Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 24/06/2011, 346529

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 et 23 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE, représentée par son président, dont le siège est au 4 avenue Henri Fréville à Rennes Cedex 2 (35207) ; la communauté d'agglomération demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1100019 du 25 janvier 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Lumiplan Transport, annulé la procédure de passation, lancée par la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE, pour un marché portant sur la fourniture et l'installation de bornes d'informations des usagers du réseau d'autobus de l'agglomération rennaise ;

2°) de mettre à la charge de la société Lumiplan Transport la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabrice Aubert, Auditeur,

- les observations de Me Le Prado, avocat de la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE et de la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la société Lumiplan,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat de la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE et à la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la société Lumiplan ;



Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut être saisi, avant la conclusion d'un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d'un manquement, par le pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ; que d'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 551-5 du même code que ce juge peut également être saisi, avant la conclusion d'un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d'un manquement, par une personne publique agissant en qualité d'entité adjudicatrice, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu'en vertu de l'article L. 551-6 le juge peut en pareil cas ordonner à l'entité adjudicatrice de se conformer à ses obligations, enjoindre la suspension de l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat et prononcer une astreinte à l'encontre de l'auteur du manquement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METREOPOLE a, par la publication les 11 et 12 juin 2010 d'un avis d'appel public à la concurrence, lancé la procédure de passation d'un marché négocié de fourniture et d'installation de bornes d'information des voyageurs sur le trafic et la desserte de son réseau de transport public par autobus, exploité par une société délégataire de service public, sur le fondement des articles 144, 165 et 166 du code des marchés publics ; que la société Lumiplan Transport, dont l'offre a été rejetée, a formé une demande en référé précontractuel devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, qui a, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, annulé la procédure de passation du marché litigieux par une ordonnance du 25 janvier 2011 contre laquelle la communauté d'agglomération se pourvoit en cassation ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du code des marchés publics : " Les pouvoirs adjudicateurs soumis au présent code sont : (...) 2° Les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. " ; qu'aux termes du I de l'article 134 du même code, définissant le champ d'application de sa deuxième partie : " Les dispositions de la présente partie s'appliquent aux marchés et accords-cadres passés par les entités adjudicatrices. Les entités adjudicatrices sont les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 lorsqu'ils exercent une des activités d'opérateurs de réseaux énumérées à l'article 135 ", lequel mentionne notamment, au 5°, " Les activités d'exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public dans le domaine du transport par chemin de fer, tramways, trolleybus, autobus, autocar, câble ou tout système automatique, ou la mise à la disposition d'un exploitant de ces réseaux. " ; qu'en vertu du I de l'article 144, les entités adjudicatrices passent leurs marchés et accords-cadres en choisissant librement entre les procédures formalisées suivantes : " 1° Procédure négociée avec mise en concurrence préalable ; 2° Appel d'offres ouvert ou restreint ; 3° Concours, défini à l'article 38 ; 4° Système d'acquisition dynamique, défini à l'article 78 " ;

Considérant que l'acquisition, par un pouvoir adjudicateur, d'un équipement destiné à la constitution d'un réseau de transport public ou s'intégrant à un réseau de transport public déjà constitué, que son exploitation ait été ou non déléguée, doit être regardée, en fonction de son mode de gestion, soit comme une activité d'exploitation d'un réseau soit comme une activité de mise à disposition du réseau, au sens de l'article 135 du code des marchés publics, et par suite comme une activité exercée par une entité adjudicatrice pour l'application de l'article 134 de ce code ; que, dès lors, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a commis une erreur de droit en jugeant que l'acquisition, par la communauté d'agglomération, de bornes d'informations sur le trafic et la desserte de son réseau de transport par autobus n'était pas une activité de mise à disposition du réseau, au motif qu'elle en avait délégué l'exploitation, et en statuant par conséquent sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, applicables aux marchés conclus par les pouvoirs adjudicateurs et non à ceux conclus par les entités adjudicatrices, ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande en référé en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code justice administrative ;

Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE a pu légalement engager la passation d'un marché litigieux en tant qu'entité adjudicatrice ; qu'en cette qualité, elle pouvait, sans méconnaître ses obligations de publicité et de mise en concurrence, recourir à une procédure négociée en application des dispositions des articles 144, 165 et 166 du code des marchés publics ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article 1.6 du règlement de consultation, dans sa rédaction datée du 3 septembre, confirmée par le règlement dans sa version du 20 octobre 2010, la personne publique a la possibilité " d'apporter au plus tard 6 jours avant la date limite de remise des offres des modifications de détail au dossier de consultation " ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que l'entité adjudicatrice a notifié aux candidats à trois reprises, le 4 août, le 6 septembre et le 25 octobre 2010, le règlement de consultation intégrant des modifications ; que le règlement dans sa rédaction du 3 septembre, notifié le 6 septembre 2010, a prévu un report de la date de remise des offres, initialement fixée au 9 septembre, au 16 septembre 2010, laissant aux candidats un délai supérieur à six jours pour finaliser leurs offres ; que ce règlement a, en son article 2 inchangé, distingué la remise de l'offre initiale, suivie d'une négociation à laquelle devait succéder la remise de l'offre finale ; que, notifié aux candidats le 25 octobre dans sa rédaction datée du 20 octobre, soit postérieurement à la remise des offres initiales et n'affectant ainsi que les offres finales, il a ainsi été notifié aux candidats plus de six jours avant la date de remise des offres finales, fixée au 10 novembre 2010 ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte également de l'instruction que les modifications en cause ont porté, en ce qui concerne la version du 3 septembre 2010, sur l'apport de trois lignes dans le dossier de consultation des entreprises, sans conséquence sur sa substance, ainsi que sur le changement d'intitulé du document dénommé " DPGF " en " DCE " ; que s'agissant de la version du 20 octobre notifiée le 25 octobre, elle comporte une adaptation ponctuelle de la consultation destinée à réduire l'amplitude nocturne du fonctionnement de l'éclairage public et qu'à cette fin est demandée notamment la production d'un mémoire technique spécifique ; que ces modifications, d'une portée limitée et qui n'ont pas présenté de caractère discriminatoire entre les candidats, ne peuvent être regardées comme substantielles ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Lumiplan Transport n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération aurait méconnu l'article 1.6 du règlement de consultation ;

Considérant, en troisième lieu, que ces modifications, n'ayant pas, ainsi qu'il a été dit, affecté la substance de l'offre, la société requérante n'est pas davantage fondée à soutenir qu'en amendant trois fois le dossier de consultation, la communauté d'agglomération aurait altéré la transparence de la procédure de passation du marché ;

Considérant, en quatrième lieu, que le règlement de consultation, d'une part, spécifie en son article 3.2 la liste des documents et des éléments techniques exigés pour l'appréciation de la valeur technique des offres ; qu'y figure, d'autre part, à l'article 2.2, la formule paramétrique utilisée par la personne publique pour la notation des offres sur le critère du prix ; qu'ainsi la communauté d'agglomération, qui n'était pas tenue de communiquer aux candidats son estimation prévisionnelle du coût des prestations, a suffisamment précisé ses attentes quant aux critères de la valeur technique et du prix, et n'a pas méconnu le principe de transparence de la procédure ;

Considérant, en cinquième lieu, que la prise en compte du mémoire technique spécifique portant sur l'autonomie énergétique des bornes, demandé dans la dernière version du règlement de consultation, n'a pas consisté en l'adjonction, en cours de procédure, d'un sous-critère de la valeur technique par l'entité adjudicatrice, mais visait à contrôler la compatibilité des offres avec les caractéristiques techniques particulières du réseau ;

Considérant, enfin, que le règlement de consultation expose en son article 2.1 le déroulement précis de la négociation entre les candidats et l'entité adjudicatrice ; que la lettre du 20 octobre 2010 adressée par la communauté d'agglomération à la société requérante était accompagnée d'une liste de questions précises et l'invitait à compléter son offre initiale dans l'ensemble de ses aspects techniques et financiers ; que, par suite, la société Lumiplan Transport n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été insuffisamment informée sur le processus et la portée de la négociation des offres et n'aurait pas été invitée à négocier sur le prix ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sur le fondement des articles L. 551-5 et L. 551-6 du code de justice administrative, la demande de la société Lumiplan Transport doit être rejetée ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées ; qu'en revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Lumiplan Transport le versement à la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE de la somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par celle-ci, tant en première instance qu'en cassation ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 25 janvier 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes est annulée.

Article 2 : La demande de la société Lumiplan Transport devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La société Lumiplan Transport versera à la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION RENNES METROPOLE, à la société Lumiplan transport et à la société Solari di Udine spa.

ECLI:FR:CESSR:2011:346529.20110624
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