Conseil d'État, Juge des référés, 28/10/2011, 353553

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 21 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la SARL PCRL EXPLOITATION représentée par son gérant, M. Patrice Loprieno, dont le siège est sis La Belle Eau, à Heurtevent (14140) ; la SARL PCRL EXPLOITATION demande au juge des référés du Conseil d'État :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1102094 du 20 octobre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce que soit suspendue l'exécution de l'arrêté du 5 octobre 2011 par lequel le préfet du Calvados a prononcé la fermeture administrative de la discothèque " Le Margouillat " qu'elle exploite à Heurtevent, pour la durée d'un mois à compter de la date de notification de cet arrêté ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Elle soutient, d'une part, que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, la condition d'urgence est remplie ; que le préjudice économique causé par l'exécution de l'arrêté est important et difficilement réparable, d'autant plus que le mois de fermeture correspond à une période de forte fréquentation ; d'autre part, que la mesure préfectorale porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie ; qu'elle est, en effet, entachée de plusieurs illégalités manifestes ; qu'en l'absence d'urgence justifiant qu'il soit dérogé à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, le préfet du Calvados l'a illégalement privée des garanties qui y sont prévues ; que les accidents et infractions à la sécurité routière relevés par le préfet du Calvados pour fonder son arrêté sont sans lien avec les conditions d'exploitation de son établissement et ne révèlent l'existence d'aucune atteinte à l'ordre public de nature à justifier la fermeture de la discothèque ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2011, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Caen a jugé que la condition d'urgence n'était pas remplie, la perte d'exploitation étant purement hypothétique et l'arrêté attaqué ayant déjà reçu en grande partie exécution à la date à laquelle le juge de première instance a statué ; que, compte tenu de la gravité et de la persistance des comportements à risque des clients qui fréquentent la discothèque, qui révèlent une atteinte à l'ordre public, le préfet du Calvados n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en prenant l'arrêté de fermeture sur le fondement de l'article L. 3332-15 2° ; que le préfet du Calvados pouvait se dispenser de respecter les garanties de procédure prévues à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 en raison de l'existence d'une situation d'urgence ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 26 octobre 2011, présenté par la SARL PCRL EXPLOITATION qui reprend les conclusions et moyens de sa requête ; elle soutient, en outre, que l'exploitation de son établissement n'engendre pas davantage de risques pour la sécurité routière que celle de tout autre débit de boisson ; qu'elle a, au contraire, mis en oeuvre un certain nombre de mesures pour réduire les risques d'accidents liés à l'alcool ; que c'est l'accident du 25 septembre 2011, dont les clients de la discothèque furent les victimes et non les responsables, qui est l'élément déclencheur de la mesure de fermeture ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code la santé publique ;

Vu le code justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SARL PCRL EXPLOITATION et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 26 octobre 2011 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me de Nervo, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, avocat de la SARL PCRL EXPLOITATION ;
- le représentant de la SARL PCRL EXPLOITATION ;
- le représentant du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;



Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " (...) 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture (des débits de boisson) peut être ordonnée par le représentant de l'État dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois (...) 3. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation. (...) 5. Les mesures prises en application du présent article sont soumises aux dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ainsi qu'aux dispositions de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. " ;

Considérant que la SARL PCRL EXPLOITATION a introduit, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 5 octobre 2011 par lequel le préfet du Calvados a prononcé la fermeture administrative de la discothèque " Le Margouillat " qu'elle exploite à Heurtevent, pour une durée d'un mois ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions pour défaut d'urgence ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des documents comptables fournis tant en première instance qu'en appel, que la discothèque, qui n'ouvre que les soirées de week-end et veilles de jours fériés, réalise une part importante de son chiffre d'affaires annuel aux mois d'octobre et de novembre ; que l'arrêté litigieux prive la société requérante du chiffre d'affaires qu'elle aurait normalement réalisé pendant cinq week-end consécutifs ; que, compte tenu des charges fixes qui pèsent sur la SARL PCRL EXPLOITATION et de l'obligation de rémunérer ses quatorze employés durant la période de fermeture administrative, l'arrêté du 5 octobre 2011 entraîne des conséquences économiques difficilement réparables ; qu'alors même que la mesure litigieuse ne prive, à ce jour, la discothèque que de deux week-end d'activité, il résulte de l'instruction que la perte des bénéfices escomptés à l'occasion de deux spectacles prévus les 29 octobre et 5 novembre prochains et de la soirée organisée pour fêter " Halloween " menace à brève échéance son équilibre financier ; qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a rejeté ses conclusions au motif que les conséquences économiques et financières de l'arrêté litigieux ne caractérisaient pas une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant toutefois, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un accident de circulation ayant entraîné, à proximité de l'établissement, le 25 septembre 2011, la mort de deux personnes, le préfet du Calvados a demandé aux services de la gendarmerie de lui faire rapport des accidents et infractions à la sécurité routière constatés aux abords de la discothèque ; qu'il résulte de ce rapport, remis le 30 septembre 2011, que, depuis le mois de mai 2008, les accidents de la circulation routière survenus à proximité de la discothèque ont entraîné six décès et cinq blessés ; qu'en outre, depuis le début de l'année 2011, quarante-cinq procédures de conduite sous l'emprise d'un état alcoolique ont été établies par la gendarmerie aux abords de l'établissement ; que, dans ces conditions, et alors même qu'il n'est pas contesté que le gérant de la discothèque, qui a repris l'exploitation de l'établissement en janvier 2010, a pris un certain nombre de mesures de nature à diminuer le risque d'accidents de la route, le préfet du Calvados, en estimant que ces circonstances révélaient une atteinte à l'ordre public en relation avec la fréquentation de la discothèque " Le Margouillat " et en prononçant, pour ce motif, sa fermeture pour une durée d'un mois, n'a pas porté d'atteinte manifestement illégale aux libertés d'entreprendre et du commerce et d'industrie qui constituent des libertés fondamentales ;

Considérant, en second lieu, que le préfet du Calvados a estimé que l'exception prévue, en cas d'urgence, à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 pouvait lui permettre de prendre l'arrêté litigieux sans que ne soient respectées les garanties prévues à cet article ; que, si l'existence d'une urgence à intervenir, sans mettre préalablement le gérant de la société requérante à même de faire valoir ses observations, n'est pas établie en l'état de l'instruction, l'application que le préfet du Calvados a faite de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, auquel renvoie le 5 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique précité, n'est, en tout état de cause, pas entachée d'une illégalité manifeste ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL PCRL EXPLOITATION n'est pas fondée à se plaindre du rejet de sa demande par le juge des référés du tribunal administratif de Caen ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme de 3 000 euros réclamé par la société requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la SARL PCRL EXPLOITATION est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL PCRL EXPLOITATION et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

ECLI:FR:CEORD:2011:353553.20111028
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