensable des terrains d'assiette de la première tranche, les sociétés requérantes devant intervenir après la levée de ces options ; que par un marché du 31 août 2001, la société Solétanche Bachy France a confié à la société Heinrich Hirdes, sous-traitante agréée le 27 août 2001, la mission de dépollution pyrotechnique nécessaire à la levée des options, laquelle a été menée à son terme ; que, le 28 mai 2001, le Port autonome du Havre a notifié à la société Solétanche Bachy France un ordre de service du 23 mai 2001 prescrivant le commencement des travaux de la tranche ferme, ainsi que l'exécution des options 1 et 2 ;

3. Considérant qu'alors que les prestations de terrassement qui leur avaient été confiées, comme il a été dit au point 1, devaient débuter en novembre 2001, les sociétés sous-traitantes Valérian et autres ont refusé de les exécuter en estimant que les conditions de sécurité n'étaient pas réunies pour leur permettre d'intervenir sans risque, en l'absence de réalisation des mesures de détection des engins explosifs et de la levée de la première option ; qu'à la demande de la société Valérian, une expertise a été ordonnée le 14 mars 2002 par le tribunal administratif de Rouen et le rapport établi le 2 mars 2005 ;

4. Considérant que, le 8 novembre 2002, la société Solétanche Bachy France a mis la société Valérian en demeure de reprendre l'exécution des travaux ; qu'en l'absence de réalisation par cette dernière des prestations commandées, la société Solétanche Bachy France lui a notifié la résiliation de son contrat de sous-traitance le 10 décembre 2002, avant de signer, le 16 décembre 2002 un autre contrat de sous-traitance avec la société de dragage Boskalis, destiné à la réalisation des mêmes travaux de terrassement ; que ces travaux ont été réceptionnés en avril 2005 et le décompte général, établi en octobre 2005, est devenu définitif ;

5. Considérant que la société Valérian et autres relèvent appel du jugement du 6 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la condamnation du Grand port maritime du Havre à réparer les préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait de la résiliation de leur marché de sous-traitance ;


Sur la régularité du jugement :

6. Considérant qu'en retenant, sur le fondement de la loi du 31 décembre 1975, que " compte tenu de leur nature particulière, ainsi que de celle des fautes alléguées, les préjudices dont les requérantes demandent réparation ne peuvent être qualifiés de préjudices ou plus-values ouvrant droit à indemnisation ou à rémunération supplémentaire et dont le titulaire du marché aurait pu invoquer le paiement sur le fondement de la responsabilité contractuelle du maître de l'ouvrage, s'il avait exécuté lui-même les travaux ", le tribunal administratif de Rouen, qui a fourni les raisons de son rejet, n'a pas entaché son jugement d'insuffisance de motivation ; que, par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier ;


Sur la responsabilité pour faute quasi délictuelle du maître d'ouvrage :

7. Considérant que la société Valérian et autres recherchent la responsabilité quasi délictuelle du Grand port maritime du Havre à raison d'une série de fautes qu'il aurait commises et qui résultent, selon elles, d'une part, de l'incompétence de cet établissement public pour organiser, à la place de l'Etat, la dépollution pyrotechnique et, d'autre part, de défauts dans la direction de l'opération de construction comme maître d'ouvrage ; qu'à ce dernier titre, il lui est reproché de ne s'être pas assuré de la compatibilité entre la méthode de terrassement et la méthodologie de détection pyrotechnique au stade de la conception des opérations, de s'être arrogé le pouvoir d'organiser la détection des engins explosifs à la place de l'Etat, de n'avoir pas fait respecter l'ordonnance nos 233938-234071-234072 du 28 juin 2001 du juge des référés du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, qui avait suspendu l'arrêté interpréfectoral du 23 octobre 2000 modifié par un arrêté complémentaire du 3 octobre 2001, pour la partie de ces opérations qui nécessitaient des opérations préalables de déminage et de débombage, d'avoir choisi un coordonateur de chantier incompétent en matière de détection pyrotechnique ainsi que d'avoir fait preuve d'inaction pour lever l'option 1 prévue au contrat ; qu'il est encore reproché au Grand port maritime d'avoir organisé la résiliation du contrat de sous-traitance ; que l'ensemble de ces fautes seraient, selon les sociétés appelantes, à l'origine tant de l'arrêt du chantier de terrassement que de la résiliation de leur contrat par la société Solétanche Bachy France, entrepreneur principal ;

