Cour Administrative d'Appel de Versailles, 6ème chambre, 16/02/2012, 10VE00752, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le recours, enregistré le 10 mars 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0608522 en date du 17 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles la société Microsoft France a été assujettie au titre des exercices clos en 1999, 2000 et 2001 ;

2°) à titre principal, de remettre à la charge de la société Microsoft France les impositions contestées ;

3°) à titre subsidiaire, de rétablir les cotisations d'impôt sur les sociétés de 2000 et de 2001 relatives aux rectifications non contestées en première instance ;

Il soutient que le tribunal a prononcé la décharge totale des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés mises à la charge de la société Microsoft France, lesquelles se rapportaient à la fois au prix de transfert et à des charges non déductibles, alors que cette société, qui n'avait présenté que des moyens relatifs au prix de transfert, n'avait pas contesté les corrections relatives aux charges non déductibles ; que pour l'exercice clos en 1999, la réduction du taux de commission de 25 % auparavant consenti à la société Microsoft France par la société Microsoft Ireland correspondait aux conditions du marché et ne devait pas être corrigé ; que dès lors la réduction pratiquée, qui conduit à ramener ce taux à un niveau inférieur à celui de pleine concurrence n'est pas justifié et prouve un transfert de bénéfice en faveur de la société Microsoft Ireland ; qu'en ce qui concerne les exercices clos en 2000 et 2001, le taux de commission n'était pas davantage conforme au principe de pleine concurrence, l'ampleur et la nature des tâches assurées par la société Microsoft France ne permettant pas de la définir comme un simple agent commercial ; que le contrat d'agent commercial dont elle se prévaut constitue en réalité un contrat de louage de services ; que les éléments de comparaison recueillis sur cette base permettent d'établir une insuffisance de rémunération constitutive d'un transferts de bénéfices ; que la méthode utilisée par la société Microsoft France pour contester la réalité de ces transferts et les résultats auxquels elle conduit ne sont pas probants ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 février 2012 :
- le rapport de M. Bigard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Soyez, rapporteur public,
- et les observations de Me Merle, substituant Me Mazevet, pour la société Microsoft France ;

Considérant que la société Microsoft France a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juillet 1998 au 30 juin 2001 à l'issue de laquelle l'administration a procédé à différents redressements pour les trois exercices compris dans cette période ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT fait appel du jugement en date du 17 novembre 2009 du Tribunal administratif de Versailles déchargeant totalement la société Microsoft France des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés qui résultaient de ces redressements ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que le tribunal administratif a accordé à la société Microsoft France la décharge totale des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles cette société a été assujettie au titre des exercices clos en 1999, 2000 et 2001 alors que celle-ci n'avait émis aucune critique relative, d'une part, aux redressements dont elle a fait l'objet pour les exercices clos en 2000 et 2001 à raison de charges non déductibles (frais d'études et primes à verser à certains salariés) et, d'autre part, au redressement dont elle a fait l'objet pour l'exercice clos en 2001 à raison de produits comptabilisés d'avance ; qu'il en résulte une décharge injustifiée de 355 540 euros ; que, par suite, il y a lieu d'annuler l'article 1er du jugement attaqué, en tant qu'il a, à tort, déchargé la société Microsoft France en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000 et 2001 à hauteur de 355 540 euros ;


Sur le bien-fondé des impositions :

Considérant qu'aux termes de l'article 57 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. (...) A défaut d'éléments précis pour opérer les redressements prévus aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement. ; qu'il résulte de ces dispositions également applicables à l'établissement de l'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 du même code que lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise étrangère à une entreprise importatrice établie en France et placée sous sa dépendance sont supérieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes ;

Considérant qu'à compter du 1er juillet 1994, la société Microsoft France, détenue à 100 % par la société américaine Microsoft corporation, est passée du statut de distributeur assurant la commercialisation et le support des produits conçus et développés par la maison-mère à celui d'agent commercial de la succursale irlandaise dont l'activité a été apportée à la société irlandaise Microsoft Ireland Operations Ltd ; que pour son activité retail (vente des logiciels destinés aux grossistes et aux revendeurs grands comptes), la société Microsoft France était rémunérée par la société Microsoft Ireland Operations Ltd par des commissions égales à 25 % ou aux coûts d'exploitation majorés de 5 % si ce montant était supérieur ; qu'en application d'un contrat de développement conclu le 1er janvier 1999 entre les deux sociétés, le taux de cette commission, tout en maintenant le même plancher de rémunération garanti, est devenu dégressif de 25 % à 18 % en fonction du chiffre d'affaires réalisé ; qu'au terme de la vérification de comptabilité susrappelée, l'administration a remis en cause cette modification du taux de rémunération de l'activité retail et a réintégré dans les bénéfices de la société Microsoft France pour les trois exercices en cause les sommes correspondant à l'ajustement à la hausse des taux de commission auquel elle a procédé, de 22,47 % à 25 % au titre de l'exercice clos le 30 juin 1999, de 19,6 % à 23,25 % pour l'exercice clos le 30 juin 2000 et de 19,8 % à 21,38 % pour celui clos le 30 juin 2001 ;

En ce qui concerne le redressement afférent à l'exercice clos le 30 juin 1999 :

Considérant que, pour l'exercice susvisé, la référence faite par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT aux taux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement ne suffit pas à justifier le redressement contesté ; que, notamment, contrairement à ce qu'il soutient, il ne résulte pas de l'instruction que le taux antérieur de rémunération de 25 % des ventes pour l'exercice clos en 1999 aurait seul correspondu à celui de pleine concurrence et n'aurait pu être diminué sans révéler par cela même un transfert de bénéfices ; que, dans ces conditions, la seule circonstance que, par contrat, le taux de rémunération de 25 % de l'activité retail versée à la société Microsoft France par la société Microsoft Ireland Operations Ltd a été remplacé par un système de taux dégressif de 25 % à 18 % du chiffre d'affaire n'est pas de nature à démontrer l'existence d'un tel transfert vers la société Microsoft Ireland Operations Ltd ;

En ce qui concerne les exercices clos les 30 juin 2000 et 30 juin 2001 :

Considérant qu'il appartient à l'administration, sur qui repose la charge de la preuve de l'existence d'avantages consentis par l'entreprise, d'établir en quoi les méthodes et éléments de comparaison qu'elle propose pour démontrer celle-ci revêtent un caractère pertinent ;

Considérant qu'en l'espèce, pour établir le transfert de bénéfices allégué pour les deux exercices, l'administration, après avoir déterminé un critère de rentabilité qu'elle a appliqué à 86 sociétés européennes pour 2000 et 90 pour 2001, a comparé les résultats de la société Microsoft France avec les valeurs moyennes des quartiles 3 et 4 de ses panels ; que, toutefois, plusieurs de ces sociétés ne sont pas dépourvues de lien de dépendance et ne peuvent être regardées comme exploitées normalement au sens de l'article 57 du code général des impôts ; que, par ailleurs et surtout, la société Microsoft France fait valoir à juste titre que les sociétés retenues par l'administration ne lui sont pas comparables, en particulier, certaines assumant des fonctions de conception de logiciels, d'autres travaillant pour l'exportation, plusieurs supportant, contrairement à elle, l'intégralité des risques liés au développement d'incorporels et à leur financement ; qu'en réponse à ces objections, l'administration fait valoir qu'en raison de la situation monopolistique qui était alors celle du groupe Microsoft sur le marché des logiciels et des systèmes d'exploitation, les différences constatées entre les sociétés appartenant à ce groupe et les entreprises sélectionnées par elle ne suffisent pas à remettre en cause son analyse et que le défaut de détention d'éléments incorporels n'est, selon elle, pas déterminant ; que l'administration reconnaît ainsi qu'aucune entreprise opérant en France ne pouvait être strictement comparée à Microsoft France, en raison de la position de monopole que celle-ci occupait et de la facilité qu'il y avait pour elle à commercialiser au mieux les produits portant la marque Microsoft ; que cette situation ne justifiait pas que fût consenti par la société Microsoft Ireland Operations Ltd à la société Microsoft France un taux de rémunération plus élevé que celui qui a été effectivement pratiqué lors des exercices litigieux ; que le ministre n'apporte dès lors pas la preuve du caractère anormal de ce taux de rémunération ni de l'existence d'un transfert de bénéfice au profit de la société Microsoft Ireland Operations Ltd ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a déchargé la société Microsoft France des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000 et 2001 à hauteur de la somme de 355 540 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui succombe principalement en la présente instance, la somme de 2 000 euros que la société Microsoft France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 0608522 du Tribunal administratif de Versailles en date du 17 novembre 2009 est annulé en tant qu'il a déchargé la société Microsoft France des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000 et 2001, à concurrence de la somme de 355 540 euros ;
Article 2 : Les cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés visées à l'article 1er sont remises à la charge de la société Microsoft France.

Article 3 : L'Etat versera à la société Microsoft France une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du recours du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT est rejeté.

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N° 10VE00752 2




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