8. Considérant, d'une part, qu'il ne résulte pas de l'instruction que le Grand port maritime du Havre aurait, lors de l'exécution du chantier, méconnu les stipulations du marché principal, notamment lors de la levée de la première option, ou se serait attribué des compétences réservées à l'Etat en matière de déminage ou débombage ou qu'un tel comportement, s'il était avéré, serait directement à l'origine des difficultés de chantier rencontrées par les sociétés sous-traitantes ou de la résiliation de leur contrat de sous-traitance ; que les autres fautes qui sont reprochées au maître d'ouvrage, liées à la dépollution pyrotechnique et qui ont été rappelées au point précédent, visent en réalité à contester les stipulations du contrat principal passé entre le Grand port maritime du Havre et la société Solétanche Bachy France, qui fixait les modalités d'exécution des opérations de terrassement dans une zone portuaire présentant des risques de présence d'engins explosifs ; qu'il appartenait alors aux sociétés sous-traitantes notamment soit de refuser de signer le contrat de sous-traitance, si elles estimaient que les modalités d'exécution des opérations de dépollution pyrotechnique n'étaient pas régulières ou présentaient des conditions de sécurité insuffisantes, soit, le cas échéant, d'exiger des compléments d'information sur ces points ; qu'elles disposaient, enfin, d'une action en responsabilité contractuelle contre la société Solétanche Bachy France, titulaire du marché, qu'elles ont d'ailleurs exercée ;

9. Considérant, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le Grand port maritime du Havre aurait organisé la résiliation du contrat de sous-traitance conclu entre la société Valérian et autres avec la société Solétanche Bachy France ; que les dispositions prévues à l'article 46 du cahier des clauses administratives générales Travaux, dont elles se prévalent, ne concernent que la résiliation du marché du titulaire du marché et ne peuvent donc être utilement invoquées par le sous-traitant ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la responsabilité quasi délictuelle des sociétés Valérian et autres au titre des fautes invoquées doit être écartée ;


Sur le droit au paiement direct du sous-traitant par le maître d'ouvrage :

11. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " le sous-traitant qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître d'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution " ;

12. Considérant, d'une part, que, dans l'hypothèse où le contrat de sous-traitance est résilié, le droit ainsi établi par la loi au profit du sous-traitant s'applique à tous les travaux qui ont été réalisés avant la résiliation ; que, d'autre part, le sous-traitant bénéficiant du paiement direct des prestations sous-traitées a également droit au paiement direct des travaux supplémentaires qu'il a exécutés et qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage, ainsi que des dépenses résultant de sujétions imprévues qui ont bouleversé l'économie générale du marché, dans les mêmes conditions que pour les travaux dont la sous-traitance a été expressément mentionnée dans le marché ou dans l'acte spécial signé par l'entrepreneur principal et par le maître de l'ouvrage ;

13. Considérant qu'il est constant que les sociétés requérantes, sous-traitantes de la société Solétanche Bachy France et agréées par le maître de l'ouvrage, n'ont pas exécuté les travaux de terrassement qui leur avaient été confiés, comme il a été dit au point 1 ; que, par suite, elles ne peuvent se prévaloir du mécanisme du paiement direct afin d'obtenir une indemnisation ou une rémunération destinée à couvrir les coûts ou les pertes résultant de l'inexécution de ces prestations, alors même qu'elles imputent ce défaut de réalisation à un vice affectant les stipulations du contrat principal ou à sa mauvaise exécution par l'une des parties ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Valérian et autres ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces sociétés une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés, en appel, par le Grand port maritime du Havre et non compris dans les dépens ;




DÉCIDE :




Article 1er : La requête des sociétés Valérian, Vinci construction terrassement et NGE est rejetée.


Article 2 : Les sociétés Valérian, Vinci construction terrassement et NGE verseront la somme globale de 2 000 euros au Grand port maritime du Havre au titre des dispositions de l'article L. 761-du code de juste administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Valérian, à la société Vinci construction terrassement, à la société NGE et au Grand port maritime du Havre.

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